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tranchemens, si nous avons laissé dans quelques mots la lettre superflue que nous avons ôtée dans d'autres, c'est que l'usage le plus commun ne nous permettoit pas de la supprimer. »

L'Académie crut cependant devoir abandonner dans quelques mots usuels l'y étymologique qu'elle remplaça par l'i, et, comme elle l'avait fait dès sa première édition pour cristal, cristalliser, cristallin, etc., elle supprima l'y à chimie, chimique, chimiste, alchimie, alchimiste, qui, dans la précédente, étaient écrits chymie, chymique, chymiste, alchymie, alchymiste; l'y dans absinthe et yvroie fut avec toute raison remplacé par l'i. L'Académie supprima aussi, dans un grand nombre de mots, les th, les ph, les ch, et adopta détrôner, scolarité, scolastique, scolie, scrofule et scrofuleux, pascal (1), patriarcal, patriarcat, flegme, flegmatique, que la troisième édition écrivait encore déthrôner, scholarité, scholastique, scholie, paschal, patriarchal, patriarchat, phlegme, phlegmatique.

Ces mots flegme, flegmatique, écrits sans ph, furent donc ajoutés dans cette quatrième édition à ceux de fantôme, frénétique, etc., ainsi écrits dans la troisième édition, après avoir d'abord figuré avec ph, dans la première édition. L'Académie supprima quelques lettres doubles, comme dans les mots agrafe, agrafer, argile, éclore, poupe, etc., au lieu d'agraffe, agraffer, argille, éclorre, pouppe; et, parmi quelques autres changements, je remarque qu'au lieu de coeffe, coeffer, coeffeur, elle écrit coiffe, coiffer, coiffeur genou, au lieu de genouil; anicroche, au lieu de hanicroche; rez chaussée, au lieu de raiz de chaussée; spatule, au lieu espatule, qu'elle aurait même dû écrire spathule, puisque ce mot vient de Grά; mais alors on tenait moins compte de l'étymologie.

de

de

(1) On a donc lieu de s'étonner de voir l'h conservé dans anachorète, catéchumène (bien qu'à toutes les éditions antérieures l'Académie prévienne, de même qu'elle le faisait pour paschal et patriarchal, que l'h ne se prononce pas).

Profitant un peu tard des réflexions de Messieurs de PortRoyal (Arnauld et Lancelot), qui, dans leur Grammaire, avaient condamné avec raison la vicieuse épellation :

bé, cé, dé, é, effe, gé, ache, ji, elle, emme, enne, erre, esse, vé, ixe, zedde,

l'Académie, après avoir suivi dans cette quatrième édition cet ancien mode d'épellation pour les premières lettres, se ravisant ensuite, l'indique ainsi :

fe, ge, he, je, le, me, ne, re, se, ve, xe, ze.

Cette méthode, qui n'est mise en pratique que depuis peu de temps, rend l'épellation un peu moins difficile; et, en effet, bien que nous ayons, et avec tant de peine! appris à lire, prononcerions-nous sans hésiter les mots qu'on nous a fait ainsi épeler :

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Dans cette quatrième édition, la suppression du t final au pluriel des mots (substantifs ou adjectifs) terminés en ant et ent fut maintenue, et l'Académie continua à écrire, contrairement aux deux premières éditions: les enfans, les passans, les élémens, les parens.

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C'est aussi dans cette édition que l'Académie indiqua, d'une manière bien plus complète qu'elle ne l'avait fait dans la précédente, l'orthographe des temps des verbes dont elle donna le modèle de conjugaison; ainsi au mot voir on lit je voi ou je vois, il voit, nous voyons, vous voyez, ils voyent; je voyois, etc. Il est regrettable que l'indication de cette double forme de la première personne du présent de l'indicatif ne se trouve pas reproduite dans le Dictionnaire aux autres mots, tenir, venir, vaincre, connaître, etc., ce qui aurait laissé aux

poëtes la liberté d'employer l'une ou l'autre forme, comme l'a fait si souvent Corneille pour je tien, je vien, je voi, je vinc, je cognoi (1). Cette orthographe, conforme à la conjugaison latine, video, es, et, permet de distinguer la première personne de la deuxième du présent de l'indicatif, je vien, tu viens, il vient, et cela d'accord avec le vieux français et les anciennes grammaires françaises, celles des Estienne entre autres, où l's n'existe pas à la première personne du singulier du présent de l'indicatif de nos verbes.

CINQUIÈME ÉDITION.

Publiée en dehors du concours de l'Académie, l'édition citée quelquefois comme la cinquième n'a point été cependant reconnue officiellement. Et, en effet, bien que le titre porte: Dictionnaire de l'Académie françoise, revu, corrigé et augmenté par l'Académie elle-même, cette CINQUIÈME, édition ne fut point donnée par l'Académie; elle ne parut qu'en vertu d'une LOI datée du premier jour complémentaire de l'an III de la République françoise (1795), portant que l'Exemplaire du Dictionnaire de l'Académie françoise, chargé de notes marginales, sera publié par les libraires Smith, Maradan compagnie.

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Et l'article III porte: «Lesdits libraires prendront avec les "Gens-de-Lettres de leur choix les arrangements nécessaires "pour que le travail soit continué et achevé sans délai (2). »

(1) On en trouve des exemples dans La Fontaine, Racine, Molière et même dans

Voltaire :

La mort a respecté ces jours que je te doi,

Pour me donner le temps de m'acquitter vers toi. (Alzire, II, 2.)

Je trouve aussi quelquefois dans sa correspondance pui-je.

(2) Garat, dans la préface dont il fut le rédacteur, dit : « Il y avoit trois Académies à Paris : l'une consacrée aux Sciences; l'autre aux recherches sur l'Antiquité; la troisième à la Langue Françoise et au Goût. Toutes les trois ont été accusées d'aristocratie, et détruites comme des institutions royales nécessairement dévouées à la puissance de leurs fondateurs.»

Dans quelle proportion les notes marginales, œuvre de l'Académie, figuraient-elles dans cette révision, on l'ignore; l'exemplaire original n'a pas été conservé, mais la majeure partie des additions sont dues à Selis et à l'abbé de Vauxelles, auxquels fut adjoint un correcteur habile, Gence.

Cette édition parut en 1795: elle fut donc revue et imprimée en trois ans.

On aurait pu croire qu'à cette époque, où l'Académie par son absence laissait toute liberté aux améliorations orthographiques, les concessionnaires en auraient largement profité en vue de faciliter l'éducation publique; mais, par ces changements trop apparents, le prestige attaché au nom de Dictionnaire de l'Académie eût été amoindri; et comme cette entreprise faite sans son aveu avait en vue plutôt un but commercial que littéraire, les éditeurs, pour mieux lui conserver son caractère, crurent devoir ne rien innover, et rejetèrent à la fin en appendice « les mots ajoutés à la langue par la Révolution et la République ». Je ne vois donc, quant à l'orthographe, que quelques mots, tels qu'analise, analiser, analitique, où l'y ait été remplacé par l'i, et dès lors l'imprimerie adopta cette orthographe; mais du moment où l'y fut rétabli par l'Académie dans sa sixième édition, il reparut dans toutes les impressions, de même qu'il disparaîtra, si l'Académie croit devoir lui substituer l'i dans l'édition qu'elle prépare.

SIXIÈME ÉDITION.

Dans sa SIXIÈME édition, publiée en 1835, l'Académie, se déjugeant elle-même, ne sanctionna plus la suppression du t final au pluriel des mots dont le singulier se terminait en ant et en ent, et, après une discussion approfondie, elle crut devoir rétablir au pluriel le t à tous les mots d'où elle l'avait fait disparaître dans les deux précédentes éditions. En écrivant

dès lors amants, éléments, parents, passants, et non amans, élémens, parens, passans, toute confusion avec l'écriture des mots dont le singulier est en an, comme artisans, charlatans, paysans, passans, etc., cessait, et l'orthographe des féminins pluriels paysannes et amantes ne pouvait offrir d'équivoque. Tronquer ainsi au pluriel la finale du singulier, c'était contrevenir à la règle grammaticale qui forme le pluriel par l'addition de l's.

Malgré le besoin de simplifier l'écriture, ce retour à un ancien principe, qui nécessitait cependant une addition considérable de lettres, fut accepté, bien qu'il contrariât les habitudes déjà prises il était logique. Toutefois je dois dire que quelques auteurs et imprimeurs maintiennent encore la suppression du t; tant on a de peine à ajouter des lettres, tant la tendance à les supprimer est caractéristique.

C'est dans cette sixième édition qu'une innovation importante fut enfin admise par l'Académie : la substitution de l'a à l'o dans tous les mots où l'o se prononçait a. L'Académie suivit en cela l'exemple donné par Voltaire (1). Cette modification, qui s'étendit sur un grand nombre de mots, fut accueillie du public avec reconnaissance, malgré l'opposition opiniâtre de Chateaubriand, de Nodier et de quelques académiciens. Main

tenant

que cette orthographe a prévalu, oserait-on écrire ou même regretter j'aimois, il étoit, qu'il paroisse?

(1) Corneille faisait rimer cognoistre, connoître, reconnoistre, reconnoître, avec naître, renaître, traître, et paroistre avec estre. Vingt-six ans avant l'apparition du Dictionnaire de l'Académie, on lit dans la première édition de l'Andromaque de Racine, acte III, sc. 1, ces vers:

M'en croirez-vous? lassé de ses trompeurs attraits,

Au lieu de l'enlever, Seigneur, ie la fuirais,

bù l'o est remplacé par l'a dans fuirais, innovation à laquelle Racine crut devoir renoncer, puisque, sept ans plus tard (en 1675), il corrigeait ainsi ce vers, pour se conformer à l'usage:

Au lieu de l'enlever, fuyez-la pour jamais.

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