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VI

DE L'Y GREC.

Cette lettre, dont l'emploi abusif foisonne dans les manuscrits français et les impressions gothiques de la fin du quinzième siècle et du commencement du seizième, et jusque dans la première édition du Dictionnaire de l'Académie, devrait être ramenée exclusivement à son véritable emploi, le remplacement du double i, exemples: atermoyer, ayons, citoyen, crayon, moyen, octroyer, pays, voyez.

Dès ses premières éditions, l'Académie fit disparaître un grand nombre d'y faisant fonction d'i simples, au grand déplaisir des scribes qui se complaisaient à l'employer comme un ornement calligraphique, et aussi pour remédier à la confusion que l'i, simple jambage, laissait dans l'ancienne écriture lorsque, à côté des autres jambages des m, n, ou u, il n'était pas surmonté du point, confusion que l'on remarque dans la plupart des diplômes et des manuscrits antérieurs à l'époque de la Renaissance.

Elle élimina même successivement l'y dans un certain nombre de mots où l'étymologie l'eût réclamé. Tels sont abyme, alchymie, amydon, anévrysme, chymie, cyme, colysée, crystal, gyratoire, satyrique (écrit), et tant d'autres, qu'on écrit aujourd'hui abîme, amidon, anévrisme, chimie, cime, colisée, cristal, giratoire, satirique, etc. Dans sa cinquième édition, analise, analiser, analitique, ayant été ainsi écrits dans les ouvrages imprimés alors, ces mots se produisirent sans y; mais l'Académie dans la sixième édition ayant rétabli analyse

et analyser, les imprimeries durent se conformer à ce retour à l'ancienne orthographe, de même qu'elles rétabliront l'i si l'Académie en donne de nouveau l'exemple dans la nouvelle édition qu'elle prépare.

Puisque les Latins n'ont pas conservé dans silva le ou y grec de λn, pourquoi écrivons-nous encore sylvain, sylvestre, tandis que nous avons saint Silvestre? Pourquoi hyémal, lorsqu'on écrit hivernäl et hiver, également dérivés de hiems? Dans l'ancien français on écrivait même iver et iverner.

Ne pourrait-on pas adopter l'i au lieu de l'y dans certains mots d'un usage assez général, comme anonyme, apocryphe, asphyxie, cacochyme, cataclysme, chyle, chyme (à cause de chimie), clysoir, clystère, collyre, cycle, cygne, cynisme, cyprès, gymnase, mystère (Bossuet écrit mistère et mistique), oxyde, oxygène, style (1), syllabe, symétrie, symphonie, syndicat, syncope, syphilis, système, type, tyran (Bossuet écrit tiran) (2), etc.?

Ce serait un pas de plus vers une réforme plus complète, telle que celle que l'Académie de Madrid vient d'accomplir en 1859, en repoussant l'y pour le remplacer partout par l'i simple (3).

La présence simultanée de l'y et de l'i dans un certain nombre de mots de notre langue offre parfois de l'embarras à des personnes instruites, à des savants même, qui craignent, avec quelque raison, qu'un lapsus momentané de mémoire ne

(1) Les Latins écrivent stilus par un i; il est vrai que ce mot dérive de orúλog, qui en grec signifie colonne, d'où le báton; puis le stylus, poinçon dont la tige est arrondie et pointue à l'un des bouts pour écrire sur la cire, et au figuré le style. Mais y a-t-il motif de se glorifier de ces curiosités scientifiques? Ce sont des jeux d'esprit et de mémoire qui portent le trouble dans l'orthographe bien inutilement. L'Académie écrit mirmidon, en indiquant que quelques-uns écrivent myrmidon, et cariatides, bien que l'orthographe grecque et latine eût exigé caryatides.

(2) Dans le Dictionnaire de Le Ver, composé en 1420, mistere, tiran, sont aussi écrits sans .

(3) Promptuario de ortografía de la lingua española despuesto de real órden para del uso de las escuelas públicas, por la real Academia española, 1866.

les fasse accuser d'ignorance par des personnes peu bienveillantes.

Il suffira de citer les mots suivants dans lesquels la ressemblance des syllabes est loin d'être un secours :

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Quelques mots où l'y ne provient ni du français ni du grec pourraient être ramenés aux règles de notre orthographe, tels sont jockey, jury, tilbury, yacht, yatagan, yeuse, qui paraîtraient avec avantage écrits par un i à la manière française; ce qui se fait déjà pour quelques-uns d'entre eux, juri, jockei. Une longue prescription peut seule faire tolérer le pluriel de œil, écrit autrefois plus régulièrement ieux.

(1) Ce mot devrait pour satisfaire à l'étymologie être écrit acoluthe, puisque nous avons anacoluthe.

VII

DE LA LETTRE g.

Puisque l'on a adopté, dans la typographie moderne, la forme g (1) à laquelle l'œil est aussi habitué qu'à celle du g romain et à la forme du g italique, on devrait l'utiliser pour figurer le g dur, comme dans figure, envergure, en la distinguant par un point sur la branche j pour indiquer que le g ainsi marqué prend le son doux dans les mots gagure, mangure, vergure, chargure, égrugure, ainsi que l'avait déjà proposé de Wailly, et dès lors on écrirait ces mots sans la lettre parasite e, puisque l'on ne prononce pas eu dans gageure, comme dans demeure, effleure, pleure.

Cette forme du g, g, pour rendre le son du g doux, serait d'autant mieux appropriée à cet office qu'elle contient comme élément la lettre j. On écrirait donc avec le g doux gagure, mangure, vergure, affligant, exigant, rougatre, orangade, et, conformément à la prononciation, le g dur serait employé pour les mots figure, envergure, gage, gorger.

Par cette légère modification, on aurait le double avantage de ne présenter à l'œil rien de choquant et d'inusité, et d'épargner l'emploi de l'e, si fàcheusement mis en usage

(1) Dans ce chapitre et le précédent on a fait emploi du g conformément à plusieurs éditions imprimées avec cette forme du g par Pierre et Jules Didot, et employée dans notre imprimerie pour la belle édition en douze vol. de Corneille, éditée par Lefèvre. Du moment où le g a été remplacé généralement dans les caractères italiques par la forme plus simple du g, ce même changement doit s'opérer pour les caractères romains; on évitera ainsi deux formes différentes pour la même lettre,

pour rendre au g dur, devant les voyelles a, o, u, le son du j. A moins qu'on ne préférât remplacer le g doux par le j, comme on l'a souvent proposé, et comme il l'a été dans le mot donjon, écrit dongeon et dongon dans le Procès de la Pucelle. On écrit, en effet, jumeaux et gémeaux, jambe et gigue, enjamber et dégingandé, jambon et regimber; de même que du latin gaudere, gaudium, on a fait joie, joyeux, réjouir; de gena, joue; de magis, majeur, majesté, bien qu'on écrive magistrat, et par contre de juniperus on a fait genévrier. En 1240, ego s'écrivait ge que nous avons remplacé par je (1). D'après ces exemples, on pourrait donc écrire jujer, gajure, verjure, gaje.

Pourquoi traduire jacens et hic jacet par gissant et ci-gît, au lieu de jissant et ci-ji, et écrire genièvre au lieu de jenièvre, en latin juniperus? On écrivait autrefois avec raison jesier, du latin jecur; pourquoi gésier?

Il est fâcheux de voir ainsi écrits les mots :

abstergent et affligeant

astringent et assiégeant

contingent et dérogeant
convergent et changeant

diligent et désobligeant

négligent et obligeant
indulgent et outrageant
indigent et partageant

En écrivant affligant, exigant, nagant, partagant, dirigant, au lieu de affligeant, exigeant, nageant, partageant, dirigeant, on simplifierait l'orthographe déjà si compliquée des mots terminés en ANT, et l'on pourrait écrire obligance, comme on devrait écrire négligance.

Avant l'emploi de la cédille placée sous le ç, on était forcé, pour éviter qu'on prononçât commencons, d'écrire nous commenceons, comme nous écrivons gageure en ajoutant un e. La cédille ayant rendu inutile cette addition de l'e à la suite du c, l'e dans commenceons fut supprimé (2).

(1) Cette orthographe ge domine encore dans les manuscrits du Roman de la Rose, ainsi que j'ai pu le constater dans les manuscrits que je possède; plus tard, surtout en Picardie, le j a remplacé le g.

(2) Si cette distinction du g dur et du g doux était admise, l'usage bien distinct

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