Pourquoi un double p dans apparaître, appartenir, appesantir, appliquer, apposer, apprêter, apprivoiser, approcher, approbation, approximativement, puisque l'Académie écrit apaiser, apercevoir, aplanir, apetisser, apitoyer, aplatir, aposter, apostiller, apurer, et ne pas écrire, conformément à la prononciation, apauvrir, apesantir, aplaudir, aposer, aporter, aparaître, apareiller, apartenir, apartement, aprentissage, aprêter, apointer, aprécier, apréhender, aprendre, aprofondir, aproprier, aprouver, apuyer? Pourquoi, lorsqu'on écrit avec un seul p: occuper, attraper, grouper, dissiper, mettre deux p à développer, envelopper (Bossuet écrit enveloper), échapper, agripper? On verrait aussi avec plaisir la suppression du double p à appeler la nuance de la prononciation dans certains temps. de ce verbe est si faible qu'elle peut être omise, à l'exemple de tant d'autres plus sensibles en certains mots. Par là on éviterait la difficulté de l'emploi tantôt du double p et du double l, tantôt du seul p ou 7. Le Dictionnaire de l'Académie écrit il appelait et Perrot d'Ablancourt apelloit; dans les anciens manuscrits, apele est écrit avec un seul p, et dans d'autres on lit appelloit. Puisque l'on écrit déprimer, on devrait écrire suprimer et non supprimer; l'affixe su est la contraction de sus et non de super. Il en est de même de supporter, qui ne devrait prendre qu'un seul p. Quelques autres anomalies pourraient disparaître, et puisque l'Académie écrit charretier, gazetier, noisetier, tabletier, desquamation, elle devrait supprimer le double t dans aiguillettier et le double m dans squammeux, enflammer. Dans la première édition, elle a écrit domter. C'est ainsi qu'écrit toujours Bossuet, et cela conformément au Cahier de remarques, qui, au chap. iv, art. 3, dit : « On met un p à « compter et à compte, quand ils signifient supputer, suppu« tation, mais à domter, il n'en faut point. » On devrait donc écrire ainsi et de même exemter, au lieu de exempter. Une manière d'écrire contradictoire à la prononciation aurait à la longue une fâcheuse influence sur le langage. A force de voir les mots ainsi écrits et imprimés, la voix s'habitue à prononcer, surtout dans les provinces et dans les pays étrangers, toutes les lettres dont le son pour l'habitant de Paris s'annule par l'usage d'une prononciation journalière. On peut donc craindre que des mots tels que sculpture, promptitude, doigtier, dompter ne finissent par être prononcés sculpeture, prompetitude, doiguetier, dompeter, au lieu de prononcer sculture, prontitude, doitier, domter. Les lettres doubles n'ont pas toujours fait partie du système orthographique de notre langue; elles sont en général une imitation des procédés grammaticaux du latin classique, dont l'influence se développe à partir du quinzième siècle, comme on peut le voir par le tableau suivant que j'ai dressé d'après trois monuments littéraires très-réguliers pour leur temps et dont je parlerai plus loin : On voit donc par ce tableau que la suppression des doubles consonnes parasites est conforme au génie naturel de notre langue. III DES TIRETS OU TRAITS D'UNION. Les Grecs et les Latins ne divisent pas les mots qui, composés de plusieurs, n'en forment réellement qu'un seul, tels que, en grec, ἀντιπέραν, vis à vis; παράπαν, tout à fait; παραμηρίδια, haut-de-chausses; aρáλoуos, contre-sens; Tapaxpñμa, surle-champ; cúμлay, tout à la fois; aiqvns, tout aussitôt; Teрippony, tout à l'entour. Et de même en latin : adhuc, jusqu'à présent, jusqu'à ce jour; hucusque, jusqu'ici; alteruter, l'un ou l'autre; propemodum, à peu près; propediem, jusqu'à ce jour; ejusmodi, de cette façon; quoadusque, jusqu'à ce que ; quantuluscumque, quelque petit qu'il soit ; nihilominus, néanmoins; verumenimvero, à la vérité. Les Grecs, dans la formation des mots composés, avaient souvent recours à la contraction et même à la suppression de la lettre finale : de ὄψον, όψοφαγία, οψοπώλης; de νόμος, νομοθέτης; dans κορυθαίολος, dans ποδάρκης, dans μονάρχης, il y a même suppression de deux lettres. Quelquefois, pour adoucir la prononciation, le v se change en y, яаɣɣάλɛños. De même les Latins, de postero die, ont fait postridie. Usant du même procédé, nous avons fait de bas bord, bâbord; de bec jaune, béjaune, de contre escarpe, contrescarpe; de contre trouver, controuver; de corps, corsage, corset; de il n'y a guères, naguère; de tous jours, toujours; de la plus part (1), plupart; de passe avant, passayant; de néant moins, néanmoins; de plat (1) L'Académie, dans son Dictionnaire de 1694, écrit tousjours, pluspart. fond, plafond; de plus tôt, plutôt; de vaut rien, vaurien; de sous rire, sourire; de sous coupe, soucoupe, etc.; de ores en avant, est devenu dorénavant (1); à l'entour, alentour, etc. Dans les autres langues, les mots composés ne forment qu'un seul mot, ou, si les traits d'union sont quelquefois admis, ils sont employés de manière à n'offrir aucune difficulté grammaticale. La langue italienne, qui de toutes se rapproche le plus de la nôtre, de plusieurs mots n'en forme qu'un seul (2): acquavita, eau-de-vie (3); affatto, tout à fait; capodopera, chef-d'œuvre : nulladimeno, néanmoins; contuttociò, avec tout cela; conciosiacosachè, conciofossecosachè, puisque, bien que; perlaqual c'est pourquoi; et en espagnol guardacostas, gardecôte; contraprueba, contre-épreuve; guardasellos, garde des Palsgrave, dans son Esclarcissement de la langue francoyse, en 1530, écrivait aulcunefoys, souventes foys, autravers, paradventure, jusqu'adix, jusqu'aumourir. Dans nos anciens manuscrits, on ne voit aucun trait d'union (4), non plus que dans les dictionnaires de Robert Estienne. C'est dans le Dictionnaire de Nicot que je le vois apparaître pour la première fois, en 1573. (1) Ce composé s'est écrit d'abord de ores en avant, puis d'ores en avant, doresenavant, puis doresnavant, dorenavant, et enfin dorénavant. (2) Je me rappelle avoir lu dans Boccace contultosiacosachè. (3) Les Espagnols en ont fait aussi un seul mot: aguardiente, contracté de agua ardiente. (4) « Quant à l'accent enclitique (sorte de trait d'union), disait Dolet en 1540, il n'est point recevable en la langue françoyse, combien qu'aulcuns soient d'aultre opinion. Lesquelz disent qu'il eschet en ces dictions, ie, tu, vous, nous, on, ton. La forme de cest accent est telle,' : par ainsi ilz vouldroient estre escript en la sorte qui s'ensuyt M'attenderai' ie à vous? Feras tu cela? Quand aurons' nous paix? Dict' on tel cas de moy? Voirra' lon iamais ces meschants puniz? Derechef ie t'aduise que cela est superflu en la langue françoyse et toutes aultres : car telz pronoms demeurent en leur vigueur, encores qu'ilz soient postposés à leurs verbes. Et qui plus est, l'accent enclitique ne conuient qu'en dictions indeclinables, comme sont en latin, ne, ve, q', nam. Qu'ainsi soit, on n'escript point en latin en ceste forme: Feram' ego id iniuriæ ? Eris' tu semper tam nullius consilij? Tiens donc pour seur que tel accent n'est propre aulcunement à nostre langue. P |