Si des violences, si des crimes ont accompagné quelques époques de la révolution française, c'étoit aux seuls dépositaires de la volonté nationale qu'appartenoit le pouvoir de les punir, ou de les ensevelir dans l'oubli. Tout citoyen, tout magistrat, quel que soit son titre, ne doit demander justice qu'aux lois de son pays, ne peut l'attendre que d'elles. Les puissances étrangères, tant que leurs sujets n'ont pas souffert de ces événemens, ne peuvent avoir un juste motif, ni de s'en plaindre, ni de prendre des mesures hostiles pour en empêcher le retour. La parenté, l'alliance personnelle entre les rois, ne sont rien pour les nations; esclaves ou libres, des intérêts communs les unissent; la nature a placé leur bonheur dans la paix, dans le secours mutuel d'une douce fraternité; elle s'indigneroit qu'on osât mettre dans une même balance le sort de vingt millions d'hommes, et les affections ou l'orgueil de quelques individus. Sommes-nous donc condamnés à voir encore la servitude volontaire des peuples entourer de victimes humaines les autels des faux dieux de la terre ? Ainsi, ces prétendus motifs d'une ligue contre la France n'étoient tous qu'un nouvel outrage à son indépendance. Elle avoit droit d'exiger une renonciation à des préparatifs injurieux, et d'en regarder le refus comme une hostilité. Tels ont été les principes qui ont dirigé les démarches de l'assemblée nationale. Elle a continué de vouloir la paix ; mais elle devoit préférer la guerre à une patience dangereuse pour sa liberté; elle ne pouvoit se dissimuler, que des changemens dans la constitution que des violations de l'égalité qui en est la base, étoient l'unique but des ennemis de la France; qu'ils vouloient la punir d'avoir reconnu dans toute leur étendue les droits communs à tous les hommes; et c'est alors qu'elle a fait ce serment, répété par tous les Français, de périr plutôt que de souffrir la moindre atteinte, ni à la liberté des citoyens, ni à la souveraineté du peuple, ni, sur-tout, à cette égalité sans laquelle il n'existe pour les sociétés ni justice, ni bonheur. Reprocheroit-on aux Français de n'avoir pas assez respecté les droits des autres peuples, en n'offrant que des indemnités pécuniaires, soit aux Allemands possessionnés en Alsace, soit au pape. Les traités avoient reconnu la souveraineté de la France sur l'Alsace, et elle y étoit paisiblement exercée depuis plus d'un siècle. Les droits que ces traités avoient reservés, n'étoient que des privilèges. Le sens de cette réserve étoit donc, que les possesseurs des fiefs d'Alsace les conserveroient avec leurs anciennes prérogatives, tant que les lois générales de la France souffriroient les différentes formes de la féodalité. Cette réserve signifioit encore que si les prérogatives féodales étoient enveloppées dans une ruine commune, la nation devroit un dédommagement aux possesseurs, pour les avantages réels qui en étoient la suite; car c'est-là tout ce que peut exiger le droit de propriété, quand il se trouve en opposition avec la loi, en contradiction avec l'intérêt public. Les citoyens de l'Alsace sont Français, et la nation ne peut, sans honte et sans injustice, souffrir qu'ils soient privés de la moindre partie des droits communs à tous ceux que le nom de Français doit également protéger. Dira-t-on qu'on peut, pour dédommager ces princes, leur abandonner une portion de territoire? Non: une nation généreuse et libre ne vend point des hommes; elle ne condamne point à l'esclavage, elle ne livre point à des maîtres ceux qu'elle a une fois admis au partage de sa liberté. Les citoyens des Comtats (1) étoient les maîtres de se donner une constitution: ils pouvoient se déclarer indépendans, ils ont préféré d'être Français, et la France ne les abandonnera point, après les avoir adoptés. Eût-elle refusé d'accéder à leurs désirs, leur pays est enclavé dans son territoire, et elle n'auroit (1) Avignon et le Comtat Venaissin, que le roi de Hongrie nous propose de rendre au pape, ainsi que les droits féodaux aux princes allemands. Quelle derision! 1 pu permettre à leurs oppresseurs de traverser la terre de la liberté, pour aller punir des hommes d'avoir osé se rendre indépendans et reprendre leurs droits. Ce que le pape possédoit dans ce pays étoit le salaire des fonctions du gouvernement: le peuple, en lui ôtant ses fonctions, a fait usage d'un pouvoir qu'une longue servitude avoit suspendu, mais n'avoit pu lui ravir, et l'indemnité proposée par la France n'étoit pas même exigée par la justice. Ainsi, ce sont encore des violations du droit naturel qu'on ose demander au nom du pape et des possessionnés d'Alsace; c'est encore pour les prétentions de quelques hommes qu'on veut faire couler le sang des nations; et si les ministres de la maison d'Autriche avoient voulu déclarer la guerre à la raison au nom des préjugés, au peuple au nom des rois, ils n'auroient pu tenir un autre langage. On a fait entendre que le vœu du peuple français, pour le maintien de son égalité et de son indépendance, étoit celui d'une faction : mais la nation française a une constitution; cette constitution a été reconnue, adoptée par la généralité des citoyens; elle ne peut être changée que par le vœu du peuple, et suivant des formes qu'elle-même a prescrites. Tant qu'elle subsiste, les pouvoirs établis par elle ont seuls le droit de manifester la volonté nationale; et c'est par eux que cette volonté a été déclarée aux puissances étrangères. C'est le roi qui, sur l'invitation de l'assemblée nationale, et en remplissant les fonctions que la constitution lui attribue, s'est plaint de la protection accordée aux émigrés, a demandé inutilement qu'elle leur fût retirée ; c'est lui qui a sollicité des explications sur la ligue formée contre la France; c'est lui qui a exigé que cette ligue fût dissoute. Et l'on doit s'étonner, sans doute, d'entendre annoncer, comme le cri de quelques factieux, le vœu solemnel du peuple publiquement exprimé par ses représentans légitimes. Quel titre respectable pourroient donc invoquer ces rois qui forcent des nations égarées à combattre contre les intérêts de leur propre liberté, et à s'armer conue des droits qui sont aussi les leurs, à étouffer sous les débris de la constitution française, les germes de leur propre félicité et les communes espérances du genre humain. Et d'ailleurs, qu'est-ce qu'une faction qu'on accuseroit d'avoir conspiré la liberté universelle du genre humain? C'est donc l'humanité tout entière que des ministres esclaves osent flétrir de ce nom odieux. Mais, disent-ils, le roi des Français n'est pas libre. Eh! n'est-ce donc pas être libre, que de dépendre des lois de son pays? La liberté de les contrarier, de s'y soustraire, d'y opposer une force étrangère, ne seroit pas un droit, mais un crime. Ainsi, en rejetant toutes ces propositions insidieuses, en méprisant ces indécentes déclamations, l'assemblée nationale s'étoit montrée, dans toutes les relations extérieures, aussi amie de la paix que jalouse de la liberté du peuple. Ainsi, la continuation d'une tolérance hostile pour les émigrés, la violation ouverte des promesses d'en disperser les rassemblemens, le refus de renoncer à une ligue évidemment offensive, les motifs injurieux de ces refus, qui annonçoient le désir de détruire la constitution française, suffisoient pour autoriser des hostilités qui n'auroient jamais été que des actes d'une défense légitime; car ce n'est pas attaquer que de ne pas donner à notre ennemi le temps d'épuiser nos ressources en longs préparatifs, de tendre tous ses pièges, de rassembler toutes ses forces, de resserrer ses premières alliances, d'en chercher de nouvelles, d'acheter encore des intelligences au milieu de nous, de multiplier dans nos provinces les conjurations et les complots. Mérite-t-on le nom d'agresseur, lorsque, menacé, provoqué par un ennemi injuste et perfide, on lui enlève l'avantage de porter les premiers coups ? Ainsi, loin d'appeler la guerre, l'assemblée nationale a tout fait pour la prévenir. En demandant des explications nouvelles sur des intentions qui ne pouvoient être douteuses, elle a montré qu'elle ne renonçoit qu'avec douleur à l'espoir d'un retour vers la justice; et que si l'orgueil des rois est prodigue du sang de leurs sujets, Thn manité des représentans d'une nation libre est avare, même du sang de ses ennemis. Insensible à toutes les provocations, à toutes les injures, au mépris des anciens engagemens, aux violations des nouvelles promesses, à la dissimulation honteuse des trames ourdies contre la France, à cette condescendance perfide, sous laquelle on cachoit les secours, les encouragemens prodigués aux Français qui ont trahi leur patrie, elle auroit encore accepté la paix, si celle qu'on lui offroit avoit été compatible avec le maintien de la constitution, avec l'indépendance de la souveraineté nationale, avec la sûreté de l'état. Mais le voile qui cachoit les intentions de notre ennemi est enfin déchiré. Il annonce en son nom, au nom de ses alliés, le projet d'exiger de la nation française un abandon de ses droits; il fait entendre qu'il lui commandera des sacrifices que la crainte seule de sa destruction pourroit lui arracher. Eh bien, elle ne s'y soumettra jamais: cet insultant orgueil, loin de l'intimider, ne peut qu'exciter son courage. Il faut du temps pour discipliner les esclaves du despotisme, mais tout homme est soldat quand il combat la tyrannie: l'or sortira de ses obscures retraites au nom de la patrie en danger: ces hommes ambitieux et vils, ces esclaves de la corruption et de l'intrigue, ces lâches calomniateurs du peuple, dont nos ennemis osoient se promettre le honteux secours, perdront l'appui des citoyens aveuglés ou pusillanimes, qu'ils avoient trompés par leurs. hypocrites déclamations: et l'empire français, dans sa vaste étendue, n'offrira plus à nos ennemis qu'une volonté unique, celle de vaincre ou de périr tout entière avec la constitution et les lois. Citoyens! qui de vous, en effet, pourroit souscrire à ces honteuses propositions? La servitude féodale et une humiliante inégalité, la banqueroute et des impôts que vous paieriez seuls, les dîmes et l'inquisition, vos propriétés achetées sur la foi publique, rendues à leurs anciens usurpateurs, les bêtes fauves rétablies |