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Plutarque, Andromaque, Télémaque. On devrait donc écrire Calkas ou Calcas et non Calchas. Mais, comme les noms propres ne figurent pas au Dictionnaire de l'Académie, il est inutile de s'en occuper ici.

Pour des mots scientifiques, tels que cholédoque, cholédologie, il importe fort peu, à qui sait le grec, qu'ils soient écrits d'une manière ou d'une autre. La science du grec ne saurait d'ailleurs être toujours un guide infaillible. Ainsi, de ce qu'on sait le grec, on croira devoir écrire scholie et scholiaste; cependant l'Académie écrit scolie et scoliaste, tandis que, par amour du grec, on aurait dû distinguer le « commentaire, yoλóv», de la «chanson de table, oxóλov», et pour se conformer à l'étymologie, écrire avec un h le commentaire, scholie, et sans la chanson de table, scolie.

D'autres mots signifient même, pour qui sait le grec, précisément le contraire de ce qu'ils veulent exprimer; tels sont oxygène, hydrogène : c'était oxygone, hydrogone qu'il fallait. On ne s'est trompé que du fils au père: au lieu de l'engendreur l'engendré.

Si le doute est permis, même à des hellénistes, quel ne doit pas être l'embarras des artisans, et du nombre immense de ceux qui ne savent ni le grec ni le latin? En 1694, quand l'Académie composa son Dictionnaire, savoir lire et écrire était un privilége réservé à une classe restreinte de la société. Aujourd'hui c'est le droit et le devoir de tous (1).

DE L'ESPRIT RUDE ET DE LA LETTRE H.

L'Académie semble vouloir renoncer à figurer dans l'orthographe l'esprit rude du grec, qui indique une aspiration étran

(1) M. B. Jullien, dans son Traité des Principales étymologies de la langue française, après avoir cité un grand nombre de mots qui ne sont que des barbarismes prétentieux, insignifiants, et inintelligibles pour les Grecs, s'exprime ainsi : « C'est payer un peu cher la manie de puiser dans les langues savantes que d'en tirer des barbarismes pour aboutir à des contre-sens.» (P. 59-68.)

gère à l'harmonie de notre langue, et qui ne se fait pas sentir. En effet, l'h, qui était censée représenter cet esprit rude, a disparu de rapsode, rapsodie, rabdologie, rabdomancie, rétine, erpétologie, cataracte (qui serait selon l'étymologie, catarrhacte); pourquoi donc maintenir ce signe h dans les mots arrhes, myrrhe, rhagade, rhapontic, rhinocéros, rhomboïde, rhubarbe, rhume, rhumatisme, rhythme, squirrhe? L'Académie écrit eurythmie qu'elle aurait dû écrire eurhythmie (avec les cinq consonnes), puisqu'elle écrit rhythme. Elle a supprimé la marque de l'esprit rude dans olographe, mais l'a conservée dans holocauste (1).

Cette h, depuis longtemps abandonnée dans la seconde partie de hémorragie, hémorroïdes, et dans squirre, mais qui reparaît dans catarrhe, diarrhée, gonorrhée, formés comme hémorroïdes sur le radical péo, devrait disparaître aussi de réteur, rétorique, comme aussi de rume et rumatisme, qu'on écrivait autrefois reume et reumatisme et plus anciennement rume, ainsi qu'on le voit figurer (gallice) en 1420, dans le Dictionnaire de Le Ver. Tous ces mots, malgré leurs significations diverses, découlent également de péw (2).

(1) On écrit rose et rosier, contrairement à l'orthographe grecque, mais conformément à celle des Latins, qui cependant écrivent Rhodos, l'île de Rhodes. C'est donc à tort que de pódov, la rose, nous avons formé rhododendron, l'arbre-rose et rhodium, vu la couleur rose de ce métal; cette anomalie ferait croire cet arbuste et ce métal originaires de Rhodes.

(2) Dans les Cahiers de l'Académie pour l'édition de 1694, on fait observer que les monts Riphées s'écrivent sans h (Riphées au lieu de Rhiphées).

L'Académie de Madrid, dans son désir de simplifier encore plus l'orthographe (*) a décidé, en 1859, que tous les mots commençant par h se prononceraient sans aspiration, excepté un seul cas. Elle a cependant respecté l'emploi de cette lettre, en partie à cause de l'origine des mots et en partie pour éviter la confusion qui résulterait de la similitude des sons de mots se prononçant de même, soit ayant l'h, soit ne l'ayant pas. Nous ne saurions faire de même, puisque la versification se trouverait altérée si certaines lettres perdaient leur aspiration. Il est regrettable, toutefois, que, contrairement à l'étymologie, on écrive hache, huile (on écrit

(*) Prontuario de ortografia de la lengua castellana despuesto de real órden para el uso de las escuelas públicas, por la real Academia española. Madrid, imprenta nacional, 1866,

Dans ce même Dictionnaire de Le Ver le mot halitus est traduit en français par aleine.

Corneille écrit sans h le mot orizon, où l'h est muette, et même le mot halte, bien que l'Académie y indique l'h comme aspirée.

Rien n'étonne on fait alte, et toute la surprise
N'obtient de ces grands cœurs qu'un moment de remise.
(Poésies diverses, 313 et 274.)

J'ai donc eu raison de dire que ces contradictions requièrent une solution, et que pour se prononcer en matière d'orthographe il ne suffit pas d'être érudit, car bien souvent les savants mêmes, par cela même qu'ils sont savants, hésitent et sont forcés de recourir au Dictionnaire pour se guider à travers ces bizarres anomalies.

DES LETTRES ET

REPRÉSENTÉES EN LATIN PAR th ET ph.

Déjà Ronsard, mort en 1585, s'exprimait ainsi, dans la préface de son Abrégé de l'art poétique :

« Quant aux autres diphtongues (les lettres doubles ch, ph, th), « je les ay laissées en leur vieille corruption, avecques insupportable entassement de lettres, signe de nostre ignorance et peu de « jugement en ce qui est si manifeste et certain. » (Voy. l'Appendice B.)

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Il est regrettable que l'Académie, dans la première édition de son Dictionnaire, en 1694, et plus tard, lorsque, en 1740, elle supprima en grande partie les traces de l'orthographe latine, n'ait pas complétement réalisé le vœu de Ronsard, et que par l'emploi des th et des ph elle ait introduit ou laissé

olive et olivátre), huis, huit, huître, qui proviennent de ascia, oleum, oliva, ostium, octo, ostreum. On a eu raison de supprimer récemment l'h dans hermile, puisque l'origine est eremita.

subsister dans notre écriture « le faste pédantesque » qu'elle condamnait dans le poëte.

Malgré tout le respect que je dois aux Estienne, c'est surtout à eux qu'est due l'introduction des ph, ch, th dans notre écriture, où la grande et juste autorité de leur savoir les a maintenus et longtemps perpétués. Cependant, sur certains points, Robert Estienne, dans son Dictionnaire français de 1540, s'est montré moins zélé partisan de l'étymologie que ses imitateurs: il écrit caractere, escole, il autorise tesme, yver sans l'h; et sans ph les mots orfelin, fleyme, fantastique, frenetique, faisan.

Avant l'apparition du Dictionnaire de Robert Estienne, l'emploi de ces doubles lettres se rencontrait fort rarement dans les manuscrits, puisque parmi les quatre à cinq cents mots dont je donne la liste, et où figurent des th, des ph et des ch, à peine une vingtaine de mots étaient ainsi écrits dans la langue française en l'an 1440. C'est ce que constate le grand Dictionnaire rédigé dans la première moitié du quinzième siècle par le prieur des Chartreux, Firmin Le Ver. Ce vaste répertoire, qui contient plus de trente-cinq mille mots, peut être comparé, en quelque sorte, au Dictionnaire de l'Académie, puisqu'il nous offre l'inventaire complet de notre langue de 1420 à 1440 (voir Appendice C). Mais, pour ne parler ici que de l'orthographe, on y voit combien l'écriture était alors celle qu'on aurait dû respecter, puisqu'on y est revenu après s'en être écarté. On y lit, ainsi écrits: antecrist, caractere, cirographe, colere, saint.crême, melencolie, sepulcre; apoticaire, autentique, auteur, autorizier, pantere, diptongue; blasfeme, filosophe, fisique, frenesie, frenetique, orfelin, spere; cripte, cristal, himne, idropisie, iver, ivernal, martir, mistere, tiran. Enfin, par l'écriture des mots diptongue et spere, on voit combien est antipathique à notre langue l'emploi de trois consonnes. Ce qui n'est pas moins remarquable c'est que dans ce vaste répertoire un grand nombre de mots latins sont déjà en

quelque sorte francisés dans leur orthographe, et ont perdu les signes de la latinité classique. Ainsi on lit à leur ordre alphabétique :

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Enfin, quant au mot même qui fait le sujet de cet écrit, voici ce qu'on y lit : « Ortographia, bon ortografiemens; Ortographus, bon ortografieur; Ortographo, bien ortografier, bien espeler. >>

Du Bellay et Ronsard ont écrit ortographie, le Dictionnaire de Nicot l'écrit de même, et je le vois ainsi figuré dans quelques grammaires modernes. En effet, la forme donnée au mot orthographe fait dire à ce mot tout autre chose que le sens qui lui est affecté. Géographie, uranographie, orographie, télégraphie, lithographie, typographie, orthodoxie, sont des mots formés régulièrement du grec; calligraphie, c'est l'art de la belle écriture, et calligraphe, l'homme qui écrit bien; orthodoxie est la conformité à l'opinion régulière, et orthodoxe, celui dont la foi est régulière; orthograPHIE signifie donc l'art d'écrire correctement, et orthographe désigne celui qui possède ou exerce cet art. Il est fâcheux que ce mot orthographe soit à la fois un barbarisme et une difformité, d'autant que l'Académie, dès 1694, écrit orthographier, au lieu d'ortographer, comme l'écrivait Corneille, en cela plus logique que nous (1).

Si l'anarchie orthographique qui régnait dans l'écriture et dans les imprimeries, lorsque l'Académie publia la première édition de son Dictionnaire, fut le motif qui l'engagea à se rapprocher du latin, maintenant que l'usage, invoqué par l'A

(1) Dans sa Grammaire comparée, p. 24, M. Egger regrette que l'on n'écrive pas, comme au xvr siècle, ortographie, et il emploie ce mot ainsi écrit dans son Histoire sur les théories grammaticales dans l'antiquité. Je le vois aussi écrit de même dans plusieurs livres de grammaire où l'on s'indigne contre ce barbarisme.

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