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la même dans tous les sens, il faut déjà savoir mesurer le temps en des points de l'espace différents... Il faut donc déjà savoir ce que c'est que la simultanéité. » (1) On semble donc être enfermé dans un cercle vicieux. Eh bien, non. Les expériences sur lesquelles est basé le résultat de l'isotropie de la vitesse de la lumière (l'expérience de Michelson en particulier) sont des expériences où on ne mesure que des coïncidences « à la fois spatiales et temporelles » ; et si on veut interprèter ces expériences, il suffit d'admettre comme prémisses d'une part les résultats expérimentaux qu'elles donnent; d'autre part cette idée qu'il peut

(1) A cette objection, Einstein répond qu'il ne sait pas encore si la propagation de la lumière est isotrope; mais il prend le procédé de mesure indiqué plus haut comme « définition » et il ajoute : « La scule condition que doive fournir la définition de la simultanéité est de fournir, dans chaque cas réel, un procédé empirique pour déterminer si elle est, oui ou non, réalisée. Il est indiscutable que ma définition remplit bien cette condition. Dire que la lumière met le même temps à parcourir le chemin A -> M que la distance B-M ne constitue pas, en réalité, une supposition ou une hypothèse sur la nature physique de la lumière, mais une convention que je peux faire librement, pour parvenir à une définition de la simultanéité »... Certainement, mais si on remplace le mot «<lumière » par le mot « son » la pseudo-simultanéité ainsi définie n'a plus aucun intérêt, et cela vient de ce qu'en réalité la propagation du son n'est pas isotrope pour un observateur quelconque, et donc la définition ainsi posée définit alors autre chose que la simultanéité vraie (pour cet observateur), celle du concept naturel de simultanéité. C'est que la position logique d'Einstein est celle-ci il suppose, avant toute autre chose, que la propagation de la lumière obéit au principe de relativité; sa définition de la simultanéité s'ensuit alors nécessairement, ainsi que les équations de Lorentz et tout le reste de la théorie; c'est seulement à la fin qu'il demande à l'expérience des vérifications.

Il me semble plus convaincant de partir de l'expérience, en raisonnant logiquement à partir de faits constatés.

exister, en des points de l'espace différents, des époques qui, pour un certain observateur, peuvent être considérées comme « simultanées » et servir à définir des temps, donc aussi des vitesses par rapport à cet observateur; partant simplement de ces prémisses, on est obligé logiquement de conclure à l'isotropie de la propagation de la lumière.

On pourrait se demander s'il existe des moyens de signalisation plus rapides que la lumière, nous permettant, en augmentant progressivement la vitesse de transmission, d'arriver à des critériums de simultanéité de plus en plus précis, sans imposer la condition de se placer exactement au milieu de la distance qui sépare les deux évènements; mais on ne connaît pas de signaux plus rapides que la lumière; et cela est si vrai qu'on en arrive à être persuadé que cette impossibilité tient à la nature même des choses (1).

Mais peu importe, puisque nous voyons que, pour notre observateur placé au milieu de la distance séparant les deux « événements », le moyen de mesure ainsi posé correspond bien à l'idée naturelle, au <concept naturel » (comme diraient les philosophes) de simultanéité.

Avec un système de référence basé sur des « corps

(1) Les théoriciens de l'ancienne mécanique supposaient tout simplement qu'il existait des solides indéformables c'est-àdire qu'en poussant une extrémité d'un tel solide (une barre de fer rigide) on transmettait instantanément l'impulsion à l'autre bout. En réalité (les expériences sur l'élasticité l'ont montré), jamais on n'a de transmission instantanée, et même la vitesse de transmission est, de très loin, inférieure à celle de la lumière; il n'y a pas de solides indéformables, et cette impossibilité tient, elle aussi, à la nature de la matière.

solides » tels que nous avons l'habitude de les voir, servant à mesurer les distances, ce procédé nous fait placer des observateurs, immobiles dans ce « système de référence » au milieu des distances qui séparent les points où se produisent les événements; eh bien il est intéressant de voir (on le démontre assez facilement) que de cette façon dans un même système de référence deux événements simultanés d'un troisième sont simultanés entre eux; on adopte alors le critérium en question pour tout le système de référence, et on dit que les événements sont simultanés par rapport au système considéré.

Deux événements simultanés par rapport à un système peuvent-ils l'être pour un autre système, en mouvement par rapport au premier ? Non, même si le mouvement en question est rectiligne et uniforme.

Supposons en effet que Pierre soit installé le long de la voie d'un chemin de fer, avec ses miroirs conjugués ; il est immobile par rapport à la voie, et prend la voie comme système de référence; un train passe et deux éclairs tombent sur la voie, l'un sur la tête et l'autre sur la queue du train; Pierre les voit et il constate qu'il les voit en même temps; d'autre part, en mesurant après coup les distances de l'endroit M où il se trouvait, aux traces que la foudre a produites sur la voie en A et en B, Pierre s'aperçoit que AM = MB; donc il se trouvait tout à l'heure au milieu de AB ; il en conclut que les deux éclairs étaient simultanés... par rapport au système « voie ».

Soit maintenant « Paul » un voyageur assis au milieu du train; Paul se trouvait en face de Pierre « au moment » (défini par rapport au système voie) où

les deux éclairs se sont produits. Si Pierre réfléchit à la succession des impressions rétiniennes de Paul, il va juger que Paul n'a pas perçu les deux éclairs en même temps en effet, Paul se trouvait en face de Pierre au moment où les deux éclairs se sont produits, mais il voyage avec le train; donc le rayon lumineux issu de l'éclair de tête (de B) rencontrera Paul avant de rencontrer Pierre, qui est resté en M; le rayon lumineux issu de l'éclair de queue (de A) rencontrera

M'

A

M
Fig. 1.

B

Paul après avoir rencontré Pierre ; donc les deux impressions rétiniennes de Paul ne peuvent pas être simultanées... Pour faire ce raisonnement, nous sommes restés sur la voie, donc nous avons raisonné avec Pierre. Disons donc Pierre juge que Paul n'a pas perçu les deux éclairs en même temps.

Eh bien, Pierre a été bon juge, et ce qu'il dit cst l'expression d'une réalité objective: en effet si Paul avait perçu les deux éclairs en même temps, ces deux perceptions rétiniennes simultanées seraient des coincidences « à la fois spatiales et temporelles », coïncidences sur lesquelles tout le monde serait d'accord. J'en déduis que Paul n'a pas perçu les deux éclairs en même temps.

Et les voyageurs du train, qui prennent leur train pour système de référence, à qui vont-ils s'adresser

pour savoir si les deux éclairs ont été simultanés ? Mais, d'après le critérium d'Einstein, ils vont s'adresser à Paul, qui justement était assis au milieu du train. (le milieu de la distance séparant les deux éclairs dans le système « train »). Comme Paul n'a pas perçu les deux éclairs en même temps, il répondra avec raison : « Les deux éclairs n'étaient pas simultanés ». Et les voyageurs du train répèteront avec conviction : << Ils n'étaient pas simultanés. »

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On voit donc que les temps peuvent très bien ne pas avoir la même mesure pour les gens qui prennent la voie et pour ceux qui prennent le train pour système de référence.

VI. Le voyageur qui vit moins vite

Reprenons alors l'exemple du voyage « aller et retour » de Paul. Au moment du départ, Pierre et Paul ont des montres identiques, M et M' basées sur les mêmes phénomènes (des vibrations lumineuses) et bien réglées l'une sur l'autre ; puis voilà Paul qui part, avec son laboratoire ambulant, à une vitesse énorme ; de temps en temps il regarde à la fenêtre (car j'ai oublié de vous dire que son laboratoire ambulant avait des fenêtres) et il consulte les horloges qui se trouvent sur son chemin, et que Pierre a fait synchroniser par la méthode des signaux lumineux précédement indiquée, sur sa montre à lui,dans son propre système de référence à lui, Pierre. Donc Paul consulte l'horloge H,il consulte sa montre M': elles ne sont pas d'accord... Pourquoi ? Mais parce que la simultanéité n'est pas la même pour son système et pour celui de Pierre.

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