Si donc le français a son individualité, s'il est riche de sa beauté propre, si ses vocables surpassent souvent pour la simplicité, la rapidité, l'euphonie, leurs correspondants latins, pourquoi s'attacher, comme on le voulait au temps de Charpentier, et comme il n'en reste que trop de vestiges, à défigurer notre orthographe, dont on fait un pastiche de celle du latin et du grec, en y introduisant tant de consonnes doubles inutiles et même incompatibles avec le génie simple de notre ancienne langue (1)? (1) Voir sur la comparaison des mots du vieux français avec ceux forgés depuis le xvIe siècle : Étude sur le rôle de l'accent latin dans la langue française, par M. Gaston Paris. Paris, Franck, 1862, in-8. Notions élémentaires de grammaire comparée, par E. Egger. Paris, Durand, 1865, in-12. — Grammaire historique de la langue française, par M. Auguste Brachet. Paris, Hetzel, 1867, in-12. Et plus haut (p. 167) l'article de M. Sainte-Beuve. J.-B. BOSSUET, membre de l'Académie française. Voir plus haut, aux Opinions des académiciens, p. 130. Je dois faire figurer Bossuet parini les novateurs, puisque son esprit logique voulait la régularisation et non le désordre. On a vu son opinion au sujet d'un parti à prendre pour les mots dont la désinence est écrite sans motif tantôt en ant et tantôt en ent bien qu'ils dérivent également de participes latins en ens. (Voir p. 130.) Les exemples extraits des manuscrits de ses sermons attestent sa propension à conformer l'orthographe à la prononciation sans se soucier de l'étymologie. Pour donner une meilleure idée de son orthographe, je donne à l'Appendice E quelques passages de ses sermons tirés de ses manuscrits déposés à la Bibliothèque impériale. (JEAN HINDRET.) L'Art de bien prononcer et de bien parler la langue françoise, dédié à Monseigneur le duc de Bourgogne, par le sieur J. H. Paris, Ve Cl. Thiboust, 1686, in-12; ibid., 1696, 2 vol. in-12. Quoique ce petit traité de grammaire ne contienne aucune innovation orthographique (mot qu'il écrit ortographique), et qu'il ait pour but uniquement d'enseigner la prononciation reçue, il manifeste le désir du perfectionnement. L'auteur s'y plaint de notre écriture, qu'il déclare défectueuse. « Ce n'est pas sans raison, dit-il, que les étrangers nous reprochent <<< tous les jours le peu de soin que nous avons de bien prononcer << notre langue, comme une chose qui l'empêche d'être aujour<< d'hui la plus parfaite de toutes celles de l'Europe. » « On apprend, ajoute-t-il, avec beaucoup de soin aux enfants «<les principes des langues mortes ou étrangères, et, pour ce qui << regarde leur langue naturelle, on l'abandonne au hazard de « l'usage. >> * JEROME-AMBROISE LANGEN-MANTEL. L'Ortographe de la langue françoise. In-12. L'abbé Goujet considère comme inutile ce livre rare, que je n'ai pu rencontrer. * DE SOULE. Traité de l'ortographe françoise, ou l'Ortographe en sa pureté. Paris, 1692, in-12. Goujet porte à peu près le même jugement sur ce traité que sur le précédent. * RENÉ MILLERAN (de Saumur), professeur des langues françoise, allemande et angloise. Nouvelle Grammaire françoise. Marseille, 1692, in-12. -Les deux gramaires fransaizes, l'ordinaire d'aprezant et la plus nouvelle qu'on puise faire sans alterer ni changer les mots, par le moyen d'une nouvelle ortografe si juste et si facile qu'on peut aprandre la bõté et la pureté de la prononciation en moins de tans qu'il ne fôt pour lire cet ouvrage, par la diférance des karacteres qui sont osi bien dans le cors des regles que dans leurs exanples, ce qui est d'otant plus particulier qu'elles sont tres faciles et incontestables, la prononciation etant la partie la plus esancielle de toutes les langues. Marseille, Brebion, 1694, 2 parties en un vol. in-12. Je n'ai pu me procurer ni même voir ce volume, que je ne trouve indiqué que dans le Catalogue de Ch. Nodier de 1844. Ce spirituel académicien reproche à l'auteur d'avoir proposé la réforme de l'oi, préconisée un siècle plus tard par Voltaire. La manière dont Nodier a figuré le titre et que je reproduis ne donne qu'une idée trop imparfaite de la méthode de Milleran. Les lettres romaines sont celles qui ne se prononcent pas. Par cet exemple, on peut se figurer toutes celles qui peuvent ainsi être indiquées. (RODILARD.) Doutes sur l'ortographe franceze. Paris, 1693, in-12; et s. 1. n. d. (vers 1750), in-12, de 192 pp. L'auteur, qui se cache sous l'anagramme de Trilodrad, peut être classé parmi les novateurs, bien que la plupart des réformes qu'il demande aient été accomplies dans les éditions successives du Dictionnaire de l'Académie. On en jugera par ce début : Aus Maitres Imprimeurs. « Messieurs, il ya longtèms que je suis dans plusieurs doutes sur l'ortographe desquels je souhaiterois pouvoir être éclairci... J'ai DANGEAU. cru qu'il étoit plus à propos de m'adresser aus maitres imprimeurs... Car je puis dire qu'autant qu'il y a d'imprimeries en France, ou peu s'èn faut, autant il y a de diférèntes ortographes. << Ce sens seul est peu favorable au savoir des maitres imprimeurs qui (dit-il) ne savent pas l'ortographe et moins encore la ponctuation! et s'ils raisonent de l'imprimerie et de l'ortographe, ce n'est que comme les aveugles font des couleurs. « C'est une chose honteuse à nous de voir que les étrangers nous aprenent à écrire nôtre langue naturele car on ne peut pas disconvenir que les Holandez (ou du moins des Francez qui se sont retirés en Holand) ne nous ayent apris a metre les v ronds et les j longs, puisque pour marque de cela on les apèle dans l'imprimerie des v et j à la Holandeze ce sont encore eux qui nous ont enseigné à retrancher les letres superflûes de nôtre langue : enfin ils nous enseignent ce que nous leur devrions ènseigner et à toute la terre, puisqu'on n'aprend l'ortographe que par le moyen des impressions et à quoi tout le monde se raporte, et non pas aus manuscrits; cela étant, pourquoi n'a-t-on pas soin de bien ortographer, et de ne rien faire paroître au public qui ne soit dans sa perfection? Il faut que ce soit, non seulement les etrangers, mais tout le monde, jusques à un chétif ecrivain, qui à grand peine sait-il lire, nous ènseigne l'ortographe.... Il est vrai que j'ai été longtèms à me pouvoir persuader qu'il fut permis de retrancher aucune letre dans le francez lorsqu'elle venoit du latin, que les s; mais pour les doubles bb, les doubles cc, les doubles dd, doubles ff, doubles mm, doubles nn, doubles pp et autres letres qui sont dans le latin, je ne pouvois me resoudre; mais aprez y avoir fait reflexion et consideré qu'on estranchoit partout les s inutiles à la prononciation, aussi bien que d'autres letres, quoiqu'elles vinssent du latin, j'ai cru qu'on pouvoit aussi ôter les letres doubles, et toutes celles qui sont parèllement superflûes et inutiles à la prononciation aussi bien qu'on fait le s. » Louis de COURCILLON, abbé de DANGEAU. Lètre sur l'ortografe à Monsieur de Pontchartrain, conseiller au Parlement (1694), in-12 (sans nom d'auteur, avec privilége du Roi de 1693). — Essais de granmaire (1694-1722), comprenant les discours suivants : Premier discours qui traite des voyèles. - Discours II, qui traite des consones. Discours III. Suplè mant aus deus premiers discours. Discours IV. Lètre sur l'ortografe écrite en 1694 (réimpression avec changements de la lettre qui précède). Discours V. Suplèmant a la lètre précédante. - Discours VI. Sur l'ortografe fransoise. Discours VII. Sur la comparaison de la langue fransoise avec les autres langues. (Les discours VIII à XIV n'ont trait qu'à la grammaire.) Ces opuscules ont été imprimés en partie et avec une orthographe moderne dans Opuscules sur la langue françoise par divers académiciens (publiés par l'abbé d'Olivet). Paris, Bernard Brunet, 1754, et réédités plus fidèlement en 1849 par M. B. Jullien aux frais de la Société des méthodes d'enseignement. Saint-Simon, dans ses Mémoires, dit en parlant de l'abbé de Dangeau: « Les bagatelles de l'orthographe et de ce qu'on en<< tend par la matière des rudiments et du Despautère furent l'oc«<cupation et le travail sérieux de toute sa vie. » Saint-Simon parle de ces bagatelles en homme qui ne s'y entendait guère : autrement il eût compris que c'est du studieux abbé que datent les progrès sérieux dans l'étude des sons de notre langue, dont il a donné le premier une classification satisfaisante. Les modifications introduites par Dangeau ont pour but de peindre exactement la prononciation, en supprimant toutes les lettres qui ne s'entendent pas ou ne sont pas nécessaires; de changer toutes celles qui n'ont pas dans le lieu où elles se trouvent leur son naturel, n'exceptant de cette règle que les consonnes finales et les lettres caractéristiques des nombres, des genres, des personnes. Il supprime l'hà théorie, et écrit filosofe, attendu, dit-il qu'il a a cru devoir laisser aux lettres françoises le son qu'elles ont naturellement, pensant que si les Latins ont écrit certains mots dérivés du grec, c'est qu'elles gardoient une aspiration differente et qu'ils prononsoient les premieres silabes de philosophia et de character autrement que celles de figura et de caput. Aparemment, s'ils les avoient prononcées de la même manière, ils les auroient exprimées aussi par les mêmes letres, etc... Pourquoi ne pas imiter les Italiens et les Espagnols, qui n'ont pas cru être obligés a garder l'ortografe latine dans les mots venus du grec? Si on |