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de tous les obstacles qui pouvaient s'opposer à leur succès et pris toutes les mesures nécessaires pour réduire, au cas de défaite, le désastre au minimum. Je ne pense pas que l'on puisse m'accuser d'encourager une foi téméraire. J'ai prêché le droit pour l'individu de s'abandonner à sa foi personnelle à ses propres risques. J'ai discuté la nature de ces risques; j'ai affirmé que personne d'entre nous ne pouvait les éviter tous; et j'ai simplement plaidé qu'il valait mieux les regarder franchement en face que d'agir comme si nous ignorions leur présence.

Que de bruit, me direz-vous, pour une matière sur laquelle, en dépit de nos divergences théoriques, nous nous accordons dans la pratique! A notre époque de tolérance, aucun savant ne tentera jamais de contrarier nos opinions religieuses, pourvu que nous nous y adonnions calmement entre amis et que nous n'en fassions pas un mauvais usage sur la place publique. Or, je vous répondrai que c'est précisément cette question de publicité qui m'importe. Le critérium expérimental de la valeur des hypothèses religieuses relatives à l'univers, le seul moyen qui nous soit offert de les déclarer vraies ou fausses, réside dans l'examen des croyances individuelles actives et de leur expression spontanée dans la vie.

L'hypothèse scientifique la plus vraie est celle qui «< fonctionne » le mieux; il n'en peut être autrement des hypothèses religieuses. L'histoire des religions nous montre que, l'une après l'autre, chaque hypothèse a mal fonctionné, qu'elle s'est écroulée au contact d'une connaissance plus approfondie de l'univers, et qu'elle a disparu de l'esprit humain. Quelques articles de foi cependant ont survécu à toutes ces vicissitudes, et possèdent même aujourd'hui plus de vitalité que jamais; c'est à la « science des religions >> qu'il appartient de les déterminer avec précision. En attendant, la lutte la plus libre des opinions et l'ap

plication la plus ouverte qui en est faite à l'existence par leurs divers champions, constituent les conditions les plus favorables pour que la mieux adaptée puisse survivre. C'est pourquoi il est nécessaire qu'aucune d'elles ne demeure cachée sous le boisseau pour être cultivée dans l'ombre par quelques amis. Elles doivent s'épanouir au grand air, rivaliser entre elles, et j'estime le régime de la tolérance la plus large étant admis que la science n'a rien à redouter pour ses propres intérêts d'un état de fermentation vivante du monde religieux. Elles ne supporteront que mieux l'épreuve à laquelle sont soumises les hypothèses scientifiques, et engloberont ces dernières dans leur sein.

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Le savant devrait donc accueillir avec bienveillance toute espèce d'agitation ou de discussion religieuse, dans la mesure où il accorde qu'une hypothèse religieuse puisse être vraie. Certes, un grand nombre de ses semblables repousseraient dogmatiquement une telle possibilité et maintiendraient que la science a déjà chassé toute espèce d'hypothèse religieuse. De tels esprits devraient, j'en conviens, s'attacher à reléguer les croyances religieuses dans le domaine privé, puisque toute manifestation publique n'en pourrait être, à leurs yeux, que nuisible. A leur égard, comme à l'égard des alliés qu'ils possèdent en dehors de la science, le débat reste ouvert, et j'espère que mon ouvrage contribuera à les confondre et à ranger les lecteurs de mon côté. La fermentation religieuse est toujours un symptôme de la vigueur intellectuelle d'une société; et nos croyances ne sont nocives que lorsqu'elles oublient leur caractère hypothétique pour émettre des prétentions rationalistes ou dogmatiques. La nature humaine n'offre rien de plus intéressant et de plus précieux que ses idéals et ses croyances en l'au delà. Et cela est vrai partout et de tout temps; les excès dont les individus et les époques historiques

sont coupables se compensent au total, et deviennent à la longue une source de profits pour l'humanité. Mon essai«< sur quelques points de la philosophie hégélienne » traite superficiellement un sujet sérieux et appelle l'indulgence du lecteur. C'est une esquisse satirique que je réimprime ici (non sans quelque appréhension), à la fois parce que j'estime la méthode dialectique détestable lorsqu'elle a recours aux seuls concepts, et parce que cet essai projette quelque lumière positive sur le point de vue pluraliste-empirique.

Le travail sur les « recherches psychiques » a été ajouté au volume pour des raisons de convenance et d'utilité. Attiré depuis quelques années vers ce genre d'études par amour de la loyauté scientifique, j'ai pu me convaincre de son importance et je désire lui gagner le plus d'adeptes possible. La branche américaine de la Société des recherches psychiques a besoin d'être encouragée, et si mon article dirige vers elle de nouveaux adhérents, il aura satisfait à son objet.

Je réclame enfin l'indulgence du lecteur pour avoir répété le même passage en deux essais (pages 78 et 116); on voudra bien m'accorder qu'il est parfois malaisé d'exprimer en termes différents et avec une force égale une même pensée.

WILLIAM JAMES.

CHAPITRE I

La volonté de croire

Dans une biographie de son frère publiée ces temps derniers par Leslie Stephen, l'auteur décrit une école que le jeune Fitz-James fréquentait autrefois. Le maître, du nom de Guest, avait coutume d'aborder avec ses élèves des problèmes tels que ceux de la différence entre la justification et la sanctification, ou de la toute-puissance de Dieu. La liberté de penser et l'impartialité qui règnent à Harvard ne nous ont point fait perdre tout contact avec ces questions vitales, et je me propose aujourd'hui de traiter de la justification par la foi ou plutôt de la justification de la foi, j'entends de la légitimité de l'attitude croyante dans les matières religieuses, légitimité à laquelle la résistance de l'entendement purement logique ne saurait faire obstacle. « La volonté de croire » gera donc le titre de cet essai.

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Pendant longtemps, j'ai soutenu devant mes élèves la validité des croyances que l'on adopte par un acte de volonté; mais dès qu'ils ont été imprégnés de l'esprit logique, ils se sont fait une règle de refuser à ma conception toute valeur philosophique, et cela alors même que chacun d'eux était pénétré en fait de telle

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