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le plus grand nombre ne sauroit observer? La raison ne veutelle pas qu'on les réforme avec empressement? Nous l'avons déjà dit, les auteurs sont les vrais législateurs en cette matière. Usez de vos droits, Messieurs; travaillez à éclairer de plus en plus la nation, à lui faciliter l'acquisition des connoissances. Loin de vous rendre ridicules en mettant à la portée de tout le monde une connoissance aussi utile que celle de l'orthographe, vous rendrez par cette réforme un service signalé à la nation. Quel est l'homme raisonnable qui taxera de ridicules les savants grammairiens que nous venons de citer? Qui osera faire un pareil reproche aux Académies d'Italie et d'Espagne, qui ont fait pour leurs langues la réforme que nous désirons pour la nôtre ? Pourquoi l'Académie françoise et les autres sociétés littéraires seroient-elles blåmables de suivre de pareils exemples? Ne seroit-ce pas suivre la raison, dont les droits sont imprescriptibles? Les Académies ne doiventelles pas sur l'orthographe, comme sur les autres objets, se servir de son flambeau pour faciliter une connoissance vraiment utile, et qui est, pour ainsi dire, la clef de toutes les autres ? Ceux qui prétendent qu'on doit suivre sans examen l'orthographe actuelle veulent donc que l'Académie et les autres sociétés littéraires obéissent aveuglément à un usage bisarre qui varie continuellement, à un tyran déraisonnable et injuste dont les lois ne sont pas à la portée du plus grand nombre des François ? Messieurs les académiciens doivent donc s'interdire l'usage de la raison, et constater servilement une orthographe remplie de contradictions? Qui osera soutenir un pareil paradoxe? Seroit-il possible, dit très-bien sur cet objet M. Duclos, qu'une nation reconnue pour éclairée, et accusée de légèreté, ne fút constante que dans les choses déraisonnables?

« Qui est-ce qui forme l'usage actuel ? Ce sont surtout les compositeurs et les protes (lisez les correcteurs) dans les imprimeries. Nos bons livres se réimpriment souvent. Lorsqu'un libraire veut donner une nouvelle édition d'un livre, il l'envoie à l'imprimerie : les compositeurs et les protes y mettent l'orthographe à laquelle ils sont habitués. Ainsi ce sont eux sur-tout qui forment l'usage actuel. Parmi ces personnes, il y en a sûrement plusieurs qui sont instruites, témoin Le Roi, prote à Poitiers, qui fut le premier auteur du Dictionnaire d'Orthographe, etc. Mais les protes n'ont pas assez de temps pour se former un systême suivi et bien raisonné. L'orthographe qu'ils ont adoptée est souvent dérangée par

celle des différents auteurs; ce qui les fait varier dans la leur, et les oblige ensuite à des corrections dans les épreuves. Cet inconvénient et cette perte de temps n'auroient pas lieu, si les auteurs, les protes et les compositeurs suivoient une orthographe raisonnée et conforme à la bonne prononciation. Les compositeurs feroient moins de fautes en arrangeant les lettres; les protes et les auteurs auroient moins de peine à lire leurs épreuves; ils y feroient moins de corrections; et le compositeur attentif ne seroit plus obligé de passer beaucoup de temps à supprimer des lettres en différents endroits, à en ajouter dans plusieurs autres, etc. Ainsi l'auteur, le prote et le compositeur trouveroient également leur avantage dans cette orthographe.

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« L'Académie, jusqu'à présent, nous le savons, s'est contentée d'être le témoin de l'usage, et de le consigner dans son Dictionnaire. Mais n'est-ce pas renverser l'ordre, que de prétendre que cette illustre et savante société ne doit rien faire autre chose?»>

Les maîtres imprimeurs, les protes, les correcteurs, les ouvriers compositeurs, ont dû se conformer à une règle uniforme, car ils ne pouvaient s'astreindre aux caprices orthographiques de chacun des auteurs écrivant diversement les mêmes mots, d'où résultaient des hésitations, des pertes de temps considérables en corrections, soit de la part des auteurs, soit des correcteurs. Cette règle fut donc, et avec raison, le Dictionnaire de l'Académie, tel que l'illustre Compagnie le modifiait à chaque édition.

La responsabilité incombe donc tout entière à l'Académie, et l'usage en fait d'orthographe, devenu un non-sens, ne peut désormais être invoqué par elle.

VOLTAIRE, membre de l'Académie française depuis le 9 mai 1746, revient sans cesse sur la critique du vicieux système de notre orthographe. Il dit, entre autres observations, dans le Dictionnaire philosophique, article ORTHOGRAPHE :

« L'orthographe de la plupart des livres français est ridicule. Presque tous les imprimeurs ignorants impriment Wisigoths, Westphalie, Wittemberg, Wétéravie, etc.

«Ils ne savent pas que le double Vallemand qu'on écrit ainsi W est notre V consonne et qu'en Allemagne on prononce Vétéravie, Virtemberg, Vestphalie, Visigoths.

« Pour l'orthographe purement française, l'habitude seule peut en supporter l'incongruité. Emploi-e-roient, octroi-e-roient, qu'on prononce emploiraient, octroiraient; paon, qu'on prononce pan;. Laon, qu'on prononce Lan, et cent autres barbaries pareilles font dire:

Hodieque manent vestigia ruris.

« Les Anglais sont bien plus inconséquents; ils ont perverti toutes les voyelles; ils les prononcent autrement que toutes les autres nations. C'est en orthographe qu'on peut dire avec Virgile:

Et penitùs toto divisos orbe Britannos.

« Cependant ils ont changé leur orthographe depuis cent ans : ils n'écrivent plus: loveth, speaketh, maketh, mais loves, speaks, makes. « Les Italiens ont supprimé toutes les h. Ils ont fait plusieurs innovations en faveur de la douceur de leur langue.

« L'écriture est la peinture de la voix; plus elle est ressemblante, meilleure elle est. »

Me trouvant en possession d'un grand nombre de lettres autographes de Voltaire, et particulièrement de sa correspondance, en partie inédite, avec d'Alembert, j'ai été curieux de confronter son orthographe avec celle de l'Académie de 1740. C'est surtout à partir de 1752 que devient plus sensible la modification apportée sous ce rapport par Voltaire dans sa correspondance, surtout alors qu'il s'occupait de la rédaction des articles qu'il envoyait à d'Alembert pour le Dictionnaire philosophique. Il supprime le plus souvent les lettres doubles qui ne se prononcent pas. Il écrit pardonait, et d'un autre côté guai, il éguaiera. Il affecte le plus profond dédain pour l'étymologie. On voit alors s'échapper de sa plume tantôt le mot philosophe et tantôt philosofe, ce dernier plus fréquemment que l'autre; il écrit même quelquefois filosofe, et veut que ce mot soit rangé à la lettre F, au Dictionnaire philosophique. Dans sa lettre datée des Délices, le 2 décembre 1755, que j'ai sous les yeux, il écrit: << ennemi de la philosofie » et « persécuteur des philosofes. >> Il met partout ainsi : enciclopédie, dictionaire. Dans une lettre datée du 24, il écrit : « Je voudrais que votre tipografe Briasson « pensast un peu à moy. » ... « Vous avez des articles de téologie e de métaphisique. » Dans d'autres, il écrit plusieurs fois : Athène, autentique, entousiasme, tése, historiografe, bibliotèque, téologien,

crétien et cristianisme, s'écartant ainsi, avec une intention évidente, de l'orthographe de l'Académie, dont il était membre depuis 1746. (Voir le texte de ces lettres avec leur orthographe à l'Appendice E.)

En comparant les lettres de Voltaire avec les éditions imprimées, on voit que l'habitude typographique de tout ramener à l'orthographe du Dictionnaire de l'Académie a fait supprimer celle que Voltaire préférait (1). Il eût pourtant été intéressant de suivre, dans ses nombreux écrits, aussi bien les modifications de son orthographe que celles de sa pensée. Peut-être, à un certain moment, la popularité immense dont il jouissait eût-elle pu faciliter quelques-unes des réformes déjà proposées.

Le service rendu par Voltaire, de faire accepter généralement la réforme des imparfaits en oi et de ce même digramme dans le corps du mot, comme dans connoître, a obtenu le suffrage de tous, et cette réforme, que l'abbé Girard avait inutilement préconisée dès 1716, a été un acheminement à d'autres régularisations.

FRANÇOIS DE NEUFCHATEAU, membre de l'Institut national, ministre de l'intérieur, après s'être préoccupé pendant une partie de sa vie des moyens d'apprendre à lire au peuple des campagnes, émettait, en 1799, une opinion qui impliquerait de notables simplifications dans notre orthographe :

« Au premier coup d'œil, on croirait que rien n'est plus simple, plus trivial, plus vulgaire que ce que l'on nomme l'ABC, mais les meilleurs esprits en jugent bien différemment. Non sunt contemnenda quasi parva, sine quibus magna constare non possunt, a dit saint Jérôme. Le célèbre Rollin, dans son Traité des études (ch. Ier, § 11), avoue qu'il serait bien embarrassé s'il se trouvait dans le cas d'apprendre à lire à des enfants. En effet, les auteurs de méthodes n'ont eu en vue que des éducations privées, celles des enfants des classes privilégiées. Locke se propose de former un jeune gentilhomme, Télémaque est composé pour un prince, l'Émile lui-même encourt en grande partie le même reproche.

(1) Dans la grande édition de Beuchot, que nous avons imprimée en 1834, on n'a conservé de l'orthographe de Voltaire que ses a au lieu des o, et je fesais, nous fesons, du verbe faire. Et en effet, puisqu'on écrit je ferai, la prononciation demande que l'on écrive aussi fesons.

« Je pose deux principes, ajoute ce ministre ami des lettres, qui me semblent démontrés: le premier, que jamais on n'apprendra à lire aux enfants des pauvres, surtout dans les campagnes, s'il faut consacrer des années entières à cette seule partie de l'instruction; et le second, qu'il importe beaucoup de n'astreindre les enfants à se procurer aucun de ces livres d'école dont on les embarrasse et que la plupart perdent ou déchirent..... >>

C'est pourquoi ce sage ministre, si dévoué aux lettres, se faisait rendre compte des méthodes de simplification de la lecture par le perfectionnement de l'alphabet, et les expérimentait lui-même, afin qu'en France on pût arriver au même degré d'instruction primaire que la plupart des nations du continent. (Voyez Dieudonné Thiébault, Principes de lecture et de prononciation à l'usage des écoles primaires. Paris, 1802, in-8.)

URBAIN DOMERGUE, membre de l'Institut de France (classe de la langue et de la littérature françaises), est l'auteur d'une réforme plus absolue que celles qu'on a proposées de nos jours.

Après avoir énoncé les deux obstacles qui s'opposent à ce que notre belle langue devienne familière aux étrangers: la détermination du genre des substantifs et l'écart entre l'orthographe et la prononciation, l'académicien de 1803, plus novateur que Meigret, ajoute :

« Le second obstacle est de nature à être levé ; l'orthographe d'une langue n'est pas de son essence, comme la syntaxe. Faite pour réfléchir les sons, elle est une glace fidèle, lorsque les écrivains d'une nation se sont abandonnés à la nature; infidèle, lorsque, ébloui par le faux éclat d'un savoir déplacé, détournant les signes de leur véritable institution, on a modelé l'écriture de la langue dérivée sur la prononciation de la langue primitive.

«Le retour aux principes est désiré par tous les bons esprits. Mais quelle autorité fera triompher la raison? Quel pouvoir fera rentrer dans ses limites l'érudition, toujours prête à les franchir ? Quelle voix imposera silence au préjugé ? Cette heureuse révolution peut être opérée par le concert de la force, à qui rien ne

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