inconstant. Mais il n'en est pas ainsi de l'écriture: tant qu'une convention subsiste, èle doit s'observer. L'usage doit être conséquent dans l'emploi d'un signe dont l'établissement étoit arbitraire; il est inconséquent et en contradiction, quand il done a des caractères assemblés une valeur diférente de cèle qu'il leur a donée et qu'il leur conserve dans leur dénomination, a moins que ce ne soit une combinaison nécessaire de caractères pour en représenter un dont on manque. « Le corps d'une nation a seul droit sur la langue parlée et les écrivains ont droit sur la langue écrite. Le peuple, disoit Varron, n'est pas le maître de l'écriture come de la parole. « En effet, les écrivains ont le droit, ou plutôt sont dans l'obligation de coriger ce qu'ils ont corompu. C'est une vaine ostentation d'érudition qui a gâté l'ortografe: ce sont des savans et non des filosofes qui l'ont altérée : le peuple n'y a u aucune part. L'ortografe des fames, que les savans trouvent si ridicule, est plus raisonable que la leur. Quelques-unes veulent aprendre l'ortografe des savans; il vaudroit bien mieus que les savans adoptassent cèle des fames, en y corigeant ce qu'une demi éducation y a mis de défectueus, c'est-à-dire de savant. Pour conoître qui doit décider d'un usage, il faut voir qui en est l'auteur.» (Pages 44-46.) (Voir à l'Appendice D, à la date de 1756, pour l'exposition de sa réforme.) NICOLAS BEAUZÉE, membre de l'Académie française depuis 1772, mort en 1789, s'était d'abord prononcé contre la réforme de l'orthographe. Dans l'Encyclopédie méthodique, publiée chez Panckoucke, en 1789, revenant sur ses premières opinions, il termine ainsi l'article NÉOGRAPHISME : << Il faut compter à l'excès sur l'aveugle docilité de ses lecteurs pour oser défendre les abus de notre orthographe actuelle par l'autorité des grands écrivains que l'on cite comme s'ils avoient spécialement aprofondi et aprouvé formellement les principes d'orthographe qu'ils ont suivis dans leur temps, comme si celle que l'on suit et que l'on défend aujourd'hui étoit encore la même que la leur en tout point, et comme s'il suffisoit d'opposer des autorités à des raisons dans une matière qui doit ressortir nûment au tribunal de la raison. « Ces raffinements, dit-on, s'ils pouvoient jamais être adoptés, « en produiroient d'autres; on perdroit toutes les étymologies; on « obscurciroit le génie de la langue et l'histoire de ses variations; << on défigureroit toutes les éditions qui ont paru jusqu'à nos « jours; les auteurs et les lecteurs, accoutumés à l'ancienne or<< thographe, seroient réduits à se placer avec les enfants pour « aprendre à lire et à écrire; la nouvelle méthode, pour être peut« être plus conforme à la prononciation du moment, n'en auroit << pas moins combattu l'impression d'un long usage qui a subju« gué l'imagination et les ieux... La lecture de cette orthographe « est impossible à tout homme qui n'est pas disposé à changer de << tête et d'ieux en sa faveur. » Ce sont les propres termes d'un journaliste dans les annonces qu'il a faites des deux premières éditions de ma traduction des Histoires de Salluste, où j'avois suivi quelques-uns seulement de mes principes de réforme. « Ces changements, dit-il, en produiroient d'autres. Oui, j'en conviens; l'art de lire, réduit à un nombre déterminé d'éléments précis, seroit mis par sa facilité à la portée des plus stupides, et s'aprendroit en peu de temps; l'orthographe, simplifiée et réduite à des principes clairs et généraux, n'embarrasseroit plus que ceux qui ne voudroient pas s'en occuper quelques semaines. Oh ! voilà, je l'avoue, d'affreux bouleversements! « On perdroit toutes les étymologies. Oui, on perdroit les traces incommodes des étymologies; mais les savants, que cet objet regarde uniquement, sauroient bien les retrouver. La langue appartient à la nation; la multitude n'a nul besoin de remonter aux étymologies, qui sont même perdues pour elle, malgré les caractères étymologiques dont on l'embarrasse dans les livres destinés à son instruction. « Mais passons à ce qui choque réellement le plus les défenseurs de l'ancienne orthographe : c'est qu'ils seroient réduits à se placer avec les enfants pour aprendre à lire et à écrire, et qu'il leur faudroit changer de tête et d'ieux. Eh! messieurs, n'en changez pas; gardez votre ancienne orthographe, puisqu'elle vous plaît: mais permettez aux générations suivantes d'en adopter une autre, qui leur coutera moins que la vôtre ne vous a couté, qui leur sera plus utile, qui servira, au contraire de ce que vous dites, à fixer notre langue, à la répandre, à la faire adopter par les étrangers.» (Voyez à l'Appendice D, p. 295, l'analyse de la réforme proposée par Beauzée.) Noel-François de WAILLY, membre de l'Institut dès sa création, en 1795. Esprit sage et modéré, il s'oppose aux systèmes des novateurs trop hardis et propose une réforme néographique ayant la prononciation pour base. Ses idées, analogues à celles de d'Olivet, de Girard et de Duclos, sont développées dans deux ouvrages, De l'Orthographe, Paris, 1771, in-12; L'Orthographe des dames, ou l'Orthographe fondée sur la bonne prononciation, démontrée la seule raisonnable, Paris, 1782, in-12. (Voir à l'Appendice D l'exposition de sa méthode orthographique. ) Je crois devoir transcrire ici, malgré leur étendue, les passages les plus importants d'une sorte de philippique en faveur de la réforme que le savant académicien adresse, par la bouche des dames, aux corps savants qui ont autorité sur la langue (Orth. des dames, p. 35-44): « Nous vous prions, Messieurs, de nous donner un plan d'orthographe, raisonné, simple, uniforme; de conformer l'orthographe à la bonne prononciation. Plus vous examinerez cette matiere, plus vous verrez, comme nous, que la bonne prononciation est le seul guide raisonnable. N'est-il pas ridicule qu'ayant adouci notre prononciation, vous conserviez encore dans l'écriture les lettres qui ne se prononcent plus, et que nos peres n'ont employées que parce qu'ils les prononçoient? Vous prononcez à la moderne, et vous orthographiez à l'antique. La langue écrite suppose nécessairement la langue parlée. La perfection, l'essence même de la premiere, consiste sans doute à représenter la seconde avec toute l'intégrité et la précision possible. Or, quelle est l'orthographe qui représente au naturel les traits de la parole? C'est sans contredit celle qui prend pour guide la bonne prononciation. Comme peintres de la pensée et de la parole, ne devezvous pas, Messieurs, faire dans la langue écrite les changements. qu'exige la langue parlée, afin de représenter au naturel les traits de cette dernière ? « L'Académie, dans la dernière édition de son Dictionnaire, sans avoir égard à l'étymologie, a retranché d'un fort grand nombre de mots des lettres qu'on n'y prononçoit pas; mais, d'un autre côté, elle a laissé dans une autre foule de mots des lettres tout aussi inutiles que celles qu'elle a supprimées en de pareilles occasions. Nous avons fait voir les inconvénients de ces défauts d'uniformité : nous prions l'Académie de les faire disparoître dans la première édition qu'elle donnera. Particulièrement consacrée à l'étude, à la perfection de notre langue et de notre orthographe, cette savante compagnie rendroit un service important à la nation, si, par ses réflexions sur la langue et l'orthographe, elle éclairoit l'usage, le dirigeoit, le perfectionnoit. Ce travail nous paroît vraiment digne des philosophes et des grammairiens qui composent cette illustre société. « Quelques personnes à qui nous avons lu cet article, nous ont dit: «Messieurs les Académiciens savent bien que notre ortho«graphe est fort difficile, pleine de bisarreries et d'inconsé«quences; mais ils savent aussi qu'ils se rendroient ridicules de << vouloir la changer. »> « Cette réflexion est-elle vraie ? C'est ce que nous allons examiner. « Oui, nous répond un savant: Il faut pour l'orthographe, a comme pour la prononciation, reconnoître l'autorité de l'usage; « et il est aussi ridicule de vouloir changer l'orthographe, qu'il le < seroit de vouloir changer la prononciation. >> « Voici, Messieurs, notre réponse à cette assertion. « Il y a une grande différence entre ces deux objets. A la vérité, ceux qui ignorent les langues savantes doivent, comme les savants, se conformer aux lois du bon usage pour la prononciation, et ils se rendroient ridicules dans les sociétés polies, s'ils ne le faisoient pas. Par exemple, vous nous blâmeriez avec raison de prononcer comme faisoient nos pères, em, en, avec le son de l'e fermé nasal, dans empressement, entendement, ardemment, emportement, etc. Vous ririez si vous nous entendiez prononcer oi dans l'Anglois, le François, le Polonois,je paroissois, qu'il paroisse, etc., comme ces lettres se prononçoient autrefois, et comme elles se prononcent encore aujourd'hui dans le Danois, S. François, la paroisse, etc. Pourquoi cela? C'est que les lois de l'usage pour la prononciation sont à notre portée. En effet, nous avons, comme les savants, des organes pour entendre et pour rendre les sons. Il n'en est pas de même de l'orthographe actuelle fondée sur la connoissance de plusieurs langues qu'on ne nous a pas apprises, ses lois sont au dessus de notre portée; et, comme vous l'avez assuré, il nous est moralement impossible de les observer. Voilà pourquoi nous vous en demandons la réforme. Ne demanderiez-vous pas à un législateur la réforme de ses lois, s'il vous étoit moralement impossible de les suivre? Qui pourroit en ce cas blâmer votre demande? Qui oseroit la traiter de ridicule ? Il est sans contredit louable en fait d'orthographe, comme en autre chose, de quitter une mauvaise habitude pour en contracter une bonne. Un usage qui n'est pas à la portée du plus grand nombre de ceux qui doivent l'observer, est contraire à la raison. C'est une erreur, un abus qui doit être corrigé avec empressement. L'erreur, quelque invéterée qu'elle soit, demeure toujours erreur : la multitude de ses sectateurs ne sauroit lui donner le glorieux titre de la vérité, qui mérite seule les respects et les hommages des vrais philosophes. <«< Ce qui nous fait croire, Messieurs, que notre demande n'est pas ridicule, c'est qu'elle est conforme aux désirs des auteurs qui méritent le plus de considération sur cet objet ; nous voulons dire de ceux qui, ayant écrit sur la langue, l'ont étudiée plus à fond. Or, presque tous les grammairiens ont désiré la réforme de votre orthographe. Sans parler de ceux qui ont vécu avant le siècle de Louis-le-Grand, tels sont, dans le dernier siècle et dans le nôtre, Messieurs de Vaugelas, Thomas Corneille, Richelet, La Touche, de Dangeau, de Saint-Pierre, Buffier, Dumas, Girard, Dumarsais, Boindin, Restaut, Douchet, Valart, Duclos, Cherrier, Mannori, Voltaire, Beauzée, de Wailly, etc. Ce vou presque unanime est un grand préjugé en notre faveur. Ces Messieurs sont des juges très-compétents en cette matière, et leurs suffrages doivent être du plus grand poids. Vous savez, Messieurs, que dans chaque matière on doit sur-tout s'en rapporter aux maîtres de l'art, qui, sur cet objet, sont les grammairiens: au lieu que les auteurs les plus estimables, quelque nombreux qu'ils soient, ne doivent pas emporter la balance, quand les matières qu'ils traitent n'ont pas de rapport à la langue, quand la grammaire n'a pas été l'objet de leurs études. Pourquoi cela? C'est qu'ils n'ont guère qu'une orthographe d'habitude et de simple copie; c'est qu'ils ne doivent pas plus se piquer de connoître les principes et les défauts de l'orthographe, qu'ils ne se piquent d'être géomètres et architectes, s'ils ne se sont appliqués ni à la géométrie, ni à l'architecture. D'après ces raisons et ces autorités, ne pouvons-nous pas conclure qu'il n'est pas ridicule de demander la réforme de l'orthographe actuelle ? « N'est-il pas ridicule, au contraire, de prescrire des lois que |