Images de page
PDF
ePub

nemis. Jugés donc quel agrément c'est pour des historiens d'avoir de telles choses à escrire, surtout quand ces historiens peuuent esperer d'en apprendre de vostre bouche mesme le detail. C'est de quoi nous osons nous flatter. Mais, laissant là l'Histoire à part, serieusement, Monseigneur, il n'y a point de gens qui soient si veritablement touchés que nous de l'heureuse victoire que vous aués remportée; car, sans conter l'interest general que nous y prenons avec tout le royaume, figurés vous quelle est notre joie d'entendre publier partout que nos affaires sont restablies, toutes les mesures des ennemis rompues, la France, pour ainsi dire, sauuée, et de songer que le heros qui a faict tous ces miracles est ce mesme homme d'un commerce si agréable, qui nous honore de son amitié, et qui nous donna à disner le jour que le Roi lui donna le commandement de ses armées.

« Nous sommes avec un profond respect, Monseigneur,
« Vos très-humbles et très-obéissants serviteurs,
« RACINE, Despréaux.

« A Paris, 8 de juillet 1690. »>

Parmi les notes que j'ai prises en parcourant les manuscrits de Racine déposés à la Bibliothèque impériale, j'ai remarqué ce passage dans sa lettre à l'abbé Levasseur, 1661 :

« Je lis des vers, je tasche d'en faire, je lis les avantures de l'Arioste; je ne suis pas moi-même sans avanture..... Mais voilà les massons qui arrivent. »

Et ailleurs, dans sa correspondance avec Boileau :

« Je vas au cabaret deux fois par jour; je commande à des

massons. »

Mme de SEVIGNÉ.

Dans une de ses lettres à Mme de Grignan, je vois écrits de sa main le mot tandresse quatre fois, et aussi par un a les mots commancement, entandre, contante. Voici cette lettre : A Angers, mercredy 29 septembre.

<< l'arive hier à cinq heures au pont de Se, apres auoir veu le matin a Saumur ma niece de Busy, et entandu la messe a la bonne Nostre Dame, ie trouue sur le bort de ce pont vn carosse

a six cheuaux qui me parut estre mon fils. Cestoit son carosse et labé Charyer quil a enuoyé me receuoir, parcequil est vn peu malade aux Rochers. Cet abé me fut agreable, il a vne petite impression de Grignan par son pere et par vous auoir veue, qui luy donne un pris au dessus de tout ce qui pouuoit venir audeuant de moy. Il me donna vostre lettre ecritte de Versailles, et ie ne me contraignis point deuant luy de repandre quelques larmes tellement ameres que ie serois etoufée sil auoit falu me contraindre. Ha ma bonne et tres aveable, que le comancement a esté bien vangé. Vous affectes de paroistre vne véritable Dulcinee, ha que vous lestes peu et que iay veu au travers de la peine que vous prenes a vous contraindre cette mesme douleur et cette mesme tandresse qui nous fit repandre tant de larmes en nous separant. Ha ma bonne, que mon cœur est penetré de vostre amitié, que ien suis bien parfaitement persuadée, et que vous me faches quand, mesme en badinant, vous dittes que ie deurois auoir vne fille come Mile Daleral et que vous estes imparfaite. Cette Aleral est aymable de me regretter come elle fait, mais ne me souhaittes iamais rien que vous. Vous estes pour moy toutes choses, et iamais on a esté aymee sy parfaitement dvne fille bien aymee que je le suis de vous. Ha quels tresors infinis mauez vous quelquefois cachés, ie vous assure pourtant, ma tres chere bonne, que ie nay iamais douté du fons, mais vous me combles presentemant de toutes ces richesses, et ie nen suis digne que par la tres parfaite tandresse que iay pour vous, qui passe au dela de tout ce que pourois vous en dire. Vous me paroisses asses mal contante de vostre voyage et du dos de M. de Brancas, vous aues trouué bien des portes fermées, vous aues, ce me semble, fort bien fait denvoyer vostre lettre. On mande icy que le voyage de la cour est retardé, peut estre poures vous reuoir M. de Lerme. Enfin Dieu conduira cela come tout le reste. Vous saves bien come ie suis pour ce qui vous touche, ma chere bonne, vous aures soin de me mander la suitte. Ie viens denvoyer la lettre que vous ecriues a mon fils; quelle tandresse vous y faites voir pour moy, quels soins, que ne vous dois ie point, ma chere bonne. Ie consens que vous luy fassies valoir mon depart dans cette saison; mais Dieu scait sy l'impossibilité et la crainte dvn desordre honteux dans mes affaires nen a pas esté la seule raison. SEUIGNÉ (1). »

(1) Extrait de l'Isographie des hommes célèbres publiée par Delarue, t. IV.

LA BRUYÈRE.

La Bruyère, parlant des progrès de la langue, remarque « que depuis vingt ans que l'on écrit régulièrement, on a secoué le joug du latinisme et réduit le style à la phrase purement française... et qu'on a mis enfin dans le discours tout l'ordre et toute la netteté dont il est capable, ce qui conduit insensiblement à y mettre de l'esprit. »

Sans être novateur en fait d'orthographe La Bruyère cependant donna l'exemple de quelques améliorations, contrairement au Dictionnaire de l'Académie qui venait de paraître quand il publia sa dernière édition (la huitième, en 1694).

Come Corneille, Fénelon, Bossuet, il écrit donc toujours vanger (1), avanture, avanturier, restraindre; il écrit soupante, paranthèse, paitrie (ame paitrie de boue).

Il supprime la double lettre dans sifler, aranger, flater, échaper, regreter, chaufer.

Il supprime l'y dans stile, peristille, hiperbole, patetique, tim, onix, phisionomie, synonime. Mais il en met à parmy, employ, ennemy, pourquoy, luy, soy, celuy, aujourdhuy, etc.

Il emploie le z dans magazin, carrouzel, embrazement, cizelé.

Il écrit avec raison un homme pratic, un homme fidele, une femme fidelle, et comme Racine prétension et masson. Il écrit avec la double consonne les mots terminés par e muet, duppe, secrette, platte, diette.

Comme ce système d'orthographe se reproduit dans toutes les éditions qu'il a publiées et qu'il revoyait avec le plus grand soin, on doit admettre que ces mots ainsi écrits l'ont été par sa volonté.

(1) Cependant il écrit vengeance. « C'est par faiblesse que l'on hait un ennemi et que l'on songe à s'en vanger et c'est par elle que l'on s'appaise et que l'on ne Se venge point. » (P. 179.)

Peut-être la Bruyère aurait-il désiré simplifier l'orthographe des participes; car je trouve dans toutes ses éditions ce passage ainsi écrit : « Il leur envoya tous les éloges qu'il n'a pas cherché par le travail et par ses veilles. » (P. 79.)

Conformément à l'orthographe du temps il écrit je sçay, sçú, vuide, prosneur, nous sommes seurs (súrs), beautez, loüez, extremitez, les mieux flattez, les mieux entourez et les mieux caressez, convents (et non couvents), bien-seance, la vûë, fauteüil.

VOLTAIRE, dans sa Correspondance (1752-55), a employé une orthographe qui varie souvent, mais qui prouve son désir de voir prédominer une orthographe plus simple, conformément aux opinions de ses prédécesseurs, Dangeau, d'Olivet, Duclos, Beauzée, de Wailly et autres académiciens, et conformément aux tendances des collaborateurs de l'Encyclopédie, d'Alembert et Diderot.

Dans les lettres inédites de Voltaire publiées par M. Hénin en 1825 et par M. Th. Foisset en 1836, son orthographe est figurée conformément à ses manuscrits. Les variations, les erreurs mêmes prouvent combien son esprit supérieur attachait peu d'importance à ces règles fastidieuses et incohérentes qui fatiguent l'attention et la mémoire et qui arrêtent la plume au détriment de la pensée, entravée sans cesse dans sa liberté et sa rapidité. Ainsi lorsqu'on lui voit écrire (Lettres au Président de Brosse et au Président Ruffey) dix fois chatsu et sept fois chatEAU, d'autres fois teatre et theatre, parentese, autentique, il sait bien d'où dérivent ces mots et qu'ils sont écrits en grec avec ; mais soit désir d'abréger le temps qui arrête sa plume, soit de simplifier l'écriture, il supprime les h inutiles: bien plus, si deux fois le mot hippotequés et celui d'hippotèse s'offrent dans ses lettres (1), il sait fort bien que leurs radicaux sont inó et tinut, mais, préoccupé qu'il est de son idée, la réflexion lui fait défaut et il commet deux barbarismes qui l'eussent fait exclure de tout concours littéraire et empêché même de devenir instituteur primaire. Qu'importe après tout? le temps perdu à de telles minuties l'eût été aussi pour la postérité. Si, mieux inspiré, il eût écrit ipotequés et ipotèse, il n'eût pas hésité et il eût économisé quatre lettres. Ne sommes-nous pas arrêtés aussi quand il nous faut écrire Hippolyte, hyperbole, hippiatrique, hypogée, esthétique, apathique, etc.?

Il écrit sans exception avantures, bien qu'il sache, comme Fénelon et Racine, que le mot dérive d'advenire, mais tous l'ont ainsi écrit. Les doubles lettres, il les supprime dans sotise, reconu, chau

(1) Lettre à M. Liebault, 12 novembre 1761. Lettre à M. de La Marche, 18 décembre 1762. Si l'on trouve prophane dans une lettre sans date adressée à M. Ruffey, c'est par la même inadvertance causée par l'irréflexion: il sait bien que ce mot provient de la préfixe pro pour pros et de fanum, le temple.

fer, efrayer, raporter, nourir, aprobation, acorder, suplier, embelissement, échaper, afaire, il poura, il a falu; il écrit même quelquefois le tems. Il supprime l'y dans sindic, sindicat, enciclopedie, stile, et de même qu'il écrit chatau, il écrit potau, tonnau (1), fardau. Le z remplace aussi le s dans mazure, écraser, lézé, lézine, scandalizé, eau roze, aprez, procez, délabréz, etc. Enfin, on remarque souvent le mot masson, celui de sausse et le mot érecsion ainsi écrits.

Voici la transcription exacte de quatre de ses lettres à d'Alembert, toutes d'après les originaux que je possède; la dernière est inédite :

« A Potsdam, 5 septembre 1752.

« Vraiment, monsieur, c'est a vous a dire, « je rendray grace au ciel et resterai dans Rome. » Quand je parle de rendre grace au ciel, ce n'est pas du bien qu'on vous a fait dans votre patrie, mais de celuy que vous luy faittes. Vous et Mr Didrot vous faites un ouvrage qui sera la gloire de la France, et la honte de ceux qui vous ont traversez. Paris abonde de barbouilleurs de papier. Mais de philosophes éloquents je ne connais que vous et luy. I est vrai qu'un tel ouvrage devait être fait loin des sots et des fanatiques sous les yeux d'un roy aussi philosofe que vous. Mais les secours manquent icy totalement. Il y a prodigieusement de bayonetes et fort peu de livres. Le roy a fort embelli Sparte, mais il n'a transporté Athene que dans son cabinet, et il faut avouer que ce n'est qu'a Paris que vous pouvez achever cette grande entreprise : j'ay assez bonne opinion du ministere pour esperer que vous ne serez pas reduit a ne trouver que dans vous même la recompense dun travail si utile. Jay le bonheur d'avoir chez moy monsieur labbé de Prades, et jespere que le Roy a son retour de la Silesie luy aportera les provisions d'un bon benefice.. Il ne s'attendait pas que sa tèse dut le faire vivre du bien de l'eglise, quand elle luy attirait de si violentes persecutions. Vous voyez que cette eglise est comme la lance d'Achille qui guérissait les blessures qu'elle avait faittes. Heureusement les benefices ne sont point en Silesie a la nomination de Boyer ny de Couturier. Je ne scai pas si labbé de Prade est heretique, mais il me parait honnete homme, aimable et guai. Comme je suis toujours tres malade, il poura bien

(1) Quatre fois tonnau et une fois tonneau.

« PrécédentContinuer »