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La mort n'est done pas une chose aussi terrible | règne végétal, on commence à sentir sa foi; depuis

que nous nous l'imaginons; nous la jugeons mal de loin; c'est un spectre qui nous épouvante à une certaine distance, et qui disparaît lorsqu'on vient à en approcher de près; nous n'en avons donc que des notions fausses; nous la regardons non-seule- ❘ évidence. Une force à la fois cachée et palpable se

l'immense catalpa jusqu'à la plus humble gram. née, combien de plantes meurent, et combien sont tuées! Mais, dès que vous entrez dans le règne animal, la loi prend tout à coup une épouvantable

ment comme le plus grand malheur, mais encore comme un mal accompagné de la plus vive douleur et des plus pénibles angoisses; nous avons

montre continuellement occupée à mettre à découvert le principe de la vie par des moyens violents. Dans chaque grande division de l'espèce

même cherché à grossir dans notre imagination | animale, elle a choisi un certain nombre d'ani

ces funestes images, et à augmenter nos craintes en raisonnant sur la nature de la douleur. Elle doit être extrême, a-t-on dit, lorsque l'âme se sépare du corps; elle peut aussi être de très-longue durée, puisque, le temps n'ayant d'autre mesure que la succession de nos idées, un instant de douleur très-vive, pendant lequel ces idées se succèdent avec une rapidité proportionnée à la violence du mal, peut nous paraître plus long qu'un siècle pendant lequel elles coulent lentement et relativementaux sentiments tranquilles qui nous affectent ordinairement. Quel abus de la philosophie dans ce raisonnement ! il ne mériterait pas d'être relevé, s'il était sans conséquence; mais il influe sur le malheur du genre humain. Il rend l'aspect de la mort mille fois plus affreux qu'il ne peut être; et, n'y eût-il qu'un très-petit nombre de gens trompés par l'apparence spécieuse de ces idées, il serait toujours utile de les détruire, et d'en faire voir la fausseté.

Lorsque l'âme vient à s'unir à notre corps, avons-nous un plaisir excessif, une joie vive et prompte qui nous transporte et nous ravisse? Non, cette union se fait sans que nous nous en apercevions; la désunion doit s'en faire de même, sans exciter aucun sentiment. Quelle raison a-t-on pour croire que la séparation de l'âme et du corps ne puisse se faire sans une douleur extrême? Quelle cause peut produire cette douleur, ou l'occasion ner? La fera-t-on résider dans l'âme ou dans le corps? La douleur de l'âme ne peut être produite que par la pensée; celle du corps est toujours proportionnée à sa force et à sa faiblesse: dans l'instant de la mort naturelle, le corps est plus faible que jamais; il ne peut done éprouver qu'une très-petite douleur, si même il en éprouve aucune.

BUFFON. Histoire de l'homme.

maux qu'elle a chargés de dévorer les autres : ainsi, il y a des insectes de proie, des reptiles de proie, des oiseaux de proie, des poissons de proie, et des quadrupèdes de proie. Il n'y a pas un instant de sa durée où l'être vivant ne soit dévoré par un autre. Au-dessus des nombreuses races d'animaux est placé l'homme, dont la main destructive n'épargne rien de ce qui vit; il tue pour se nourrir, il tue pour se vêtir, il tue pour se parer, il tue pour se défendre, il tue pour attaquer, il tue pour s'instruire, il tue pour s'amuser, il tue pour tuer. Ce roi superbe et terrible, il a besoin de tout, et rien ne lui résiste. Il sait combien la tête du requin ou du cachalot lui fournira de barriques d'huile; son épingle déliée pique, sur le carton des musées, l'élégant papillon qu'il a saisi au vol sur le sommet du Mont-Blanc ou du Chimboraço; il empaille le crocodile, il embaume le colibri; à son ordre, le serpent à sonnettes vient mourir dans la liqueur conservatrice qui doit le montrer intact aux yeux d'une longue suite d'observateurs. Le cheval qui porte son maître à la chasse du tigre, se pavane sous la peau de ce même animal. L'homme demande tout à l'agneau, ses entrailles pour faire résonner une harpe; à la baleine, ses fanons pour soutenir le corset de la jeune vierge; au loup, sa dent la plus meurtrière pour polir les ouvrages les plus légers de l'art; à l'éléphant, ses défenses pour façonner le jouet d'un enfant : ses tables sont couvertes de cadavres. Le philosophe peut même découvrir comment le carnage permanent est prévu et ordonné dans le grand tout. Mais cette loi s'arrêtera-t-elle à l'homme? Non, sans doute. Cependant, quel être exterminera celui qui les extermine tous? Lui; c'est l'homme qui est chargé d'égorger l'homme.

JOS. DE MAISTRE. Soirées de Saint-Pelersbourg.

LOI UNIVERSELLE DE LA MORT.

FÉLICITÉ DES HOMMES VERTUEUX DANS LES CHAMPS ÉLYSÉES.

Dans le vaste domaine de la nature vivante, il règne une violence manifeste, une espèce de rage Télémaque s'avança vers ces rois, qui étaient prescrite, qui arme tous les êtres les uns contre dans des bocages odoriférants, sur des gazons toules autres. Dès que vous sortezdu règne insensible, jours renaissants et fleuris; mille petits ruisseaux vous trouvez le décret de la mort violente écrit | d'une onde pure arrosaient ces beaux lieux, et y sur les frontières mêmes de la vie. Déjà, dans le faisaient sentir une délicieuse fraîcheur: un nombre infini d'oiseaux faisaient résonner ces bocages | fronts couverts de neige et de glace depuis l'oride leurs doux chants; on voyait tout ensemble les fleurs du printemps qui naissaient sous les pas, avec les riches fruits de l'automne qui pendaient des arbres.

Là jamais on ne ressentit les ardeurs de la canicule; là jamais les noirs aquilons n'osèrent souffler, ni faire sentir les rigueurs de l'hiver. Ni là guerre altérée de sang, ni la cruelle envie qui mord d'une dent venimeuse, et qui porte des vipères entortillées dans son sein et autour de ses bras, ni les jalousies, ni les défiances, nilacrainte, ni les vains désirs n'approchent jamais de cet heureux séjour de la paix: le jour n'y finit point, et la nuit avec ses sombres voiles y estinconnue : une lumière pure et douce se répand autour des corps de ces hommes justes, et les environne de ses rayons comme d'un vêtement. Cette lumière n'est point semblable à la lumière sombre qui éclaire les yeux des misérables mortels, et qui p'est que ténèbres ; c'est plutôt une gloire céleste qu'une lumière: elle pénètre plus subtilement les corps les plus épais, que les rayons du soleil ne pénètrent le plus pur cristal; elle n'éblouit jamais: au contraire, elle fortifie les yeux, et porte dans le fond de l'âme je ne sais quelle sérénité. C'est d'elle seule que les hommes bien heureux sont nourris; elle sort d'eux, et elle y entre: elle les pénètre, et s'incorpore à eux comme les aliments s'incorporent à nous; ils la voient, ils la sentent, ils la respirent; elle fait naître en eux une source intarissable de paix et de joie: ils sont plongés dans cet abîme de délices comme les poissons dans la mer; ils ne veulent

gine du monde, fendent les nues, seraient renversées de leurs fondements posés au centre de la terre, que les cœurs de ces hommes ne pourraient pas même être émus; seulement ils ont pitié des misères qui accablent les hommes vivants dans le monde: mais c'est une pitié douce et paisible qui n'altère en rien leur immuable félicité. Une jeunesse éternelle, une félicité sans fin, une gloire toute divine est peinte sur leur visage; mais leur joie n'a rien de folâtre, d'indécent : c'est une joie douce, noble, pleine de majesté; c'est un goût sublime de la vérité et de la vertu qui les transporte; ils sont sans interruption, à chaque moment, dans le même saisissement de cœur où est une mère qui revoit son cher fils qu'elle avait cru mort; et cette joie, qui échappe bientôt à la mère, ne s'enfuit jamais du cœur de ces hommes. Jamais elle ne languit un instant: elle est toujours nouvelle pour eux; ils ont le transport de l'ivresse, sans en avoir le trouble et l'aveuglement. Ils s'entretiennent ensemble de ce qu'ils voient et de ce qu'ils goûtent; ils foulent à leurs pieds les molles délices, et les vaines grandeurs de leurs anciennes conditions qu'ils déplorent; ils repassent avec plaisir ces tristes, mais courtes années, où ils ont eu besoin de combattre contre eux-mêmes et contre le torrent des hommes corrompus pour devenir bons; ils admirent le secours des dieux qui les ont conduits, comme par la main, à la vertu, au milieu de tant de périls.

Je ne sais quoi de divin coule sans cesse au travers de leur cœur comme un torrent de la divinité même qui s'unit à eux; ils voient, ils goûtent

plus rien; ils ont tout sans rien avoir; car le goût ❘ qu'ils sont heureux, et ils sentent qu'ils le seront

toujours. Ils chantent les louanges des dieux, ils ne font tous ensemble qu'une seule voix, une seule pensée, un seul cœur, une même félicité, qui fait comme un flux et reflux dans ces âmes unies. Dans ce ravissement divin, les siècles coulent

de lumière pure apaise la faim de leur cœur. Tous leurs désirs sont rassasiés, et leur plénitude les élève au-dessus de tout ce que les hommes vides et affamés cherchent sur la terre: toutes les délices qui les environnent ne leur sont rien, parce que le comble de leur félicité, qui vient du de- | plus rapidement que les heures parmi les mortels;

dans, ne leur laisse aucun sentiment pour tout et cependant mille et mille siècles écoulés n'ôtent ce qu'ils voient de délicieux au dehors: ils sont rien à leur félicité toujours nouvelle et toujours tels que les dieux, qui, rassasiés de nectar et entière. Ils règnent tous ensemble, non sur des d'ambroisie, ne daigneraient pas se nourrir des trônes que la main des hommes peut renverser, viandes grossières qu'on leur présenterait à la mais en eux-mêmes avec une puissance immuatable la plus exquise des hommes mortels. Tous ble; car ils n'ont plus besoin d'être redoutables les maux s'enfuient loin de ces lieux tranquilles : par une puissance empruntée d'un peuple vil et la mort, la maladie, la pauvreté, la douleur, les misérable; ils ne portent plus ces vains diadèregrets, les remords, les craintes, les espérances | mes, dont l'éclat cache tant de craintes et de noirs mêmes qui coûtent souvent autant de peines que soucis: les dieux mêmes les ont couronnés de les craintes, les divisions, les dégoûts, les dépits | leurs propres mains avec des couronnes que rien 'y peuvent avoir aucune entrée. I ne peut flétrir.

Les hautes montagnes de Thrace, qui, de leurs l

FÉNÉLON. Télémaque, liv. XIX

LETTRES.

PRÉCEPTES DU GENRE ET MODÈLE D'EXERCICE.

point obligé de mettre du sien; ce qui est un grand attrait pour les esprits paresseux, et presque tous les hommes le sont, au moins la moitié de la journée.

Le genre épistolaire eut, dans le siècle de Louis XIV, une assez grande importance: il avait fait la réputation de Balzac et de Voiture, suivis par cette foule d'imitateurs qui marche toujours à la suite des succès. Si les modèles ne sont plus | nommée, font une partie de l'intérêt qu'on prend

guère lus, les copistes sont entièrement oubliés. Les gens plus curieux que difficiles vont encore chercher des anecdotes dans les lettres de GuyPatin, dans celles de madame Dunoyer, dans celles de Marana, connues sous le nom d'espion turc, etc. Tous ces livres, décriés auprès des gens instruits, ne sont guère que des recueils de satires grossières, ou d'historiettes romanesques et de contes populaires, aliments passagers de la malignité d'une génération, rebutés par la suivante. Un seul recueil de lettres a mérité de passer jusqu'à nous, et de vivre dans la postérité, et c'est celui dont l'auteur ne songeait à faire ni un roman, ni une satire, ni un ouvrage quelconque. Tout le monde me prévient, et nomme madame de Sévigné.

C'est avec justice qu'on lui a dit dans un poëme dont le sujet, ébauché dans un temps plus heureux, n'est guère de nature à être achevé dans le nôtre :

Charmante Sévigné, quels honneurs te sont dus!
Tu les as mérités, et non pas attendus.

Tu ne te flattais pas d'avoir pour confidente
Cette postérité pour qui l'on se tourmente.
Dans le cœur de Grignan tu répandais le tien :
Tes lettres font ta gloire et sont notre entretien.
Ce qu'on cherche sans fruit, tu le trouves sans peine.
Que tu m'as fait pleurer le trépas de Turenne!
Qui te surpassera dans l'art de raconter?

Ces portraits d'une cour qu'on se plait à citer
Se retracent chez toi bien mieux que dans l'histoire;
Ces héros, dont ailleurs je n'appris que la gloire,
Je les vois, les entends, et converse avec eux.

Je sais bien que les détails historiques d'un siècle et d'une cour qui ont laissé une grande re

à cette lecture. Mais la cour d'Anne d'Autriche et la Fronde sont aussi des objets piquants pour la curiosité, et madame de Motteville est un peu moins lue que madame de Sévigné. Il y a done ici un avantage personnel; et qui pourrait l'ignorer ou le méconnaître ? C'est le mélange heureux du naturel, de la sensibilité et du goût; c'est une manière de narrer qui lui est propre. Rien n'est égal à la vivacité de ses tournures et au bonheur de ses expressions. Elle est toujours affectée de ce qu'elle dit et de ce qu'elle raconte; elle peint comme si elle voyait, et l'on croit voir ce qu'elle peint. Une imagination active et mobile, comme l'est ordinairement celle des femmes, l'attache successivement à tous les objets: dès qu'elle s'en occupe, ils prennent un grand pouvoir sur elle. Voyez dans ses lettres la mort de Turenne: personne ne l'a pleuré de si bonne foi, mais personne ne l'a tant fait pleurer. C'est la plus attendrissante des oraisons funèbres de ce grand homme; mais ce n'est pas seulement, il faut l'avouer, parce que tout est vrai et senti; c'est qu'on ne se méfie pas d'une lettre comme d'un panégyrique. C'est une terrible tâche, que de dire: Ecoutezmoi, je vais louer: écoutez-moi, et vous allez pleurer. Alors précisément on pleure et on admire le moins qu'on peut; et, lorsque l'orateur nous y a forcés, il a fait son métier, et l'on peut mettre sur le compte de son art une partie de la gloire de son héros. Madame de Sévigné probablement n'aurait pas fait le beau discours de Fléchier; et, si elle produit plus d'impression, c'est qu'elle s'entretient plus familièrement avec nous, qu'elle n'a point de mission à remplir, que son

Si le plus grand éloge d'un livre est d'être beaucoup relu, qui a été plus loué que ces lettres? Elles sont de toutes les heures : à la ville, à la campagne, en voyage, on lit madame de Sévigné. ❘ âme parle à la nôtre, sans annoncer le dessein de mais de probabilité: on n'affecte pas ce ton-là; et si madame de Sévigné ne sentait rien, qui done l'obligeait à cette effusion de tendresse? A quoi bon cette pénible hypocrisie? Heureusement elle est impossible. On contreferait plutôt le ton d'un amant que le cœur d'une mère; et madame de Sévigné ne pouvait puiser que dans le sien cette prodigieuse abondance d'expressions qui ne pou

N'est-ce pas un livre précieux, que celui qui vous amuse, vous intéresse et vous instruit presque sans vous demander d'attention? C'est l'entretien d'une femme très-aimable, dans lequel on n'est

parler, et qu'elle nous communique tout ce qu'elle

sent.

Ceux qui aiment à réfléchir et à tirer une instruction de leur plaisir même, peuvent trouver

dans ses lettres un autre avantage; c'est d'y voir sans nuage l'esprit de son temps, les opinions qui régnaient, ce qu'était le nom de Louis XIV, ce qu'était la cour, ce qu'était la dévotion, ce qu'était un prédicateur de Versailles, ce qu'était le confesseur du roi, le jésuite Lachaise, chez qui Luxembourg accusé allait faire une retraite; cet assemblage de faiblesses, de religion et d'agrément, qui caractérisait les femmes les plus cé-vait se sauver d'une ennuyeuse monotonie qu'à

lèbres; cette délicatesse d'esprit qui, dans les courtisans, se mêlait à l'adulation; ce ton qui était encore un peu celui de la chevalerie et de l'héroïsme, et qui n'excluait pas le talent de l'intrigue. II.est peu de livres qui donnent plus à penser à ceux qui lisent pour réfléchir, et non pas seulement pour s'amuser.

Une autre remarque à faire sur madame de Sévigné, c'est qu'on peut montrer beaucoup de goût dans son style et fort peu dans ses jugeiments, parce que notre style est notre esprit, et que nos jugements sont souvent l'esprit des autres, surtout dans ce qu'on appelle le monde. Les gens de lettres sont sujets à mal juger, par un intérêt qui va jusqu'à la passion: les gens du monde, d'abord par une indifférence qui leur fait adopter légèrement l'avis qu'on leur donne, ensuite par un entêtement qui leur fait soutenir le parti qu'ils ont embrassé. Voilà ce qui fait durer plus ou moins les préventions de société, source de tant d'injustices: de là celles de madame de Sévigné envers Racine, dont elle a dit qu'il passera comme le café. Elle se défendait de l'admirer, pour ne pas avoir l'air de revenir sur Corneille. On croirait pourtant qu'il n'y a rien de plus simple et de plus aisé que d'admirer à la fois deux grands écrivains; mais il n'en est pas ainsi de la plupart des hommes. Il semble qu'ils n'aient tout au plus que ce qu'il faut pour en goûter un, qu'ils soient jaloux dans leur opinion, comme on l'est dans l'amour, et qu'ils ne puissent pas souffrir que l'on compare rien à l'objet de leur choix; et puis ne faut-il pas se dédommager sur l'un de la justice que l'on rend à l'autre, et faire la part de la malignité? On ne loue presque que pour rabaisser; et, sans sortir de notre temps, j'ai vu depuis vingt années sept ou huit écrivains, dont chacun a été à son tour le seul poëte, le seul génie, le seul talent que nous eussions. Il est vrai que le temps a mis tout le monde d'accord en les faisant tous oublier, et il est bien juste de faire place à d'autres.

force de vérité.

Le faux est toujours fade, ennuyeux, languissant;
Mais la nature est vraie, et d'abord on la sent.

C'est Boileau qui l'a dit; et si ce n'était pas lui, ce serait la raison.

LA HARPE. Cours de Littérature, t. VII.

MADAME DE SÉVIGNÉ A M. DE COULANGES.

Je m'en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu'aujourd'hui, la plus digne d'envie; enfin une chose dont on ne trouve qu'un exemple dans les siècles passés, encore cet exemple n'est-il pas juste : une chose que nous ne saurions croire à Paris, comment la pourrait-on croire à Lyon? une chose qui fait crier miséricorde à tout le monde; une chose qui comble de joie madame de Rohan et madame de Hauteville; une chose enfin qui se fera dimanche, où ceux qui la verront croiront avoir la berlue; une chose qui se fera dimanche, et qui ne sera peut-être pas faite lundi. Je ne puis me résoudre à vous la dire, devinez-la: je vous la donne en trois. Jetez-vous votre langue aux chiens?

Hé bien! il faut donc vous la dire: M. de Lauzun épouse dimanche, au Louvre, devinez qui? Je vous le donne en quatre, je vous le donne en dix, je vous le donne en cent. Madame de Coulanges dit: Voilà qui est bien difficile à deviner ! c'est madame de la Vallière? madame.

Point du tout, C'est done mademoiselle de Retz?

Point du tout: vous êtes bien provinciale! Ah, vraiment, nous sommes bien bêtes! ditesyous: c'est mademoiselle Colbert. Encore moins. C'est assurément mademoiselle de Créquı. Vous n'y êtes pas. Il faut donc à la fin vous la dire. Il épouse dimanche, au Louvre, avec la permission du roi, mademoiselle de... mademoiselle... devinez le nom; il épouse Mademoisclle, fille du feu Monsieur; Mademoiselle, pc

On a fait à madame de Sévigné un reproche plus grave, mais qui n'est nullement fondé . on a prétendu qu'elle faisait parade, dans ses lettres, d'un sentiment qui n'était point dans son âme; qu'en un mot, elle n'aimait point sa fille. Cette accusation est non-seulement dénuée de preuve, ❘ tite-fille de Henri JV; Mademoiselle d'Ea,

Dombes, mademoiselle de Montpensier, madevous ai point assez recommandée à M. de Grignan, moiselle d'Orléans; Mademoiselle, cousine ger- ❘ je ne l'ai point assez remercié de toutes ses polimaine du roi; Mademoiselle, destinée au trône; Mademoiselle, le seul parti de France qui fût digne de Monsieur.

Voilà un beau sujet de discourir. Si vous criez, si vous êtes hors de vous-même, si vous dites que nous avons menti, que cela est faux, qu'on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer; si enfin vous nous dites des injures, nous trouverons que vous avez raison; nous en avons fait autant que vous; adieu. Les lettres qui seront portées par cet ordinaire vous feront voir si nous disens vrai ou non 1.

tesses et de toute l'amitié qu'il a pour moi : j'en attendrai les effets sur tous les chapitres.

Je suis déjà dévorée de curiosité; je n'espère de consolation que de vos lettres, qui me feront encore bien soupirer. En un mot, ma fille, je ne vis que pour vous. Dieu me fasse la grâce de l'aimer quelque jour comme je vous aime! Jamais un départ n'a été si triste que le nôtre; nous ne disions pas un mot. Adieu, ma chère enfant; plaignez-moi de vous avoir quittée. Hélas! nous voilà dans les lettres.

MADAME DE SÉVIGNÉ A SA FILLE.

Voici un terrible jour, ma chère enfant, je vous avoue que je n'en puis plus. Je vous ai quittée dans un état qui augmente ma douleur. Je songe à tous les pas que vous faites, et à tous ceux que je fais; et combien il s'en faut qu'en marchant toujours de cette sorte, nous puissions jamais nous rencontrer! Mon cœur est en repos quand il est auprès de vous: c'est son état naturel, et le seul qui peut lui plaire.

Ce qui s'est passé ce matin me donne une douleur sensible et me fait un déchirement dont votre philosophie sait les raisons. Je les ai senties et les sentirai longtemps. J'ai le cœur et l'imagination tout remplis de vous, je n'y puis penser sans pleurer, et j'y pense toujours; de sorte que l'état où je suis n'est pas une chose soutenable: comme il est extrême, j'espère qu'il ne durera pas dans cette violence. Je vous cherche toujours, et je trouvè que tout me manque, parce que vous me manquez. Mes yeux qui vous ont tant rencontrée, depuis quatorze mois ne vous trouvent plus. Le temps agréable qui est passé rend celui-ci douloureux, jusqu'à ce que je sois un peu accoutumée; mais ce ne sera jamais pour ne pas souhaiter ardemment de vous revoir et de vous embrasser.

Je ne dois pas espérer mieux de l'avenir que du passé; je sais ce que votre absence m'a fait souffrir, je serai encore plus à plaindre, parce que je me suis fait imprudemment une habitude nécessaire de vous voir. Il me semble que je ne vous ai pas assez embrassée en partant. Qu'avaisje à ménager! je ne vous ai point assez dit combien je suis contente de votre tendresse; je ne

Antonin Nompar de Caumont, duc de Lauzun, né en Gascogne en 1632. Le mariage dont il est question ici n'cut pas lieu du moins publiquement, le roi ayant retiré la per

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Diégo Mendès, et ces papiers que je lui remets, apprendront à Votre Majesté quelles riches mines d'or j'ai découvertes à Véragua, et comment je me proposais de laisser mon frère à la rivière Berlin, si les volontés du ciel et les plus grands malheurs du monde ne m'en eussent empêché. Il suffit, au reste, que V. M. et ses successeurs recueillent la gloire et les avantages du tout, que la découverte s'achève, et que les premiers établissements se fassent par quelqu'un plus heureux que l'infortuné Colomb. Si Dieu m'est assez favorable pour conduire Mendès en Espagne, il fera sans doute comprendre à la reine ma maîtresse, ainsi qu'à Votre Majesté, que ce ne sera pas ici seulement un fort ou un château, mais la découverte d'un monde de sujets, de terres et de richesses, plus grand que l'imagination la plus vaste n'aurait pu se le figurer, ou que l'avarice ellemême n'aurait pu le désirer..

Mais ni le papier, ni la langue d'aucun mortel, ne pourront jamais vous exprimer l'angoisse et les affections de mon corps et de mon âme, ni vous peindre la misère et les dangers de mon fils, de mon frère et de mes amis. Depuis plus de dix mois nous sommes iei logés à découvert sur les ponts de nos vaisseaux échoués sur la côte. Ceux de mon équipage qui sont demeurés sains, se sont mutinés sous Perras de Séville; et mes amis, ceux qui me sont restés fidèles, sont ou malades, ou mourants. Nous avons détruit les provisions des Indiens, de manière qu'ils nous abandonnent, et que probablement nous périrons de faim. Tous ces malheurs sont augmentés par tant de circonstances qui les aggravent, qu'ils m'ont rendu le

mission qu'il avait donnée; plusieurs auteurs prétendent qu'il épousa secrètement Mile de Montpensier. Il mourut cp 1723. (Ν. Ε.)

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