résiste, et des lumières, à qui rien n'échappe. Que le gouvernement dise à la classe de l'Institut national chargée du dépôt de la langue française: « Je demande que les sons de la langue soient tous appréciés et << reconnus; que chaque son simple ait un signe simple qui lui << soit exclusivement affecté; en un mot, que la langue écrite soit « l'image fidèle de la langue parlée. « Et je promets que l'orthographe sanctionnée par l'Académie « française sera sur-le-champ adoptée : << Dans tous les actes émanés des autorités constituées; dans << tous les journaux soumis à l'inspection de la police; - dans « toutes les écoles nationales; dans tous les établissements << payés des deniers publics. >> << La raison et l'exemple auroient bientôt achevé une révolution commencée sous des auspices aussi imposants. » Puis dans une prosopopée adressée à celui qui semblait personnifier le génie de la France, il s'écrie: « O Bonaparte (1), jette un regard sur ces lignes, elles t'appellent à la gloire, non à celle du guerrier, tes exploits ont lassé la renommée; non à celle de l'homme d'État, la France te bénit et l'univers t'admire..... La gloire que je t'offre est pure et n'appartiendra qu'à toi seul. Ose ordonner la réforme de notre orthographe; et le mensonge abécédaire, qui prépare à tous les mensonges, ne déformera plus les jeunes esprits, et l'immense famille dont tu es le chef parlera partout le même langage, et les monuments immortels du génie et du goût de nos écrivains se présenteront d'eux-mêmes à l'étranger reconnaissant. Élevé au faîte du pouvoir par ta valeur, ta sagesse et notre amour, déploie ta force pour la propagation des idées justes, mets ta gloire dans le triomphe de la vérité. » (Voir plus loin, pour son plan de réforme, Appendice D, à la date de 1806.) VOLNEY, de l'Académie française, qui s'est livré à une étude toute spéciale des langues et de l'orthographe, formule ainsi son opinion sur notre manière de représenter les sons, dans (1) Domergue écrivait ceci en 1803, sous le Consulat. son ouvrage intitulé: L'Alfabet européen appliqué aux langues asiatiques (p. 21): « On peut dire que depuis l'adoption, et en même temps la modification de l'alphabet phénicien par les Grecs, aucune amélioration, aucun progrès n'a été fait dans la chose. Les Romains, vainqueurs des Grecs, ne furent à cet égard, comme à bien d'autres, que leurs imitateurs. Les Européens modernes, vainqueurs des Romains, arrivés bruts sur la scène, trouvant l'alfabet tout organisé, l'ont endossé comme une dépouille du vaincu, sans examiner s'il allait à leur taille. Aussi les méthodes alfabétiques de notre Europe sont-elles de vraies caricatures: une foule d'irrégularités, d'incohérences, d'équivoques, de doubles emplois se montrent dans l'alfabet même italien ou espagnol, dans l'allemand, le polonais, le hollandais. Quant au français et à l'anglais, c'est le comble du désordre pour l'apprécier, il faut apprendre ces deux langues par principes grammaticaux; il faut étudier leur orthographe par la dissection de leurs mots. >> (Voir Appendice D, à la date de 1821.) FORTIA D'URBAN, membre de l'Institut, Académie des inscriptions et belles-lettres, s'exprime ainsi dans son Nouveau Système de bibliographie alphabétique, 2e édit., 1822, p. 9 : « Un principe, dont je crois que tout le monde reconnaîtra l'évidence, doit sans doute diriger ceux qui voudront raisonner sur notre orthographe et sur les innovations que l'on peut y apporter. Cet axiome, c'est qu'il faut écrire comme on parle. En effet, l'écriture n'étant que le signe du langage, plus l'image est fidèle, nieux elle atteint son but. C'est un avantage que la langue allemande, l'espagnole et l'italienne ont sur les langues anglaise et française; nous devons nous efforcer de le partager. »> DESTUTT DE TRACY, de l'Académie française, émet sur ce grave sujet un jugement remarquable par sa netteté : « Nos alphabets, vu leurs difficultés et le mauvais usage que nous en faisons, c'est-à-dire nos vicieuses orthographes, méritent encore à peine le nom d'écriture. Ce ne sont que de maladroites tachygraphies qui figurent tant bien que mal ce qu'il y a de plus frappant dans le discours, et en laissent la plus grande partie à deviner, quoique souvent elles multiplient les signes sans utilité comme sans motif. « Que se passe-t-il avec l'alphabet actuel? On enseigne d'abord à connaître les lettres, et la facilité qu'y apportent les plus jeunes et les plus inappliqués des élèves prouve que l'obstacle n'est pas là. Il faut ensuite apprendre à épeler, c'est-à-dire à les réunir. Ici commencent des difficultés sans nombre. Elles sont véritablement infinies avec l'alphabet français, puisque personne ne peut deviner l'orthographe d'un mot nouveau ou d'un nom propre. C'est par ce motif que beaucoup de personnes renoncent à faire épeler les enfants, et préfèrent leur apprendre les mots entiers, écrits sur des cartes, comme avec l'écriture idéologique des Chinois. C'est assurément là une preuve irrécusable des vices et des difficultés que présente notre alphabet irrationel. »> << La mémoire seule peut servir à l'étude de l'orthographe; aucun raisonnement ne peut guider; au contraire, il faut à tout moment faire le sacrifice de son bon sens, renoncer à toute analogie, à toute déduction, pour suivre aveuglément l'usage établi, qui vous surprend continuellement par son inconséquence, si, malheureusement pour vous, vous avez la puissance et l'habitude de réfléchir. « Et j'en appelle à tous ceux qui ont un peu médité sur nos facultés intellectuelles y a-t-il rien au monde de plus funeste qu'un ordre de choses qui fait que la première et la plus longue étude de l'enfance est incompatible avec l'exercice du jugement? Et peut-on calculer le nombre prodigieux d'esprits faux que peut produire une si pernicieuse habitude, qui devance toutes les autres? >> Destutt de Tracy fut un des partisans les plus convaincus de la proposition faite par Volney d'appliquer à l'écriture des langues orientales l'alphabet latin complété. Joux, membre de l'Académie française, en 1829, acceptait l'idée fondamentale de la réforme dans sa réponse à l'Appel aux Français de M. Marle : « J'ai moi-même, écrit-il, exprimé plusieurs fois le désir de voir opérer dans l'orthographe de la langue française une foule de changements que le plus simple bon sens réclame. L'emploi des voyelles inutiles et des doubles consonnes dans les mots où la prononciation n'en fait sentir qu'une seule est un reste de barbarie que l'étymologie n'excuse pas même toujours. »> CHARLES NODIER, de l'Académie française en 1833, l'un des hommes les plus compétents dans la question, n'hésite pas dans l'expression de son sentiment: « Je place au premier rang des plus honorables ouvriers de la littérature les grammairiens, les lexicographes, les dictionnaristes. Si leurs dictionnaires sont mauvais, ce n'est presque jamais leur faute. C'est d'abord celle de la langue, qui n'est pas bien faite; celle de l'alphabet, qui est détestable; celle de l'orthographe, qui est une des plus mauvaises et des plus arbitraires de l'Europe. C'est ensuite celle de la routine qui est une loi en France. C'est peutêtre enfin celle des institutions littéraires préposées à la conservation de la langue, et qui ont fait de cette routine un fatal monopole. » Malgré ces aveux significatifs contenus dans la préface de l'Examen critique des dictionnaires de la langue françoise, publié en 1829, on doit convenir que Nodier, devenu membre de l'Académie française, fut un des adversaires les plus redoutables du néographisme absolu, contre lequel il épuisait les traits les plus acérés de sa verve spirituelle. (Voir plus loin, Appendice D, à l'article d'Honorat Rambaud, p. 200.) ANDRIEUX, Secrétaire perpétuel de l'Académie française, esprit judicieux, bon grammairien et littérateur de premier ordre, s'exprimait ainsi de son côté en 1829, dans sa lettre à M. Marle : « Il est d'un bon esprit de désirer la réforme de l'orthographe française actuelle, de vouloir la rendre conforme, autant que possible, à la prononciation; il est d'un bon grammairien, et même d'un bon citoyen, de s'occuper de cette réforme; mais il est difficile d'y réussir. Voltaire, après soixante et dix ans de travaux, est à peine parvenu à nous faire écrire français comme paix et non pas comme François et poix. On trouve encore des gens qui répugnent à ces changements si raisonnables et si simples. Les routines sont tenaces; le succès vous en sera plus glorieux, si vous l'obtenez. Vous vous proposez de marcher lentement et avec précaution dans cette carrière assez dangereuse : c'est le moyen d'arriver au but. Puissiez-vous l'atteindre ! >> (Voir plus loin, Appendice D, à la date de 1829, la réclamation de M. Andrieux contre M. Marle.) Le professeur LAROMIGUIÈRE, membre de l'Académie des sciences morales et politiques, écrivait à M. Marle à propos de son système : « Je pense, après Molière, Montesquieu, Du Marsais, que rien n'est plus désirable que l'exécution de votre projet. En rapprochant l'orthographe de la prononciation, vous nous apprendrez en même temps à lire, à parler et à écrire la langue française ; ce sera un service signalé rendu à tous les Français et aux nombreux étrangers qui aiment notre littérature. » DAUNOU, secrétaire perpétuel de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, membre de l'Académie des sciences morales et politiques, membre du Comité d'instruction publique de l'Assemblée nationale, s'exprimait ainsi à propos des moyens de faciliter la lecture aux enfants: ཝ « ... J'invoque donc une réforme d'un plus grand caractère que celles qui ont été introduites jusqu'ici dans l'enseignement de la lecture. Je réclame, comme un moyen de raison publique, le changement de l'orthographe nationale, et je ne crois pas cette proposition indigne d'être adressée à des législateurs qui compteront pour quelque chose le progrès, ou plutôt, si je puis m'exprimer ainsi, la santé de l'esprit humain. Il n'est point question ici de quelques corrections partielles, semblables à celles que l'on a tentées, et qui ne sont bien souvent que de nouvelles manières de contrarier la nature. Je demande la restauration de tout le système orthographique, et que, d'après l'analyse exacte des sons |