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En effet, dire que Pierre a fait régler l'horloge H (qui est loin de lui, puisque nous disons que Paul l'a rencontrée au cours de son voyage) sur sa montre M, c'est dire que l'on a vérifié, avant le départ de Paul (donc, sur la terre), que H et M marquaient minuit << simultanément »; puis, que H et M marquaient une heure << simultanément ». Or, depuis le départ de Paul, ce qui est simultané pour l'un des systèmes de référence ne l'est pas pour l'autre ; donc rien d'étonnant à ce que Paul trouve, en passant devant H, une différence entre les indications de H et de sa montre M'.

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Le calcul montre que Paul, au cours de son voyage aller, voit sa montre M' retarder de plus en plus sur les horloges du système de Pierre qu'il rencontre successivement; au retour il continue à retarder, de sorte que si ses mouvements ont été suffisamment rapides, avec une vitesse inférieure seulement de à celle de la lumière, les temps totalisés de 20.000 la montre M' de Paul donnent 2 ans, tandis que ceux de la montre M donnent 200 ans (1). Et, je l'ai déjà dit mais il est bon de le répéter, la montre de Paul est d'accord avec tous les phénomènes qui se passent dans son laboratoire, et qui peuvent servir d'horloges; elle est d'accord aussi avec les mouvements du coeur

Il reste évidemment

(1) Exemple célèbre dû à M. Langevin. à trouver le moyen d'envoyer un projectile à la vitesse en question et à trouver un dispositif d'amortissement empêchant le voyageur d'être écrasé par le choc; mais au point de vue théorique les chiffres ci-dessus sont exacts. D'ailleurs le voyageur n'a vécu réellement que 2 ans, il n'a donc aucune supériorité à ce point de vue sur les autres hommes: si son estomac lui permet

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de Paul, avec ses mouvements respiratoires, avec mouvements moléculaires intra-cérébraux; or, nous supposons que la conscience de Paul est, comme dit M. Bergson « solidaire des mouvements moléculaires intra-cérébraux. » Paul a donc vécu 2 ans tandis que les habitants de la terre ont vécu en tout 200 ans.

Evidemment cela paraît bizarre, mais c'est, je le répète, parce que nous ne sommes pas habitués aux vitesses très grandes qui nous permettraient de telles expériences. Les plus grandes vitesses que nous réalisons sur la terre (en avion, 3 à 400 kilomètres-heure) sont insignifiantes auprès des mouvements astronomiques (vitesse de la terre par rapport au système solaire, 30 kilomètres à la seconde) qui sont ellesmêmes insuffisantes, dans la plupart des cas, pour s'apercevoir de la relativité du temps. Il faut des vitesses très grandes, comme celles des particules cathodiques ou des rayons du Radium pour déceler le désaccord entre les anciennes conceptions (l'ancienne mécanique basée sur l'hypothèse d'un temps universel) et les faits expérimentaux.

2 repas par jour, c'est 2 × 2 × 365 repas qu'il aura pu faire dans son boulet, et non pas 2 x 200 x 365. Si c'est un auteur écrivant une œuvre tous les 6 mois (comme il y en a tant aujourd'hui, parmi les romanciers, dramaturges ou musiciens) il aura écrit 4 œuvres et non pas 400... car sa production est, elle aussi, assimilable à une horloge! Le seul avantage (si c'en est un) de M. Paul sera, au point de vue curiosité, de se trouver au milieu de ses arrière-arrière petits enfants...

VII. La contraction des longueurg

On voit que les temps n'ont pas même mesure pour des observateurs placés dans des systèmes différents et usant légitimement d'horloges identiques (indiquant pour chaque observateur son temps propre). — Pour les mesures de longueur, c'est la même chose : en effet, si l'observateur de la voie veut mesurer un wagon en marche, de tampon à tampon, voici comment il fera: il mettra une règle graduée en mètres le long de la voie, et il tâchera de lire le chiffre en face duquel passe le tampon-avant, au moment précis où le tampon arrière passe en face du zéro (1)... « Au moment précis où... » mais voilà encore notre fameuse simultanéité qui intervient : cette expression : « au moment où... » n'a pas le même sens pour les gens du système << voie » (les casaniers, du genre de Pierre) et pour les gens du système « train » (les voyageurs, de l'espèce de Paul). Alors nous commençons à comprendre pourquoi les uns et les autres ne trouvent pas les mêmes chiffres pour la longueur du wagon.

Et si l'on fait le calcul en introduisant le fait de l'isotropie de la vitesse de la lumière dans les deux systèmes de référence, on trouve que les corps du système « train » et les wagons eux-mêmes, paraissent réduits, pour les observateurs de la voie, à condition bien entendu que ceux-ci adoptent le procédé de mesure signalé plus haut.

(1) On obtiendrait le même résultat si on faisait, comme dit Einstein, une photographie instantanée », grandeur nature, du wagon, prise du système « voie »,

Nous retrouvons là exactement la «contraction >> de Fitzgerald et Lorentz, dont nous avions parlé au chapitre III, mais cette fois avec sa vraie signification. En effet, si l'on veut traduire d'une façon complète en équations mathématiques les deux faits de l'isotropie de la propagation de la lumière dans les deux systèmes de référence, on est obligé d'introduire, non seulement une variation des longueurs, mais une variations des temps, et d'établir complètement les équations du « groupe de transformation de Lorentz » (1). Or ces équations nous donnent bien la contraction en question, mais seulement à condition d'apprécier ies longueurs du système « train » par des lectures simultanées dans l'autre système (le système « voie »); ou, en empruntant le langage mathématique, disons qu'il faut mesurer les abscisses du tampon-avant et du tampon-arrière pour une même valeur de t (qui est le temps mesuré par les observateurs de la voie).

Les voyageurs du train, eux, quand ils font une mesure de longueur, font t' constant, c'est-à-dire qu'ils cherchent à obtenir la simultanéité dans leur propre système, et ils trouvent que les objets de la voie paraissent contractés et dans la même pro, crtion (contractés, et non allongés). Ainsi je suppose un wagon immobile sur la voie : plantons un piquet bleu en face de son extrémité avant, et un piquet rouge en face de son extrémité arrière; ramenons le wagon en arrière, puis faisons le passer très rapidement devant les piquets les observateurs de la voie trouveront

(1) La démonstration mathématique est donnée à l'Appendice note 1, à la fin du volume.

que le wagon s'est contracté ; cela veut dire que l'extrémité arrière du wagon a déjà passé le piquet rouge au moment où l'extrémité avant atteint le piquet bleu... la simultanéité étant définie dans le système « voie » (et définie d'une façon très légitime). — Mais les voyageurs du train trouveront que c'est la distance des deux piquets qui s'est contractée : en effet, si l'on définit la simultanéité (toujours d'une façon très légitime) dans le système « train », on trouve que l'extrémité arrière du wagon n'a pas encore atteint le piquet rouge au moment où l'extrémité avant est en face du piquet bleu (1).

Il y a donc réciprocité entre deux systèmes de réference en translation uniforme, c'est-à-dire que tout ce que les observateurs de la voie disent du système « train », les voyageurs du train le disent du système « voie ». Cette réciprocité n'existe d'ailleurs qu'entre deux systêmes en translation uniforme, elle tombe si le mouvement est « varié » (accélération, rotation).

Tout ce qui précède n'avait pas été compris tout d'abord par les auteurs des hypothèses sur la contraction (2) (chap. III); mais ils étaient excusables, car il était difficile de se débarrasser des idées anciennes sur le temps, admises implicitement depuis des siècles,

(1) Il n'existe pas de démonstration sans calculs de la contraetion, et les vulgarisateurs qui en ont donné se sont trompés. Voir toutefois à l'Appendice (note 2) une démonstration élémentaire comprenant très peu de mathématiques.

(2) Le savant hollandais Lorentz, auteur de l'hypothèse de la contraction, a complètement adopté le point de vue d'Einstein et a même fait, depuis, des travaux sur la Relativité généralisée ; ceux qui opposent encore « l'interprétation de Lorentz » à celle d'Einstein font donc fausse route.

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