Mers, débité tant d'Apophthegmes, et enrichy ce païs de tant de Phrases et de Paraphrases, il semble qu'il y auroit de l'inhumanité à nous separer de la compagnie de Philis et de Philomèle, puisque nous sommes de même contrée, et que nous avons jusqu'icy couru les mêmes avantures. « L'USAGE. J'ordonne que l'on conserve le Ph, le plus qu'on pourra ; mais du reste, quand on veut s'établir en un païs, il en faut prendre l'habit et les mœurs. » Le Père CLAUDE BUFFIER, de la Compagnie de Jésus. Grammaire françoise sur un plan nouveau, avec un traité sur la prononciation des E, etc. Paris, 1709, in-12; ibid., 1723, in-8. Buffier, un de ces jésuites à la raison hardie et profonde, dont l'ordre célèbre auquel il appartenait a fourni tant d'exemples, après avoir constaté qu'une orthographe réformée est suivie par la moitié au moins des auteurs, cite une centaine d'ouvrages importants où elle est observée. Lui-même embrasse la réforme non pas avec enthousiasme, mais avec la conviction calme qu'elle est « le parti le plus commode, et conséquemment le plus sage. » << On peut, ajoute-t-il, et l'on doit dire que certaines langues ont une ortographe beaucoup plus embarassée et plus dificile que d'autres langues. En éfet, si une langue avoit précisément autant de caractères divers dans l'écriture que de sons diférens dans la prononciation, en sorte que chaque caractère particulier désignât toujours le même son particulier, ce seroit l'orthographe la plus commode, et, ce semble, la plus naturèle qu'on puisse imaginer. Ainsi, plus une langue s'éloigne de cette pratique, plus son ortographe est incommode et bizare. » « Le françois, ditil plus loin, a une ortographe des plus bizares et des plus malaisées... Une même figure de lètre désigne quelquefois cinq ou six sons divers, et un même son est désigné de sept ou huit manières différentes (1)... Il ne s'agit pas de mettre de l'étymologie dans un portrait, mais de le rendre le plus fidèle qu'il est possible. » Il s'oppose, du reste, aux réformateurs trop absolus, « attendu, dit-il, « que si l'ortographe n'étoit pas conforme à l'usage, on ne connoi<< troit rien aux figures ou caractéres de létres qui seroient nou (1) Voir plus loin l'analyse de l'ouvrage de M. Raoux, à la date de 1865. << veaux. C'est ce qui est arrivé à ceux qui ont voulu introduire << une ortographe toute nouvèle; les autres n'y ont rien conçu, « n'en ayant pas l'usage. Ainsi, quand même cette ortographe se« roit au fond plus parfaite que l'ortographe établie, il seroit ridi«< cule de s'en servir préférablement à la dernière, puisque c'est «< comme si l'on vouloit parler à un homme une langue qu'il << n'entend pas, sous prétexte qu'elle est plus parfaite que celle << qu'il entend. » Il propose, pour apprendre à lire plus promptement et plus exactement, de prêter aux consonnes françaises d'autres noms que ceux qui leur sont donnés par l'usage et qui soient plus conformes aux sons qu'elles expriment dans leur liaison avec les voyelles. « Ainsi, au lieu de dire éfe, éme, ixe, etc., on feroit mieux de les appeler simplement fe, me, xe, dont l'e seroit muet, » etc. Il analyse les diverses modifications que prend le son e. Il voudrait que ou ll mouillé fût figuré par un signe particulier, le λ. 11 remplace les signes binaires eu, ou,, ch, gn, par ∞, Ö, %, ñ. L'y lui paraît une forme introduite par les copistes pour figurer ij ou le double i. L'y, dit-il, n'est presque plus d'usage en notre langue que dans les trois ou quatre occasions suivantes : yeux, yvoire, yúre (1). Voici dans quelle mesure il se montre réformateur : il écrit ortographe, atacher, létre (de litera), suposé, indiférent, dificulté, netement, ofrir, oposé, voyéle, néte, comode, naturéle, prométre, sience, soufrir, nouvèle, anciéne, etimologie, afirme, consone, nazal, bizare; il écrit même silabe. * PIERRE PANEL. Le Tableau de l'Ortographe françoise. Hambourg, 1710, in-8. Je n'ai pas yu cet ouvrage, cité par Goujet comme ayant trait à la réforme. DE GRIMAREST. Éclaircissemens sur les principes de la langue françoise. Paris, 1712, in-12. « Je tiens, nous dit-il, à l'égard de l'orthographe, entre les an«< ciens et les modernes. » Aussi les modifications qu'il propose (1) On écrit ivre, ivoire, et on a maintenu seulement l'y dans yeux. sont-elles modérées. Il répond ainsi à ceux qui voudraient conserver les s étymologiques : « Tous les mots où l'on peut supprimer l's viennent-ils du latin? Et d'ailleurs, ou l'on sait le latin ou on ne le sait pas. S'ils le savent, sera-ce cette lettre supprimée qui les empêchera de reconnoître que répondre vient de respondere, hóte de hospes? Si le lecteur ignore la langue latine, que lui importe?.... » Il se plaint avec toute raison de ceux qui, de son temps, mettaient des y partout. Le désordre et l'incertitude de l'orthographe offraient jusqu'au commencement du dix-huitième siècle de graves inconvénients pour la détermination si importante des noms propres. Ainsi, malgré de patientes investigations, nous ignorons encore la véritable prononciation du nom de famille d'un des plus célèbres imprimeurs de Lyon, écrit tantôt Rouille, Rouillé, Roville. Grimarest cite un écrivain, Touville, inscrivant son nom sur trois écriteaux aux faces de sa maison, tous trois orthographiés différemment : Touuille, Toville, Tovville. Le P. GILLES VAUDELIN, augustin réformé. Nouvelle Maniere d'ecrire comme on parle en France. Paris, Jean Cot et JeanBaptiste Lamesle, 1713, in-12. - Instruction chrétienne mise en ortografe naturelle, pour faciliter au peuple la lecture de la science du salut. Paris, 1715, in-12. Le bon père augustin, frappé de l'utilité de rendre la langue française accessible aux classes qui n'ont pas de loisirs, a cru résoudre le problème en créant un alphabet phonétique, composé de 13 voyelles et de 16 consonnes. Un trait, nommé aujourd'hui diacritique, distingue les valeurs différentes d'une même lettre. Il a ainsi un système de représentation nouveau et plus logique pour les sons a, an, ai, é, in, i, e, o, on, eu, un, ou, u. Les consonnes c, g, h, j, n, l, r, z, s, d, t, v, f, p, b, m, n'ont subi aucune modification quant à la forme, sauf que h a changé de valeur et représente ch. S'il n'est pas arrivé à la classification organique des consonnes, qui est une des conquêtes de la philologie moderne, on voit qu'il y tend. Son écriture occupe notablement moins d'espace que la nôtre, et elle figure mieux les sons. Mais son système a le même défaut que ceux de ses devanciers, c'est-à-dire d'être impraticable, particulièrement à ceux mêmes auxquels il le destine, les femmes, les enfants, les pauvres. Cette addition de traits diacritiques est trop compliquée pour eux et retarde l'essor de l'écriture des personnes instruites, écriture qui doit toujours pouvoir être cursive pour satisfaire aux besoins qui lui ont donné naissance. * NICOLAS DUPONT, avocat au parlement, bailli du duché de Châtillon-sur-Loing. Examen critique du traité d'Ortographe de M. l'abbé Regnier Desmarais, Secrétaire perpétuel de l'Académie françoise, avec les principes fondamentaux de l'art d'ecrire. Paris, 1713, in-12. « Il y a dans ce livre, dit l'abbé Goujet (t. I, p. 113), des remarques et des réflexions dont on peut profiter, et que M. l'abbé Regnier n'auroit peut-être pas dû négliger. On ne pourroit pas cependant conseiller d'adopter son systême : il ne differe en rien pour le fond de celui du pere Vaudelin. Je crois aussi qu'il eût été bien embarrassé de prouver ce qu'il avance, que les Grecs et les Latins avoient une ortographe réguliere, telle qu'il se l'imagine. Étoit-il à portée d'en juger, puisqu'actuellement nous ne savons nullement quelle étoit la véritable prononciation du grec et du latin dans le bel usage de ces deux langues? >> L'abbé G. (Girard, de l'Académie française en 1744). L'Ortografe française sans équivoques et dans ses principes naturels ou l'art d'écrire notre langue selon les loix de la raison et de l'usage, d'une manière aisée pour les dames, comode pour lés étrangers, instructive pour les provinciaux et nécessaire pour exprimer et distinguer toutes lés diférances de la prononciacion. Paris, Pierre Giffart, 1716, in-12. L'abbé Girard, comme nous l'avons vu plus haut, p. 139, est un réformateur modéré et un esprit raisonnable. Malheureusement il n'a pas vu que son système d'accentuation ajoute aux difficultés et aux lenteurs de l'écriture au lieu de les écarter. « On pourroit bien se tromper, dit-il (p. 23), en croyant que ç'a toujours été par dés raisons d'étimologie qu'on a introduit dans le français tant de lettres inutiles et équivoques. Non, il ne faut pas croire que nos pères aient été d'assez mauvais gout que de mettre à plaisir toutes cés lettres oiseuses et embarassantes dans leur ortografe; ni qu'ils aient poussé la bizarrerie jusqu'à vouloir écrire leur propre langue tout diférammànt qu'ils ne la parloient, précisémánt pour conserver la mémoire dés emprunts qu'ils faisoient dans une autre langue pour enrichir la leur; ni qu'ils aient pansé comme quelques grammairiens, qui sont ravis de trouver et de conserver dans le français toutes les lettres qui sont dans le latin, sans se mettre en peine de l'incomodité qu'elles y causent, ni de la mauvaise grace dont elles y figurent. Nos pères n'ont assurémànt point pansé à tous cés petits raisonemans: ils se sont servis dés lettres pour le besoin, et si leur ortografe aproche plus du latin, c'est que leur manière de parler n'en étoit pàs si éloignée qu'en est la nôtre. Ainsi, je suis persuadé que ce n'a point été l'étimologie, mais la prononciacion de cés tams là qui a introduit toutes cés lettres, qui sont devenues inutiles, lorsqu'on s'est avisé de faire dés changemans dans la prononciacion, car une grande partie de nos mots se prononçoient autrefois comme ils s'écrivent aujourdui. Desorte que ce seroit toujours écrire comme on écrivoit que d'écrire comme on prononce. » Après avoir ainsi donné un exemple de l'écriture du P. Girard, il me reste à en expliquer les détails. L'auteur reconnaît trois sortes d'a: l'a bref ou ordinaire, comme dans parure, amour, canon; l'a long, marqué de l'accent circonflexe, comme dans pâté, páques, mâtin, et l'a adverbe, marqué par un accent grave, comme dans ces mots à Rome, là, au delà, promptemànt. Il est regrettable que le docte jésuite n'ait pas admis la distinction des voyelles nasales de l'abbé Dangeau, qui lui eût fourni une simplification orthographique plus rationnelle que l'accent grave placé sur cet àn. Il écrit complimant, contant, agrémant, parant, acçant, tams, example, tample, réservant la forme ent pour la troisième personne du pluriel des verbes : ils chantent. Il écrit Anglais, Hollandais, Français, au lieu de Anglois, Hollandois, François; connaitre, paraitre, au lieu de connoître, paroître. S'il conserve oi aux imparfaits, c'est par pur amour de la paix et parce que «< ce seroit plûtot témérité que courage de vouloir l'en déloger. » Il n'admet la simplification du double c que dans quelques mots, |