Images de page
PDF
ePub

L'emploi de la double lettre doit toujours être conservé au milieu des mots quand la prononciation l'exige, comme dans

ce vers:

Mortellement atteint d'une flèche empennée.

Au contraire, pourquoi la conserver lorsque ni la prononciation ni même l'analogie ne la réclament, et qu'elle ne peut qu'induire en erreur ceux qui apprennent le français ?

Ainsi, lorsqu'on ne met qu'un g dans agression, agressif, agrandir, agréer, agréger, etc., pourquoi en mettre deux dans aggraver, agglomérer, agglutiner, et faire une règle avec exception pour ces trois seuls mots? Si pour abbaye, abbé, abbesse, gibbeux, rabbin, sabbat, seuls mots écrits avec deux b, l'Académie adoptait un seul b, ce serait encore une règle d'exception à supprimer de la grammaire (1).

Dans son Dictionnaire de 1740, l'Académie a supprimé le d étymologique de la préposition latine ad dans les mots advocat, advertir, adveu, advoué, advertissement, advis, advisé, et plusieurs centaines d'autres. Elle rendrait un grand service en effaçant le double c dans la plupart des mots où cette duplication n'influe en rien sur la prononciation et où l'un de ces doubles c est censé représenter le d de la préposition ad. On pourrait ainsi, sans inconvénient, supprimer un c dans les mots accompagner, accoster, accablement, acclimater, accointer, accouchement, accoutumer, accuser, etc., et déjà il a disparu dans acoquiner, acagnarder, acenser, acensement. Dans les Cahiers de l'Académie de 1694, on écrit deffaillir,

(1) Voici comment notre ancienne langue française écrivait ces mots:

En la vile out une abeie

Durement riche e garnie;

Mun escient (moine savant), nuneins y ot (eut),

E abeesse kis (qui se) gardot.

MARIE DE FRANCE. Lai del Freisne.

On pourrait peut-être conserver les deux b à abbé, par respect pour l'usage et la brièveté du mot. La prononciation y autoriserait même : il y a une nuance de son entre abbé et abaye, abesse.

deffaire, deffendre, etc.; la double f a disparu dans ces mots et il devrait en être de même pour plusieurs autres : tels que difficulté, différence, puisque le son de la double f n'a pas disparu entièrement dans la prononciation.

La double / devrait aussi être conservée dans alliage, alliance, allusion, alluvion, collision, collusion; mais on pourrait supprimer une / dans allonger, allongement, vallée, etc. Ainsi l'Académie écrit, tantôt avec un n, et tantôt avec deux, les dérivés des mots suivants terminés en on:

[blocks in formation]

Avec un seul n :

SON dissonance, dissonant, dis-
soner, sonore, sonorité, sonate.

TON intonation, monotone, to-
nalité, tonique.

TONNER détonation, détoner.

:

Avec deux n:

SON: Consonnance, consonnant, consonne, sonnant, sonner, sonnette, sonnerie, sonneur.

TON détonner, entonner.

TONNER: tonnerre, tonnant.

Aucun de ces dérivés de mots terminés en on ne devrait être écrit avec double n; on n'en met pas à ceux qui dérivent de noms terminés en in dessin, dessiner, destin et destiner; non plus à ceux qui se terminent en un importun, importuner; ni à ceux qui se terminent en an: plan, planer, esplanade.

Quant aux mots terminés en ion, excepté nation et confession, septentrion, qui ne doublent pas le n dans leurs dérivés, national, nationalité, confessional, septentrional, les autres doublent la consonne dans leurs composés, et cela sans aucun motif. Tels sont les mots suivants, au nombre de 39:

Action, addition, affection, caution, cession, collation, commission, concussion, condition, confession, constitution, convention, correction, démission, diction, division, espion, fraction, friction, intention, légion, mention, million, mission, occasion, pardon, pension, perfection, pétition, proportion, question, ration, religion, sanction, soumission, station, subvention, tradition, vision.

Pourquoi, en effet, écrire actionner, actionnaire, concessionnaire, constitutionnel, constitutionnalité, constitutionnellement, dictionnaire, etc.? ces mots ne sont-ils pas déjà assez longs à écrire sans y mettre le double n qui ne se prononce pas?

Il est aussi d'autres mots où le double n devrait être supprimé, et même conformément à l'étymologie, comme dans : honneur (honor, puisqu'on écrit honorer), donner (donare : on écrit donation), monnaie (moneta), sonner, résonner (so–

nare, resonare), légionnaire (legionarius), rationnel (rationalis), couronne (corona), personne (persona) (1).

L'Académie figure avec raison la désinence ame tantôt avec un m et tantôt avec deux m, lorsque la prononciation l'exige. Mais flamme (que Corneille écrivait flame) ne devrait conserver qu'un seul m; et puisquè l'Académie écrit affame (2), entame, réclame, diffame, elle ne saurait écrire enflamme; flame et enflame exigeraient même un à circonflexe comme infâme, blâme, et j'ai vu flâme ainsi écrit par Racine.

Dans évidemment, prudemment, le double m ne se prononce pas; cependant il faut le conserver, ne fût-ce que pour éviter la confusion avec évidement (de évider) (3), et prudement (de prude).

Tous les mots terminés en ime et ume sont écrits avec un seul m.

Le doubler devrait être conservé partout où il se fait sentir correcteur, correction, correct, terreur, horreur. Mais il doit être supprimé dans charrue, puisqu'on écrit chariot, dans nourrice, nourriture, nourrir, pourrir, puisqu'on écrit mourir et courir (bien qu'en latin currere ait deux r) (4), et c'est à tort que l'on écrit par deux r je pourrai:

(1) Dans tous ces mots l'orthographe française est en perpétuelle contradiction avec la quantité latine :

[blocks in formation]

(2) Les seuls mots où le m est doublé et doit l'être, puisque la désinence est en e muet sont: anagramme, épigramme, femme, flamme, homme, gramme, et les composés avec ce mot, programme; mais les verbes assommer, consommer, nommer, dénommer, surnommer, renommer ne doivent prendre qu'un m de même qu'on écrit consumer.

(3) Il serait préférable d'écrire évidament, de même que Bossuet écrit contantement.

(4) Ces deux verbes par exception prennent deux r au futur et au conditionnel, je courrai, je mourrai, par la contraction de l'i, puisqu'on n'écrit pas ces mots comme on écrit je pourrirai, je nourrirai.

L'Académie adopte coreligionnaire et codonataire; elle devrait écrire de même corespondant.

Le lierre devrait n'être écrit qu'avec un seul r, comme l'ont fait Henri Estienne et Ronsard, et suivant l'étymologie, l'hière (hedera) (1).

On ne devrait pas écrire dyssenterie par deux s, puisque l'étymologie grecque ne nous en donne qu'une, et que, dans le Cahier de remarques, on rapproche avec raison dysenterie de dysurie. Il faudrait même écrire dysentérie avec l'accent aigu. Quant au double t, l'Académie écrit abatage, abatée, abatis; elle pourrait écrire abatoir, et même supprimer le double t dans abattement, abattu. Corneille et Bossuet écrivent abatre, batu et rabatu; et H. Estienne, dans son traité de la Précellence du langage françois, écrit combatre, combatu, débatre, débatu, rabatre, rabatu; Fénelon et Bossuet écrivent : flater et froter, atandre, atantif, atantions, ataque et non attendre, attentif, attentions, attaque, etc. Les imprimeurs ont eu grand tort de ne pas suivre l'orthographe des auteurs et de la transformer (pour ne pas dire défigurer) en la réduisant à l'uniformité d'après l'orthographe du Dictionnaire de l'Académie alors en vigueur. (Voir Appendice E.)

On pourrait aussi supprimer le double t dans attabler, attacher, attendre, atténuer, attribuer, attrouper, puisqu'on écrit atermoyer, atermoiement, atrophier, atourner.

[blocks in formation]

(1) Par une semblable bizarrerie, on écrit le loisir, au lieu de l'oisir, de otium, d'où nous viennent aussi oisif, oisiveté ; le loriot au lieu de l'oriol, et le lendemain, au lieu de l'endemain. On commet la même faute lorsqu'on écrit l'Alcoran au lieu de le Coran, l'alchimie, l'alcóve; et c'est à tort qu'on a admis dorer, dorure, au lieu de orer, orure, comme on écrit orfévre, orfévrerie.

« PrécédentContinuer »