tité du latin, on s'exposerait à méconnaître profondément le génie de notre langue. Bossuet avait pressenti cet écueil, car on trouve encore cette note de sa main : « Il faudroit expliquer a fond la quantité francoise en quelque endroit du Dictionnaire aussi bien que l'orthographe. La principale remarque à faire sur cela, c'est que la poesie françoise n'a aucun egard à la quantité que pour la rime et nullement pour le nombre et pour la mesure; ce qui fait soupçonner que nostre langue ne marque pas tant les longues a beaucoup pres que la grecque et la latine. » Les travaux les plus récents ont encore une fois donné raison à Bossuet en établissant qu'il n'existe pas en français de quantité métrique, c'est-à-dire mesurable, mais bien un accent tonique, placé en général sur la même syllabe qui le portait dans le mot du latin rustique dont est sorti notre idiome. L'abbé de DANGEAU, membre de l'Académie française en 1682. << Il y aurait, dit M. Gabriel Henry (Hist. de la langue française), de l'ingratitude à passer sous silence les services essentiels que l'abbé de Dangeau rendit à la langue en nous donnant une idée claire de ses sons originaires, en fixant irrévocablement la nature du son nasal, confondu si souvent avec les consonnes par nos anciens grammairiens, en examinant la nature des temps du verbe et en nous en faisant connaître les différentes propriétés. On regrette, pourtant, qu'il ne nous ait pas développé ses idées dans toute la suite d'un système grammatical; mais le peu qu'il nous a laissé lui assure une place distinguée parmi nos grammairiens. Ses successeurs n'ont eu qu'à le copier dans les articles qu'il a rendus publics. » Dangeau reconnaît dans la langue française quinze voyelles ou sons simples qu'il classe ainsi : Cinq voyelles latines: a, é, i, o, u; Cinq voyelles françaises : ou, eu, au, è ouvert (comme dans cyprès), e muet (comme dans juste); on, Cinq voyelles sourdes ou esclavones, ou nasales an, en, in, un. « Chez les Latins, dit-il, des mots dérivés du grec sont écrits tantôt par ph et tantôt par f. Preuve certaine qu'ils ne prononçoient pas le ph comme l'f. Quand il leur est arrivé d'adoucir l'aspiration du grec, ils ne se sont plus servis du ph. Pourquoi donc ne pas imiter les Italiens et les Espagnols, qui n'ont pas crû être obligez à garder l'ortographe latine dans les mots venus du grec, et qui écrivent teologo sans h, filosofo et Filippo par des ƒ, etc.?» Tout le travail de l'abbé Dangeau, qui occupe les pages 1 à 231 des Opuscules de d'Olivet, cités au bas de cette page, mérite d'être lu avec attention: non-seulement on y trouve les vues les plus originales, les plus justes et les plus profondes sur la classification des sons du français, mais de curieux détails sur la prononciation de la fin du dix-septième siècle. Voir à l'Appendice D 'analyse de la réforme de Dangeau. L'abbé de CHOISY, membre de l'Académie française en 1687. En tête de son Journal de l'Académie françoise (1), il donne les explications suivantes : << Au commencement de l'année 1696, l'Académie résolut, à la pluralité des voix, qu'on travailleroit en deux Bureaux; que, dans le premier, on reverroit le Dictionnaire, et que, dans le second, on proposeroit des doutes sur la langue, qui, dans la suite, pourroient servir de fondement à une Grammaire. Messieurs Charpentier, Perrault, Corneille (T.), et MM. les abbez de Dangeau et de Choisy promirent assiduité au second Bureau; c'est le dernier nommé (de ces membres) qui se chargea de tenir la plume pendant le reste du quartier. » Suivent les questions rangées par chapitres, où l'abbé de Choisy expose les diverses opinions de chacun pour et contre; il s'occupe plutôt des difficultés grammaticales proprement dites, cependant il déclare << que les caractères sont faits pour peindre les sons, et (1) Ce journal, dont l'Académie ne voulut point permettre la publication, parce que cette société trouvait qu'il était d'un style trop libre et ressemblait trop à celui du Journal de Siam, du même auteur, a paru dans le volume publié en 1754 (par d'Olivet) sous le titre d'Opuscules sur la langue françoise, par divers académiciens, Paris, Brunet, in-12. que, par conséquent, l'orthographe la moins imparfaite est celle qui nous expose le moins à prononcer mal. >> Voici au XIXe chapitre, relatif à l'Orthographe, un récit curieux des difficultés qu'offrait ce genre de discussion dans l'Académie pour le Dictionnaire de 1694, difficultés qui se reproduisirent pour l'édition de 1740 et dont l'abbé d'Olivet nous a donné le récit. « Un de Messieurs, rapporte de Choisy, sur la fin de la séance précédente, avoit proposé de faire quelques changemens à l'orthographe de l'Académie, et, par exemple, de mettre une s, pour plus grande uniformité, à tous les pluriels (ce que Corneille avait proposé dès 1666). Un autre, qui abhorre les changemens, a commencé aujourd'hui par nous mettre devant les yeux ces deux vers d'Athalie : Quel est-il cet objet des pleurs que vous versez? « Vous prétendez, nous a-t-il dit, qu'il est à propos que l'écriture fasse distinguer le verbe d'avec les substantifs, adjectifs et participes, ce qui sera très-aisé, lorsqu'on réservera l's pour les pluriels de tous ceux-ci, et le pour le verbe seul. Ainsi, selon vous, il faudra écrire : Quel est-il cet objet des pleurs que vous versez? « Mais cette imagination n'est pas nouvelle, puisqu'il y a deux siècles qu'elle a été proposée, sans néanmoins que le public ait paru en faire cas. Il n'y a qu'à ouvrir les Grammaires de Ramus, de Pelletier et de bien d'autres qui s'érigèrent en réformateurs d'orthographe peu de temps après la mort de François Ier. On s'est moqué d'eux. Hé! depuis quand l'orthographe auroit-elle pour but de spécifier et de faire distinguer les parties d'oraison? Assurément, sur cent femmes qui parlent très-bien, et qui même écrivent correctement, il n'y en a pas dix qui sachent ce que c'est que participe. Versez est un verbe, menacez est un participe: donc il faut les écrire différemment? Pour moi, je ne vois ici qu'un principe qui soit également avoué, tant par ceux qui se plaisent à in troduire des nouveautez, que par ceux qui tiennent pour l'usage ancien. Quel est ce principe? Que les caractères sont faits pour peindre les sons, et que, par conséquent, l'orthographe la moins imparfaite est celle qui nous expose le moins à prononcer mal. Or il est clair que ce mot, menacez, se prononce absolument de même, et sans la plus légère différence, soit qu'on le fasse verbe, comme quand je dis, vous menaces, soit qu'on le fasse participe, comme dans le vers de M. Racine, seroient-ils menacez. Pourquoi donc, où il ne s'agit que d'un seul et même son, employer deux signes différens? Une règle d'orthographe qui suppose qu'on sait toujours distinguer le verbe d'avec un nom, n'est bonne que pour ceux qui ont étudié; au lieu que celle qui fut adoptée par nos pères est à la portée de tout le monde. Personne, en effet, ne manque assez d'oreille pour confondre l'è ouvert comme dans procès, succès, avec l'é fermé, comme dans aimé, bonté. Voilà le cas où il est utile d'avoir deux signes, puisqu'il y a deux sons. Aussi prenons-nous l's pour le signe de l'è ouvert, procès, succès; et le pour le signe de l'é fermé, quand le mot est au pluriel, vous aimez, vous ètes aimez. Règle qui ne souffre aucune exception, qui se conçoit sans étude, qui se retient sans effort. On accentue l'è quand il est ouvert, procès, de peur qu'on ne le prenne pour un e muet, comme dans frivoles, paroles, où l's n'a lieu que pour marquer le pluriel. Ajoutons que le z a cela de commode, qu'il nous dispense de lever la main pour former un accent. On écrit tout de suite bontez; au lieu que pour écrire bontés, il faut que j'aie l'attention et la patience d'aller chercher la lettre qui doit recevoir l'accent, et que je risque encore de mettre un grave pour un aigu. Quoi qu'il en soit, l'Académie ne s'est jamais départie du z, et cette raison en vaudra toujours mille autres pour moi. Je ne dis point que pour observer cette belle uniformité dans tous les pluriels, il faudroit donc écrire, les travaus, les gens heureus, nos vœus. O! que nos livres en deviendroient bien plus beaus ! » « Après avoir entendu ce que je viens de rapporter, et qui avoit été dit avec un peu de chaleur, tout le monde jugea que le mieux étoit d'abandonner la matière, parce qu'on a toujours vù que les disputes sur l'orthographe ne finissoient point, et que d'ailleurs elles n'ont jamais converti personne. »> On traita ensuite cette question d'orthographe : « CHAPITRE XX. J'ai été payé des sommes qu'on m'avoit données, ou, donné à recevoir d'un tel (1). « Le premier opinant a dit qu'il falloit dire, j'ai été payé des sommes qu'on m'avoit données à recevoir, parce que, les sommes étant au pluriel, données y devoit être aussi. << Pour moi, a dit le second opinant, je suis d'un avis contraire. Les sommes sont reçues, et non pas données. Ce qu'on donne, c'est à recevoir : on reçoit les sommes. Ainsi il faut dire, donné à recevoir. « Un troisième, se rangeant du côté du second, a dit que, si l'on pouvoit renverser la phrase et dire, à lesquelles recevoir on m'a donné, on verroit bien que recevoir régit les sommes, et que donné régit recevoir. On m'a donné à faire quelque chose; l'action qu'on m'a donnée à faire, c'est de recevoir. Au lieu de donner, mettons le mot de prier; et au lieu de dire, les sommes qu'on m'a donné à recevoir, disons, qu'on m'a prié de recevoir; vous verrez que vous ne sauriez dire, les sommes qu'on m'a priées de recevoir, mais qu'il faut dire, qu'on m'a prié de recevoir. « Le quatrième opinant a été de même avis: que ce qu'on donnoit n'étoit pas les sommes, mais une action à faire. On me donne à recevoir ces sommes-là et l'on ne me donne pas ces sommes-là. << Ceux qui ont suivi ont dit qu'ils avoient bien vû d'abord qu'il falloit dire donné à recevoir, ne consultant que l'usage; et que ce qu'avoient dit les derniers opinans, les confirmoit dans un avis dont ils n'avoient pas examiné jusques-là toutes les raisons grammaticales. « Mais, Monsieur, a repris quelqu'un, si pour juger de la bonté d'une phrase, il est nécessaire d'examiner, comme viennent de faire ces Messieurs, et les verbes et leurs régimes, si c'est un participe, ou un gérondif, où en serons-nous? J'ai bien peur que ces Messieurs qui raisonnent tant, ne trouvent moyen de nous fournir aujourd'hui des raisons pour une opinion, et demain d'autres raisons aussi bonnes, peut-être meilleures, pour le sentiment contraire. Je me souviens d'avoir vû faire quelque chose de semblable à feu Monsieur de Marca dans nos assemblées du clergé : il soutenoit tantôt un avis, et tantôt un autre, selon les occasions; (1) Après deux siècles, des questions quelque peu analogues sont encore en litige. Et adhuc sub judice lis est. |