L'Oliuier de Rob. Estienne (1557), pet. in-8 de 110 pp. ; ibid., 1569, in-8 de 128 pp. Les services que ce savant imprimeur a rendus à la langue sont immenses. J'ai montré plus haut, p. 108, l'importance du premier dictionnaire complet français-latin qu'il a publié. Ses presses multiplièrent à l'infini ces traités de grammaire, ces lexiques qui fixaient et vulgarisaient les principes de la langue. Pendant ses veilles laborieuses, il rédigeait, sous toutes les formes, des livres élémentaires que ses ouvriers imprimaient aussitôt. Pour en rendre l'utilité plus générale, il publiait en latin et en français des grammaires et de petits écrits, dont il donnait des éditions séparées. Écrivant sous l'influence latine, et voulant vulgariser l'étude du français dans une population naguère demi-latine, on conçoit qu'il employa de préférence l'orthographe la plus généralement répandue parmi les savants. Toutefois la sienne est meilleure et plus logique que celle de la plupart des écrivains de son temps. En voici un spécimen, tiré de l'avis au lecteur placé en tête de la première édition de sa Grammaire : « Pourtant que plusieurs desirans auoir ample cognoissance de nostre langue francoise, se sont plains a nous de ce qu'ils ne pouoyent aiseement saider de la Grammaire francoise de maistre Lois Maigret (a cause des grans changemens qu'ils y voyoyent, fort contraires a ce qu'ils en auoyent ia apprins, principalement quant a la droicte escripture), ne de l'introduction a la langue francoise composee par M. Iaques Syluius medecin (pourtant que souuent il a meslé des mots de Picardie dont il estoit), nous ⚫ayans diligemment leu les deus susdicts autheurs (qui pour certain ont traicté doctement pour la plus part, ce qu'ils auoyent entrepris), auons faict ung recueil, principalement de ce que nous auons veu accorder a ce que nous auions le temps passé apprins des plus scauans en nostre langue, etc......... » On doit regretter qu'il n'ait pas, non plus que son fils, pris de Sylvius la distinction du v d'avec l'u, du j d'avec l'i; de Dolet l'accent sur a préposition; de Tory l'apostrophe dans tous les cas et la cédille. Ces derniers perfectionnements ne se rencontrent que dans la seconde édition de sa Grammaire. En fait d'écriture et d'orthographe, il n'y a pas de minimes économies de temps à négliger : l'utilité pratique qui résulte de la moindre amélioration profite aux générations qui se succèdent, et ces changements épargnent des peines inutiles à des millions de personnes. Étymologiste comme Dolet, il a fait peu de chose pour la simplification, et n'a guère innové en fait d'orthographe. Il écrit roole, aage, aiseement. Il propose un instant de distinguer le son du g doux par un autre caractère, et d'employer le I majuscule à cette fonction. C'est ainsi qu'il écrit pale (pagina), simle (simia), vendemle (vendemia), que nous écrivons aujourd'hui page, singe, vendange. Le signe i figurait alors indistinctement le son jou le son i. En remplaçant par un I capital le g (ayant le son de j), R. Estienne assignait à cet I le son du j; et il est probable que si cette lettre j eût alors été connue, son adoption eût prévalu sur celle du g doux, ce qui nous aurait évité l'obligation d'ajouter un e parasite à la suite du g, lorsque nous voulons lui donner le son du j, comme dans vendangeons; mais ensuite, abandonnant cet emploi insolite de l'I, il écrivit dans son Dictionnaire page, singe, vendenge et vendengeons. Cette grande lettre pour remplacer le g, placée d'une manière si bizarre au milieu des mots, avait, en effet, un aspect déplaisant qui dut lui en faire abandonner l'emploi. Robert Estienne se montre par moments quelque peu esclave de la routine: « Nos anciens ont escript, » dit-il dans sa Grammaire (page 6-7), « vng auec y en la fin, de peur qu'en escriuant vn, « ne semblast estre le nombre vII; toutesfois cela ne plaist a plu<< sieurs. Nous scauons que g en ce lieu ne sert de rien, sinon pour «< ceste cause: si ailleurs ils l'admettent ou il y a moins de cause, << qu'ils l'admettent aussi en ce petit et court mot: s'il ne leur << plaist, ie ne veulx estre contentieux, qu'ils escriuent vn et moy « vng. Ils ont qui les suyuent, et ie m'arreste aux anciens scauans << qui en scauoyent plus que nous (1). » 1 On voit par cette citation que Robert, laudator temporis acti, et chez qui l'usage de la langue grecque et latine se confondait avec celui du français, n'éprouvait pas plus que la plupart de ses contemporains le besoin de l'uniformité orthographique. LOUIS MEIGRET. Traité touchant le commun vsaye de l'escriture francoise; auquel est debattu des faultes et abus en la (1) Dans l'édition de 1569, Robert Estienne, tout en conservant ce passage, écrit un sans g final. vraye et ancienne puissance des letres. Auecq priuilege de la court (de 1542). Paris, Jeanne de Marnef, 1545, in-8 de 64 ff. non chiff. Le Trette de la Grammaire françoeze. Paris, Wechel, 1550, in-4 de 144 ff. GUILLAUME DES AUTELS. Traité touchant l'ancien ortographe françois et écriture de la langue françoise, contre l'ortographe des Meygretistes, par Glaumalis de Vezelet. Lyon, 1548, in-8 et 1549, in-16. Defenses de LOUIS MEIGRET, touchant son livre de l'ortographe françoise, contre les censures et calomnies de Glaumalis de Vezelet (Guillaume des Autels) et ses adherans. Paris, Wechel, 1550, in-4 de 18 ff.; Lyon, 1550, in-8. Replique de GUILLAUME DES AUTELz aux furieuses defenses de Louis Meigret. Lyon, Iean de Tournes et Guill. Gazeau, 1551, pet. in-8 de 127 pp. (La Replique finit à la p. 74.) — Réponse à la dézesperée replique de Glaumalis de Vezelet, transformé en Gyllaome des Aotels. Paris, 1551, in-4 de 95 pp. Meigret est un de ces esprits rigides qui n'admettent pas de compromis entre la configuration étymologique et la configuration de la prolation, comme on disait de son temps. Contrairement à l'école toute-puissante des érudits de la Renaissance, il annonce qu'il a travaillé pour le commun peuple. «<le ne voy point, dit-il, de moyen suffisant ny raisonnable excuse pour conseruer la façon que nous auons d'escrire en la langue françoyse... Notre écriture, pour la confusion et commun abus des letres, ne quadre point entierement à la prononciation. « Les voix, ajoute-t-il, sont les elemens de la prononciation, et les letres les marques ou notes des elemens.... Puisque les letres ne sont qu'images de voix, l'escriture deura estre d'autant de letres que la prononciation requiert de voix; si elle se treuve autre, elle est faulse, abusiue et damnable. » Meigret a proposé d'excellentes simplifications que l'usage a sanctionnées pour quelques-unes, comme l'emploi du c qu'il emprunte, dit-il, aux Espagnols (1), la suppression du g dans les mots (1) Voir plus haut, p. 177, l'article de Geofroy Tory. MEIGRET. où il n'est pas prononcé, tels que cognoistre, ung, besoing, etc., où il n'était qu'un signe orthographique usité au siècle précédent pour indiquer la nasalité. Il biffe le d de advenir, advisé. Il veut qu'on écrive dit, fait, et non dict, faict; bete, fete et non beste, feste. D'autres modifications qu'il a proposées n'ont pas prévalu, ce qui est regrettable pour quelques-unes, telles que dixion ou diccion, au lieu de diction; manifestacion, annonciacion, etc.; le n à jambage pour gn mouillé. Il ne se fait pas illusion sur les chances de succès de sa réforme : « La plus part de nous, François, usent de cette superfluité de letres plus POUR PARER LEUR ESCRITURE que pour opinion qu'ilz ayent qu'elles y soient necesseres... sans avoir égard si la lecture, pour laquelle elle est principallement inuentée, en sera facile et aisée. l'ose bien d'auantage asseurer que c'est bien l'vne des principales causes pour laquelle ie n'espere pas iamès, ou pour le moins il sera bien dificile, que la superfluité de letres soit quelquefois corrigée, quoy qu'il s'ensuyue espargne de papier, de plume et de temps, et finablement facilité et aisance de lecture à toutes nations. Meigret eut l'honneur de faire école. Pendant plusieurs années on parla beaucoup des meigreitistes et l'on rompit des lances, dont le fer n'était pas toujours émoulu, contre eux ou en leur honneur (1). Ronsard, .du Bellay et Baïf se déclarèrent partisans du système. Mais ce mouvement dut bientôt s'assoupir. Tout novateur en fait d'orthographe échouera s'il porte un trouble trop grand dans les habitudes, et s'il veut atteindre surle-champ un but dont on ne peut approcher qu'avec l'aide du temps. En effet, Meigret fut forcé plus tard d'abandonner son propre système dans sa traduction du livre des Proportions du corps humain, d'Albert Dürer, et il ne fut repris] complétement par personne. Quel qu'ait été le sort de ces systèmes, aujourd'hui tombés dans l'oubli ou dépassés, ils ne méritent ni la dérision ni le blâme. Les luttes ardentes qu'ils ont provoquées ont servi à l'élucidation et à l'affermissement des principes qui ont porté si haut l'éclat de notre littérature. Plusieurs modifications de détail longtemps dédaignées ont été d'ailleurs reprises dans des temps plus favorables. (1) Voir Replique de Guillaume des Autelz. JOACHIM DU BELLAY. La Defense et illustration de la langue françoise, par I. D. B. A. Paris, A. L'Angelier, 1549 et 1557, pet. in-8; ibid, F. Morel, 1561, in-4, et autres. (Réimprimée aussi sous le titre d'Apologie pour la langue françoise.) Dans ce célèbre plaidoyer, où du Bellay revendique pour notre langue la supériorité que lui assurerait surtout son « recours à ses origines nationales », tout ce qu'il dit pour faciliter l'étude du français s'applique naturellement à l'orthographe, et dans son Avis au lecteur il s'exprime ainsi : « Quant à l'orthographe, j'ai plus suivy le commun et antique « usage que la raison, d'autant que cette nouvelle (mais légitime. « à mon jugement) façon d'escrire est si mal reçue en beaucoup « de lieux, que la nouveauté d'icelle eust pu rendre l'œuvre, non « gueres de soy recommandable, mal plaisant, voire contemp« tible aux lecteurs. >> Et ailleurs il dit : « J'entends bien que sur ce qui reste à faire, les professeurs << des langues ne seront pas de mon opinion, encore moins les << vénérables Druydes, qui, pour l'ambitieux désir qu'ilz ont « d'estre entre nous ce qu'estoit le philosophe Anacharsis entre « les Scythes, ne craignent rien tant que le secret de leurs mys« tères, qu'il faut apprendre d'eux, soit descouvert au vulgaire. » Dans un autre endroit, en parlant « de la similitude de son et de << la dissemblance d'orthographe des ei et oi (écrits maintenant ai) « et des mots maistre et preste, de Athenes et fonteines (maintenant « écrit fontaines), cognoistre et naistre », il dit a qu'il doit suffire << aux poëtes que les deux dernières syllabes soient uniformes; « ce qui arriveroit en la plus grande part, tant en voix qu'en es« cripture, si l'orthographe françoise n'eût point esté dépravée << par les praticiens. Et pour ce que Meigret, non moins ample«ment que doctement, a traité ceste partie, lecteur, je te ren« voye à son livre. » Ainsi on voit que s'il osait le faire, il suivrait Meigret dans son système, qui a le défaut d'être trop hardi, et, cette opinion, il la confirme de nouveau dans sa postface avec une naïveté toute gauloise: |