& s'il faut compter jufqu'à dix, ils montreront de fuite les doigts de la main gauche. Si le nombre qu'ils veulent exprimer paffe dix, ils s'affeyent à terre, & montrent fucceffivement les doigts. de chaque pied, jufqu'au nombre vingt. Comme cette maniere de s'expliquer est peu décente au Tribunal de la Pénitence, un Confeffeur doit s'armer de patience, & leur entendre répéter le même péché, autant de fois qu'ils l'ont commis; ils diront, par exemple, j'ai fait tel péché une fois, je l'ai fait une autrefois, & ainfi du refte. J'eus la confolation d'apprendre dans mes premieres excurfions, que quatre nombreufes Nations infideles paroiffoient difpofées à écouter les Miffionnaires & à embraffer la foi. Et en effet, elles renoncerent à l'idolâtrie, & fe convertirent, les unes plutôt, & les autres plus tard, de la maniere que je vais vous le raconter. Ces Nations font les Itucalis, qui demeurent fur les bords d'une riviere nommée Chambira Yacu, laquelle vient. fe rendre dans le Maragnon, les Yameos qui font un peu plus bas, le long du Maragnon, du côté du nord; les Payaguas & les Iquiavates qui habitent le long de la rive orientale de la grande riviere Napo, laquelle fe jette, comme les autres, dans le Maragnon. Ceux qui marquerent le plus d'empreffement pour fe foumettre à l'Evangile, furent les Itucalis. Ils allerent d'euxmêmes vifiter les Eglifes des peuplades chrétiennes; ils demanderent avec inftance un Miffionnaire; ils promirent de bâtir au plutôt une Eglife femblable à celles qu'ils voyoient, avec une maifon pour le Pere qui voudroit bien les inftruire. Et en effet m'étant rendu chez eux environ quinze jours après la demande qu'ils avoient faite, je trouvai l'églife & la maison achevées. Je demeurai un grand mois avec eux, & ils me fournirent libéralement tout ce qui étoit néceffaire à ma fubfiftance. Tous les jours, matin & foir ils venoient réciter les prieres, & entendre l'inftruction que je faifois aux uns en leur propre langue, & aux autres en la langue générale del Inga. Je conférai le baptême aux enfans que leurs parens me préfenterent, & à environ deux cens adultes que je trouvai fuffifamment inftruits. J'établis quelques-uns d'eux, pour mieux inftruire le refte de leurs compatriotes, en leur promettant que je reviendrois bientôt les voir, & don-ner le baptême à ceux qui feroient ent état de le recevoir. Ces peuples font plus féveres dans leurs mœurs & ont moins d'obstacle au Chriftianifme que les autres infideles: malgré les chaleurs brûlantes du climat,, ils font modeftement vêtus, au lieu que les autres vont prefque nuds. D'ailleurs, la polygamie qui eft en ufage parmi prefque toutes ces Nations, n'eft point permife chez eux, & ils n'ont chacun. qu'une feule femme. C'eft ce qui rend leur converfion plus aifée, & le Miffionnaire n'a plus qu'à confirmer leur mariage, en leur adminiftrant ce Sacrement felon les cérémonies de l'Eglife.. Les Yameos, qui font à une journée plus bas, dans les forêts voisines du Maragnon, ayant eu occafion de fréquenter une Nation toute Chrétienne de leur voifinage, demanderent pareillement un Miffionnaire. Le Pere qui a la conduite des Omaguas, les alla voir,. leur bâtit une églife, les inftruifit des. vérités chrétiennes, & donna le baptême à tous ceux qui y étoient difpofés. Cette Nation eft compofée de plus de deux mille Indiens. Un autre événement que je vais rap porter, donna lieu à l'établiffement de trois peuplades dans la Province des Yquiavates & des Payaguas, qui habitent les terres arrofées par la grande riviere de Napo. Voici comment la chofe arriva. Des Indiens infideles avoientféduit & débauché un affez bon nombre de nos Néophites, & les avoient entraînés avec eux dans leurs habitations qui font le long de la riviere Ucayalle. J'appris cette nouvelle avec le plus vif fentiment de douleur; & mon premier mouvement fut de courir après ces brebis égarées, pour les ramener au bercail. Mais qu'aurois-je pu faire moi feul au milieu de ces Barbares? C'eût été me livrer témérairement & fans fruit à leur fureur. J'étois dans ces perplexités, lorfque fix braves Espagnols, à la tête defquels étoit le capitaine Cantos, s'offrirent de m'accompagner avec un nombre d'Indiens Chrétiens, capables de fe faire refpecter des Infideles. On fixa le jour du départ, & lorsqu'il fut arrivé, nous nous embarquâmes dans cinquante canots, qui formoient une petite armée navale. Chaque Efpagnol commandoit cinquante Indiens. Les Efpagnols étoient armés de leurs fabres & de leurs fufils: les Indiens portoient leurs armes ordinaires, qui font la lance, l'arc & les fleches. Nous defcendîmes ainfi le fleuve Maragnon en fort bon ordre. Lorfque nous arrivâmes à l'embouchure de la riviere Ucayalle, qui fe jette dans le Maragnon du côté du midi, je reçus une lettre du Pere Louis Coronado, Miffionnaire des Payaguas, qui déconcerta notre entreprife. Il me mandoit que les Yquiavates lui avoient député trente Indiens de leur Nation, pour le prier, ou de venir lui-même chez eux, ou de leur envoyer quelqu'un qui pût préfider à la conftruction de l'églife qu'ils vouloient bâtir, afin que le Pere qui leur feroit destiné, trouvât tout prêt à fon arrivée, & qu'il n'eût plus qu'à les inftruire; qu'il avoit reçu ces députés avec les plus grandes marques d'affection; & qu'après les avoir bien régalés, il leur avoit fait préfent de ferremens, de couteaux, de fauffes perles, de pendans d'oreilles, d'hameçons & d'autres bagatelles femblables, qui font fort eftimées de ces peuples; & qu'en les renvoyant, il leur avoit confié. fon domestique Efpagnol, nommé Manuel Eftrada, pour les aider à bâtir leur églife; que ces perfides, féduits & in |