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DEUXIÈME ÉDITION.

Mais bientôt l'Académie, reconnaissant que l'utilité pratique était préférable, renonça, dans sa SECONDE édition, en 1718, à ce classement pour revenir à l'ordre alphabétique, moins rationnel sans doute, mais plus pratique. C'est ce qu'elle annonçait ainsi dans sa préface :

« La forme en fut si différente, que l'Académie donna plutôt un Dictionnaire nouveau qu'une nouvelle édition de l'ancien. L'ordre étymologique, qui dans la spéculation avoit paru le plus convenable, s'étant trouvé très-incommode, dut être remplacé par l'ordre alphabétique, en sorte qu'il n'y eût plus aucun mot que, dans cette seconde édition, on ne pût trouver d'abord et sans peine. »

L'Académie, sans se borner à ce grand changement, matériel, il est vrai, mais si utile, donna à cette seconde édition un caractère tout particulier en l'enrichissant d'un grand nombre de termes d'art et de sciences dont l'usage avait pénétré dans la société. Elle s'appliqua aussi à rectifier et éclaircir les définitions et compléter les acceptions et significations diverses des mots. Le simple mot bon, par exemple, reçut soixante-quatorze significations toutes différentes.

« On ne doit donc pas s'estonner, dit la préface, que ce travail, qui a changé toute la forme du Dictionnaire, ait occupé durant tant d'années les séances de l'Académie, et quant à l'orthographe, l'Académie, dans cette nouvelle édition, comme

:

Coignard). On lit au bas le Dictionnaire a été achevé d'imprimer le 11 seplembre 1694. Quant à l'orthographe, c'est la même que celle du Dictionnaire de l'Académie françoise. Elle est encore plus étymologique. Ainsi on y lit phrénésie, phthisie.

La rédaction principale est attribuée à Thomas Corneille. Mais pourquoi le titre porte-t-il par M. D. C. de l'Académie françoise? Je ne vois aucun de ses membres à qui cette indication puisse convenir parmi les noms de ceux qui figurent dans la liste des académiciens placés au commencement 'du Dictionnaire de l'Académie de 1694. On y lit : « Thomas Corneille receu en 1635 à la place de Pierre Corneille son frère, qui avoit succédé à François Maynard. » D'où peut donc provenir ce D. placé avant l'initiale C. et qui figure aussi au privilége?

dans la précédente, a suivi en beaucoup de mots l'ancienne maniere d'escrire, mais sans prendre aucun parti dans la dispute qui dure depuis si longtemps sur cette matière. »>

Elle autorisa même, en quelque sorte, la liberté du choix entre l'ancienne et la nouvelle.

Si elle ne supprima pas l's dans la foule de mots où cette lettre ne se prononce pas, du moins elle prit soin d'indiquer le cas où le son s'en est conservé. Cette différence se trouve donc indiquée dans hospice, hospitalité, où s se prononce, et hoste, hostel, où l's ne se prononce pas, et également dans christianisme et chrestienté. Elle modifia l'écriture de quelques mots, tels que éploré, au lieu de esploré et espleuré; elle écrivit noircissure et non noircisseure, et sirop, au lieu de syrop, etc., et, en écrivant encore yvroye, elle nota que quelquesuns prononçaient yvraye. Mais déjà bien des tentatives avaient été faites ailleurs, même par des académiciens, en vue d'une réforme, et leur influence ne devait pas tarder à se faire sentir dans le Dictionnaire même.

TROISIÈME ÉDITION.

C'est dans sa TROISIÈME édition, en 1740, que l'Académie, cédant aux vœux manifestés dès le xvr° siècle par tant de philologues, de savants, d'académiciens même, et répétés par des voix autorisées, supprima des milliers de lettres devenues parasites, sans craindre d'effacer ainsi leur origine étymologique : les $, les d disparurent dans la plupart des mots dérivés du latin. Elle n'écrivit plus accroistre, advocat, albastre, apostre, aspre, tousjours, non plus que bast, bastard, bestise, chrestien, chasteau, connoistre, giste, isle (1). Les y non étymologiques furent remplacés par des i; elle n'écrivit plus cecy, celuy-cy, toy, moy, gay, gayeté, joye, derniers vestiges de l'écriture et des

(1) Il nous reste encore, échappés à la réforme de 1740, les mots baptême, Baptiste, dompter, condamner. Bossuet écrit toujours condanner, domter.

impressions des xv et xvi° siècles, mais ceci, celui-ci, toi, mor, gai, gaieté, joie, etc. L'y et l's du radical grec et latin furent même supprimés; ainsi abysme (abuccoç, abyssus) fut écrit abyme, et plus tard abîme; eschole, escholier, écrits dans la première édition escole, escolier, devinrent dans celle-ci école, écolier, yvroye devient ivroye, ensuite ivroie, puis ivraie; de même que subject devint successivement subjet, puis dans sa forme définitive sujet, et Françoys, François, puis Français.

Elle supprima aussi le c d'origine latine dans bienfaicteur et bienfaictrice, et le ç dans sçavoir, sçavant, l'e dans le mot insceu (1), impreveu, indeu, salisseure, souilleure, alleure, beuveur, creu, deu, et grand nombre d'autres; vuide, nopce, nud, furent abrégés; le c et l'e disparurent dans picqueure (piqûre); enfin l'Académie remplaça un grand nombre de th et de ph par t et par f, et, contrairement à la première et à la seconde édition, elle retrancha le t final au pluriel des substantifs se terminant par t au singulier; elle écrivit donc les parens, les élémens, les enfans, etc., au lieu de les parents, les éléments, les enfants. etc. On ne voit pas pourquoi elle écrivit flatterie par deux t contrairement aux deux premières éditions et à la manière d'écrire de Bossuet et de Fénelon et même aux Cahiers pour l'Académie.

L'abbé d'Olivet, à qui l'Académie confia ce travail, l'exécuta conformément à ce qu'elle avait déclaré dans la préface: « qu'on travailleroit à ôter toutes les superfluités qui pour« roient être retranchées sans conséquence », et il remarque «< qu'en cela, le public étoit allé plus vite et plus loin qu'elle. » J'ai fait le relevé comparatif de ces suppressions de lettres : sur les 18,000 mots (2) que contenait la première édition du.

(1) Voici les variations d'orthographe de ce mot: 1" édition, insçeu, 2o édit., insceu, 3o édit., insçu, 4o édit., insçu, cẻ édit., însu.

(2) La table de l'édition de 1694 contient 20,000 mots; mais 2,000 mots se com posent de participes ou de locutions adverbiales.

Dictionnaire de l'Académie, près de 5,000 furent modifiés par ces changements.

Malgré l'importance de ces réformes, on regrette que l'Académie n'ait pas fait encore plus, puisqu'elle constate qu'en cela le public était allé plus loin et plus vite qu'elle (1); mais d'Olivet, qui reconnaît «n'avoir pu établir partout l'uniformité qu'il aurait désirée, » fut sans doute retenu par la crainte de contrarier trop subitement les habitudes. Il suffisait pour cette fois d'ouvrir la voie dans laquelle l'Académie continue d'âge en âge à perfectionner l'orthographe.

QUATRIÈME ÉDITION.

Cette édition, qui parut en 1762, se distingue particulièrement par l'addition d'un grand nombre de termes élémentaires consacrés aux sciences et aux arts; par la séparation de l'I voyelle de la consonne J et celle de la voyelle U de la consonne V, d'après l'exemple qu'en avait donné la Hollande; par la simplification de l'orthographe d'un grand nombre de mots

(1) Histoire de l'Académie françoise, par d'Olivet. C'est dans la Correspondance inédite, adressée au président Bouhier (Lettre du 1er janvier 1736), qu'on trouve ces curieux détails :

"A propos de l'Académie, il y a six mois que l'on délibère sur l'orthographe; car la volonté de la compagnie est de renoncer, dans la nouvelle édition de son Dictionnaire, à l'orthographe suivie dans les éditions précédentes, la première et la mais le moyen de parvenir à quelque espèce d'uniformité? Nos délibé

deuxième;

de

rations, depuis six mois, n'ont servi qu'à faire voir qu'il étoit impossible que rien systématique partit d'une compagnie. Enfin, comme il est temps de se mettre à imprimer, l'Académie se détermina hier à me nommer seul plénipotenciaire à cet égard. Je n'aime point cette besogne, mais il faut bien s'y résoudre, car, saus cela, nous aurions vu arriver, non pas les calendes de janvier 1736, mais celles de 1836, avant que la compagnie eût pu se trouver d'accord. »

la

Dans sa lettre du 8 avril 1736 il écrit: « Coignard a, depuis six semaines, lettre A, mais ce qui fait qu'il n'a pas encore commencé à imprimer, c'est qu'il n'avoit pas pris la précaution de faire fondre des É accentués, et il en faudra beauCoups parce qu'en beaucoup de mots nous avons supprimé les S de l'ancienne orthographe, comme dans despescher, que nous allons écrire dépécher, téte,

måle, etc. »

au moyen de la suppression de lettres inutiles, et par diverses rectifications.

L'Académie expose ainsi ce qu'elle a fait :

« Les sciences et les arts ayant été plus cultivés et plus répandus depuis un siècle qu'ils ne l'étoient auparavant, il est ordinaire d'écrire en françois sur ces matières. En conséquence, plusieurs termes qui leur sont propres, et qui n'étoient autrefois connus que d'un petit nombre de personnes, ont passé dans la langue commune. Auroit-il été raisonnable de refuser place dans notre Dictionnaire à des mots qui sont aujourd'hui d'un usage presque général? Nous avons donc cru devoir admettre dans cette édition les termes élémentaires des sciences, des arts, et même ceux des métiers, qu'un homme de lettres est dans le cas de trouver dans des ouvrages où l'on ne traite pas expressément des matières auxquelles ces termes appartiennent.

.... « L'Académie a fait dans cette édition un changement assez considérable, que les gens de lettres demandent depuis long-temps. On a séparé la voyelle I de la consonne J, la voyelle U de la consonne V, en donnant à ces consonnes leur véritable appellation; de manière que ces quatre lettres, qui ne formoient que deux classes dans les éditions précédentes, en forment quatre dans celle-ci; et que le nombre des lettres de l'alphabet, qui étoit de vingt-trois, est aujourd'hui de vingt-cinq. Si le même ordre n'a pas été suivi dans l'orthographe particulière de chaque mot, c'est qu'une régularité plus scrupuleuse auroit pu embarrasser quelques lecteurs, qui, ne trouvant pas les mots où l'habitude les auroit fait chercher, auroient supposé des omissions. On est obligé de faire avec ménagement les réformes les plus raisonnables.

....« Nous avons supprimé dans plusieurs mots les lettres doubles qui ne se prononcent point. Nous avons ôté les lettres, b, d, h, s, qui étoient inutiles. Dans les mots où la lettre s marquoit l'allongement de la syllabe, nous l'avons remplacée par un accent circonflexe. Nous avons encore mis, comme dans l'édition précédente, un i simple à la place de l'y partout où il ne tient pas la place d'un double i, ou ne sert pas à conserver la trace de l'étymologie. Ainsi nous écrivons foi, loi, roi, etc., avec un i simple; royaume, moyen, voyez, etc., avec un y, qui tient la place du double i; physique, synode, etc., avec un y qui ne sert qu'à marquer l'étymologie. Si l'on ne trouve pas une entière uniformité dans ces re

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