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ESSAI

SUR

L'ORIGINE ET LA FORMATION

DE

LA LANGUE FRANÇOISE.

PLUSIEURS savans et quelques philosophes modernes ont fait des recherches sur l'origine des langues. Les premiers, soit en étudiant les hiéroglyphes égyptiens, et les monumens les plus anciens de l'Asie, soit en consultant les voyageurs sur les divers idiomes du NouveauMonde, ont marché d'analogie en analogie, et se sont flattés d'avoir trouvé les traces d'une langue primitive. Mais la diversité de leurs systèmes, le peu d'accord de leurs opinions, même dans les points où ils auroient pu se rapprocher davantage, prouvent que, si leurs travaux ont été de quelqu'utilité pour éclaircir des doutes sur les peuples anciens, ils n'ont presque fait

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faire aucun pas vers le but

que

l'on s'étoit pro

posé. Du moins leurs sentimens étoient fondés sur quelques traditions historiques; on n'y trouvoit point cette incertitude vague où l'on tombe toujours lorsqu'on ne raisonne que par hypothèses. Les philosophes ne furent point aussi laborieux, et n'eurent pas le même scrupule. En supposant une époque où les hommes furent dans l'état naturel, vécurent isolés dans les déserts, il fut facile de composer en idée l'édifice de la société. On calcula, sans peine, l'influence que les besoins et les passions des hommes avoient pu avoir sur la formation de l'ordre social. L'homme livré à lui-même, cherchant sa nourriture dans les forêts, souvent exposé à en manquer, fuyant devant tous les objets nouveaux qui se présentent à ses regards, impitoyable avec les êtres plus faibles que lui surtout lorsque la faim le dévore, se fatigue enfin de cette vie errante. Quelques rapprochemens se font. L'esprit de famille s'introduit; on se réunit pour la chasse. Bientôt on sent qu'il est plus avantageux d'élever des animaux, de les multiplier, que de les faire périr aussitôt que l'on s'en est rendu maître. Les peuples pasteurs se forment. Quelques hommes font des plantations; des voisins jaloux s'emparent du fruit de

leurs travaux ; ils s'unissent pour les défendre, ils tracent des limites, et la propriété est reconnue. Telle est la gradation que les philosophes ont imaginée, en se bornant à faire des conjectures sur les commencemens de la société, sans consulter les traditions, religieuses, ni les traditions historiques. De-là, leur métaphysique, qui n'est fondée que sur des suppositions, leurs systèmes aussi faux en politique qu'en morale et en littérature, l'idée d'un contrat par lequel les hommes ont stipulé leurs droits en se mettant en société, et leurs erreurs sur l'origine des langues.

En partant de cette hypothèse, J. J. Rousseau a composé, d'après son imagination ardente, une théorie idéale des langues primitives. Après avoir fait passer les hommes à l'état de famille, il cherche comment ils ont pu attacher des idées à diverses modifications de sons. Selon lui, si les hommes n'avoient eu que des besoins, ils auroient bien pu ne parler jamais. Les soins de la famille, les détails domestiques, la culture des terres, la garde des troupeaux; enfin les rapports nécessaires entre les individus, pouvoient s'effectuer sans le secours de la parole. Les gestes suffisoient. La société même pouvoit se former, et acquérir un certain degré de perfection, in

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