rentins qui avoient combattu pour les papes, et d'en voyer le reste en exil. Notez que dans ces deux factions on ne comptoit guère que des nobles; et que le peuple, spectateur, ou instrument passif de ces dissentions, n'y prenoit, en quelque sorte, d'intérêt que par la ruine qui en résultoit pour lui, quel que fût le parti qui triomphât. Frédéric étant mort en 1250, ce peuple, aveuglé jusqu'alors, ouvrit enfin les yeux; et s'apercevant que, sous prétexte de le gouverner, on ne faisoit que l'asservir, le dépouiller et le perdre, il s'empara lui-même du gouvernement. Mais dans la crainte que les nobles Gibelins ne reprissent un crédit dangereux pour sa liberté nouvelle, et voulant leur opposer un contrepoids, il rappela d'exil tous les Guelfes que Fréderic avoit bannis. Ce n'étoit là qu'une demi-sagesse. Il valoit mieux les exiler tous, puisque tous étoient également, quoique sous diverses enseignes, auteurs et instigateurs des troubles, ennemis de la liberté, de la paix, de la tranquillité publiques. Les Florentins, divisés en six tribus, gouvernés par douze magistrats quien étoienttirés, formés en milices nationales, auroient été peut-être pour toujours un peuple libre, s'ils n'avoient pas eu de nobles, et s'ils avoient eu plus de lumières. On continua de les tenir divisés, et de leur persuader, aux uns, qu'il étoit important que les Guelfes l'emportassent; aux autres, qu'il falloit que les Gibelins eussent l'avantage. Florence fit la guerre à Pistoie, à Sienne, à Pise, avec de bons et de mauvais succès; mais toujours pour ces querelles misérables entre les champions du pape et ceux de l'empereur. Le résultat fut ce qu'il devoit être : les Gibelins qu'ils avoient exilés de leurs murs, et poursuivis dans toutes les villes de Toscane attachées au pati de l'empire, furent enfin soutenus par des troupes allemandes. Les Florentins furent vaincus et taillés en pièces. L'effroi, le découragement s'empara d'eux : leurs magistrats populaires leur donnèrent le lâche exemple de la fuite, quand il falloit leur donner celui d'une résistance et d'une mort glorieuses. Les nobles Guelfes, qu'ils avoient défendus et soutenus, ne furent pas plus braves; tous sortirent de Florence, et se réfugièrent où ils purent. Les Gibelins y rentrèrent en triomphe, et abolirent le gouvernement démocratique, qui n'avoit duré que dix ans. Il fut rétabli environ six ans après; la paix revint dans Florence, et les arts, et l'industrie, etle bonheur avec elle. La constitution, dans sa nouvelle forme, n'excluoit pas les nobles des charges de l'Etat, mais elle exigeoit que pour les posséder ils eussent quelque profession utile; règle générale établie pour tous les autres citoyens : aussi les magistrats avoient-ils le titre de présidens des arts et métiers. Les nobles se mirent donc à faire valoir leurs fonds dans le commerce; les richesses qu'ils acquirent redoublèrent leur orgueil. Ils excitèrent de nouveaux troubles, insultèrent les magistrats du peuple, et parlèrent plus haut que les lois. Pour leur imposer silence on crea un nouveau magistrat, chargé de porter l'étendard de la justice. Lorsque la paix étoit troublée, et ne pouvoit se rétablir par les voies ordinaires, sa fonction étoit d'appeler le peuple à se ranger sous son étendard. Il ne pouvoit être choisi que parmi le peuple; mais il ne restoit en charge que deux mois. Cette sorte d'étendard s'appeloit un Gonfalon, ce qui fit donner au magistrat qui le portoit, le titre de Gonfalonier de la république. Il avoit sous lui quatre conseillers, deux colonels, et mille hommes tirés des divers quartiers de la ville. Aucun noble ne pouvoit être du nombre ; et de sévères peines furent prononcées contre ceux qui les outrageroient ou les troubleroient dans leurs fonctions. Cette milice redoutable étoit sous les ordres des magistrats civils, et le Gonfalonier ne pouvoit l'assembler sans un ordre des présidens des arts. C'est ainsi que nos gardes nationaux ne peuvent marcher, ne peuvent combattre qu'au nom de la loi, et sur requisition des magistrats du peuple. la L'insolente fierté des nobles, et la turbulence qui les caractérise dans tous les lieux et dans tous les temps, forçèrent bientôt de porter à quatre mille hommes le nombre de cette milice, et d'exclure expressément tout gentilhomme de toutes dignités et fonctions publiques. Les querelles entre la noblesse et le peuple se mêlèrent à celles qui existoient toujours entre les Gibelins et les Guelfes; le parti le plus juste, et qui heureusement est toujours le plus fort quand il veut l'être, l'emporta; pendant le calme qui suivit, la richesse et la prospérité de Florence furent le fruit de ce gouvernement vigoureux et sage.. Il fut altéré dans la suite: les Florentins eurent quelque temps un gouverneur étranger; puis ils formèrent deux conseils, dans l'un desquels ils admirent les gentilshommes; c'étoit une espèce de chambre haute. Un autre gouverneur étranger pensa ruiner la liberté publique: il avoit fasciné les yeux de la multitude, qui le proclama souverain pour toute sa vie; mais l'illusion se dissipa, et le tyran fut chassé. Lorsqu'on rétablit le gouvernement populaire, les nobles ayant aidé à renverser le gouverneur, on les admit de nouveau dans les magistratures; mais la manière dont ils usèrent de leur pouvoir, fit bientôt sentir au peuple la faute qu'il avoit faite; et il les força de se démettre de leurs charges. Il attaqua en même temps dans leurs maisons toutes les familles nobles, et les désarma. Sa modération fut alors bien remarquable, bien digne de servir d'exemple. Il traita les vaincus avec tous les égards convenables. Nous n'agissons, leur disoit-il, par aucun motif de haîne ou de vengeance, mais par amour pour la patrie, dont la constitution nous est plus chère que le jour. L'ancien gouvernement fut rétabli encore une fois. Il fit dans peu de temps monter au plus haut degré la gloire et la prospérité de la république. L'habileté des Florentins dans le commerce, leur bravoure et leur expérience dans les combats, leur donnèrent alors en Italie une grande prépondérance; ils la conserverent, au travers dés guerres malheureusement trop fréquentes, et des vicissitudes continuelles de bonnes et de mauvaises fortunes, jusqu'au temps où leurs N°. 29. Seconde année. C3 éternelles dissentions, tantôt entre les différentes factions des nobles, tantôt entre les nobles et le peuple, les affoiblirent, les écartèrent de la voie que leur avoient tracée leurs ancêtres, et amenèrent enfin la perte de la liberté. Ce fut vers le milieu du quinzième siècle. Alors s'étoit élevée dans Florence à une haute prospérité, une famille noble, enrichie par le commerce, et qui donna depuis une reine à la France, la famille des Médicis. Déjà deux chefs de cette maison avoient été Gonfaloniers de la république, et s'y étoient fait, par leurs vertus, leur adresse et leur opulence ,un parti puissant. Cosme de Médicis fut le troisième; c'étoit le particulier le plus riche de l'Europe. Sa libéralité, sa magnificence égaloient sa richesse; et la pureté de ses mœurs, l'affabilité de son caractère, la modeste simplicité de sa vie relevoient encore tous ces avantages; il en profita pour fonder son autorité et pour la rendre durable. Protecteur et bienfaiteur des arts et des lettres, il les fit renaître en Italie. Il encouragea et vivifiale commerce; il aida de ses trésors l'industrie active et pauvre. Après quelques premiers revers, qui allèrent jusqu'à le faire chasser de Florence, ilyfut rappelé par l'amour du peuple, et garda pendant trente années une autorité qui ne finit qu'à sa mort. Il obtint le surnom de Grand; et l'Etat en fit graver sur sa tombe un autre plus précieux encore le titre glorieux de PÈRE DE LA PATRIE. Ce titre, rarement mérité, l'étoit il par Médicis lui-même ? Il avoit procuré de l'éclat, des jouissances, de la paix aux Florentins; mais il les avoit doucement asservis. Un conseil extraordinaire, dont il étoit le chef, avoit pris la place des anciens magistrats. Enfin ce n'étoit plus à la loi, c'étoit à un homme que ce peuple, sans s'en apercevoir, avoit consenti d'obéir. Florence étoit encore une république; mais elle avoit une prince, un chef perpétuel, un souverain à qui il n'en manquoit que le titre; et ce prince étoit Médicis. Pierre son fils, qui lui succéda, eut une domination 1 plus orageuse, plus souvent contestée; parce qu'avec de grandes qualités, il avoit pourtant des vertus moins éminentes, et sur-tout moins de modestie réelle ou feinte, moins de douceur et de bonté que son père. Plus les Florentins perdoient le goût de la liberté, plus ils prenoient celui du luxe, de l'oisiveté, des mauvais mœurs. Pierre laissa deux fils, Laurent et Julien, dont le premier joignoit à des qualités brillantes, qui rappeloient aux Florentins celles de Cosme son aïeul, une fierté qui lui fit des ennemis puissans parmi les nobles Une conjuration se forma contre les deux frères. Julien y perdit la vie. Ses assassins n'ayant pu atteindre Laurent, voulurent persuader au peuple qu'ils n'avoient agi qu'en haîne de la tyrannie, et pour l'engager à reprendre ses droits, sa liberté, sa constitution républicaine; le peuple, indigné de l'assassinat, et qui d'ailleurs n'aimoit plus, ne sentoit plus assez la liberté pour s'apercevoir qu'il avoit cessé d'être libre, ne se précipita qu'avec plus d'empressement sous le joug des Médicis. Laurent vit augmenter sa puissance, et périr du dernier supplice ses ennemis et les meurtriers de son frère. Il acheva de perfectionner le goût des arts; il les cultivoit lui-même; et l'on conserve de lui, des vers qui attestent la beauté de son génie. Sa famille, au milieu de tant de grandeurs, n'avoit point encore abandonné le commerce. Laurent y renonça le premier, et plaça en terres son immense fortune. Ce qu'il fit, ce qu'il donna pour l'encouragement des lettres et de l'industrie ce qu'il dépensa en spectacles donnés au peuple, en édifices, en magnificences de toute espèce, surpasse ce qu'on en peut dire. Rien ne manqueroit à sa gloire, s'il eût moins altéré la simplicité des mœurs publiques, et rendu moins difficile le retour à la liberté. Pierre, fils de Laurent, perdit par une bassesse le crédit et la puissance dont il avoit hérité. Notre roi Charles VIII étant descendu follement en Italie pour aller conquérir le royaume de Naples, Pierre, non seulement lui livra passage, mais lui abandonna plusieurs villes, et se soumit, lui et les Florentins 1 |