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qu'elle a justement acquise, ne venait elle-même au-devant du vœu public en faisant un nouveau pas dans son système de réforme, afin de rendre notre langue plus facile à apprendre, à lire et à prononcer, surtout pour les étrangers.

Que d'efforts et de fatigues quelques réformes pourraient encore épargner aux mères et aux professeurs! que de larmes à l'enfance! que de découragement aux populations rurales! Tout ce qui peut économiser la peine et le temps perdus à écrire des lettres inutiles, à consulter sa mémoire, souvent en défaut, profiterait à chacun. Car, avouons-le, personne d'entre nous ne saurait s'exempter d'avoir recours au Dictionnaire pour s'assurer s'il faut soit l'y soit l'i dans tel ou tel mot; soit un ou deux 7, ou n ou p dans tel autre; soit un ph ou un th; un accent grave ou un accent circonflexe, un tréma ou un accent aigu, un trait d'union ou même la marque du pluriel, l's ou le x, dans certains mots.

Il serait trop long d'énumérer ici les tentatives plus ou moins sensées, plus ou moins téméraires, proposées depuis le commencement du seizième siècle pour la simplification de l'orthographe : les unes, trop absolues dans leur ensemble, dénaturaient le caractère et les traditions de notre idiome; d'autres déroutaient et offensaient la vue en altérant la simplicité de notre alphabet; d'autres, enfin, n'avaient peut-être que le tort d'être prématurées et de contrarier des habitudes. contractées dès l'enfance, et d'autant plus tenaces qu'elles avaient coûté plus de peine à acquérir. (Voy. l'Appendice D.) L'Académie seule, quelquefois avec une grande hardiesse, a pu introduire et sanctionner de sages modifications; toutes ont été accueillies avec reconnaissance en France et dans les pays étrangers. C'est donc à sa sagesse de juger dans quelles limites on devra céder au vœu manifesté par tant de bons esprits durant plus de trois siècles. Les concessions qu'elle croira devoir faire ne seront même que la conséquence de l'opinion émise par elle en 1718 dans la préface de la deuxième

édition de son Dictionnaire : « Comme il ne faut point se presser de rejeter l'ancienne orthographe, on ne doit pas non plus, dit-elle, faire de trop grands efforts pour la retenir. »>

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Ces modifications seraient d'autant plus utiles et opportunes qu'elles hâteraient le développement et la propagation de l'instruction primaire dans nos campagnes, et l'enseignement de la langue française aux Arabes, moyen le plus sûr de nous les assimiler (1). Ce bienfait s'étendrait même à tout l'Orient, où on se livre à de sérieux efforts pour indiquer par des signes la prononciation des mots de notre langue à ces populations aussi nombreuses que diverses (2). Faciliter l'écriture et la lecture de la langue nationale, c'est contribuer à la répandre et à la maintenir.

Avant même que François Ier, par son édit de Villers-Cotterets, du 10 août 1539, eût rendu officielle la langue française, en bannissant le latin de tout acte public, beaucoup de grammairiens et de savants imprimeurs s'étaient occupés de régulariser notre orthographe. Le désordre dans l'écriture du français était alors à son comble: chacun, loin de la rapprocher de sa simplicité antérieure, croyait faire montre de savoir en la compliquant par la multiplicité des consonnes.

Ronsard, après s'être plaint dans la préface de sa première édition de la Franciade, en 1572, de l'impossibilité de se reconnaître dans la « corruption de l'orthographe », écrivait dans sa seconde édition :

<< Quant à nostre escriture, elle est fort vicieuse et corrompuë,

(1) M. le général Daumas a mis en pratique, et avec succès, le système de sim. plification d'orthographe dont on est redevable à M. Féline.

(2) En ce moment, M. Pauthier ne montre plusieurs Dictionnaires polyglottes mprimés à Yeddo. Dans celui qui est intitulé San-gio-ben-ran, les Trois Langues synoptiques, Yeddo, 1854, les mots japonais sont traduits en français, en anglais et en hollandais, et la prononciation y est figurée par des signes. Je vois donc au mot ortographier la notation du son phi figurée par le même signe qui est appliqué à pi dans le mot opiner qui précède. Ainsi donc les Japonais, au lieu de prononcer ortographier, prononceront ortograpier, ou bien ils devront prononcer ofiner au lieu d'opiner.

« et me semble qu'elle a grand besoin de reformation : et de re<< mettre en son premier honneur le K et le Z, et faire charactères " nouueaux pour la double N, à la mode des Espagnols, ñ, pour es« crire monseigneur, et une L double pour escrire orgueilleux (1). »

Plus tard, en tête de son Abrégé de l'Art poétique, il développe plus énergiquement encore son opinion sur la réforme de l'orthographe française. Et le grand Corneille, trente ans avant le Dictionnaire de l'Académie, proposait et appliquait lui-même une écriture plus conforme à la prononciation, devancé même en cela par l'un de ses prédécesseurs à l'Académie, d'Ablancourt, et surpassé en hardiesse par son collègue Dangeau. (Voir les Appendices B et C.)

Cependant, dès l'année 1660, trente-quatre ans avant l'apparition du Dictionnaire de l'Académie, la Grammaire de Port-Royal avait posé les bases de l'accord de l'écriture et de la prononciation; elle voulait :

1° Que toute figure marquât quelque son, c'est-à-dire qu'on n'écrivit rien qu'on ne prononçât;

2o Que tout son fût marqué par une figure, c'est-à-dire qu'on ne prononcât rien qui ne fût écrit;

3. Que chaque figure ne marquât qu'un son, ou simple ou double; 4° Qu'un même son ne fût point marqué par des figures diffé

rentes.

Pourquoi donc, après de telles prémisses, tant de contradictions qu'on ne saurait justifier et auxquelles l'esprit logique de l'enfance ne se soumet qu'en faisant abandon de cette rectitude de raisonnement qui nous étonne si souvent et nous force d'avouer qu'en fait de langue la raison n'est pas du côté de l'âge mûr?

(1) « Tu éviteras toute ORTHOGRAPHIE superflue et ne mettras aucunes lettres en tels mots, si tu ne les prononces en lisant. » (Abrégé de l'Art poétique, par Ronsard, édit. de 1561.)

Pour quiconque veut approfondir l'étude de la langue française, rien de plus intéressant que d'en suivre les progrès dans les modifications apportées par l'Académie dans les éditions successives de son Dictionnaire. Dans chacune d'elles, en effet, sont enregistrés les changements résultant soit de la suppression de mots surannés, soit de l'introduction de ceux qu'elle jugeait admissibles, soit de modifications apportées dans l'acception des mots et des locutions. Mais pour ne parler ici que de l'orthographe, c'est dans ses variations successives qu'on peut apprécier cette tendance à la simplification dans la forme des mots qui répond au besoin toujours croissant de mieux conformer l'écriture à la rapidité de la pensée. Par ce qui est fait on jugera mieux de ce qui reste à faire.

PREMIÈRE ÉDITION DU DICTIONNAIRE.

A l'époque où l'Académie résolut de rédiger son Dictionnaire, deux courants opposés portaient le trouble dans les imprimeries: les unes, sous l'influence des Estienne, modelaient leur orthographe sur la langue latine, les autres sur celle de nos vieux poëtes et chroniqueurs. Antérieurement à l'apparition, en 1540, du Dictionnaire de Robert Estienne, on remarque dans nos plus anciens lexiques une orthographe plus simple. Ainsi, dans les glossaires imprimés de 1506 à 1524 (1) je vois les mots lait, laitue, extrait, fait, point, hatif, soudain, etc., écrits comme ils le sont aujourd'hui, tandis qu'Estienne les écrit laict, laictue, extraict, faict, poinct, hustif, soubdain, etc. Son système se propagea dans les Dictionnaires. Cependant, en 1630, se produit un retour vers les principes de «< notre ancienne et nayve écriture » : Philibert Monet

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(1) Catholicon abbreviatum. lean Lambert, 1506.- Vocabularium Nebrissense. 1524. Vocabularium latinum, gallicum et theutonicum. Strasbourg, Mathis Humpffuff, 1515. On trouve dans ce petit ouvrage les mots ainsi écrits: emorroïdes, idropisie, sansue, otruche, masson, aguille, aguillon, etc.

publie dans son Invantaire des deus langues françoise et latine (1) le dictionnaire de la réforme orthographique, auquel cinquante ans plus tard, Richelet, avec plus de faveur, donne une forme plus complète et plus régulière (2). Tel était l'état des choses, lorsque, après soixante ans de discussion, d'hésitation et d'examen, l'Académie fit paraître son grand travail.

L'apparition du PREMIER Dictionnaire de l'Académie, publié en 1694, fut donc un événement, et on ne saurait être trop reconnaissant du service qu'il rendit alors. Frappée du désordre de l'écriture et des impressions (3), l'Académie, pour y remédier, préféra rapprocher l'orthographe française de la forme du latin littéraire, et cela, malgré l'opposition du vieil esprit français, dont, cent ans plus tôt, Ronsard et d'autres membres de sa pléiade s'étaient montrés les représentants. Elle crut, en s'appuyant sur une langue désormais fixée, donner plus de stabilité à notre orthographe; d'ailleurs on était alors sous l'influence encore toute-puissante de la latinité.

Cependant ce ne fut pas sans luttes et sans opposition au sein même de l'Académie que prévalut l'écriture dite étymologique. M. Sainte-Beuve, dans son article sur Vaugelas, nous en offre une vive image:

(1) P. Monet, de la compagnie de Jésus. Invantaire des deus langues françoise et latine, assorti des plus utiles curiositez de l'un et l'autre Idiome. Lyon, 1635, in-fol. de 6 ff. et 990 pages à 2 colonnes en petit caractère.

(2) Richelet, Dictionnaire françois, etc. Genève, Hermann Widerhold, 1680, 2 tom. petit in-4°. Dans l'Avertissem nt, Richelet dit que c'est à l'imitation de monsieur d'Ablancourt et de quelques autres auteurs célèbres, qu'on a changé presque toujours l'y grec en i simple; qu'on a supprimé la plupart des lettres doubles et inutiles qui ne défigurent pas les mots lorsqu'elles en sont retranchées, comme dans afaire, ataquer, ateindre, dificile, et non pas affaire, attaquer, atteindre, difficile, etc. Et en effet, dès le début, on trouve dans son Dictionnaire abesse, abaïe, abatial, abatre, abé, acabler, acablement.

(3) Un seul exemple suffira pour donner une idée des bizarreries et des anomalies de l'orthographe des manuscrits et des impressions : dans une des meilleures éditions du Gargantua de Rabelais (Lyon, François Juste, 1542, in-16), je lis dans le prologue le mot huile écrit en huit lignes de trois manières différentes.

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