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choient. Ils étoient armés d'arcs & de fleches où ils avoient enchâffé des pierres affez bien travaillées, & portoient avec eux une efpece de couteau de pierre, qu'ils mettoient à terre avec leurs armes quand ils s'approchoient des Efpagnols, pour leur marquer qu'ils fe fioient à eux. Leurs cabanes étoient faites d'arbres entrelaffés les uns dans les autres; & ils avoient ménagé dans le toît, qui fe terminoit en pointe, une ouverture pour donner un libre paffage à la fumée. Leurs canots fait d'écorce de gros arbres, étoient affez proprement travaillés. Ils ne pouvoient contenir que fept à huit hommes, n'ayant que douze, ou quinze pieds de long fur deux de large. Leur figure étoit à-peu-près femblable à celle des gondoles de Venife. Les Barbares répétoient fouvent, hoo hoo, fans qu'on pût dire fi c'étoit un cri naturel ou quelque mot particulier à leur langue. Ils paroiffoient avoir de T'efprit, & quelques-uns apprirent fort aifément l'Oraifon Dominicale.

Au refte, cette côte de la Terre de Feu eft très-élevée. Le pied des montagnes eft rempli de gros arbres épais & fort hauts; mais le fommet eft prefque toujours couvert de neiges. On trouve en

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plufieurs endroits un mouillage affez für & affez bon pour faire commodément du bois & de l'eau. En paffant ce Détroit nous reconnûmes vers notre gauche, à une distance d'environ trois lieues, la terre des Etats de Hollande , qui nous parut auffi fort élevée & fort montagneufe.

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Enfin après avoir paffé le détroit de le Maire & reconnu au-delà quelques ifles qui font marquées dans nos cartes, nous commencâmes à éprouver la rigueur de ce climat durant l'hyver par le grand froid, la grêle, les pluies, qui ne ceffoient point, & par la brié veté des jours qui ne duroient que huit heures & qui étant toujours trèsfombres, nous laiffoient dans une espece de nuit continuelle. Nous entrâmes donc dans cette mer orageufe, où nous fouffrîmes de grands coups de vent, qui féparerent notre vaiffeau de celui que commandoit M. Fouquet, & où nous effuyâmes des tempêtes violentes, qui nous firent craindre, plus d'une fois de tomber fur quelque terre inconnue. Cependant nous ne paffames pas la hauteur de cinquante-fept degrés & demi de latitude fud: & après avoir combattu pendant près de quinze jours, contre

la violence des vents contraires, nous doublâmes en louvoiant le cap de Hornes, qui eft la pointe la plus méridionale de la Terre de feu. Nous avons encore remarqué ici une autre erreur de nos cartes, qui placent le cap de Hornes à cinquante- fept degrés & demi; ce qui ne peut être car, quoique nous nous foyons élevés jufqu'à cette hauteur comme je viens de dire, nous fommes paffés affez au large de ce cap, & nous ne l'avons point reconnu: ce qui nous fait juger que fa véritable fituation doit être à cinquante-fix degrés & demi, tout au plus.

Comme la plus grande difficulté de notre navigation dans cette mer, confistoit à doubler le cap de Hornes, nous continuâmes notre route avec moins de de peine, & nous nous trouvâmes peuà-peu dans des mers plus douces & plus tranquilles de forte qu'après quatre mois & demi de navigation, nous gagnâmes le port de la Conception dans le Royaume de Chili, où nous mouillâmes le 13 de Mai, feconde Fête de la Pentecôte. Nous avons dans cette ville un College de notre Compagnie, où nos Peres nous reçurent avec de grandes démonftrations d'amitié. La Con

le

ception eft une ville épifcopale, peu riche & peu peuplée, quoique le terroir foit fertile & abondant. Auffi tout y eft à beaucoup meilleur marché qu'au Perou; excepté les denrées d'Europe, qui s'y vendent beaucoup plus cher. Les maisons font baffes & mal bâties fans meubles & fans ornemens. Les Eglifes fe reffentent de la pauvreté du pays; les rues font comme dans nos villages de France. Le port eft beau vafte & sûr: quoique le vent de nord y regne affez fouvent, au moins pendant l'hyver & l'automne. Huit jours après notre arrivée à la Conception, Murinet, qui s'étoit féparé de nous, comme nous avons dit, vint mouiller dans ce même port, & nous tira de la crainte où nous étions, qu'il ne lui fut arrivé quelqu'accident fâcheux. Nous ne reftâmes à la Conception qu'autant de temps qu'il nous en fallut pour prendre quelques rafraîchiffemens, & nous délaffer un peu des fatigues de notre voyage. Ainfi quinze jours après nous fîmes voile vers le Pérou, ayant laiffé à la Conception le Murinet, qui avoit befoin de plus de temps pour fe radouber & pour se rafraîchir.

Le premier port du Pérou où nous

mouillâmes, fut celui d'Arica, à dix-neuf degrés environ de latitude méridionale. Cette ville & ce port étoient autrefois très-célebres, parce que c'étoit-là qu'on chargeoit les richeffes immenfes qui fe tiroient des mines de Potofi, pour les conduire par mer à Lima. Mais depuis que les forbans Anglois ont infefté ces mers par leurs courfes & par leurs pirateries, on a jugé à propos de les conduire par terre plus sûrement, quoiqu'avec plus de dépenfe. Nous reftâmes près de cinq mois dans ce port & dans celui de Hilo, qui n'en eft éloigné que de trente lieues, & qui n'a rien de confidérable. Comme nous foupirions avec des vœux ardens vers notre chere Miffion de la Chine, nous ne fouffrions qu'avec regret un fi long & fi ennuyeux retardement ; & dès-lors nous commençâmes à craindre que nos vaiffeaux ne fiffent de la Chine. Ce pas le le voyage qu'il y a de plus particulier au Pérou, c'eft qu'on n'y voit jamais ni pluye, ni grêle, ni tonnerre, ni éclair. Le temps y eft toujours beau, ferain & tranquille. Un vent de midi qui fouffle ordinairement, & qui eft ici comme le nord en France, rafraîchit l'air, & le rend plus fupportable mais les tremblemens de

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