comme dit Boileau, jusqu'à l'excès. Mais dans ce débordement même d'humeur atrabilaire, il a des beautés vraiment sublimes. Ses satyres ont été bien traduites par le P. T'arteron, mais encore mieux par Dusaulx. Regnier a été en France, sous le règne de Louis XIII, le restaurateur de la satyre. Il a de la gaîté, de la force, et même des graces mais ce poète peu décent doit être redouté du chaste lecteur. Nous devons à Boileau la gloire de l'emporter sur nos voisins, et de le disputer à l'ancienne Rome dans le genre de la satyre. On peut dire qu'il réunit la finesse et la légèreté d'Horace, la sagesse et la raison de Perse, la force et la vivacité de Juvenal, sans en avoir les fougueux excès: mais son caractère a plus de ressemblance avec celui du premier. Ses pensées sont toujours naturelles, ses expressions justes, ses tours vifs et aisés, son style pur et élégant, ses vers harmonieux, faits avec soin et jamais vides d'idées. Quelque grande, dit le marquis d'Argens (1), quelque grande que puisse être la barbarie d'un homme, dès qu'il sait lire et qu'il entend le français, on doit supposer qu'il a lu les Satyres de Boileau. (1) Réflex. hist. et crit. sur le Goût, Caractère gie. ARTICLE V. De l'Elégie. Le vrai caractère de l'élégie se trouve de l'Elé marqué dans le mot même, composé de deux mots grecs, qui signifient dire hélas! Ce petit poème, en effet, qu'on avoit inventé pour déplorer les malheurs, les infortunes, et se plaindre des rigueurs du sort, étoit, dans son origine, uniquement destiné aux larmes, aux gémissemens, et à l'expression de la douleur. Mais bientôt on y fit entrer des sentimens de tendresse et même de joie. La plainte, suivant Horace (1), fut d'abord renfermée dans l'élégie, ensuite l'amour y chanta ses conquêtes, Boileau (2) a dit après le poète latin : Elle peint des amans la joie et la tristesse. Cette sorte de poésie est donc consacrée aux mouvemens du coeur mais elle se borne aux sentimens doux, soit de tristesse, soit de joie. Elle ne peut point embrasser les sentimens de toutes les espèces et de tous les degrés, réservés à l'ode, et rejette par conséqueut les pensées sublimes, les images pom peuses. Elle n'admet pas non plus cet amour violent et furieux, dont les effets sont si funestes et si terribles, et qui est du ressort de la tragédie. Par conséquent le style trop fort et trop pathétique ne convient pas à son caractère. Le but de l'élégie est d'attendrir l'ame, et non d'exciter la terreur. Il est aisé de juger que pour réussir dans ce genre d'écrire, il faut bien sentir et bien peindre le sentiment avec des couleurs vraies et naturelles. Il faut que le cœur seul parle dans l'élégie. C'est le précepte que donne Boileau (1); précepte fondamental, qui renferme tous les autres. L'ame du poète doit être toute remplie de son objet, toute pénétrée des malheurs qu'il veut déplorer, et se montrer tout entière dans l'élégie. Un poème de cette espèce, dicté par l'esprit, sera nécessairement froid, fade, langoureux, ou chargé d'ornemens frivoles, non moins ridicules que déplacés. Ce n'est pas que le coeur puisse, sans Ornemen le talent, produire une bonne élégie. propres à La sensibilité de l'ame doit être aidée d'un génie facile, qui donne une certaine élévation et une certaine délicatesse à ce poème. Le coeur fournit les senti (1) Art Poét. ch. 1. mens: l'imagination les met en œuvre, et leur prête son coloris et ses graces. Mais ce coloris ne doit pas être trop brillant; ces graces ne doivent pas être affectées. L'élégie paroît en habits de deuil, les cheveux épars. Une parure éclatante un ajustement recherché pourroient-ils lui convenir? Elle répand des larmes; elle éclate en plaintes, en gémissemens. Peut-il sortir de sa bouche d'autres accens, d'autres cris; que ceux du sentiment et de la passion La véritable douleur n'a point de langage étudié, de marche suivie et compassée. Le langage de l'élégie doit être simple et sans apprêt; sa marche rompue, irrégulière même jusqu'à un certain point; et il y doit régner, dans tout l'ensemble, ce désordre intéressant, cette négligence aimable, qui, quoiqu'en partie l'ouvrage de l'art, ne paroît être que l'effet du sentiment. Tout ce qui offre l'appareil de l'étude et du travail, tout ce qui sent l'affectation, est entiè rement opposé au caractère de l'élégie, non-seulement lorsqu'elle exprime la douleur ou la tendresse; mais encore même lorsqu'elle décrit, en passant, des objets gracieux et rians. Que le creur soit donc vivement pénétré; il suggérera à l'esprit des pensées, des images, des comparaisons analogues et proportionnées au sentiment. C'est dans cette heureuse situation que se trouvoit celui de La Fontaine, lorsque sa muse plaintive poussoit des regrets si touchans sur la disgrace de Fouquet, sur-intendant des finances. Cette élégie est un vrai chef-d'oeuvre. Tout y porte l'empreinte d'une ame sensible et profondément affligée. La douleur a fait naître toutes les idées, toutes les réflexions; et l'art en se cachant, les a revêtues des couleurs qui leur étoient propres. Le sentiment y est toujours embelli par l'imagination, et l'imagination toujours animée par le sentiment. La Voici : Remplissez l'air de cris en vos grottes profondes, Vous l'avez vu naguère aux bords de vos fontaines, En des gouffres de maux le plongent à toute heure. Les attraits enchanteurs de la prospérité. Dans le palais des rois cette plainte est commune: On n'y connoît que trop les jeux de la fortune, |