SECONDE LETTRE Du Pere Chomé, Miffionnaire de la Compagnie de Jefus, au Pere Vanthiennen, de la même Compagnie. A Buenos-Ayres, ce 21 Juin 1732. MON RÉVÉREND PERE, La paix de Notre Seigneur. II y a environ deux ans que je vous écrivis de la ville de Las Corrientes, par où je paffois pour me rendre aux Miffions des Guaranis, auxquelles j'étois deftiné, & où j'arrivai au mois d'Octobre de l'an 1730. Je m'appliquai d'abord à apprendre la langue de ces peuples; graces à la protection de Dieu, & au goût fingulier qu'il m'a donné pour les langues les plus difficiles, en peu de mois d'une application conftante, je fus en état de confeffer les Indiens, & de leur annoncer les vérités du falut. Je vous avoue qu'après avoir été un peu initié aux myfteres de cette langue, 1 je fus furpris d'y trouver tant de majefté & d'énergie; chaque mot eft une définition exacte qui explique la nature de la chofe qu'on veut exprimer, & qui en donne une idée claire & diftinéte. Je ne me ferois jamais imaginé qu'au centre de la barbarie l'on parlât une langue, laquelle, à mon fens, par fa nobleffe & par fon harmonie, ne le céde gueres à aucunes de celles que j'avois apprifes en Europe; elle a d'ailleurs fes agrémens & fes délicateffes, qui demandent bien des années pour la pofféder dans fa perfection. par La Nation des Indiens Guaranis eft tagée en trente peuplades, où l'on compte cent trente-huit mille ames, qui, par la ferveur de leur piété, & par l'innocence de leurs moeurs, nous rappellent les premiers fiécles du Chriftianifme. Mais ces peuples reffemblent affez à ces terres arides qui ont besoin d'une continuelle culture. Ce qui ne frappe pas les fens, ne laiffe dans leurs efprits que des traces légeres; c'eft pourquoi il faut fans ceffe leur inculquer les vérités de la foi, & ce n'eft que par les foins affidus qu'on fe donne à les inftruire, qu'on les maintient dans la pratique de toutes les vertus chrétiennes. Ces contrées font infeftées de bêtes féroces, & fur-tout de tigres; on y trouve diverfes fortes de ferpens, & une infinité d'infectes qui ne font pas connus en Europe. Parmi ces infectes, il y en a un fingulier, que les Efpagnols nomment Piqué, & les Indiens Tung: il eft de la groffeur d'une petite puce: il s'infinue peu-à-peu entre cuir & chair, principalement fous les ongles, & dans les endroits où il y a quelques calus. Là il fait fon nid & laiffe fes œufs. Si l'on n'a foin de le retirer promptement, il fe répand de tous côtés, & produit les plus triftes effets dans la partie du corps où il s'eft logé; d'où il arrive qu'on fe trouve tout-à-coup perclus ou des pieds ou des mains, felon l'endroit où s'eft placé l'infecte. Heureufement on eft averti de la partie où il s'eft gliffé, par une violente démangeaifon qu'on y fent. Le remede eft de miner peu-à-peu fon gîte avec la pointe d'une épingle, & de l'en tirer tout entier, fans quoi il feroit à craindre que la plaie ne s'envenimât. Les oiseaux y font en grand nombre, mais bien différens de ceux qu'on trouve en Europe. Il y a plus de vingt fortes de perroquets; les plus jolis ne font pas plus gros qu'un petit moineau; leur chant elr eft à peu près femblable au chant de la linotte, ils font verts & bleus & quand on les a pris, en moins de huit jours on les rend fi familiers, qu'ils viennent fur le doigt du premier qui les appelle. C'eft fur-tout dans les marais qu'on voit des oifeaux de toute efpece, qui furprennent par l'agréable variété de leurs couleurs, & par la diversité de leur bec, dont la forme eft finguliere. Les oifeaux de proie y abondent, & il y en a d'une énorme grandeur. Voilà tout ce que je vous puis dire d'un pays où je n'ai pas fait un long féjour, bien que je cruffe y paffer une partie de ma vie. Mais des ordres fupérieurs m'appellent avec trois autres Miffionnaires dant une autre Miffion, qui doit en quelque façon nous être plus chere, puifqu'on nous y promet de grands travaux, des croix, des tribulations de toutes les fortes, & peut-être le bonheur de fceller de notre fang les faintes vérités que nous allons annoncer dans ces contrées barbares. Ces Peuples fe nomment Chiriguanes. Pour vous donner quelques connoiffances de cette Nation, il faut reprendre les chofes de plus loin. Lorfque les Tome VIII. L Guaranis fe foumirent à l'Evangile, & que réunis par les premiers Miffionnaires dans diverfes Peuplades, ils commencerent à former une nombreufe & fervente Chrétienté, il fe trouva parmi eux un certain nombre d'infideles, dont on ne put jamais vaincre la férocité, & qui refuferent opiniâtrément d'ouvrir les yeux aux lumieres de la foi. Ces barbares craignant le reffentiment de leurs compatriotes, dont ils n'avoient pas voulu fuivre l'exemple, prirent la réfolution d'abandonner leur terre natale & d'aller chercher un afyle dans d'autres contrées; dans cette vue ils pafferent le fleuve Paraguay, & avançant dans les terres, ils fixerent leur demeure au milieu des montagnes. Les Nations chez lefquelles ils s'étoient réfugiés en conçurent de la défiance, & après avoir délibéré fur le parti qu'elles avoient à prendre, ou de déclarer la guerre à ces nouveaux venus, ou de les laiffer vivre tranquillement dans les montagnes, elles jugerent qu'étant nés sous un Ciel brûlant, & paffant dans des pays extrêmement froids, ils ne pourroient réfifter long-temps aux rigueurs d'un fi rude climat, & qu'ils y périroient bientôt de miferes. Chiriguano, difoient-elles en leur |