Latins d'écrire certains mots dérivés du grec les uns par ph, les autres par f (bien qu'en grec la lettre soit toujours la seule et la même pour tous) afin de les prononcer à leur guise, prononçons alors différemment les mots où l'on voudrait encore conserver le ph. Distinguons donc la prononciation phénomène, qaιvóμevov, traduit par les Latins phænomenon, de celle de frairie, opaτpía, revêtu d'un fpar les Latins (fratria), et tâchons de retrouver ce je ne sais quel pulsus palati, linguæ et labrorum dont parle Quintilien. Mais déjà nous prononçons le son f de deux manières, faible avec l'f simple dans afin et facile, forte avec la double f dans affliger et affreux. Pour être conséquents, nous devrions prononcer philosophie avec un troisième son encore plus rude. L'Académie qui, dans le cours de ses éditions, a déjà remplacé par notre ƒ français le ph des Latins dans un si grand nombre de mots, ne devrait plus tolérer de tels contrastes. Pourquoi les Grecs écrivaient-ils certains mots par et d'autres par ? Parce que la prononciation du différait sen◊ siblement de celle du T, et cette prononciation du 0, th, qui se conserve encore chez les Grecs, se retrouve et avec le même son dans la langue anglaise. Un Anglais prononcera donc autrement que nous authentique, épithète, mythologie théâtre. Mais puisqu'en français le th et le t n'ont qu'un seul et même son parfaitement identique, nous devons, ainsi qu'on l'a fait pour trésor, trône, etc., écrire par un seul et même signe tous les mots qui, par un long usage, sont devenus français. En suivant cette voie, on rendra notre orthographe logique et conséquente. dit que la lettre ƒ en latin avait un son doux et faible : « Cujus (literæ ƒ) a græca (litera) recedit lenis atque hebes sonus, » p. 2401, éd. Putsch. Priscien, p. 542, dit que dans beaucoup de mots le a été remplacé par le f: fama, fuga, fur (cwp), fero, etc., et que dans d'autres on garde ph. « Hoc tamen scire debemus quod non tam fixis labris pronuntianda ƒ, quomodo ph, atque hoc solum interest inter fet ph. » Ailleurs, p. 548, il ajoute : « Est aliqua in pronuntiatione literæ ƒ differentia (d'avec le q), ut ostendit ipsius palati pulsus et linguæ et labrorum. » La bizarrerie de notre écriture est le premier objet qui frappe les yeux aussi bien des nationaux que des étrangers; elle contredit l'esprit net, clair et logique du français que l'Académie maintient dans sa pureté par l'exactitude de ses définitions et la précision de ses exemples. L'illustre compagnie doit donc apporter le même soin à l'orthographe, qui est l'empreinte visible de notre langue transmise par tant de chefs-d'œuvre jusque dans des contrées dont nous ignorons même le nom. Puisque pour les mots que nous empruntons aux langues vivantes, nous cherchons à franciser leur orthographe plutôt que de conserver leur figure originaire, pourquoi ne pas agir de même à l'égard des langues mortes? On s'est accordé à écrire, à la satisfaction de tous, vagon et non waggon, valse et non walse, chèque et non check, cipaye et non cipahi, contredanse et non country dance, gigue et non gig, loustic et non lustig, arpége et non arpeggio, roupie et non rupee, stuc et non stucco. De riding coat on a fait redingote, de beefstake, bifteck, qu'il serait mieux d'écrire biftec, de roast beef, rosbif; de packet boat, paquebot; de toast, tost et toster; de sauer kraut, choucroute, etc. Pourquoi n'en serait-il pas de même pour les mots où les th, les ph figurent aussi désagréablement dans notre système orthographique que les w et les k des Saxons et des Germains, tandis que nos mots dérivés du grec reprendraient si bien leur figure française avec des f et des t? L'Académie, d'ailleurs, par un moyen simple et adopté aujourd'hui dans tous les dictionnaires, peut maintenir la tradition étymologique, bien plus efficacement que par la conservation accidentelle de quelques lettres qui troublent la simplicité de notre orthographe : il suffirait dans la prochaine édition de placer en regard du mot français le mot grec d'où il dérive immédiatement. Si, dans la première édition de son Dictionnaire et même dans les suivantes, l'Académie fit acte de haute sagesse en n'y faisant pas figurer les étymologies grecques et latines, attendu que la science, alors incertaine, faisait souvent fausse route, aujourd'hui les bases des étymologies sont trop assurées pour que l'addition des mots racines puisse être un sujet de controverse, étant surtout limitée aux seuls mots qui dans le Dictionnaire avaient des th et des ph. Renchérir sur le premier Dictionnaire de l'Académie et réintégrer dans la langue française l'orthographe étymologique grecque et latine dans des milliers de mots d'où l'usage et l'Académie l'ont bannie est une impossibilité, tandis que la modification qui atteindrait les th et ph des mots de la langue usuelle qui les conservent encore ne porterait pas sur plus de deux cents mots (1). Je lis dans un des écrits les plus sages sur la réforme de l'orthographe le passage suivant (2): « Si l'on veut conserver l'étimologie, il faut remètre des consones sans valeur dans plus de dis mile mots d'où on les a banies depuis long-temps. Quelque sistême qu'on veuille adopter, il faut tâcher d'être conséquent. L'usage actuel et le sistême des étimologies sont trop souvent en contradiction pour qu'on puisse alier ensemble les principes de l'un et de l'autre. Ainsi, puisque la prononciation nous a fait abandonner l'étimologie dans une partie de nos mots, la même raison nous invite à l'abandonner dans les létres étimologiques ne se prononçant point. >> (1) Les mots de la langue usuelle ayant un th sont au nombre d'environ soixantedix: ceux, un peu plus nombreux, ayant un ph sont au nombre d'une centaine. Les autres, pour la plupart, sont des termes de médecine, de chirurgie ou des arts, qui s'écrivent rarement, et sont consacrés à des professions spéciales; les personnes qui les exercent en connaissent l'origine et la signification, ce qui pourrait exempter ces mots d'être revêtus d'une forme bizarre que les Grecs, amis du simple et du beau, ne reconnaîtraient pas. Les mots ichthyographie triphthongue, apophthegme, contiennent chacun deux ou trois consonnes déplaisantes qu'ils n'ont pas en grec : ἰχθυογραφία, τρίφθογγος, ἀπόφθεγμα, etc. Toutefois, comme ces mots ne sont pas de la langue usuelle, on pourrait leur conserver leur appareil scientifique. (2) De l'Orthographe, ou des moyens simples et raisonnés de diminuer les imperfections de notre orthographe, de la rendre beaucoup plus aisée, pour servir de supplément aux différentes éditions de la grammaire française de M. de Wailly (membre de l'Académie française). Paris, Barbou, 1771, in-8. Parmi les notes que mon père avait écrites en 1820, lorsque, avec MM. Raynouard, Andrieux et quelques autres de ses amis, on discutait les principes que l'Académie croirait devoir adopter pour l'orthographe, je transcris celle-ci : « Je crois qu'on doit chercher à mettre le plus de simplicité possible dans l'orthographe. Je sais qu'on a de la peine à abandonner la méthode qu'on a longtemps suivie et, comme le dit Horace : quæ Imberbi didicere, senes perdenda fateri; mais l'expérience me démontre que la simplicité dans l'orthographe est nécessaire. Je suis déjà avancé en âge. Après avoir fait une étude constante de la langue française, au moment de quitter la carrière typographique, je suis las de feuilleter sans cesse des dictionnaires qui se contredisent entre eux et se contredisent eux-mêmes. J'oserai le dire, bien qu'en hésitant encore : je voudrais qu'on écrivit le mot philosophe non-seulement avec un ƒ à la dernière syllabe, comme le proposait de Wailly, mais je mettrais cef même à la première syllabe, comme font les Italiens et les Espagnols. Mais, dira-t-on, l'Académie française sera accusée d'ignorance. Ce ne sont point les érudits, au moins, qui l'en accuseront. Ils savent bien que ce f est le DIGAMMA ÉOLIQUE 'dont faisaient usage non-seulement les Éoliens et les anciens Grecs, mais les inscriptions latines et les bons écrivains latins comme Catulle, Térence, etc. (1). « On a crié beaucoup la première fois qu'on a écrit le mot phantome avec un digamma éolique ou f. Alors les dictionnaires modernes ont commencé à insérer ce mot fantôme à la lettre F, mais en renvoyant au mot phantôme par un ph pour la définition et les exemples; ensuite on a écrit le mot fantôme avec la définition et les exemples à la lettre F, et on a seulement inscrit le mot phantôme avec le ph en renvoyant au mot fantôme par un f; et maintenant on ne trouve plus le mot phantôme par ph dans le Dictionnaire de l'Académie. » (1) Seulement cette lettre paraît avoir été chez les anciens le signe d'une aspiration, tandis que chez nous elle est douce et euphonique, et convient ainsi parfaitement à l'emploi qu'on lui destine. Voltaire dans sa correspondance écrivait philosofe ou filosofe, philosofie ou filosophie, et dans son Dictionnaire philosophique faisait ranger à la lettre F l'article PHILOSOPHIE ; on lit en tête de cet article : « Écrivez filosofie ou philosophie comme il vous plaira (1). » Les améliorations introduites dans la dernière édition du Dictionnaire de l'Académie n'eurent plus un seul contradicteur, du moment qu'elles y furent admises. Il en sera de même de toutes celles que l'Académie croira devoir approuver. Sans rien violenter, elles auront l'avantage d'épargner du temps et de la fatigue d'esprit, de rapprocher du beau et du simple les formes de notre langue, d'en rendre l'étude plus facile, enfin de se conformer aux tendances marquées par l'Académie ellemême dans les éditions successives de son Dictionnaire, tendances qui sont celles de l'esprit humain et qui datent de loin, puisque, nous dit M. Villemain, « Auguste, homme de goût, << écrivain précis, et de plus empereur, ce qui donne toujours <«< une certaine influence, jugeait que l'orthographe devait être « l'image fidèle de la prononciation : Orthographiam, id est << formulam rationemque scribendi, a grammaticis institutam, << non adeo custodiit; ac videtur eorum potius sequi opinionem, « qui perinde scribendum, ac loquamur, existiment (2). » (1) C'est à la lettre F que Voltaire avait fait placer l'article PHILOSOPHE, sous ce titre FILOSOfe ou philosophe. (2) Suétone, Vie d'Auguste, LXXXVIII. Ce mot Augustus est un exemple frappant de la tendance irrésistible à l'abréviation des mots par la prononciation, puis par l'écriture Auguste, aoust, août, est prononcé oût, et Baïf, dans son système phonétique, recourt à la ligature grecque 8, pour figurer notre son ou. : |