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un seul vers ou dur, ou obscur, ou déclamateur: ce sont là les conditions qu'on exige aujourd'hui d'une tragédie, pour qu'elle puisse passer à la postérité avec l'approbation des connoisseurs, sans laquelle il n'y a jamais de réputation véritable.

A cette espèce de récapitulation des préceptes généraux de la tragédie, j'ajoute cette réflexion de la Bruyère. Le poème tragique vous serre le cœur dès son commencement, vous laisse à peine dans tout son progrès la liberté de respirer, et le tems de vous remettre; ou s'il vous donne quelque relâche, c'est pour vous replonger dans de nouveaux abîmes et dans de nouvelles alarmes. Il vous condnit à la terreur par la pitié, ou réciproquement à la pitié par le terrible; vous mène par les larmes, par glots, par l'incertitude, par l'espérance, par la crainte, par les surprises et par l'horreur, jusqu'à la catastrophe.

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Poètes

On a vu dans l'article précédent que le chariot de Thespis fut, vers l'an 556 tragiques. avant J. C., le berceau de la tragédie, comme celui de la comédie. Quelques années après, Eschyle, né à Athènes, fit monter la tragédie sur un théâtre, où l'on voyoit une certaine pompe et une certaine majesté ; rendit ses personnages héroïques, et leur donna des habits convenables à l'action qu'ils représentoient.

Il composa, selon quelques-uns, quatrevingt-dix tragédies, et selon d'autres, plus de cent il ne nous en est parvenu que sept. Le sombre et le terrible en font le principal caractère : elles émeuvent, effraient, déchirent l'ame. Ce poète avoit un génie hardi, véhément et sublime, mais trop impétueux et souvent outré. On reconnoît dans ses pièces, comme le remarque le P. Brumoi, la rudesse antique de la tragédie naissante, avec beaucoup d'élévation et de grandeur.

Sophocle, né l'an 495 avant J. C., parut sur le théâtre d'Athènes peu de temps avant la mort d'Eschyle, et y fit jouer cent soixante-dix tragédies,sans compter, les sept qui nous restent. On n'y trouve pas toute la force et toute la véhémence de son prédécesseur; mais on y admire une vigueur qui n'a rien de dur, une élévation qui n'a rien d'outré. La marche de ce poète est toujours noble et assurée; son génie sublime est toujours soutenu par un goût délicat. C'est lui qui fit paroître, le premier, la tragédie dans sa véritable grandeur et sa véritable dignité.

Euripide, né à Salamine, île de la mer Egée, l'an 480 avant J. C., et rival de Sophocle, est moins élevé, moins vigoureux que lui, mais plus tendre et plus touchant. Ce tragique est tout sentiment, va toujours droit au coeur, et sait merveilleusement l'attendrir. Ses tragédies

d'ailleurs sont remplies d'excellentes maximes pour la conduite des mœurs. De cent vingt-deux pièces qu'il compoil nous en est parvenu dix-neuf.

sa,

Le P. Brumoi nous fait parfaitement connoître le caractère et le génie de ces trois tragiques dans son Théâtre des Grecs, qui contient des traductions ou des analyses de toutes les tragédies grecques, avec des discours concernant le théâtre d'Athènes; ouvrage unique dans son espèce (est-il dit dans l'avant-propos d'une nouvelle édition faite après la mort de l'auteur), et si favorablement accueilli des personnes de goût. Elles y ont unanimement reconnu un style élégant et poli, assez de connoissance de la bonne antiquité, une profonde intelligence du théâtre et de ses règles, des parallèles justes, des dissertations judicieuses. Les beaux endroits sur-tout de Sophocle et d'Euripide leur ont paru rendus avec une force, avec une grace qui ne restent guère au-dessous de l'original. Ce savant traducteur n'a donné que des extraits des tragédies d'Eschyle. Le marquis de Pompignan les a entièrement traduites, et cette traduction est généralement regardée comme un chef-d'oeuvre. Le P. Brumoi n'a traduit que trois pièces de Sophocle, et s'est contenté de donner le précis des autres avec la traduction de quelques morceaux. Celles-ci

ont été entièrement mises en français par Dupuis. L'Edipe du même poète a encore eu pour traducteurs Dacier et Boivin. Le premier nous a donné aussi l'Electre. Quant à Euripide, on trouve dans l'ouvrage du P. Brumoi l'entière traduction de quatre de ses tragédies et de son Cyclope, avec une analyse des autres. Des savans de l'Académie royale des inscriptions et belles-lettres nous ont donné, il y a quelques années, une nouvelle édition de ce Théâtre, augmentée de la traduction entière des pièces grecques, dont il n'existe que des extraits dans toutes les éditions précédentes, et de comparaisons, d'observations et de remarques nouvelles.

Les tragédies de ces poètes grecs sont admirables par leur simplicité, et conduites avec un art qui cache l'art même. L'action exposée avec netteté, y marche toujours uniment et sans être embarrassée; le noeud y est peu compliqué et se dénoue sans efforts. L'intérêt y est toujours vif, toujours soutenu, et va toujours en croissant. Que notre scène seroit riche en chef-d'oeuvres tragiques, si nos poètes se nourrissoient de la lectúre de ces excellens modèles, et les avoient sans cesse sous les yeux ! La plupart, oso le dire, ne mériteroient pas ce trait de critique de Boileau:

Je me ris d'un auteur, qui lent à s'exprimer,

De ce qu'il veut d'abord ne sait pas m'informer,
Et qui débrouillant mal une pénible intrigue,
D'un divertissement me fait une fatigue (1).

Nous n'avons d'autres tragédies latines que celles qu'on attribue à Sénèque, ancien précepteur du cruel Néron, par l'ordre duquel il se fit mourir, l'an 65 de J. C. Il y a en quelques endroits de fort beaux sentimens, mais qui sont presque toujours hors de la nature. Elles sentent toutes le déclamateur et l'écrivain possédé de la fureur du bel-esprit. Les réflexions que le P. Brumoi a eu occasion de faire dans son Théâtre des Grecs sur la plupart de ces tragédies, en font connoître le goût, le génie et le caractère. Nous n'en avons pas de bonne traduction en français.

:

Après une longue suite de siècles d'ignorance et de barbarie, l'Europe vit renaître l'art de la tragédie, ou du moins en apperçut les premières lueurs. Ce fut dans le siècle de la restauration des lettres d'abord en Italie, où le Trissin donna Sophonisbe, que le pape Léon x fit représenter à Rome : ensuite en France, où, en présence de la cour de Henri II, Jodelle fit paroître sur notre scène encore grossière sa Cléopatre et sa Didon. Vers la fin de ce même siècle, Shakespeare créa la tragédie en Angleterre ;

(1) Art Poét. ch. 1.

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