<«<et me semble qu'elle a grand besoin de reformation : et de re«< mettre en son premier honneur le K et le Z, et faire charactères "nouueaux pour la double N, à la mode des Espagnols, ñ, pour es« crire monseigneur, et une L double pour escrire orgueilleux (1). » Plus tard, en tête de son Abrégé de l'Art poétique, il développe plus énergiquement encore son opinion sur la réforme de l'orthographe française. Et le grand Corneille, trente ans avant le Dictionnaire de l'Académie, proposait et appliquait lui-même une écriture plus conforme à la prononciation, devancé même en cela par l'un de ses prédécesseurs à l'Académie, d'Ablancourt, et surpassé en hardiesse par son collègue Dangeau. (Voir les Appendices B et C.) Cependant, dès l'année 1660, trente-quatre ans avant l'apparition du Dictionnaire de l'Académie, la Grammaire de Port-Royal avait posé les bases de l'accord de l'écriture et de la prononciation; elle voulait : 1° Que toute figure marquât quelque son, c'est-à-dire qu'on n'écrivit rien qu'on ne prononçât; 2o Que tout son fût marqué par une figure, c'est-à-dire qu'on ne prononçât rien qui ne fût écrit; 3° Que chaque figure ne marquât qu'un son, ou simple ou double; 4° Qu'un même son ne fût point marqué par des figures diffé rentes. Pourquoi donc, après de telles prémisses, tant de contradictions qu'on ne saurait justifier et auxquelles l'esprit logique de l'enfance ne se soumet qu'en faisant abandon de cette rectitude de raisonnement qui nous étonne si souvent et nous force d'avouer qu'en fait de langue la raison n'est pas du côté de l'âge mûr? (1) "Tu éviteras toute ORTHOGRAPHIE superflue et ne mettras aucunes lettres en (Abrégé de l'Art poélique, par tels mots, si tu ne les prononces en lisant. Ronsard, édit. de 1561.) Pour quiconque veut approfondir l'étude de la langue française, rien de plus intéressant que d'en suivre les progrès dans les modifications apportées par l'Académie dans les éditions successives de son Dictionnaire. Dans chacune d'elles, en effet, sont enregistrés les changements résultant soit de la suppression de mots surannés, soit de l'introduction de ceux qu'elle jugeait admissibles, soit de modifications apportées dans l'acception des mots et des locutions. Mais pour ne parler ici que de l'orthographe, c'est dans ses variations successives qu'on peut apprécier cette tendance à la simplification dans la forme des mots qui répond au besoin toujours croissant de mieux conformer l'écriture à la rapidité de la pensée. Par ce qui est fait on jugera mieux de ce qui reste à faire. : PREMIÈRE ÉDITION DU DICTIONNAIRE. A l'époque où l'Académie résolut de rédiger son Dictionnaire, deux courants opposés portaient le trouble dans les imprimeries les unes, sous l'influence des Estienne, modelaient leur orthographe sur la langue latine, les autres sur celle de nos vieux poëtes et chroniqueurs. Antérieurement à l'apparition, en 1540, du Dictionnaire de Robert Estienne, on remarque dans nos plus anciens lexiques une orthographe plus simple. Ainsi, dans les glossaires imprimés de 1506 à 1524 (1) je vois les mots lait, laitue, extrait, fait, point, hatif, soudain, etc., écrits comme ils le sont aujourd'hui, tandis qu'Estienne les écrit laict, laictue, extraict, faict, poinct, hastif, soubdain, etc. Son système se propagea dans les Dictionnaires. Cependant, en 1630, se produit un retour vers les principes de «< notre ancienne et nayve écriture » : Philibert Monet (1) Catholicon abbreviatum. lean Lambert, 1506. Vocabularium Nebrissense. 1524. -- Vocabularium latinum, gallicum et theutonicum. Strasbourg, Mathis Humpffuff, 1515. On trouve dans ce petit ouvrage les mots ainsi écrits : emorroïdes, idropisie, sansne, otruche, masson, aguille, aguillon, etc. publie dans son Invantaire des deus langues françoise et latine (1) le dictionnaire de la réforme orthographique, auquel cinquante ans plus tard, Richelet, avec plus de faveur, donne une forme plus complète et plus régulière (2). Tel était l'état des choses, lorsque, après soixante ans de discussion, d'hésitation et d'examen, l'Académie fit paraître son grand travail. L'apparition du PREMIER Dictionnaire de l'Académie, publié en 1694, fut donc un événement, et on ne saurait être trop reconnaissant du service qu'il rendit alors. Frappée du désordre de l'écriture et des impressions (3), l'Académie, pour y remédier, préféra rapprocher l'orthographe française de la forme du latin littéraire, et cela, malgré l'opposition du vieil esprit français, dont, cent ans plus tôt, Ronsard et d'autres membres de sa pléiade s'étaient montrés les représentants. Elle crut, en s'appuyant sur une langue désormais fixée, donner plus de stabilité à notre orthographe; d'ailleurs on était alors sous l'influence encore toute-puissante de la latinité. Cependant ce ne fut pas sans luttes et sans opposition au sein même de l'Académie que prévalut l'écriture dite étymologique. M. Sainte-Beuve, dans son article sur Vaugelas, nous en offre une vive image: (1) P. Monet, de la compagnie de Jésus. Invantaire des deus langues françoise et latine, assorti des plus utiles curiositez de l'un et l'autre Idiome. Lyon, 1635, in-fol. de 6 ff. et 990 pages à 2 colonnes en petit caractère. (2) Richelet, Dictionnaire françois, etc. Genève, Hermann Widerhold, 1680, 2 tom. petit in-4°. Dans l'Avertissement, Richelet dit que c'est à l'imitation de monsieur d'Ablancourt et de quelques autres auteurs célèbres, qu'on a changé presque toujours l'y grec en i simple; qu'on a supprimé la plupart des lettres doubles et inutiles qui ne défigurent pas les mots lorsqu'elles en sont retranchées, comme dans afaire, ataquer, ateindre, dificile, et non pas affaire, attaquer, atteindre, difficile, etc. Et en effet, dès le début, on trouve dans son Dictionabesse, abaïe, abatial, abatre, abé, acabler, acablement. naire : (3) Un seul exemple suffira pour donner une idée des bizarreries et des anomalies de l'orthographe des manuscrits et des impressions : dans une des meilleures éditions du Gargantua de Rabelais (Lyon, François Juste, 1542, in-16), je lis dans le prologue le mot huile écrit en huit lignes de trois manières dif férentes. <«< Chapelain, nous dit-il, parmi les oracles d'alors, est le plus remarquable exemple de cet abus du grécisme et du latinisme en français; il avait pour contre-poids, à l'Académie, Conrart qui ne savait que le français, mais qui le savait dans toute sa pureté parisienne. Chapelain aurait voulu, par respect pour l'étymologie, qu'on gardât la vieille orthographe de charactère, cholère, avec ch, et qu'on laissât l'écriture hérissée de ces lettres capables de dérouter à tout moment et d'égarer en ce qui est de la prononciation courante. Il trouvait mauvais qu'on simplifiât l'orthographe de ces mots dérivés du grec, par égard pour les ignorants et les idiots, car c'est ainsi qu'il appelait poliment, et d'après le grec, ceux qui ne savaient que leur langue. Vaugelas faisait le plus grand cas, au contraire, de ces idiots, c'est-à-dire de ceux qui étaient nourris de nos idiotismes, des courtisans polis et des femmelettes de son siècle, comme les appelait Courier; il imitait en cela Cicéron qui, dans ses doutes sur la langue, consultait sa femme et sa fille, de préférence à Hortensius et aux autres savants. Moins on a étudié, et plus on va droit dans ces choses de l'usage on se laisse aller, sans se roidir, au fil du courant. « Pour moi, disait Vaugelas, je révère la vénérable antiquité et les sentiments des doctes; mais, d'autre part, je ne puis que je ne me rende à cette raison invincible, qui veut que chaque langue soil maîtresse chez soi, surtout dans un empire florissant et une monarchie prédominante et auguste comme est celle de la France (1). » Et en effet, si l'on examine l'écriture des mots qui figurent dans cette première édition, en la comparant à celle des Ca-. hiers de Remarques sur l'orthographe françoise pour estre examinez par chacun de Messieurs de l'Académie (2), on voit que la compagnie, en les écrivant plus simplement, montrait déjà plus de réserve et de discernement dans l'emploi des formes étymologiques que ne l'avait fait le secrétaire perpétuel Re (1) Nouveaux Lundis, t. VI, p. 372. (2) Tels que appast, charactere, chameleon, espleuré, écrit ensuite par l'Académie espleuré et esploré, puis éploré, estester (étêter), despourveüe, desgaisner, despescher, desvoyement, phanatique, pyrale, allité, desboesté, que l'Académie écrivit d'abord déboisté, puis déboité dans la troisième édition. gnier des Marais dans les Cahiers préparatoires dont il fut l'un des principaux rédacteurs. L'influence de Regnier des Marais « qui avoit employé « à cet édifice (la grammaire ordonnée par la compagnie) cin« quante ans de reflexions sur nôtre langue, la connoissance « des langues voisines et trente quatre ans d'assiduité dans les assemblées de l'Académie, où il avoit presque toûjours << tenu la plume» (1), devait naturellement prédominer dans la rédaction du Dictionnaire. Une volonté aussi persévérante, le service réel qu'il rendait en se chargeant de la rédaction difficile de la grammaire dont la société lui avait confié le soin, finirent par l'emporter sur les opinions contraires et les scrupules de ses illustres confrères, parmi lesquels nous voyons Dangeau et d'Ablancourt protester par leurs écrits en adoptant un système entièrement opposé. D'autres membres de l'Académie, tels que Corneille, Bossuet, montrent aussi par leur écriture conservée dans leurs manuscrits qu'ils auraient préféré une orthographe plus simple et plus rapprochée de la forme française. (Voir l'Appendice E.) Le courant de la latinité prédomina donc, et l'Académie, pour élever son grand monument littéraire, crut même devoir se conformer à l'exemple donné par les érudits, en adoptant, pour le classement des mots du Dictionnaire, l'ordre savant mais peu pratique dont Robert et Henri Estienne offraient le modèle dans leurs Trésors de la langue latine et de la langue grecque. Les mots rangés, non selon l'ordre alphabétique, mais par familles, furent groupés autour de la racine (2). (1) Le P. Buffier, dans les Mémoires de Trévoux, t. XXI, p. 1642. (2) A cette édition en deux volumes datée de 1694 se trouvent joints deux autres volumes, même format et même caractère, portant la même date 1694, Sous ce titre : Le Dictionnaire des arts et des sciences, par M. D. C. de l'Académie françoise; tome troisième et tome quatrième, chez la veuve Coignard et Baptiste Coignard. Le privilége, daté du 7 septembre 1694, est concédé au sieur D. C. de l'Académie française (et rétrocédé par lui à la veuve Coignard et à son fils J.-Baptiste |