FEUILLE VILLAGEOISE, ADRESSÉE, CHAQUE SEMAINE, A TOUS LES VILLAGES DE LA FRANCE, Heureux le pays où l'on ne trouveroit, ni un seul champ, QUATRIÈME PARTIE A PARIS, Chez DESENNE, Imprimeur-Libraire, au Palais, Poyal, nos. I et 2. 1792. E N quittant le Piémont pour se rendre à Venise, on traverse le Milanais, Etat appartenant à la maison d'Autriche, avec le titre de Duché. Il est borné au Levant par les Etats de la République, et par ceux de Mantoue et de Parme; au midi , par ceux de Gênes; au couchant, par le Piémont; et au nord, par le Valais, les Suisses et les Grisons. Ce pays, rempli de belles et vastes plaines, est le plus fertile et le plus riche de toute l'Italie. C'est cette Lombardie, si renommée pour la douceur du climat et pour la fécondité du sol. Milan, qui en est la capitale, rivalise, pour ainsi dire, avec Rome en antiquité comme en grandeur. Un roi Celte ou Gaulois la fit bâtir, moins de quatre cents ans après la fondation de Rome, Quant à son étendue, elle a dix milles de circuit, c'est-à-dire, à peu près quatre lieues, et l'on y entre par vingt-deux portes; aussi l'appelle-t-on Milan la Grande. Elle fut plusieurs fois saccagée par des barbares, et toujours tétablie par les Romains. Dans les derniers siècles de A Quatrième Partic. l'Empire, les empereurs en préféroientle séjour à celui de toutes leurs autres villes. Après l'établissement du christianisme, Milan fut encore ravagée par Attila, roi des Huns, qui alla ensuite attaquer et renverser Rome. Milan avoit dès lors un archevêque, qui la fit rebâtir. Environ un siècle après, les Goths ou Lombards la détruisirent de nouveau ; et ce furent encore ses archevêques qui la firent sortir de ses ruines. Mais cette fois ils travaillèrent pour eux. Le roi des Lombards ayant fixé son séjour à Pavie, et négligé Milan, ces bons prélats en profitèrent pour se mettre à la tête du gouvernement. Ils commençoient à s'affermir dans cette domination peu évangélique, lorsque l'empereur Charlemagne conquit l'Italie, et détruisit le royaume des Lombards. Il avoit la foiblesse de croire que les prêtres pouvoient, sans blesser l'esprit de la religion, gouverner autre chose que les consciences. II laissa donc aux archevêques de Milan la puissance qu'ils avoient usurpée, et qui s'accrut bientôt au point qu'ils se regardèrent comme indépendans, non seulement des empereurs, mais des papes. Pendant les guerres sanglantes et scandaleuses qui déchirèrent alors I'Italie, l'évêque de Milan fut toujours armé contre celui de Rome. Cela lui réussit moins mal que de l'être contre l'empire. Les Milanais, poussés par leur prélat, ayant offensé l'empereur Frédéric-Barberousse, et même insulté l'impératrice sa femme, il ruina leur ville de fond en comble en 1162, et fit même, dit-on, passer la charrue sur ses ruines. Il la releva lui-même quelque temps après; elle ne tarda pas à redevenir florissante; mais les empereurs d'Allemagne ayant cessé de dominer en Italie, ce fut pour Milan la fin du règne des archevêques. Quelques familles anciennes et nobles du Milanais s'emparèrent ensuite successivement de la souveraineté. Jean Galéas Visconti s'en rendit maître dans le quatorzième siècle. C'est à lui que cette belle contrée doit en partie ses agrémens et sa fertilité. Des plaines immenses étoient couvertes de marais qui les rendoient incultes et inhabitables; il y fit creuser des canaux, où les eaux s'écoulèrent, et qui rendirent en même temps Pair salubre, et la terre féconde. Ses successeurs con tinuèrent après lui le dessechement; opération toujours et par-tout importante pour la richesse et la santé des peuples. Les princes des autres Etats démembrés de l'ancienne Lombardie, suivirentcet exenple; et toute cette vaste contrée, où des marais infects avoient jusqu'alors repoussé l'agriculture et ruiné la population, devint, à cette époque, populeuse et fertile comme elle l'a toujours été depuis. Par malheur pour la France, un de ces Visconti donna sa fille Valentine en mariage au duc d'Orléans, second fils de notre roi Charles V, avec la condition expresse, que si la postérité mâle des ducs de Milan venoit à manquer, le duché appartiendroit à Valentine ou à ses enfans. Le cas arriva dès la seconde génération: le petit-fils du duc d'Orléans et de Valentine étant monté sur le trône sous le nom de Louis XII, il revendiqua les droits que lui donnoit sur le Milanais le manque de fils légitimes dans la famille Visconti. Mais un soldat de fortune, bâtard de la maison des Sforce, qui avoit épousé une bâtarde du dernier duc de Milan, s'étant fait, à ce titre, un parti considérable, et appuyé de tout le crédit de Parchevêque s'étoit emparé de la souveraineté. Louis XII ne le regarda que comme un usurpateur, et lui déclara la guerre. La conquête de ce beau pays fut rapide, sa perte ne le fut pas moins. François Ier. voulut, après Louis XII, réclamer les mêmes droits; il eut d'abord les mêmes succès, et bientôt les mêmes revers : il en eut même de plus fâcheux. Ayant combattu en personne, il fut vaincu, fait prisonnier, et mené captif en Espagne. Ainsi les trésors et le sang des Français furent, pendant vingt-cinq années, versés en Italie, parce qu'un prince italien avoit donné par contrat un pays et des peuples qui ne lui appartenoient pas, à un prince français qui n'en avoit que faire. Dans cette guerre, les Sforces avoient été soutenus par Charles-Quint, chef de la maison d'Autriche, empereur d'Allemagne, et roi d'Espagne en même No. 27. Seconde année. A 3 3 |