V SYLLABES TI, TION. Au moyen d'un simple signe adapté à la lettre t, comme Geofroy Tory l'a fait le premier pour la lettre c, lui donnant, par l'apposition de la cédille, le son exceptionnel du s, bien des difficultés de prononciation seraient épargnées aux étrangers ainsi qu'aux enfants; et l'Académie ne serait plus obligée, dans son Dictionnaire, de répéter continuellement : « Dans ce mot, t suivi de i se prononce comme c dans ci,» indication fréquemment reproduite, mais qu'on lui reproche d'avoir oubliée dans plus de cent endroits. Cette syllabe ti, qu'on doit prononcer ci, est une cause de telles difficultés pour la lecture et l'écriture, qu'il semble indispensable d'adopter un système régulier, soit en remplaçant le t par cous, comme l'a fait l'Académie dans certains mots, soit en plaçant une cédille sous le t, ainsi qu'on le fait depuis le milieu du seizième siècle pour le c. En sorte que, de même qu'on écrit flacon et façon, gascon et garçon, on écrirait : nous acceptions et les accepțions, pitié et inerţie, inimitié et facéție, amitié et primație, chrétien et Capétiens, etc. Déjà l'Académie a substitué quelquefois le c au t; elle écrit négociation, qui, conformément à l'étymologie, aurait dû être écrit négotiation, puisqu'elle écrit initiation, pétition, propitiation (1). Ailleurs elle écrit sans motif il différencie et il balbutie, chiromancie et démocratie, circonstanciel et pestilentiel. (1) Elle se trompe même en indiquant ainsi la prononciation de ce mot : « On prononce propiciation. » L'Académie, qui a écrit par un t les dix adjectifs suivants : ambitieux, captieux, contentieux, dévotieux, factieux, facétieux, minutieux, prétentieux, séditieux, superstitieux, écrit par un c les treize autres que voici : avaricieux, consciencieux, disgracieux, gracieux, licencieux, malgracieux, malicieux, précieux, révérencieux, sentencieux, silencieux, spacieux, vicieux les uns et les autres, indistinctement, ont en latin un t, vitiosus, pretiosus (1), etc. Pourquoi cette distinction ? En modifiant l'orthographe des dix premiers, tous les adjectifs de cette catégorie terminés en IEUX seraient écrits et prononcés uniformément, comme avaricieux, capricieux, délicieux. Peut-être conviendrait-il, pour treize substantifs ayant tie pour désinence: argutie, calvitie, diplomatie, facétie, impéritie, ineptie, inertie, minutie, onirocritie, primatie, prophé lie, suprématie, et pour les quatre mots terminés par cratie : aristocratie, bureaucratie, démocratie, ochlocratie, de les écrire avec la désinence CIE, comme l'a fait l'Académie pour chiromancie, rabdomancie. Alors il n'y aurait plus d'exception pour l'ensemble des mots se terminant en CIE, comme pharmacie, superficie, alopécie et esquinancie, que Henri Estienne, à sa table des mots dérivés du grec, renvoie avec raison à squinancie. Il en est de même de circonstanciel, que l'Académie écrit par un c; mais elle écrit confidentiel, différentiel, pestilentiel, substantiel, obédientiel, et cependant ces mots dérivent de confiance, différence, pestilence, substance, obédience, comme circonstanciel dérive de circonstance. Par la même raison, essentiel devrait s'écrire essenciel. On pourrait donc écrire uniformément les mots dont la désinence est en CIEL. (1) Le mot prétieuses est ainsi écrit dans le Dictionnaire de Somaize (1661), mais l'Académie, en 1694, remplaçant le t par un c, écrit les précieuses, et déjà en 1420, le Dictionnaire de Le Ver, où souvent les mots latins sont orthographiés conformément à la prononciation française, écrivait avec un c les mots preciosus, preciolus, preciose, preciositas, qu'il traduit par precieusement, precieusetes. Ainsi, pour ces diverses séries de mots prononcés en cion, en cieux, en cie et en ciel, le c ayant déjà été employé quelquefois par l'Académie à la place du t, on pourrait adopter uniformément la lettre c. Par là bien des difficultés et des règles de grammaire seraient supprimées. Quant aux autres séries de mots où ti figure, peut-être conviendrait-il de préférer le au c: tels sont les mots écrits exactement de même, mais qui changent de signification et de prononciation, du moment où ils ne sont plus des verbes à la première personne du pluriel de l'imparfait de l'indicatif. La cédille, placée sous le t comme on le fait pour le c lorsqu'il prend le son de s, ferait cesser cette confusion injustifiable. Il deviendrait aussi facile de distinguer les acceptions de nous acceptions, les adoptions de nous adoptions, et de discerner et de prononcer les deux ti, soit ti et ţi (ci), qu'il l'est de ne pas confondre les deux sons du c dans commerçant et traficant, dans reçu et recueillir. Les deux verbes initier et balbutier seraient aussi écrits par f. Quelle difficulté, je ne dirai pas de distinguer (il n'y a pas de distinction possible), dans la foule des mots où se trouvent les deux lettres ti, ceux où il faut les prononcer soit ti, soit ci: amitié, pitié, inimitié, chrétien, moitié, épizootie (1), et : initié, inertie, imitation, Capétiens, facétie, primatie! Pourquoi supportions et action, argentier et différentier, abricotier et balbutier? Qui d'entre nous sait comment il faut prononcer antienne? : Resteraient les autres mots terminés en TION : dentition, partition, pétition (2), où le premier ti doit se prononcer ti et le second ci. On écrirait donc dentition, partiţion, pétition, propitiation, et de même tous les mots dérivés de la première conjugaison latine, abdicare, abdicatio, abdication, et ceux de la quatrième conjugaison latine, audire, audițio, audition (le nombre en est minime). Ceux, en si grand nombre, appartenant aux deux autres conjugaisons latines ont leur désinence en tion, sion, ssion et cion. Si l'on pouvait adopter une forme, la même pour tous, sion, ce serait préférable, car, pour pouvoir distinguer ces désinences diverses, il faut savoir le latin. Cet emploi du ferait cesser ļ de nombreuses incertitudes. (1) L'Académie n'indique pas la prononciation de ce mot. (2) Contrairement aux règles de la grammaire, le premier ti dans ce mot, et dans les cinq autres, épizootie, étiage, élier, étiolement, étioler, se prononce li, bien que placé entre deux voyelles. (3) Racine, ainsi qu'on peut le voir au manuscrit autographe de la Bibliothèque impériale, écrivait avec raison pretension (en latin prætensio), et, en effet, nous écrivons tension. Nous devrions donc écrire de même attension que Bossuet écrit atantion. On trouve néanmoins dans Du Cange un exemple de prætentio. De tous ces mots de la troisième conjugaison latine, prétention est le seul auquel l'Académie ait conservé le t, parce que les Latins l'ont employé exceptionnellement dans ce mot. Mais puisqu'ils écrivent infusio et nous infusion, quelle différence y a-t-il entre prætendere et infundere qui puisse justifier cette contradiction? Je croyais avoir émis le premier cette idée fort simple de l'emploi du t cédille, f, mais j'étais devancé par Port-Royal, qui propose dans le même but de placer un point sous le t. La cédille sous le t se trouve même mise en pratique à Amsterdam en 1663 par Simon Moinet, le correcteur des Elzeviers (1), ce qui prouve que l'idée en est bonne et très-praticable. (1) La Rome ridicule du sieur de Saint Amant travéstië u la nouvelle ortografe; pure invdnţion de Simon Moinét, Parisün. Amsterdam, aus dêpans é de l'imprimerie de Simon Moinêt, 1663, in-12. |