aujourd'hui dans la Toscane, il faut distinguer la ville de Luques. Elle est petite', mais elle est libre, ou du moins elle croit l'être, parce qu'elle a conservé le titre de république, et que sur ses portes, au coin de ses rues, est écrit le mot libertas. La popalation y est de cent vingt mille habitans; mais le commerce y languit, l'industrie y est enchaînée, le peuple y est pauvre et misérable. Veut-on savoir pourquoi ? Il est opprimé par un sénat et par deux cents familles nobles, c'est-à-dire, oisives, exemptes de charges publiques, en possession de toutes les dignités, de tous les privilèges, ennemies des lois, ou plutôtles ayant faites ellesmêmes, et ne les maintenant qu'à leur profit. Mais comment y aveugle-t-on le peuple sur sa misère, son oppression, son esclavage? En lui répétant sans cesse qu'il est libre; en célébrant tous les ans une grande fête en mémoire de la liberté; en retenant et pressant sur ses yeux le double bandeau de la superstition et de l'ignorance. Dans cet état violent, et qu'il paroît impossible de rendre durable, la noblesse dort tranquille. Le dernier grand-duc a confirmé tous ces privilèges. Cela est fort bien; mais a-t-il aussi garanti pour toujours l'aveuglement et l'avilissement du peuple ? L'histoire de l'aristocratie est par-tout la même. Son règne injuste, tyrannique, insupportable, doit avoir par-tout la même fin. MOTIFS ET PRINCIPES Du Décret qui défend de porter les costumes ecclésiastiques dans les circonstances ordinaires de la vie. Pourquoi des réformes utiles paroissent-elles d'abord blesser un grand nombre d'hommes ? C'est que les esprits superficiels et routiniers sont très-nombreux. La multitude s'accoutume aux abus, comme un homme infirme s'habitue aux douleurs. Nous avions tous été élevés à croire que les choses étoient comme elles devoient être; nous ne concevions pas qu'elles pussent changer. La réforme vient; avant qu'on en ait conçu les avantages, on commence par en murmurer: tant il en coûte de se corriger, et de reconnoître qu'il existe des hommes plus raisonnables que nous! Voilà pourquoi l'on a vu trop souvent dans la révolution tant de nouveautés salutaires censurées, même par des gens qui sembloient désintéressés. Le 18 juin 1790, l'assemblée nationale supprima les titres, les armoiries, les livrées, et tous les signes extérieurs de la noblesse et de la féodalité, déjà détruites par la déclaration des droits. Dans le premier moment, on n'entendoit que des gens se récrier, s'effaroucher, se demander niaisement: A quoi bon ces réformes frivoles? pourquoi s'acharner sur de vains accessoires, sur des bagatelles tout à fait indifférentes?... Et cependant ces prétendus accessoires étoient la noblesse elle-même ! et voilà qu'aujourd'hui tous les gouvernemens de l'Europe méditent la ruine de la France pour les bagatelles du 18 juin! Le décret qui supprime l'usage extérieur des costumes ecclésiastiques, rappelle naturellement ces inconséquences. On semble douter que cette loi soit utile; les uns n'y voient qu'une misérable question de toilette; les autres affectent de la croire contraire à la liberté des citoyens. Quelques hypocrites font semblant de craindre qu'elle ne porte atteinte à la religion. Nos lecteurs, qui sont de bonne foi comme nous, vont juger ce qu'il faut penser de ces chimères ou de ces mensonges. Chacun sait que le but d'une bonne constitution est de supprimer toutes les corporations particulières, afin que le grand corps du peuple soit le seul, et que sa puissance n'éprouve aucun obstacle. Quand des particuliers d'une même profession s'unissent, c'est toujours pour leur intérêt particulier, et aux dépens de l'intérêt général. Les corporations sont la source des privilèges, et les privilèges sont le poison de la liberté: aussi, avant la révolution, il n'existoit en France ni liberté, ni nation. L'anéantissement de tous les corps fut la résurrection du peuple. De toutes ces associations, celle du clergé catholi que étoit la plus nuisible et la plus puissante. Il falloit ! la dissoudre, ou renoncer à la constitution. Les réglemens civils qui ont organisé les officiers du culte salarié par la nation, ont eu pour objet de les assujettir aux pouvoirs généraux institués pour l'exécution des lois. Tout privilège, toute jouissance indépendante furent soigneusement ôtés aux prêtres. On en a fait des citoyens, exerçant une profession respectable, aux frais de la nation; et d'après quelques règles particulières, même à titre de profession, les prêtres ne peuvent former un corps de jurande, puisque la loi n'en reconnoît d'aucune espèce (1). Mais en organisant l'administration du culte salarié, en formant un clergé citoyen, on avoit négligé de faire disparoître de son régime l'un des caractères qui retraçoit le plus l'antique et fatale corporation qu'il a remplacée. A quel signe reconnoît-on le plus généralement une corporation privilégiée ? C'est sans doute au droit qu'ont ses membres de porter des marques extérieure's qui leur sont communes à tous, et dont eux seuls peuvent se revêtir. C'est ainsi que les armoiries, les livrées, les ordres de chevalerie étoient les signes distinctifs de l'aristocratie: aussi n'ont-ils point subsisté. Quand la loi permet aux citoyens qui composent la force militaire, de porter un habit uniforme, c'est qu'il est reconnu que cette uniformité est nécessaire à des corps armés, qui ne doivent présenter qu'un seul mouvement. En tout autre cas, l'uniforme attribué à telle ou telle profession, deviendra une distinction et un privilège. Nos prêtres doivent donc renoncer à leur uniforme, à moins que le clergé entier ne croie être la milice céleste, ou que chaque métropole ne prétende former un régiment dont l'évêque sera le colonel. Ne fût-ce donc que comme distinction, le costume ecclésiastique devoit être proscrit; il est contraire à l'égalité, et par conséquent à l'évangile, autant qu'à la déclaration des droits. Direz-vous que l'habit sacerdotal, que la soutane (r) La constitution même ne reconnoît point de prêtres. Comment reconnoîtroit-elle une corporation sacerdotale? D ) n'est pas une marque de distinction ? Il est facile de prouver le contraire. un Supposez que nous établissions un culte nouveau et que nous n'imitions pas la sagesse des Quakers, qui, sans autels, sans images, sans cérémonies publiques et sans prières, se réunissent pour nourrir en silence leur ame de la pensée de Dieu et de la morale de l'évangile: alors nous choisissons prêtre, c'est-à-dire, un homme que nous chargeons de diriger le service du temple, les rites de notre culte, et tous nos actes religieux. Comme cet agent doit opérer pour un grand nombre de personnes, il faut qu'il soit facile à voir et à remarquer, afin qu'on suive ses signaux, et qu'on réponde à ses paroles. II est bon aussi qu'on soit averti de sa présence, pour ne point le gêner, le troubler dans ses fonctions graves et respectables. Que faisons-nous done? Nous décidons que le prêtre portera, dans ces momens, un vêtement particulier et caractéristique. Qu'arrive-t-il alors? Cet habit, toutes les fois que nous le voyons, nous rappelle l'objet vénérable auquel il est consacré; nous nous habituons à nous ranger, à nous prosterner devant cet habit. Tant que ces hommages sont renfermés dans le temple, nul inconvénient à tume; le citoyen qui le porte ne peut se targuer des respects momentanés rendus à sa fonction, et non à sa personne; il n'en prétendra aucune supériorité sur les autres. L'égalité subsiste; l'aristocratie sacerdotale n'est point à craindre. ce cos Mais que, dans tous les momens de sa vie, le prêtre paroisse revêtu des signes extérieurs de sa profession; il semble nous commander, nous extorquer des égards, et une déférence indue; il n'est plus notre égal, notre frère; il n'est plus citoyen; et comme il n'en est pas moins homme, son avarice et sen orgueil abuseront bientôt de cette sorte d'autorité perpétuelle que lui donne le caractère apparent dont il se décore. Parcourez l'Italie, l'Autriche, et les Pays-Bas, vous verrez quel est le pouvoir, ou plutôt le prestige des costumes religieux. Regardez sur-tout l'Espagne, la terre promise des hypocrites; voyez le mari le plus jaloux s'arrêter à la porte du cabinet de sa jeune 1 , épouse, où les sandales d'un jeune religieux, placées comme une sentinelle insultante, l'avertissent de respecter son propre déshonneur. Voyez enfin, depuis le plus fastueux courtisan jusqu'au plus humble villageois, tout un peuple abruti, à l'aspect du moindre froc se précipiter à genoux, et baiser avec reconnoissance la main du prélat, le cordon du dominicain et jusqu'à la manche du capucin bart. Voilà ce que produit l'illusion des costumes; elle a fait une partie de l'empire des prêtres, et de l'esclavage des peuples. C'est à l'aide de ce charlatanisme que l'indolent chanoine avoit conquis ses dîmes, que les monastères avoient envahi leurs domaines, que les papes avoient fait ruisseler le sang dans toute l'Europe. Pasteurs vénérables, qui êtes la lumière des campagnes, vous n'avez pas besoin de cette magie dangereuse pour conserver votre crédit sur les hommes simples que vous édifiez par votre exemple autant que par vos leçons: mais vos ennemis, les ennemis de la loi, les prêtres fanatiques, auxquels vous succédez, quel moyen leur a conservé un reste d'ascendant sur la tourbe des sots ou des dévotes ? N'est-ce pas la décoration imposante d'un costume qu'on est accoutumé à respecter? Ce costume est l'aliment de nos discordes religieuses; c'est l'étendart, le signe de ralliement des hypocrites seditieux; c'est lui qui fait le prétendu schisme des sermens: qu'il disparoisse, et le schismé va cesser. Enfin la soutane et le rabat, en protégeant les factieux, compromettent à chaque instant et exposent l'homme de bien. Qu'un trouble survienne; qu'un désordre soit commis; que des prêtres en coient la cause; qu'une multitude furieuse en cherche les auteurs, l'habit les désignera; il égarera sa vengeance; vous verrez souvert l'indignation due au prêtre coupable, tomber sur l'ecclésiastique vertueux et tolérant. Tels sont les effets de cette distinction des vêtemens; et quand elle n'auroit pas tous ces dangers, hommes sincères, avouez-le, un habit qui concilie à l'individu, des honneurs qui ne sont dusqu'à sa fonction, s'il paroît séparément de cette fonction, n'établit-il pas une inégalité civile, une véritable aristocratie ? Pourquoi |