l'abondance; la famine, et non le bas prix des subsis tances. Lorsque vous entrez à main armée dans la maison d'un laboureur, pour dresser un état de ses grains, le forcer à en vendre à un jour et à un prix fixes, vous répandez par-tout la frayeur; la frayeur fait que chacun cache sa denrée, ou la fait sortir clandestinement du canton ne fût ce que pour éviter votre visite; et les greniers se trouveront dissipés, sans qu'on sache comment. , Quand une fois vous aurez fait fuir le blé qui étoit dans votre canton, il faut vous attendre qu'on ne vous en amenera plus du dehors; les laboureurs et marchands ne viendront pas chercher des périls auxquels vos frères domiciliés au milieu de vous se sont à peine soustraits. Figurez-vous un laboureur qui est en route pouramener dix voitures de blé de Melun à Choisy. S'il apprend que sur le marché de Choisy on taxe le blé, et qu'il sera peut-être forcé de vendre ses dix voitures à perte, il s'en retournera aussi-tôt dans son pays, et le marché manquera d'autant. Ce n'est pas tout; en inquiétant les laboureurs, vous réduisez certainement la culture, et vous diminuez les récoltes à venir. Le laboureur sème pour recueillir; il recueille pour vendre librement; s'il ne peut ni choisir son moment, ni son acheteur, ni son marché pour vendre ses récoltes, il cultivera moins ; celui qui est riche ne cultivera plus; et la terre qui ne produit pas d'elle-même, qui a besoin d'avances, en sera moins féconde. Il en est du commerce et de la culture du blé, comme du commerce et de la fabrication de toute autre marchandise. Si, au mépris de la propriété, les laboureurs se réunissoient pour taxer l'ouvrage du charron, du serrurier, du maréchal, du cordonnier, du tailleur, la marchandise du marchand, ils pourroient bien arracher une fois, par la force, la marchandise ainsi taxée; mais la force ne pourroit pas faire que tous ces ouvriers et ce marchand continuassent à travailler et à fournir leurs boutiques et magasins; et ainsi la force qui auroit violé la justice, auroit aussi blessé l'intérêt de ceux mêmes qui en auroient abusé. Savez-vous en quoi l'ancien régime étoit le plus ennemi du peuple et de l'abondance ? C'est en ce qu'au lieu d'honorer, de chérir, d'encourager les laboureurs, qui sont nos nourriciers, il les molestoit en cent manières; les impôts, les corvées, la milice les exactions des commis, les vexations des intendans, les insolences de tous les genres tomboient toujours sur eux: aussi étoient-ils mal à l'aise ; aussi un homme riche ne vouloit-il pas mettre ses capitaux à cultiver la terre, et la terre ne rapportoit pas, à beaucoup près, tout ce qu'elle auroit pu produire. Eh bien, s'introduire de force dans les fermes, y menacer, y faire trembler hommes, femmes, vieillards et enfans taxer les blés, n'est-ce pas faire pis encore que l'ancien régime? Vous disiez au gouvernement: Honorez les laboureurs, afin que nous ayons du pain; honorez-les donc vous-mêmes, ou craignez la mi sère. Prenez garde aussi, citoyens, que vos récoltes et vos greniers ne suffisent pas pour nourrir Paris. Paris a besoin du royaume; mais les départemens éloignés ne répondront pas à nos besoins et à nos demandes, s'ils savent que le trouble est à nos portes, que nos fermiersne sont pas libres, et que les voituriers qui nous ameneroient des denrées, courroient risque d'être forcés de vendre à un prix arbitraire : réfléchissez que compromettre la subsistance de Paris, c'est non seulement blesser la justice, mais encore compromettre votre propre sûreté; car si Paris cessoit d'être le centre de l'abondance, vous ne seriez pas long-temps sans éprouver la disette; au lieu que Paris, pourvu par la France entière, ne laissera pas ses voisins languir dans le besoin. Voulez-vous que vos marchés soient autant garnis qu'ils peuvent l'être? faites-y une bonne police, faites. y bon accueil au marchand de blé; donnez lui sûreté, protection, encouragement. Le laboureur qui travaille sans cesse pour les besoins de ses frères, ne les délaisse jamais: faites sur-tout qu'il soit libre et paisible dans sa maison; car c'est là qu'est la source de l'abondance; c'est dans la sécurité du cultivateur qu'est la sûreté du consommateur. Fait en Directoire, le 22 mars 1792, l'an 4e. de la liberté. Signé LA ROCHEFOUCAULD, président. Signé BLONDEL, secrétaire. INSTRUCTION PASTORALE D'un Evêque citoyen. Les méchans prêtres et les nobles orgueilleux ont beau faire; malgré tout ce qu'ils imaginent pour égarer et pour corrompre l'esprit public, il s'éclaire. Les philosophes étoient seuls autrefois contre eux, et l'ont cependant emporté. Que sera-ce donc maintenant que les bons prêtres se joignent aux philosophes; que les exhortations des curés et même les mandemens des évêques respirent la tolérance et la philosophie ? イ Nous remercions l'un de nos nouveaux prélats les plus zélés, l'un de ceux qui réunissent le plus de civisme et le plus de lumières, M. Massieu, évêque du département de Poise, qui nous a envoyé, dans une instruction pastorale; sa profession de foi patriotique. Il pense bien, raisonne juste, et écrit aussi bien qu'il pense. Tous les misérables argumens des réfractaires, qui prétendent que la religion est blessée, que le dogme et la foi sont altérés, il les renverse, et les met en poudre; il leur prouve que ce sont eux qui, éteignant le feu de la charité, allarmant celui du fanatisme, armant les frères contre les frères, soufflant de toutes parts l'esprit de guerre et de discorde, sont les véritables ennemis d'une religion de concorde et de paix. Mais en les combattant à outrance, en ne leur lais sant aucun refuge contre la force de ses argumens et de ses principes, il veut, il recommande avec instance qu'on leur pardonne, qu'on les tolère. Pourvu qu'ils ne soient ni séditieux, ni turbulens, peu lui importe qu'ils persistent dans leur erreur, ou qu'ils en reviennent. ،، La déclaration des droits, leur dit il, établit que nul ne doit étre inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi. Ayez donc, si vous voulez, l'opinion politique que la division nouvelle du royaume en 83 départemens n'est pas une bonne opération. Ayez encore, si cela vous plaît, l'opinion que l'assemblée nationale n'avoit pas le droit d'ordonner que la division ecclésiastique des diocèses suivroit la division géographique; et appelez cela une opinion religieuse, vous en êtes les maîtres. Tant que vous vous bornerez à n'avoir que ces opinions, nul n'a le droit de vous inquiéter, parce que rien n'est plus libre que la pensée. Mais si vous refusez ouvertement de vous conformer à l'ordre établi; si, par des écrits, par des discours, ou par des actions vous détournez vos concitoyens de se soumettre aux nouvelles dispositions, vous opposez votre volonté particulière à la volonté de tous, vous prétendez que votre opinion personnelle doit faire la loi à la nation entière; vous êtes évidemment en état de rebellion; vous troublez l'ordre public établi par la loi; vous oubliez que la raison, la religion et la loi vous prescrivent l'obéissance Ceux qui se trompent de bonne foi, et qui, malgré leurs fausses idées, sont paisibles et soumis aux lois, pourquoi les gêneroit-on dans leur croyance, puisqu'ils ne gênent personne? Voilà, il le faut avouer, ce que n'entendent pas assez un grand nombre de citoyens, plus ardens qu'éclairés, plus passionnés que justes. Nous les invitons à se bien pénétrer des conseils de notre bon évèque. ،، Quelles que soient, dit-il, les opinions politiques ou religieuses d'un ministre de l'évangile, s'il ne vous tient que le langage de la charité, s'il est tolérant, indulgent pour ceux qui n'ont pas les mêmes opinions que lui, si le fiel, si l'amertume sont No. 28. Seconde année. B 3 bannis de ses discours, s'il ne vous détourne pas de l'obéissance que vous devez à la loi, s'il ne vous excite pas à répandre des inquiétudes capables de jeter le trouble parmi vos frères, s'il ne vous dit de mal de personne, s'il ne cherche pas à vous éloigner des pasteurs que vous vous êtes choisis vous-mêmes: respectez en lui la vertu, car elle est dans son cœur; reconnoissez en lui un véritable ministre de Jésus-Christ, c'est-à-dire, un homme de paix et de consolation. Mais fût-il d'ailleurs rempli du plus ardent patriotisme et de la plus parfaite soumission aux lois civilés, cessez d'avoir confiance en ses conseils, si la médisance, si la calomnie, si le langage de l'inimitié, de l'intolérance et du fanatisme, ternissent l'éclat de ses vertus civiques. Ne fuyez aucun ministre de ceux qui sont doux, patiens, indulgens, pacifiques..... Présentezvous indifféremment dans tous les temples, invoquezy l'éternel dans la sincérité de votre cœur, déposez y, avant tout, les sentimens que vous pouviez avoir contre vos frères, etc. etc.," Si ces conseils, vraiment évangéliques, étoient plus généralement suivis, la paix ne seroit plus troublée, les intentions perverses de ceux qui se servent du masque de la religion pour renverser la constitution, seroient trompées; chacun suivroit tranquillement ses opinions, et le genre de culte qu'elles lui prescrivent; et nous, certains désormais que nos bons amis des villages ne sont plus tourmentés par les prêtres d'aucun parti, nous cesserions de leur parler de culte, de religion et de prêtres. Nous avons tant d'autres choses à leur dire ! SUR LA GUERRE CIVILE. Le temps approche où il sera décidé si la France se verra forcée d'achetersa liberté parune guerre étrangère. Menacée depuis silong temps de toutes parts, insultée de toutes manières, obligée de soutenir un armement ruineux, il faut qu'elle sache enfin si les préparatifs |