la philosophie, exigés par la nécessité; par conséquent d'enhardir les rebelles, en inquiétant la nation, ou d'appaiser celle-ci, en vous unissant avec elle. Tout a son terme, et celui de l'incertitude est enfin "arrivé. Votre majesté peut-elle aujourd'hui s'allier ouvertement avec ceux qui prétendent réformer la constitution; ou doit-elle généreusement se dévouer sans réserve à la faire triompher? Telle est la véritable question dont l'état actuel des choses rend la solution inévitable. Au milieu des agitations dans lesquelles nous vivons depuis quatre ans, qu'est-il arrivé? Des privilèges oné*reux pour le peuple ont été abolis, les idées de justice - et d'égalité se sont universellement répandues; elles ont pénétré par-tout: l'opinion des droits du peuple a justifié le sentiment de ces droits; la reconnoissance de ceux-ci, faite solemnellement, est devenue une doctrine sacrée; la haîne de la noblesse, inspirée de* puis long-temps par la féodalité, s'est invétérée, exas-pérée par l'opposition nianifeste de la plupart des no-bles à la constitution qui la détruit. Durant la première année de la révolution, le peu- ple voyoit dans ces nobles des hommes odieux par les privilèges oppresseurs dont ils avoient joui, mais qu'il auroit cessé de haïr après la destruction de ces privilèges, si la conduite de la noblesse, depuis cette époque, n'avoit fortifié toutes les raisons possibles de la redouter et de la combattre comme une irréconciliable i ennemie. L'attachement pour la constitution s'est accru dans * la même proportion; non seulement le peuple lui devoit des bienfaits sensibles, mais il a jugé qu'elle lui en préparoit de plus grands, puisque ceux qui étoient habitués à lui faire porter toutes les charges, cherchoient si puissamment à la détruire ou à la modi fier. La déclaration des droits est devenue un évangile politique, et la constitution française, une religion pour laquelle le peuple est prêt à périr: aussi le zèle a-t-il été déjà quelquefois jusqu'à suppléer à la loi ; et lorsque celle-ci n'étoit pas assez réprimante pour contenir les perturbateurs, les citoyens se sont permis de les punir eux-mêmes. C'est ainsi que des propriétés d'émigrés, ou de personnes reconnues pour être de leur parti, ont été exposées aux ravages qu'inspiroit la vengeance: c'est pourquoi tant de départemens ont été forcés de sévir contre les prêtres que l'opinion avoit proscrits, et dont elle auroit fait des victimes. Dans ce choc des intérêts, tous les sentimens ontpris l'accent de la passion. La patrie n'est point un mot que l'imagination se soit complue d'embellir; c'est un être auquel on a fait des sacrifices, à qui l'on s'attache chaque jour davantage par les sollicitudes qu'il cause; qu'on a créé par de grands efforts, qui s'élève au milieu des inquiétudes, et qu'on aime parce qu'il coute autant que par ce qu'on en espère. Toutes les atteintes qu'on lui porte sont des moyens d'enflammer l'enthousiasme pour elle. A quel point cet enthousiasme va-t-il monter à l'instant où les forces ennemies réunies au dehors, se con. certent avec les intrigues intérieures, pour porter les coups les plus funestes! La fermentation est extrême dans toutes les parties de l'empire; elle éclatera d'une manière terrible, à moins qu'une confiance raisonnée dans les intentions de votre majesté ne puisse enfin la calmer. Mais cette confiance ne s'établira pas sur des protestations; elle ne sauroit plus avoir pour base que des faits. Il est évident, pour la nation française, que sa constitution peut marcher; que le gouvernement aura toute la force qui lui est nécessaire, du moment où votre majesté, voulant absolument le triomphe de cette constitution, soutiendra le corps législatif de toute la puissance de l'exécution, ôtera tout prétexte aux inquiétudes du peuple, et tout espoir aux mé contens. Par exemple, deux décrets importans (1) ont été (1) Il s'agit du décret contre les prêtres perturbateurs, et du N°. 40. Seconde année. ०३ 1 rendus; tous deux intéressent essentiellement la tranquillité publique et le salut de l'Etat. Le retard de leur sanction inspire des défiances; s'il est prolongé, il causera des mécontens; et, je dois le dire, dans l'effervescence actuelle des esprits, les mécontentemens peuvent mener à tout. Il n'est plus temps de reculer; il n'y a même plus moyen de temporiser. La révolution est faite dans les esprits; elle s'achevera au prix du sang, et sera cimentée par lui, si la sagesse ne prévient pas des malheurs qu'il est encore possible d'éviter. Je sais qu'on imaginera tout opérer et tout contenir par des mesures extrêmes; mais quand on auroit déployé la force pour contraindre l'assemblée; quand on auroit répandu l'effroi dans Paris, la division et la stupeur dans ses environs, toute la France se leveroit avec indignation, et se déchirant elle-même dans les horreurs d'une guerre civile développeroit cette sombre énergie, inère des vertus et des crimes, toujours funeste à ceux qui l'ont provoquée. , Le salut de l'Etat et le bonheur de votre majesté sont intimement liés; aucune puissance n'est capable de les séparer; de cruelles angoisses et des malheurs certains environneront votre trône, s'il n'est appuyé par vous-même sur les bases de la constitution, et affermi dans la paix que son maintien doit enfin nous procurer. Ainsi, la disposition des esprits, le cours des choses, les raisons de la politique, l'intérêt de votre majesté rendent indispensable l'obligation de s'unir au corps législatif, et de répondre au vœu de la nation; ils font une nécessité de ce que les principes présentent comme devoir; mais la sensibilité naturelle à ce peuple affectueux est prête à y trouver un motif de reconnoissance. On vous a cruellementtrompé, Sire, quand on vous a inspiré de l'éloignement ou de la méfiance de ce peuple facile à toucher; c'est en vous inquiétant perpétuellement qu'on vous a porté à une conduite propre à l'alarmer lui-même. Qu'il voie que vous êtes résolu à faire marcher cette constitution à laquelle il a attaché sa félicité, et bientôt vous deviendrez le sujet de ses actions de grace. décret qui ordonne la formation d'un camp de vingt mille hommes auprès de Paris. Le roi vient de refuser sa sanction à tous les deux. Si ces lois étoient réellement nécessaires, de quels dangers, de quels maux le roi s'est rendu responsable! La conduite des prêtres en beaucoup d'endroits, les prétextes que fournissoit le fanatisme aux mécontens, ont fait porter une loi sage contre les perturbathurs: que votre majesté lui donne sa sanction; la tranquillité publique la réclame, et le salut des prêtres la sollicite. Si cette loi n'est mise en vigueur, les départemens seront forcés de lui substituer, comme ils font de toutes parts, des mesures violentes et le peuple irrité y suppléera par des excès. Les tentatives de nos ennemis, les agitations qui se sont manifestées dans la capitale, l'extrême inquiétude qu'avoit excitée la conduite de votre garde, et qu'entretiennent encore les témoignages de satisfaction qu'on lui a fait donner par votre majesté, par une proclamation vraiment impolitique dans la circonstance; la situation de Paris, sa proximité des frontières, ont fait sentir le besoin d'un camp dans son voisinage. Cette mesure, dont la sagesse et l'urgence ont frappé tous les bons esprits, n'attend encore que la sanction de votre majesté. Pourquoi faut-il que des retards lui donnent l'air du regret, lorsque la célérité lui gagneroit tous les cœurs! Déjà les tentatives de l'état-major de la garde nationale parisienne contre cette mesure ont fait soupçonner qu'il agissoit par une inspiration supérieure ; déjà les déclamations de quelques démagogistes trés réveillent les soupçons de leurs rapports avec les intéressés au renversement de la constitution; déjà l'opinion compromet les intentions de votre majesté : encore quelque délai, et le peuple contriste verra dans son roi l'ami et le complice des conspira teurs. ou Juste ciel! Auriez-vous frappé d'aveuglement les puissances de la terre, et n'auront-elles jamais que des conseils qui les entraînent à leur ruine ! Je sais que le langage austère de la vérité est rarement accueilli près du trône; je sais aussi que c'est parce qu'il ne s'y fait presque jamais entendre, que les révolutions deviennent nécessaires; je sais surtout que je dois le tenir à votre majesté, non seulement comme citoyen soumis aux lois, mais comme ministre honoré de sa confiance ou revêtu de fonc. tions qui la supposent; et je ne connois rien qui puisse m'empêcher de remplir un devoir dont j'ai la conscience. C'est dans le même esprit que je réitérerai mes représentations à votre majesté, sur l'obligation et l'utilité d'exécuter la loi qui prescrit d'avoir un secrétaire au conseil. La seule existence de la loi parle si puissamment, que l'exécution sembleroit devoir suivre sans retardement; mais il importe d'employer tous les moyens de conserver aux délibérations la gravité, la sagesse, et la maturité nécessaires; et pour des ministres responsables, il faut un moyen de constater leurs opinions; si celui-là eût existé, je ne m'adresserois pas par écrit en ce moment à votre majesté. La vie n'estrien pour l'homme qui estime ses devoirs au dessus de tout; mais après le bonheur de les avoir remplis, le bien auquel il soit encore sensible est celui de prouver qu'il l'a fait avec fidélité, et cela même est une obligation pour l'homme public. Le 10 juin 1792, l'an 4. de la liberté. Signé ROLAND. Dépense nécessaire pour les frais de l'instruction publique. L'assemblée nationale a demandé un aperçu des frais que couteroit à la nation l'exécution du plan qui lui a été proposé par M. Condorcet, et dont nous avons donné un extrait dans notre 38e. numéro. Voici cet aperçu, tel qu'il lui a été présenté par |