j'appris que trois vaisseaux Français étaient arrivés à la Conception, qui est à cent lieues de Santiago. Je m'y rendis en douze jours. Ce pays me parut un des plus beaux et des plus fertiles que j'aie encore vus. La Conception était autrefois la capitale du Chili; c'est une petite Ville située dans e fond d'une grande baie, où les vaisseaux sont en sûreté. Une île que la nature a formée au milieu de la baie, les met à l'abri de la fureur des flots et des vents. Je trouvai dans le port les trois vaisseaux dont on m'avait parlé ; mais comme ils ne fesaient que d'arriver, ils n'étaient pas sitôt prêts à remettre à la voile. C'est ce qui m'engagea à aller à Valparaysso, où l'on m'assura qu'il y avait un navire qui était sur son départ pour le Férou. Si j'avais été bien instruit lorsque j'étais à Santiago, je me serais épargné bien des fatigues, car Valparaysso n'en est éloigné que d'environ 20 lieues, et j'en fis 200 pour m'y rendre. J'y trouvai effectivement le vaisseau déjà tout chargé, et qui se préparait à partir. Lorsque nous fûmes à quarante lieues de ce port, une chaloupe qui sortait de la rade de Pisco vint droit à notre bord : elle était envoyée par le Capitaine d'un navire Français, appelé le Prince des Asturies, qui avait mouillé dans cette rade: J'appris d'un Officier qui était dans la chaloupe, qu'un vaisseau Français, nommé l'Eclair, commandé par M. Boislorée, devait incessamment se rendre à Pisco, d'où il passerait au Callao pour aller ensuite à Canton; c'est ce qui me porta à aller à Pisco pour l'y attendre; il arriva quelques jours après, et m'ayant promis de me faire donner avis à Lima du jour de son départ du Callao, je m'embarquai dans un petit bâtiment Espagnol qui fesait voile pour ce port. Le Callao est le principal et le plus fameux port de toute l'Amérique méridionale; c'est le rendez-vous général de tous les Négocians de ces vastes Provinces. Il n'est éloigné que de deux lieues de Lima, qui est la capitale du Pérou, et le centre de tout le commerce de ce Royaume et de celui du Chili. Les Espagnols y ont bâti une petite Ville le long du rivage, qui est entourée d'une muraille de pierres de taille, garnie de plusieurs pièces d'artillerie, toutes de fonte. Il y a un Gouverneur et une garnison de cinq cens hommes, entretenue par le Roi d'Espagne. A peine fûmes-nous arrivés au port du Callao, que je pris la route de Lima. Cette Ville, la plus riche du nouveau Monde, a deux lieues de circuit; elle est située à deux lieues de la mer, au milieu d'un vallon, le plus étendu et le plus beau de tous ceux qui sont le long de cette côte. Elle n'est fermée que d'une muraille de terre. Une petite rivière qui descend des montagnes coule auprès des murs, et sépare la Ville du faubourg. Les eaux de cette rivière, qu'on conduit par des canaux dans les vallons, rendent la terre fertile et agréable, sans quoi elle serait sèche et stérile, ainsi qu'il arrive dans toutes les plaines du Pérou qui manquent de ce secours. Il ne pleut jamais le long de cette côte. Cette Capitale du Pérou est très-agréable, et par sa situation et par la douceur du climat, et par le grand nombre de maisons Religieuses et d'Eglises, qui sont magnifiques et richement ornées. Le plan en est régulier; les rues y sont larges et tirées au cordeau ; les maisons, quoique d'un seul étage, sont spacieuses, bien bâties et très - commodes. Elles étaient autrefois plus élevées; mais le furieux tremblement de terre, qui renversa presque toute la Ville sur la fin du siècle passé, a fait prendre aux habitans la précaution de les construire plus basses. Il s'en faut bien que cette Ville soit peuplée à proportion de son étendue: on n'y compte pas plus de 35 à 40,000 ames. Aussitôt que j'y arrivai, j'allai rendre mes devoirs au vice-Roi. C'était l'Evêque de Quito qui en fesait les fonctions: Le viceRoi était mort, aussi-bien que l'Archevêque de Lima qui est vice-Roi né, quand celui qui a été établi par la Cour d'Espagne vient à mourir. Au défaut de l'un et de l'autre, la vice-Royauté tombe à l'Evêque de Quito jusqu'à ce que celui qu'il plaît à Sa Majesté Catholique de nommer pour ce poste, soit venu en prendre possession. Ce Prélat me fit un accueil très-favorable, et après m'avoir retenu deux jours dans son Palais, il me permit d'aller loger chez les PP. Jésuites, dont il me fit de grands éloges. Outre le Collége que ces Pères ont au Callao, ils ont encore quatre Maisonsà Lima; savoir, la Maison Professe, le Collége qui est fort beau, le Noviciat et la Paroisse des Indiens, qui est à l'une des extrêmités de la Ville, et que l'on nomme El-Cercado. C'est là que les jeunes Prêtres qui ont achevé leurs études, font une troisième année de noviciat. J'allai d'abord à la Maison Professe, où le Révérend Père Provincial me combla d'honnêtetés: après y avoir demeuré trois jours, je lui témoignai que voulant profiter du loişir et du repos que j'avais, mon dessein était de faire une retraite de huit jours il me répondit obligeamment, que j'étais le maître de choisir entre les quatre Maisons de la Compagnie, celle qui m'agréerait davantage, et que j'y pouvais rester autant de temps qu'il me plairait. Je choisis la Maison du Noviciat; mais avant que de m'y retirer, le Révérend Père Recteur du Collége m'invita à passer quelques jours chez lui. Je fus charmé de l'ordre et de la régularité de cette grande Communauté, composée de plus de cent personnes, dont la plupart sont de jeunes étudians. Leur application à l'étude ne diminuait rien de leur piété et de leur ferveur. Je demeurai trois jours au Collége et j'allai ensuite me renfermer dans le Noviciat. La modestie, la piété, le silence et la régularité de ces fervens Novices que j'avais tous les jours devant les yeux, me rappelaient sans cesse le souvenir de mes premières années de Religion; et les saintes réflexions qu'ils me donnaient lieu de faire, m'humiliaient de... vant le Seigneur, et m'animaient à être à l'avenir plus fidèle à ses grâces. J'achevais ma retraite lorsque je reçus une lettre de M. Boislorée, qui m'aprenait son arrivée au Callao; je me rendis aussitôt à son bord, et dès le lendemain on mit à la voile. C'était le premier jour de Mars de l'an 1713. Nous eûmes trois mois d'une navigation trèsdouce; les vents alizés qui règnent sur cette mer, nous portèrent très-commodément aux îles Mariannes. Comme le Galion d'Espagne que je venais chercher, n'avait pas encore paru, je résolus de l'attendre dans l'île de Guahan où nous avions mouillé. A peine étais-je à terre, que les Révérends Pères Jésuites, qui sont les seuls Missionnaires de ces îles, vinrent au-devant de moi, accompagnés d'une troupe d'enfans; ils me conduisirent en procession à leur Eglise, au milieu d'une multitude de fidèles qui s'étaient rendus en foule au rivage. L'air retentissait des louanges du Seigneur que chantaient ces enfans, avec une dévotion qui m'attendrissait jusqu'aux larmes. La prière finie, les Pères me menèrent dans leur maison qui est assez mal bâtie : ils n'oublièrent rien pour me marquer leur affection, et pour dissiper l'ennui qu'on. ne peut guère éviter daus un Pays si sauvage. Il n'y a qu'un zèle ardent pour le salut des ames, qui ait pu porter ces hommes Apostoliques à entreprendre la conversion de ces barbares, et à consacrer le reste de leur vie dans ces îles séparées du reste de l'Univers, |