d'une plus grande sagesse qu'aucun de ceux de la génération présente. Je vous conjure d'ajouter Coi à mes dernières paroles, quand je vous assure que le soleil qui nous paraît maintenant au delà de l'eau, et qui semble n'être pas éloigné de la terre, je l'ai vu autrefois fixé au milieu du ciel, et lancer ses rayons directement sur nous. La terre était beaucoup plus éclairée dans les âges reculés, l'air beaucoup plus chaud, et nos ancêtres plus sobres et plus vertueux. reur, quand il vint à manier l'ordure de ces bles- Les peaux rampaient sur la terre, écorchées, Voilà ce qu'il dut imaginer et sentir la première fois qu'il surmonta la nature pour faire cet horrible repas, la première fois qu'il eut faim d'une bête en vie, qu'il voulut se nourrir d'un animal qui paissait encore, et qu'il dit comment il fallait égorger, dépecer, cuire la brebis qui lui léchait les mains. C'est de ceux qui commencèrent ces cruels festins, et non de ceux qui les quittent, qu'on a lieu de s'étonner: encore ces premiers-là pourraient justifier leur barbarie par des excuses qui manquent à la nôtre, et dont le défaut nous rend cent fois plus barbares qu'eux. ‹ Quoique mes sens soient affaiblis, ma mémoire ne l'est pas; je puis vous assurer que cet astre glorieux a du mouvement. J'ai vu son premier lever sur le sommet de cette montagne, et je commençai ma vie vers le temps où il commença son immense carrière. Il a, pendant plusieurs siècles, avancé dans le ciel avec une chaleur prodigieuse, et un éclat dont vous ne pouvez avoir aucune idée, et que sûrement vous n'auriez pu supporter; mais maintenant, par son déclin, et une diminution sensible dans sa vigueur, je pré-combien vous êtes heureux, et combien nous vois que toute la nature doit finir en peu de temps, et que ce monde va être enseveli dans les ténèbres en moins d'une centaine de minutes. Hélas! mes amis, combien ne me suis-je pas autrefois flatté de l'espérance trompeuse d'habiter toujours cette terre! quelle magnificence dans les cellules que je me suis moi-même creusées! quelle confiance n'avais-je pas mise dans la fermeté de mes membres et les ressorts de leurs jointures, et dans la force de mes ailes! Mais j'ai assez vécu pour la nature et pour la gloire, et aucun de ceux que je laisse après moi n'aura la même satisfaction en ce siècle de ténèbres et de décadence que je vois commencer. > Anonyme. CONTRE L'USAGE DES VIANDES. Tu me demandes pourquoi Pythagore s'abstenait de manger dela chair des bêtes? Mais moi je te demande, au contraire, quel courage d'homme eut le premier qui approcha de sa bouche une chair meurtrie, qui brisa de sa dent les os d'une bête expirante, qui fit servir devant lui des corps morts, des cadavres, et engloutit dans son estomac des membres qui, le moment d'auparavant, bêlaient, mugissaient, marchaient et voyaient? Comment sa main put-elle enfoncer un fer dans le cœur d'un être sensible? comment ses yeux purent-ils supporter un meurtre? comment put-il voir saigner, écorcher, démembrer un pauvre animal sans défense? comment put-il supporter l'aspect des chairs pantelantes? comment leur odeur ne lui fit-elle pas soulever le cœur? comment ne fut-il pas dégoûté, repoussé, saisi d'hor • Mortels bien-aimés des dieux, nous diraient ces premiers hommes, comparez les temps; voyez étions misérables! La terre nouvellement formée, et l'air chargé de vapeurs, étaient encore indociles à l'ordre des saisons: le cours incertaïn des rivières dégradait leurs rives de toutes parts: des étangs, des lacs, de profonds marécages inondaient les trois quarts de la surface du monde; l'autre quart était couvert de bois et de forêts stériles. La terre ne produisait nuls bons fruits, nous n'avions nuls instruments de labourage; nous ignorions l'art de nous en servir; le temps de la moisson ne venait jamais pour qui n'avait rien semé: aussi la faim ne nous quittait point. L'hiver, la mousse et l'écorce des arbres étaient nos mets ordinaires. Quelques racines vertes de chiendent et de bruyère étaient pour nous un régal; et, quand les hommes avaient pu trouver des faînes, des noix et du gland, ils en dansaient de joie autour d'un chêne ou d'un hêtre, au son de quelques chansons rustiques, appelant la terre leur nourrice et leur mère : c'était là leur unique fête, c'étaient leurs uniques jeux; tout le reste de la vie humaine n'était que douleur, peine et misère. < Enfin, quand la terre dépouillée et nue ne nous offrait plus rien, forcés d'outrager la nature pour nous conserver, nous mangeâmes les compagnons de notre misère plutôt que de périr avec eux. Mais vous, hommes cruels, qui vous force à verser du sang? Voyez quelle afiluence de biens vous environne! combien de fruits vous produit la terre! que de richesses vous donnent les champs et les vignes! que d'animaux vous offrent leur lait pour vous nourrir, et leur toison pour vous habiller! Que leur demandez-vous de plus, et quelle rage vous porte à commettre tant de meurtres, rassasiés de biens et regorgeant de vivres? Pour quoi mentez-vous contre notre mere, en l'accusant de ne pouvoir vous nourrir? Pourquoi péchez-vous contre Cérès, inventrice des saintes lois, et contre le gracieux Bacchus, consolateur des hommes, comme si leurs dons prodigués ne suffisaient pas à la conservation du genre humain? Comment avezvous le cœur de mêler avec leurs doux fruits des ossements sur vos tables, et de manger avec le lait le sang des bêtes qui vous le donnent? Les panthères et les lions, que vous appelez bêtes féroces, suivent leur instinct par force, et tuent les autres animaux pour vivre. Mais vous, cent fois plus féroces qu'elles, vous combattez l'instinct sans nécessité, pour vous livrer à vos cruelles délices. Les animaux que vous mangez ne sont pas ceux qui mangent les autres; vous ne les mangez pas ces animaux carnassiers, vous les imitez. Vous n'avez faim que de bêtes innocentes et douces, et qui ne font de mal à personne, qui s'attachent à vous, qui vous servent, et que vous dévorez pour prix de leurs services. › O meurtrier contre nature! si tu t'obstines à soutenir qu'elle t'a fait pour dévorer tes semblables, des êtres de chair et d'os, sensibles et vivants comme toi, étouffe donc l'horreur qu'elle t'inspire pour ces affreux repas, tue les animaux toi-même, je dis de tes propres mains, sans ferrements, sans coutelas; déchire-les avec tes ongles, comme font les lions et les ours; mords ce bœuf et le mets en pièces, enfonce tes griffes dans sa peau; mange cet agneau tout vif, dévore ses chairs toutes chaudes, bois son âme avec son sang. Tu frémis, tu n'oses sentir palpiter sous ta dent une chair vivante! Homme pitoyable! tu commences par tuer l'animal et puis tu le manges, comme pour le faire mourir deux fois. Ce n'est pas assez; la chair morte te répugne encore; tes entrailles ne peuvent la supporter, il la faut transformer par le feu, la bouillir, la rotir, l'assaisonner de drogues qui la déguisent: il te faut des charcutiers, des cuisiniers, des rotisseurs, des gens pour t'ôter l'horreur du meurtre et t'habiller des corps morts, afin que le sens du goût, trompé par ces déguisements, ne rejette point ce qui lui est étranger, et savoure avec plaisir des cadavres dont l'œil même eût eu peine à souffrir l'aspect 1. J.-J. ROUSSEAU. Émile, liv. 11, trad. de Plutarque. ÉLOGE FUNÈBRE DE NEPHTÉ, REINE D'ÉGYPTE. Le grand prêtre de Memphis, conducteur du convoi, monta sur le char, et, se tenant debout et la tête nue, prononça ce discours: 1 Voyez Ovide, Melamorphoses, liv. xv. • Inexorable dieu des enfers, voilà notre reine que vous avez demandée pour victime, dans le printemps de son âge et dans le plus grand besoin de ses peuples. Nous venons vous prier de lui accorder le repos dont sa perte va peut-être nous priver nous-mêmes. Elle a été fidèle à tous ses devoirs envers les dieux; elle ne s'est point dispensée des pratiques extérieures de la religion, sous le prétexte des occupations de la royauté; et les seules pratiques extérieures ne lui ont point tenu lieu de vertu. On apercevait au travers des soins qui l'occupaient dans ses conseils, ou de la gaieté à laquelle elle se prêtait quelquefois dans sa cour, que la loi divine était toujours présente à son esprit, et régnait toujours dans son cœur. De toutes les fêtes auxquelles la majesté de son rang, le succès de ses entreprises, ou l'amour de ses peuples l'ont engagée, il a paru que celles qui l'amenaient dans nos temples étaient pour elle les plus agréables et les plus douces. Elle ne s'est point laissée aller, comme bien des rois, aux injustices, dans l'espoir de les racheter par ses offrandes; et sa magnificence à l'égard des dieux a été le fruit de sa piété, et non le tribut de ses remords. Au lieu d'autoriser l'animosité, la vexation, la persécution par les conseils d'une piété mal entendue, elle n'a voulu tirer de la religion que des maximes de douceur, et elle n'a fait usage de la sévérité que suivant l'ordre de la justice générale, et par rapport au bien de l'État. Elle pratiqué toutes les vertus des bons rois avec unt défiance modeste qui la laissait à peine jouir dr bonheur qu'elle procurait à ses peuples. La défense glorieuse des frontières, la paix affermie au dehors et au dedans du royaume, les embellissements et les établissements de différentes espèces, ne sont ordinairement, de la part des autres princes, que les effets d'une sage politique, que les dieux, juges du ford des cœurs, ne récompensent pas toujours; mais, de la part de notre reine, toutes ces choses ont été des actions de vertu, parce qu'elles n'ont eu pour principe que l'amour de ses devoirs et l'envie du bonheur public. Bien loin de regarder la souveraine puissance comme un moyen de satisfaire ses passions, elle a conçu que la tranquillité du gouvernement dépendait de la tranquillité de son âme, et qu'il n'y a que des esprits doux et patients qui sachent se rendre véritablement maîtres des hommes. Elle a éloigné de sa pensée toutes les vengeances; et, laissant à des hommes privés la hopte d'exercer leur haine dès qu'ils peuvent, elle a pardonné, comme les dieux, avec un plein pouvoir de punir. • Elle a réprimé les esprits rebelles, moins parce qu'ils résistaient à ses volontés, que parce qu'ils faisaient obstacle au bien qu'elle voulait faire. Elle a soumis ses pensées aux consess des sages, et tous les ordres du royaume à l'équité de ses lois. Elle a désarmé les ennemis étrangers par son courage, par la fidélité à sa parole, et elle a surmonté les ennemis domestiques par sa fermeté et par l'heureux accomplissement de ses projets. Il n'est jamais sorti de sa bouche, ni un secret, ni un mensonge, et elle a cru que la dissimulation nécessaire pour régner ne devait s'étendre que jusqu'au silence. Elle n'a point cédé aux importunités des ambitieux, et les assiduités des flatteurs n'ont pas enlevé les récompenses dues à ceux qui servaient leur patrie loin de sa cour. La faveur n'a point été sous son règne; l'amitié même, qu'elle a connue et cultivée, ne l'a point emporté auprès d'elle sur le mérite, souvent moins affectueux et moins prévenant. Elle a fait des grâces à ses amis, et elle a donné les postes importants aux hommes capables. Elle a répandu des honneurs sur les grands, sans les dispenser de l'obéissance, et elle a soulagé le peuple, sans lui ôter la nécessité du travail. Elle n'a point donné lieu à des hommes nouveaux de partager avec le prince, et inégalement pour lui, les revenus de l'État; et les deniers du peuple ont satisfait sans regret aux contributions proportionnées qu'on exigeait d'eux, parce qu'elles n'ont point servi à rendre leurs semblables plus riches, plus orgueilleux et plus méchants. ‹ Persuadée que la providence des dieux n'exclut pas la vigilance des hommes, qui est un de ses présents, elle a prévenu les misères publiques par des provisions régulières; en rendant ainsi toutes les années égales, sa sagesse a maîtrisé en quelque sorte les saisons et les éléments. Elle a facilité les négociations, entretenu la paix, et porté le royaume au plus haut point de la richesse et de la gloire, par l'accueil qu'elle a fait à tous ceux que la sagesse de son gouvernement attirait des pays les plus éloignés; et elle a inspiré à ses peuples l'hospitalité, qui n'était pas encore assez établie chez les Égyptiens. Quand il s'est agi de mettre en œuvre les grandes maximes du gouvernement, et d'aller au bien général, malgré les inconvénients particuliers, elle a subi avec une généreuse indifférence les murmures d'une populace aveugle, souvent animée par les calomnies secrètes de gens plus éclairés, qui ne trouvent pas leur avantage dans le bonheur public. Hasardant quelquefois sa propre gloire pour l'intérêt d'un peuple méconnaissant, elle a attendu sa justification du temps, et, quoique enlevée au commencement de sa course, la pureté de ses intentions, la justesse de Ces prisonniers avaient été faits dans les derniers combats de la guerre de Sicile, conseillée par Alcibiade, et à Aaquelle Nicías s'était opposé. Les prisonniers furent réduits ses vues et la diligence de l'exécution lui ont procuré l'avantage de laisser une mémoire glorieuse et un regret universel. ‹ Pour être plus en état de veiller sur le total du royaume, elle a confié les premiers détails à des ministres sûrs, obligés de choisir des subalternes qui en choisissent encore d'autres dont elle ne pouvait plus répondre elle-même, soit par l'éloignement, soit par le nombre. Ainsi, j'oserai le dire devant nos juges et devant ses sujets qui m'entendent, si, dans un peuple innombrable, tel que l'on connaît celui de Memphis et des cinq mille villes de la dynastie, il s'est trouvé, contre son intention, quelqu'un d'opprimé, non-seulement la reinc est excusable par l'impossibilité de pourvoir à tout, mais elle est digne de louange, en ce que, connaissant les bornes de l'esprit humain, elle ne s'est point écartée du centre des affaires publiques, et qu'elle a réservé toute son attention pour les premières causes et pour les premiers mouvements. < Malheur aux princes dont quelques particuliers se louent, quand le public a lieu de se plaindre!. Mais les particuliers mêmes qui souffrent n'ont pas droit de condamner le prince, quand le corps de l'État est sain, et que les principes du gouvernement sont salutaires. Cependant, quelque irréprochable que la reine nous ait paru à l'égard des hommes, elle n'attend, par rapport à vous, ô justes dieux! son repos et son bonheur que de votre clémence. › TERRASSON. Séthos. UN VIEILLARD DE SYRACUSE, AU PEUPLE ASSEMBLÉ POUR DÉLIBÉRER SUR LE SORT DES PRISONNIERS ATHÉNIENS 1. Vous voyez un père infortuné, qui a senti plus qu'aucun autre Syracusain les funestes effets de cette guerre, qui lui a ravi deux fils, la consolation et l'espoir de sa vieillesse. Je ne puis point, à la vérité, ne point admirer leur courage et leur bonheur d'avoir sacrifié au salut de la république une vie que la loi commune de la nature leur aurait tôt ou tard enlevée; mais je ne puis aussi ne pas sentir la plaie cruelle que leur mort a faite à mon cœur, et ne point haïr et détester les Athé niens, auteurs de cette malheureuse guerre, comme les homicides et les meurtriers de mes enfants! Cependant, je ne puis le dissimuler, je suis moins sensible à ma douleur qu'à l'honneur de ma patrie; et je la vois prête à se déshonorer pour en esclavage ou condamnés aux travaux des mines. Nicias et Démosthène, qui commandaient les Athéniens, subirent le dernier supplice. (N. E.) toujours, par le cruel avis qu'on vous propose. vernement de l'État. J'ai marché aux ennemis, que Les Athéniens, il est vrai, méritent toutes sortes j'ai défaits en deux batailles, et que j'ai contraints de mauvais traitements et de supplices pour l'in- ❘ de se renfermer dans leurs places; et, pendant qu'ils s'y tenaient comme cachés par la terreur de vos armes, j'ai ravagé à mon tour leur territoire, j'en ai tiré une quantité prodigieuse de grains, que j'ai fait apporter à Rome, où j'ai rétabli l'abondance. ‹ Quelle faute ai-je commise jusqu'ici? Me veut-on faire un crime d'avoir remporté deux victoires? Mais j'ai, dit-on, perdu beaucoup de monde dans le dernier combat. Peut-on donc livrer des batailles contre une nation aguerrie, qui se défend courageusement, sans qu'il y ait de part et d'autre du sang de répandu? juste guerre qu'ils nous ont déclarée; mais les dieux, justes vengeurs du crime, ne les ont-ils pas assez punis, et ne nous ont-ils pas assez vengés? Quand leurs chefs ont déposé leurs armes et se sont rendus à nous, n'était-ce pas dans l'espérance de conserver leur vie? Et pouvons-nous la leur ôter, sans encourir le juste reproche d'avoir violé le droit des gens, et d'avoir déshonoré notre victoire par une barbare cruauté? Quoi! vous souffrirez que votre gloire soit ainsi flétrie dans tout l'univers, et qu'on dise qu'un peuple qui, le premier, a dans sa ville érigé un temple à la Miséricorde, n'en a point trouvé dans la vôtre! Sont-ce donc les victoires et les triomphes seuls qui rendent une ville à jamais illustre? Non, non, c'est la clémence pour des ennemis vaincus; c'est la modération dans la plus grande prospérité; c'est, enfin, la crainte d'irriter les dieux par un orgueil fier et insolent. Vous n'avez point sans doute oublié que ce même Nicias, sur le sort duquel vous allez prononcer, est celui qui plaida votre cause dans l'assemblée des Athéniens, et qui employa tout son crédit et toute son éloquence pour les détourner de vous faire la guerre. Une sentence de mort, prononcée | deur un ennemi effrayé? Si j'avais fait sonner la contre ce digne chef, est-elle donc une juste récompense du zèle qu'il a témoigné pour vos intérêts? Pour moi, la mort me sera moins triste que la vue d'une telle injustice commise par ma patrie et par mes concitoyens. ROLLIN. Hist. anc., liv. VIII. SERVILIUS, ACCUSÉ D'AVOIR PERDU QUELQUES TROUPES EN • Si on m'a fait venir ici pour me demander compte de ce qui s'est passé dans la dernière bataille où je commandais, je suis prêt à vous en instruire; mais si ce n'est qu'un prétexte pour me faire périr, comme je le soupçonne, épargnez-moi des paroles inutiles: voilà mon corps et ma vie que je vous abandonne, vous pouvez en dispo ser. Quelques-uns des plus modérés d'entre le peuple lui ayant crié qu'il prit courage, qu'il continuât sa défense: Puisque j'ai affaire à des juges, et non pas à des ennemis, ajouta-t-il, je vous dirai, Romains, que j'ai été fait consul avec Virginius dans un temps où les ennemis étaient maîtres de la campagne, et où la dissension et la famine étaient dans la ville. C'est dans une conjoncture si fàcheuse que j'ai été appelé au gou • Quelle divinité s'est engagée envers le peuple romain de lui faire remporter des victoires sans aucune perte? Ignorez-vous que la gloire ne s'acquiert que par de grands périls? J'en suis venu aux mains avec des troupes plus nombreuses que celles que vous m'aviez confiées; je n'ai pas laissé, après un combat opiniatre, de les enfoncer; j'ai mis en déroute leurs légions, qui, à la fin, ont pris la fuite. Pouvais-je me refuser à la victoire qui marchait devant moi? Était-il même en mon pouvoir de retenir vos soldats, que leur courage emportait et qui poursuivaient avec ar retraite, si j'avais ramené nos soldats dans leur camp, vos tribuns ne m'accuseraient-ils pas aujourd'hui d'intelligence avec les ennemis? Si vos ennemis se sont ralliés, s'ils ont été soutenus par un corps de troupes qui s'avançait à leur secours; enfin, s'il a fallu recommencer tout de nouveau le combat; et si, dans cette dernière action, j'ai perdu quelques soldats, n'est-ce pas le sort ordinaire de la guerre? Trouverez-vous des généraux qui veuillent se charger du commandement de vos armées, à condition de ramener à Rome tous les soldats qui en seraient sortis sous leur conduite? N'examinez donc point si à la fin de la bataille j'ai perdu quelques soldats, mais jugez de ma conduite par ma victoire. S'il est vrai que j'ai chassé les ennemis de votre territoire, que je leur ai tué beaucoup de monde dans deux combats, que j'ai forcé les débris de leurs armées de s'enfermer dans leurs places, que j'ai enrichi Rome et vos soldats du butin qu'ils ont fait dans le pays ennemi; que vos tribuns se lèvent, et qu'ils me reprochent en quoi j'ai manqué contre les devoirs d'un bon général. • Mais ce n'est pas ce que je crains: ces accusations ne servent que de prétexte pour pouvoir exercer impunément leur haine et leur animosité contre le sénat et contre l'ordre des patriciens. Mon véritable crime, aussi bien que celui de l'illustre Ménénius, c'est de n'avoir pas nommé, toits de chaume et ces foyers rustiques qu'habi- | lumière immortelle; comblez vos bienfaits en fun et l'autre, pendant nos consulats, ces décemvirs après lesquels vous soupirez depuis si longtemps. Mais le pouvions-nous faire dans l'agitation et le tumulte des armes, et pendant que les ennemis étaient à nos portes, et la division dans la ville? Et quand nous l'aurions pu, sachez, Romains, que Servilius n'aurait jamais autorisé une loi qu'on ne peut observer sans exciter un trouble général dans toutes les familles, sans causer une infinité de procès, et sans ruiner les premières maisons de la république, qui en sont loplus ferme soutien. Faut-il que vous ne demandiez jamais rien au sénat qui ne soit préjudiciable au bien commun de la patrie, et que vous ne le demandiez que par des séditions? Si un sénateur ose vous représenter l'injustice de vos prétentions, si un consul ne parle pas le langage séditieux de vos tribuns, s'il défend avec courage la souveraine puissance dont il est revêtu, on crie au tyran. A peine est-il sorti de charge, qu'il se trouve accablé d'accusations. C'est ainsi que par votre injuste plébiscite vous avez ôté la vie à Ménénius, aussi grand capitaine que bon citoyen. Ne devriez-vous pas mourir de honte d'avoir persécuté si cruellement le fils de ce Ménénius Agrippa, à qui vous devez vos tribuns, et ce pouvoir qui vous rend à présent si furieux? • On trouvera peut-être que je vous parle avec trop de liberté dans l'état présent de ma fortune; mais je ne crains point la mort: condamnez-moi, si vous l'osez; la vie ne peut être qu'à charge à un général qui est réduit à se justifier de ses victoires: après tout, un sort pareil à celui de Ménénius ne peut me déshonorer 1., VERTOT. Révol. rom. L'OMBRE DE FABRICIUS AUX ROMAINS. O Fabricius! qu'eût pensé votre grande âme, si, pour votre malheur, rappelé à la vie, vous eussiez vu la face pompeuse de cette Rome sauvée par votre bras, et que votre nom respectable avait plus illustrée que toutes ses conquêtes? • Dieux ! eussiez-vous dit, que sont devenus ces vous vous êtes rendus les esclaves des hommes frivoles que vous avez vaincus : ce sont des rhéteurs qui vous gouvernent; c'est pour enrichir des architectes, des peintres, des statuaires et des histrions que vous avez arrosé de votre sang la Grèce et l'Asie. Les dépouilles de Carthage sont la proie d'un joueur de flûte. << Romains, hâtez-vous de renverser ces amphithéâtres, brisez ces marbres, brûlez ces tableaux, chassez ces esclaves qui vous subjuguent, et dont les funestes arts vous corrompent. Que d'autres mains s'illustrent par de vains talents: le seul talent digne de Rome est celui de conquérir le monde, et d'y faire régner la vertu. Quand Cynéas prit notre sénat pour une assemblée de rois, il ne fut ébloui, ni par une pompe vaine, ni par une élégance recherchée; il n'y entendit point cette éloquence frivole, l'étude et le charme des hommes futiles. Que vit donc Cynéas de majestueux ? O citoyens! il vit un spectacle que ne donneront jamais vos richesses, i tous vos arts, le plus beau spectacle qui ait jamais paru sous le ciel, l'assemblée de deux cents hommes vertueux, dignes de commander à Rome et de gouverner la terre., J.-J. ROUSSEAU. INVOCATION A LA PAIX. Grand Dieu, dont la seule présence soutient la nature et maintient l'harmonie des lois de l'univers, vous qui, du trône immobile de l'empyrée, voyez rouler sous vos pieds toutes les sphères célestes sans choc et sans confusion; qui, du sein du repos, reproduisez à chaque instant leurs mouvements immenses, et seul régissez dans une paix profonde ce nombre infini de cieux et de mondes; rendez, rendez enfin le calme à la terre agitée; qu'elle soit dans le silence! qu'à votre voix la discorde et la guerre cessent de faire retentir leurs clameurs orgueilleuses! Dieu de bonté, auteur de tous les êtres, vos regards paternels embrassent tous les objets de la création; mais l'homme est votre être de choix ; vous avez éclairé son âme d'un rayon de votre taient jadis la modération et la vertu? Quelle splendeur funeste a succédé à la simplicité romaine? Quel est ce langage étranger? Quelles sont ces mœurs efféminées? Que signifient ces statues, ces tableaux, ces édifices? Insensés! qu'avez-vous fait! Vous, les maîtres des nations, 1 Ce discours est le développement de quelques lignes de Tite-Live, liv. 11. ch. 52. Sp. Servilius fut consul l'an de Kome 275 (N, Ε.) pénétrant son cœur d'un trait de votre amour : ce sentiment divin, se répandant partout, réunira les nations ennemies; l'homme ne craindra plus l'aspect de l'homme, le fer homicide n'armera plus sa main, le feu dévorant de la guerre ne fera plus tarir la source des générations; l'espèce humaine, maintenant affaiblie, mutilée moissonnée dans sa fleur, germera de nouveau, et se multipliera sans nombre; la nature, accablée sous le poids des fléaux, stérile, abandonnée, , |