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dire au vulgaire l'accès du temple en l'entourant de tant de ronces et d'épines.

Supprimer avec prudence ces barrières qui s'opposent à l'extension du savoir le plus élémentaire, serait une œuvre digne de l'Académie, digne des hommes d'État qui figurent dans son sein, digne de l'esprit de son illustre fondateur.

Je ne pouvais présenter autrement que dans leur ensemble les réformes depuis si longtemps souhaitées pour régulariser et simplifier notre orthographe, mais il ne m'appartenait pas de pressentir à leur égard les décisions de l'Académie et de marquer à l'avance celles qu'elle devait croire le plus opportunes. Lors même qu'elle n'en adopterait qu'une partie, indiquant par là dans quelles voies le progrès et les améliorations peuvent s'opérer, elle n'en aura pas moins rendu un immense service. On saura le but vers lequel on doit se diriger.

Par là seront reléguées à jamais les utopies d'une écriture plus ou moins phonétique qui blesse nos habitudes, contrarie même la raison, et priverait l'écriture de son principal avantage :

De peindre la parole et de parler aux yeux,

DES

OPINIONS ET SYSTÈMES

CONCERNANT

L'ORTHOGRAPHE FRANÇAISE

DEPUIS 1527 JUSQU'A NOS JOURS.

A la suite de mes remarques personnelles, je crois devoir donner ici un exposé succinct des diverses tentatives et des appels incessants faits depuis trois siècles par des esprits distingués, et je dirai même par des amis du bien public, en faveur d'une réforme orthographique. J'espère que ce travail offrira de l'intérêt, ne fût-ce que sous le rapport de l'histoire de notre langue, et qu'il aura quelque utilité.

Chacun appréciera ce qu'il y a de vrai, de pratique, d'opportun ou bien de prématuré et même de malencontreux dans tant de systèmes. On verra que des idées rejetées d'abord se sont successivement introduites, et qu'ensuite elles ont été favorablement accueillies et sanctionnées par l'usage.

Il en sera de même de celles que l'Académie, éclairée par l'expérience de ses précédents, et par la nécessité de rendre notre langue de plus en plus accessible à tous, croira devoir concéder aux désirs le plus généralement manifestés : tant d'efforts lui donneront la preuve des besoins et la mesure du possible. Ils démontreront même l'impossibilité d'adhérer à des systèmes trop absolus.

Du haut de la position qu'elle occupe, l'Académie, à qui l'avenir appartient, peut ne céder que dans une juste me

sure aux désirs impatients des novateurs. Elle considérera donc, dans le calme de sa sagesse, les besoins du temps, non moins exigeants aujourd'hui qu'ils ne l'étaient autrefois, et, par des concessions successives, qui rectifieront l'orthographe française, elle assurera de plus en plus à notre langue son universalité.

APPENDICE A.

LES DICTIONNAIRES FRANÇAIS ANTÉRIEURS A CELUI DE
L'ACADÉMIE DE 1694.

Depuis l'origine de l'Académie on ne cesse de parler de l'usage en fait d'orthographe, et d'invoquer son autorité devant laquelle tout s'incline. Mais quel est-il, cet usage? à quelle époque doit-on le faire remonter ? à quel instant le reconnaître et le sanctionner? L'usage, pris à un moment donné, est-il identique d'un siècle à l'autre? L'usage de Vaugelas est-il le même que celui de Robert Estienne, et celui de Robert est-il le même que celui de Clément Marot et, si l'on veut remonter plus haut, d'Alain Chartier ou de Christine de Pisan? Enfin l'usage de d'Olivet est-il celui de Regnier des Marais, et l'Académie en 1835 s'est-elle conformée à l'usage de 1740?

Non sans doute. Ce n'est pas à tel moment précis que l'usage doit être recherché, mais dans l'ensemble du développement de la langue, en suivant autant que possible un même mot depuis le moment où la lexicographie en a consacré l'emploi. C'est dans les glossaires, les dictionnaires surtout, que l'on doit en recueillir les formes, car si le copiste, l'écrivain lui-même, se livre dans son manuscrit à son caprice ou à sa manière habituelle d'écrire, il n'en est pas de même du rédacteur ou de l'éditeur d'un lexique, qui doit enregistrer l'usage le plus généralement adopté et le plus autorisé par les érudits contemporains.

Mais un obstacle se rencontrait tout d'abord dans l'exécution de cette recherche : les lexiques français anciens sont aujourd'hui tellement rares qu'il serait bien difficile d'en former la série complète depuis leur naissance jusqu'à la fin du XVIIe siècle. L'ouvrage le plus ancien et le plus important pour l'histoire de la

langue française et les origines de son orthographe, est le Dictionnaire latin-français, encore inédit, commencé en 1420 et terminé en 1440 par Firmin LE VER (Firminus VERRIS), prieur des Chartreux de Saint-Honoré lez Abbeville, et écrit tout entier de sa main. Ce manuscrit, inconnu à Du Cange et qui lui eût été si utile, est un in-folio sur vélin, de 942 pages à deux colonnes et de 86 lignes à la page, contenant environ 30,000 mots latins en usage au commencement du xve siècle, avec leurs correspondants français, leur synonymie, leur interprétation soit en latin, soit en français. Ce grand travail, auquel toute la communauté de Saint-Honoré a dû collaborer avec son prieur, commence ainsi :

« Incipit Dictionarius a Catholicon et Hugutione atque a Papia «<et Britone extractus atque a pluribus aliis libris gramaticalibus compilatus et hoc secundum ordinem alphabeti. »

A la fin avant la grammaire: « Explicit liber iste quj proprie no<< minari debet dictionarius, quia omnes dictiones, seu significa<< tiones, quas in Catholicon et Vgutione, atque in Papia, et Bri« tone, et eciam in pluribus aliis libris gramaticalibus repperire « potui ego, Firminus Verris, de villa Abbatisuille, in Pontiuo, << Ambianensis diocesis oriundus, religiosus professus ac huius « domus Beati Honorati prope dictam villam Abbatisuille, Cartusiensis ordinis, prior indignus, per viginti annorum curricula et amplius, cum maxima pena et labore insimul congregaui, com« pilaui et conscripsi.

«

« Vnde infinitas Deo patri jam refero gratias qui per coëternum « filium suum, in spiritus sancti gratia, nostrum librum sic com« pilatum cum maximo labore et pena ad finem tamen usque « compleuit.

<< Qui dictus dictionarius anno dñi millesimo cccc° quadragesimo a (1440) mensis aprilis die ultimo completus fuit et finitus.

« Pro quibus laboribus ego supradictus hujus operis compilator « vos obsecro omnes in visceribus caritatis quicumque in libro «isto studere volueritis ad Christi laudem et gloriam michi ex «diuina gratia rependatis.

« Quatinus pro salute anime mee Salutationem beate Marie « semper virginis dicere vos velitis. Quatinus vestris oracionibus « et precibus adjutus omniumque meorum percepta venia pecca<«<torum una vobiscum ad eterna valeam peruenire gaudia. Ubi « jam reuelata facie illa vera et coeterna perfruamur sapientia «cum patre et spiritu sancto per infinita secula. Amen. Amen.

« Cest liure est et appartient [aux chartreux pres dabbeuille (1)] << en pontieu de leuesquiet damiens. Qui lara le rende. Explicit. >>

Je n'insisterai pas sur l'intérêt que ce beau manuscrit, d'une écriture soignée et très-lisible, présente pour l'histoire de notre langue, dont il offre le tableau complet à une époque bien déterminée, et non cette promiscuité des temps et des lieux inévitable dans les glossaires actuels du vieux français. Il est facile, en le parcourant, d'apprécier quel était l'état de l'idiome « gaulois >> sous le règne de Charles VII, pendant la période de l'invasion étrangère, si funeste aux études et aux lettres. Le soin apporté par l'auteur au classement des mots, soin que je n'ai pu constater dans aucun des glossaires manuscrits que j'ai vus, la justesse des synonymies et des définitions, en font une œuvre à part, un corpus général de notre vieux langage en même temps que du latin, à l'époque qui précède immédiatement celle où les érudits de la Renaissance allaient, non plus seulement introduire dans le français une couche nouvelle de mots de forme latine, mais le replonger vivant dans le moule du latin littéraire de Cicéron et de Virgile, en substituant un calque romain à la forme propre au vieux langage français et conforme à ses procédés phoniques.

Sous plusieurs rapports le Dictionnaire latin-français de Le Ver jette un nouveau jour sur l'état de l'écriture et de la prononciation au commencement du xv° siècle. On y voit combien l'orthographe des mots latins s'était déjà simplifiée et se rapprochait de la simplicité de forme figurative de la prononciation. On y lit ainsi écrite cette série de mots: antitesis, antrax, antropofagi, antropoformita, antropos sans ph; tous ces mots sont expliqués en latin, le mot français pour le traduire ne faisant pas encore partie de notre langue; mais on voit ainsi écrits et traduits les mots : IDRA, idre; IDROPICIA, idropisie, IDROPICUS, idropiques; IDROMANCIA, devinemens par les eaux; IPOTECA, ipoleque; IPOTECARIUS Ou APOTECARIUS, apoticaire; ANTECRISTUS, antecrist; TIRANNUS, tirans ; LIRA, lire; MISTERIUM, mistere; MARTIRIUM, martire, etc.

Ces explications des mots latins encore privés de correspondants français sont quelquefois curieuses et instructives pour nous refléter les idées de l'auteur et de son temps. Je lis aux mots Theatrum, Comedia, Tragedia.

« THÉATRUM. A theoro, ras, quod est videre: dicitur hoc

(1) Ce passage a été gratté dans le xvie siècle.

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