ET TRENTE-DEUXIEME SEMAINE. DELA SECONDE ANNÉE DE LA FEUILLE VILLAGEOISE. Jeudi 3 Mai 1792. ENCORE SUR LA GUERRE. Lagu A guerre est décrétée; la guerre étoit inévitable; la guerre étoit déjà commencée. Est-il quelqu'un qui doute de la mortelle inimitié que nous ont jurée tous les gouvernemens. Notre révolution est un exemple, et notre constitution un modèle pour tous les peuples. Cet exemple et ce modèle, ils seront suivis et imités dans toute l'Europe, s'ils peuvent subsister en France. En faut-il davantage pour que tous les princes absolus joignent leurs forces pour anéantir la liberté française, pour rétablir chez nous ce despotisme qu'ils veulent perpétuer chez eux ? La conjuration des puissances, long-temps obscure et secrète, s'est enfin déclarée. Déjà on nous imposoit des conditions; déjà on les appuyoit par des menaces. Ces conditions sont déshonorantes et destructives de notre constitution. Ces menaces sont accompa gnées de préparatifs qui annoncent une attaque prochaine. Falloit-il accepter bassenent ces conditions? falloit il endurer honteusement ces menaces? devionsnous dédaigner ces préparatifs? devions-nous leur lais Quatrième partie. 2 1 ser l'attaque? Pendant que nos adversaires s'armoient et se fortifioient, devions nous continuer à nous épuiser? S'ils négocioient encore, c'est parce qu'ils ne pouvoient encore agir. Devions-nous les attendre? Quoi! vous avez un voisin bien connu pour votre ennemi, il s'élève un débat entre vous. Tout en disant qu'il veut accommoder l'affaire, le voilà qui charge son fusil, puis il l'arme, puis il vous couche en joue. Attendrez-vous qu'il vous ait foudroyé, ou bien fondrez-vous sur lui avant qu'il ait tiré? Telle étoit la situation du peuple francais. Les intentions de nos ennemis étoient manifestes : leur marche devenoit de jour en jour plus formidable. Que pouvoient faire nos représentans? Ce que le bon sens conseille; c'est-à-dire, repousser une agression lente et déguisée, par une attaque franche et prompte; abréger la guerre en la précipitant. Ainsi la nécessité de la guerre étoit bien prouvée. Maintenant doutez-vous qu'elle soit juste autant que nécessaire ? Il me faut point qu'il reste un seul nuage sur cette vérité. Bon peuple des campagnes qui, avez si généreusement envoyé vos frères et vos fils soutenir P'honneur et la liberté du pays, il faut que vous sachiez qu'ils vont combattre pour la cause la plus pure et la plus légitime. Un ancien roi de Sparte, Agésilas, disoit: Je ne connois de frontière que la pointe d'une lance. C'étoit bien le langage du chef d'un peuple ignorant et féroce, qui ne reconnoissoit d'autre droit que celui de la violence. Pompée au contraire disait: Là où se trouve la justice; la est marquée la frontière de ma république sage. Ce discours convenoit au citoyen d'une nation libre et éclairée. Cette maxime est la devise des nouveaux français. Aujourd'hui qu'ils franchissent leurs frontières, la justice marche devant eux. C'est elle qui a dicté le manifeste national que nous publions. Que l'univers le lise; nul homme sincère, amiou ennemi ne pourra démentir les vérités qu'il renferme. Citoyens, méditez-le profondément; il vous convaincra; il vous enflammera; il élevera vos ames. En le lisant, vous aimerez mieux votre patrie; vous vous aimerez mieux vous mêmes, et sur-tout vous jurerez une implacable haîne à tous les tyrans. Le philosophe CONDORCET est l'auteur de cette pièce éloquente et lumineuse. MANIFESTE NATIONAL; Ou exposition des motifs qui ont déterminé l'assemblée nationale à décréter la guerre. Forcée de consentir à la guerre par la plus impérieuse nécessité, l'assemblée nationale n'ignore pas qu'on l'accusera de l'avoir volontairement accélérée ou provoquée. Elle sait que la marche insidieuse de la cour de Vienne n'a eu d'autre objet que de donner une ombre de vraisemblance à cette imputation, dont les puissances étrangères ont besoin pour cacher à leurs peuples les motifs réels de l'attaque injuste préparée contrela France; elle sait que ce reproche sera répété par les ennemis intérieurs de notre constitution et de nos lois, dans l'espérance criminelle de ravir la bienveillance publique aux représentans de la nation. Une exposition simple de leur conduite est leur unique réponse, et ils l'adressent avec une confiance égale aux étrangers et aux Français, puisque la nature a mis au fond du cœur de tous les hommes les sentimens de la même justice. Chaque nation a seule le pouvoir de se donner des lois, et le droit inaliénable de les changer. Ce droit n'appartient à aucune, ou leur appartient à toutes avec une entière égalité; l'attaquer dans une seule, c'est déclarer qu'on ne la reconnoît dans aucune autre; vouloir la ravir par la force à un peuple étranger, c'est annoncer qu'on ne le respecte pas dans celui dont on est le citoyen ou le chef, c'est trahir sa patrie, c'est se proclamer l'ennemi du genre humain. La nation française devoit croire que des vérités si simples seroient senties par tous les princes, et que, dans le dix-huitième siècle, personne n'oseroit leur opposer les こ vicillas maximes de la tyrannie. Son espérance a été trompée; une ligue a été formée contre son indépendance, et elle n'a eu que le choix d'éclairer ses ennemis sur la justice de sa cause, ou de leur opposer la force des armes. Instruite de cette ligue menaçante, mais jalouse de conserver la paix, l'assemblée nationale a d'abord demandé quel étoit l'objet de ce concert entre des puissances si long-temps rivales, et on lui a répondu qu'il avoit pour motifle maintien de la tranquillité générale, la sûreté et l'honneur des couronnes, la crainte de voir se renouveler les événemens qu'ont présentés quelques époques de la révolution française. Mais comment la France menaceroit-elle la tranquillité générale, puisqu'elle a pris la résolution solemnelle de n'entreprendre aucune conquête, de n'attaquer la liberté d'aucun peuple, puisqu'au milieu de cette lutte longue et sanglante qui s'est élevée dans les Pays-Bas et dans les Etats de Liège (1) entre les gouvernemens et les citoyens, elle a gardé la neutralité la plus rigoureuse? Sans doute la nation française a prononcé hautement que la souveraineté n'appartient qu'au peuple, qui, borné dans l'exercice de sa volonté suprême, par les droits de la postérité, ne peut déléguer de pouvoir irrévocable; sans doute elle a hautement reconnu qu'aucun usage, aucune loi expresse, aucun consentement, aucune convention ne peuvent soumettre une société d'hommes à une autorité qu'ils n'auroient pas le droit de reprendre. Mais quelle idée les princes se feroient-ils donc de la légitimité de leur pouvoir, ou de la justice avec laquelle ils l'exercent, s'ils regardoient l'énonciation de ces maximes comme une entreprise contre la tranquillité de leurs Etats ? Diront ils que cette tranquillité pourroit être troublée par les écrits, par les discours de quelques Français ? Ce seroit alors exiger, à main armée, une loi (1) En 1789 et 17gu. contre la liberté de la presse; ce seroit déclarer la guerre aux progrès de la raison; et quand on sait que par-tout la nation française a été impunément outragée; que les presses des pays voisins n'ont cessé d'inonder nos départemens d'ouvrages destinés à solliciter la raison, à conseiller la révolte; quand on se rappelle les marques de protection ou d'intérêt prodiguées à leurs auteurs, croira-t-on qu'un amour sincère de la paix, et non la haîne de la liberté, ait dicté ces hypocrites reproches? On a parlé de tentatives faites par des Français pour exciter les peuples voisins à briser leurs fers, à réclamer leurs droits. Mais les ministres qui ont répété ces imputations, sans oser citer un seul fait qui les appuyat, savoient combien elles étoient chimériques; et ces tentatives, eussent-elles été réelles, les puissances qui ont souffert les rassemblemens de nos émigrés, qui leur ont donné des secours, qui ont reçu leurs ambassadeurs, qui les ont publiquement admis dans leurs conférences, qui ne rougissent point d'appeler les Français à la guerre civile, n'auroient pas conservé le droit de se plaindre, ou bien il faudroit dire qu'il est permis d'étendre la servitude, et criminel de propager la liberté; que tout estlégitime contre les peuples; que les rois seuls ont de véritables droits; et jamais l'orgueil du trône n'auroit insulté avec plus d'audace à la majesté des nations. Le peuple français, libre de fixer la forme de sa constitution, n'a pu blesser, en usant de ce pouvoir, ni la sûreté, ni l'honneur des couronnes étrangères. Les chefs des autres pays mettroient-ils donc au nombre de leurs prérogatives le droit d'obliger la nation française à donner au chef de son gouvernement un pouvoir égal à celui qu'eux-mêmes exercent dans leurs Etats? voudroient-ils, parce qu'ils ont des sujets, empêcher qu'il existât ailleurs des hommes libres ? et comment n'apercevroient-ils pas qu'en se permettant tout pour maintenir ce qu'ils appellent la sûreté des couronnes, ils déclarent légitime tout ce qu'une nation pourroit entreprendre en faveur de la liberté des autres peuples ? N°. 32. Seconde année. F3 |