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maniere dont ils vivent, & ce qui croît en leur Pays. La Californie fe trouve affez bien placée dans nos cartes ordinaires. Pendant l'été les chaleurs y font grandes le long des côtes & il y pleut rarement mais dans les terres l'air eft plus tempéré & le chaud n'y eft jamais exceffif. Il en eft de même de l'hyver à proportion. Dans la faifon des pluies, c'est un déluge d'eau; quand elle eft paffée, au lieu de pluies, la rofée se trouve fi abondante tous les matins, qu'on croiroit qu'il eût plu, ce qui rend la terre très-fertile. Dans le mois d'Avril, de Mai & de Juin, il tombe avec la rofée une efpece de manne, qui fe congele & qui s'endurcit fur les feuilles des rofeaux, fur lefquelles on la ramaffe. J'en ai goûté. Elle eft un peu moins blanche que le fucre, mais elle en a toute la douceur.

Le climat doit être fain, fi nous en jugeons par nous-mêmes & par ceux qui ont paffé avec nous. Car en cinq ans qu'il y a que nous fommes entrés dans ce Royaume, nous nous fommes tous bien portés, malgré les grandes fatigues que nous avons fouffertes, &, parmi les autres Efpagnols, il n'eft mort que deux perfonnes, dont l'une s'étoit attirée fon malheur. C'étoit une fem

me, qui eut l'imprudence de fe baigner étant prête d'accoucher.

Il y a dans la Californie, comme у dans les plus beaux pays du monde, de grandes plaines, d'agréables vallées, d'excellens pâturages en tout temps pour le gros & le menu bétail, de belles fources d'eau vive, des ruiffeaux & des rivieres dont les bords font couverts de faules, de rofeaux & de vignes fauvages. Les rivieres font fort poiffonneufes, & on y trouve fur-tout beaucoup d'écreviffes, qu'on tranfporte en des efpeces de réfervoirs, dont on les tire dans le befoin. J'ai vu trois de ces réfervoirs très-beaux & très-grands. Il y a auffi beaucoup de Xicames, qui font de meilleur goût que celles que l'on mange dans tout le Mexique. Ainfi on peut dire que la Californie eft un pays très-fertile. On trouve fur les montagnes des Mefcales (1) pendant toute l'année & prefque en toutes les faifons, de groffes piftaches de diverfes efpeces, & des figues de différentes couleurs. Les arbres y font beaux, & entr'autres celui que les Chinos, qui font les naturels du pays, appellent Palo fanto. Il porte beau

(1) C'eft un fruit propre de ce pays-là.

coup de fruit, & l'on en tire d'excel· lent encens.

Si ce pays eft abondant en fruits, il ne l'eft pas moins en grains. Il y en a de quatorze fortes, dont ces Peuples fe nourriffent. Ils fe, fervent auffi des racines des arbres & des plantes, & entr'autres de celle d'Yyuca, pour faire une efpece de pain. Il y vient des (1) chervis excellens, une efpece de faifeoles rouges, dont on mange beaucoup, & des citrouilles & des melons d'eau " d'une groffeur extraordinaire. Le pays eft fi bon, qu'il n'eft pas rare que beau coup de plantes portent du fruit trois fois l'année. Ainíi, avec le travail qu'on apporteroit à cultiver la terre, & un peu d'habileté à fçavoir ménager les eaux, on rendroit tout le pays extrêmement fertile, & il n'y a ni fruits ni grains qu'on n'y cueillit en très-grande abondance. Nous l'avons déja éprouvé nous-mêmes, car ayant apporté de la Nouvelle Efpagne du froment, du bled de Turquie, des pois, des lentilles, nous les avons femés, & nous en avons fait une abondante récolte, quoique nous n'euffions point d'inftrumens pro

(1) Le chervis eft une plante potagere, fa racine eft un compofé de navets rides d'un goût très-doux, fucré, agréable, & bons à manger.

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pres à bien remuer la terre, & que nous "ne puffions nous fervir que d'une vieille mule & d'une méchante charrue que nous avions pour la labourer.

Outre plufieurs fortes d'animaux qui nous font connus, qu'on trouve ici en quantité & qui font bons à manger, comme des cerfs, des lievres, des lapins & autres; il y a de deux fortes de bêtes fauves que nous ne connoiffions point. Nous les avons appellées des moutons, parce qu'elles ont quelque chofe de la figure des nôtres. La premiere efpece eft de la grandeur d'un veau d'un ou deux ans; leur tête a beaucoup de rapport à celle d'un cerf, & leurs cornes, qui font extraordinairement groffes, à celles des beliers. Ils ont la queue & le poil, qui eft marqueté, plus courts encore que les cerfs, mais la corne du pied eft grande, ronde & fendue comme celle des boeufs. J'ai mangé de ces animaux, leur chair m'a paru fort bonne & fort délicate. L'autre efpece de moutons, dont les uns font blancs & les autres noirs, different moins des nôtres. Ils font plus grands & ils ont beaucoup plus de laine. Elle fe file aifément & eft propre à mettre en œuvre. Outre ces animaux, dont on peut fe

nourrir, il y a des lions, des chats fau vages, & plufieurs autres femblables à ceux qu'on trouve en la nouvelle Efpagne. Nous avions porté dans la Californie quelques vaches & quantité de menu bétail, comme des brebis & des chevres, qui auroient beaucoup multiplié, fi l'extrême néceffité où nous nous trouvâmes pendant un temps, ne nous eût obligés d'en tuer plufieurs. Nous y avons porté des chevaux & de jeunes cavales pour en peupler le pays. On avoit commencé à y élever des cochons; mais comme ces animaux font beaucoup de dégât dans les villages, & comme les femmes du pays en ont peur, on a réfolu de les exterminer.

Pour les oifeaux, tous ceux du Me-xique, & prefque tous ceux d'Efpagne,. fe trouvent dans la Californie; il y a

des pigeons, des tourterelles, des

alouettes, des perdrix d'un goût excellent & en grand nombre, des oies, des canards & de plufieurs autres fortes d'oifeaux de riviere & de mer.

La mer eft fort poiffonneufe, & le poiffon en eft d'un bon goût. On y pêche des fardines, des anchoies & du thon qui fe laiffe prendre à la main au bord de la mer. On y voit auffi affez

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