oubli des maux est un don que la nature leur a fait, et qu'elle a refusé aux hommes 1. MARMONTEL. Les Incas. LES CATACOMBES. brait le mystère des chrétiens: de jeunes filles, couvertes de voiles blancs, chantaient au pied de l'autel; une nombreuse assemblée assistait au sacrifice. Je reconnais les catacombes 2! CHATEAUBRIAND. Les Martyrs, liv. v. LA PESTE D'ATHÈNES. Un jour j'étais allé visiter la fontaine Égérie : la nuit me surprit. Pour regagner la voie Appienne, je me dirigeai vers le tombeau de Cécilia Métella, chef-d'œuvre de grandeur et d'élégance. En traversant des champs abandonnés, j'aperçus plusieurs personnes qui se glissaient dans l'ombre, et qui toutes, s'arrêtant au même endroit, disparaissaient subitement. Poussé par la curiosité, je m'avance, et j'entre hardiment dans la caverne où s'étaient plongés les mystérieux fantômes. Je vis s'allonger devant moi des galeries souterraines, qu'à peine éclairaient de loin quelLe mal attaquait successivement toutes les ques lampes suspendues. Les murs des corridors | parties du corps : les symptômes en étaient funèbres étaient bordés d'un triple rang de cercueils, placés les uns au-dessus des autres. La lumière lugubre des lampes, rampant sur les parois des voûtes, et se mouvant avec lenteur le long des sépulcres, répandait une mobilité effrayante sur ces objets éternellement immobiles. Jamais ce fléau terrible ne ravagea tant de climats. Sorti de l'Éthiopie, il avait parcouru l'Égypte, la Libye, une partie de la Perse, l'île de Lemnos, et d'autres lieux encore. Un vaisseau marchand l'introduisit sans doute au Pyrée, où il se manifesta d'abord; de là il se répandit avec fureur dans la ville, et surtout dans ces demeures obscures et malsaines où les habitants de la campagne se trouvaient entassés. effrayants, les progrès rapides, les suites presque toujours mortelles. Dès les premières atteintes, l'âme perdait ses forces, le corps semblait en acquérir de nouvelles; et c'était un cruel supplice de résister à la maladie, sans pouvoir résister à la douleur. Les insomnies, les terreurs, des sanglots redoublés, des convulsions effrayantes, n'étaient pas les seuls tourments réservés aux malades. Une chaleur brûlante les dévorait intérieurement. Couverts d'ulcères et de taches livides, les yeux enflammés, la poitrine oppressée, les entrailles déchirées, exhalant une odeur En vain, prêtant une oreille attentive, je cherche à saisir quelques sons pour me diriger à travers un abime de silence; je n'entends que le battement de mon cœur dans le repos absolu de ces lieux. Je voulus retourner en arrière, mais il n'était plus temps: je pris une fausse route, et, au lieu de sortir du dédale, je m'y enfonçai. | fétide de leur bouche souillée d'un sang impur, De nouvelles avenues qui s'ouvrent et se croisent de toutes parts, augmentent à chaque instant mes perplexités. Plus je m'efforce de trouver un chemin plus je m'égare; tantôt je m'avance avec lenteur, tantôt je passe avec vitesse. Alors, par un effet des échos qui répétaient le bruit de mes pas, je croyais entendre marcher précipitamment derrière moi. Il y avait déjà longtemps que j'errais ainsi; mes forces commençaient à s'épuiser: je m'assis à un carrefour solitaire de la cité des morts. Je regardais avec inquiétude la lumière des lampes presque consumée qui menaçait de s'éteindre. Tout à coup, une harmonie, semblable au chœur lointain des esprits célestes, sort du fond de ces demeures sépulcrales : ces divins accents expiraient et renaissaient tour à tour; ils semblaient s'adoucir encore en s'égarant dans les routes tortueuses du souterrain. Je me lève, et je m'avance vers les lieux d'où s'échappent les magiques concerts; je découvre une salle illuminée. Sur un tombeau paré de fleurs, Marcellin célé on les voyait se traîner dans les rues, pour respirer plus librement, et, ne pouvant éteindre la soif brûlante dont ils étaient consumés, se précipiter dans des puits ou dans des rivières couvertes de glaçons. La plupart périssaient au septième ou au neuvième jour. S'ils prolongeaient leur vie au delà de ces termes, ce n'était que pour éprouver une mort plus douloureuse et plus lente. Ceux qui ne succombaient pas à la maladie n'en étaient presque jamais atteints une seconde fois. Faible consolation! car ils n'offraient plus aux yeux que les restes infortunés d'eux-mêmes. Les uns avaient perdu l'usage de plusieurs de leurs membres, les autres ne conservaient aucune idée du passé: heureux sans doute d'ignorer leur état; mais ils ne pouvaient reconnaître leurs amis. Le même traitement produisait des effets tour à tour salutaires et nuisibles : la maladie semblait braver les règles de l'expérience. Comme elle infestait aussi plusieurs provinces de la Perse, le 1 Voyez, dans la prose et les vers, les Narrations, Tableaux, Descriplions d'ouragans, d'orages et de serpents. Les catacombes de Saint-Sébastien. Ce récit est mis dans la bouche d'Eudore, Grec converti au christianisme du temps de Dioclétien, et lorsque saint Marcellin était pape de Rome, (Ν. Ε.) roi Artaxerxès résolut d'appeler à leur secours le | de citoyens, parmi lesquels il faut compter près de cinq mille hommes en état de porter les armes. La perte la plus irréparable fut celle de Périclès, qui, dans la troisième année de la guerre, mourut des suites de la maladie 4. BARTHÉLEMY. Voyage d'Anacharsis. célèbre Hippocrate, qui était alors dans l'île de Cos: il fit briller à ses yeux de l'or et des dignités; mais le grand homme répondit au grand roi qu'il n'avait ni besoins, ni désirs, et qu'il se devait aux Grecs plutôt qu'à leurs ennemis. Il vint ensuite offrir ses services aux Athéniens, qui le reçurent avec d'autant plus de reconnaissance, que la plupart de leurs médecins étaient morts victimes de leur zèle: il épuisa les resEn 1348, la peste infecta toute l'Italie, à la sources de son art, et exposa plusieurs fois sa réserve de Milan et de quelques cantons au pied vie. S'il n'obtint pas tout le succès que mérides Alpes, où elle fut à peine sentie. La même taient de si beaux sacrifices et de si grands talents, ❘ année, elle franchit les montagnes, s'étendit en assuré contre la peste; et les femmes mêmes cher- | taire. Plus de respect pour les lois divines et hu il donna du moins des consolations et des espérances. On dit que, pour purifier l'air, il fit allumer des feux dans les rues d'Athènes; d'autres prétendent que ce moyen fut employé, avec quelque succès, par un médecin d'Agrigente, nommé Acron. On vit, dans les commencements, de grands exemples de piété filiale, d'amitié généreuse; mais, comme ils furent presque toujours funestes à leurs auteurs, ils ne se renouvelèrent que rarement dans la suite. Alors les liens les plus respectables furent brisés; les yeux, près de se fermer, ne virent de toutes parts qu'une solitude profonde, et la mort ne fit plus couler de larmes. Cet endurcissement produisit une licence effrénée. La perte de tant de gens de bien, confondus dans un même tombeau avec les scélérats, le renversement de tant de fortunes, devenues tout à coup le partage ou la proie des citoyens les plus obscurs, frappèrent vivement ceux qui n'ont d'autre principe que la crainte. Persuadés que les dieux ne prenaient plus d'intérêt à la vertu, et que la vengeance des lois ne serait pas aussi prompte que la mort dont ils étaient menacés, ils crurent que la fragilité des choses humaines leur indiquait l'usage qu'ils en devaient faire, et que, n'ayant plus que peu de moments à vivre, ils devaient du moins les passer dans le sein des plaisirs. Au bout de deux ans, la peste parut calmer. endant ce repos, on s'aperçut plus d'une fois que le germe de la contagion n'était pas détruit : il se développa dix-huit mois après; et, dans le cours d'une année entière, il reproduisit les mêmes scènes de deuil et d'horreur. Sous l'une et l'autre époques, il périt un très-grand nombre 1 ce morceau de Barthélemy n'est qu'un rapide extrait de la description si détaillée et si éloquente de la peste d'Athènes, qui se trouve au livre II de Thucydide. On peut rapprocher de l'auteur grec l'imitation pleine d'énergie qui termine le poëme de Lucrèce, De naturâ rerum. On comparera de même au tableau de la Peste de Florence, de Simonde de Sismondi, ceux qu'ont tracés Boccace dans le Decameron, et Manzoni dans son dernier roman des Fiancés. LA PESTE DE FLORENCE. Provence, en Savoie, en Dauphiné, en Bourgogne, et, par Aigues-Mortes, pénétra en Catalogne. L'année suivante, elle comprit tout le reste de l'Occident jusqu'aux rives de la mer Atlantique, la Barbarie, l'Espagne, l'Angleterre et la France. Le Brabant seul parut épargné, et ressentit à peine la contagion. En 1350, elle s'avança vers le Nord, et envahit les Frisons, les Allemands, les Hongrois, les Danois et les Suédois. Ce fut alors, et par cette calamité, que la répu| blique d'Islande fut détruite. La mortalité fut si grande dans cette île glacée, que les habitants ❘épars cessèrent de former un corps de nation. Les symptômes ne furent pas partout les mêmes. En Orient, un saignement de nez annonçait l'invasion de la maladie; en même temps, il était le présage assuré de la mort. A Florence, on voyait d'abord semanifester, à l'aine, ou sous les aisselles, un gonflement qui surpassait même la grosseur d'un œuf. Plus tard, ce gonflement, qu'on nomma gavocciolo, parut indifféremment à toutes les parties du corps. Plus tard encore, les symptômes changèrent, et la contagion s'annonça le plus souvent par des taches noires ou livides, qui, larges et rares chez les uns, petites et fréquentes chez les autres, se montraient d'abord sur les bras ou les cuisses, puis sur le reste du corps, et qui, comme le gavocciolo, étaient l'indice d'une mort prochaine. Le mal bravait toutes les ressources de l'art: la plupart des malades mouraient le troisième jour, et presque toujours sans fièvre, ou sans aucun accident nouveau. Bientôt tous les lieux infectés furent frappés d'une terreur extrême, quand on vint à remarquer avec quelle inexprimable rapidité la contagion se propageait. Non-seulement converser avec les Le docteur Broussais, dans ses leçons données à l'hôpital militaire du Val-de-Grâce, dit que l'épidémie qui ravage l'Europe depuis plusieurs années sous le nom de choleramorbus, est probablement cette peste affreuse qui, en 1348, enleva presque un tiers des hommes existants à cette époque. Le cholera-morbus a, en effet, le plus grand rapport avec ce que l'on raconte de la fièvre noire. Voyez aussi, dans les Narrations en vers, l'Epizootie. (Ν. Ε.) malades ou s'approcher d'eux, mais toucher aux choses qu'ils avaient touchées, ou qui leur avaient appartenu, communiquait immédiatement la maladie. Des animaux tombèrent morts en touchant à des habits qu'ils avaient trouvés dans les rues. On ne rougit plus alors de laisser voir sa lâcheté et son égoïsme. Les citoyens s'évitaient l'un l'autre; les voisins négligeaient leurs voisins; et les parents mêmes, s'ils se visitaient quelquefois, s'arrêtaient à une distance qui trahissait leur effroi. Bientôt on vit le frère abandonner son frère, l'oncle son neveu, l'épouse son mari, et même, quelques pères et mères s'éloigner de leurs enfants. Aussi ne resta-t-il d'autres ressources à la multitude innombrable des malades, què le dévouement héroïque d'un petit nombre d'amis, ou l'avarice des domestiques, qui, pour un immense salaire, se décidaient à braver le danger. Encore ces derniers étaient-ils, pour la plupart, des campagnards grossiers et peu accoutumés à soigner les malades; tous leurs soins se bornaient d'ordinaire à exécuter quelques ordres des pestiférés, et à porter à leur famille la nouvelle de leur mort. Cet isolement et la terreur qui avait saisi tous les esprits, firent tomber en désuétude la sévérité des mœurs antiques et les usages pieux par les quels les vivants prouvent aux morts leur affection et leurs regrets. Non-seulement les malades mouraient sans être entourés, suivant l'ancienne coutume de Florence, de chacun de ses parents, de ses voisins, et des femmes qui lui appartenaient de plus près; plusieurs n'avaient pas même un assistant dans les derniers moments de leur existence. On était persuadé que la tristesse préparait à la maladie; on croyait avoir éprouvé que la joie et les plaisirs étaient le préservatif le plus uns, et de jour et de nuit, terminaient dans les rues leur misérable existence; les autres, abandonnés dans les maisons, apprenaient leur mort aux voisins par l'odeur fétide qu'exhalait leur cadavre. La peur de la corruption de l'air, bien plus que la charité, portait les voisins à visiter les appartements, à retirer des maisons les cadavres, et à les placer devant les portes. Chaque matin on en pouvait voir un grand nombre ainsi déposés dans les rues; ensuite on faisait venir une bière, ou, à défaut, une planche sur laquelle on emportait le cadavre. Plus d'une bière contint ex même temps le mari et la femme, ou le père et le fils, ou deux ou trois frères. Lorsque deux prêtres avec une croix cheminaient à des funérailles, et disaient l'office des morts, de chaque porte sortaient d'autres bières qui se joignaient au cortége, et les prêtres, qui ne s'étaient engagés que pour un seul mort, en avaient sept ou huit à ensevelir. La terre consacréé ne suffisant plus aux sépultures, on creusa, dans les cimetières, des fosses immenses, dans lesquelles on rangeait les cadavres par lits, à mesure qu'ils arrivaient, et on les recouvrait ensuite d'un peu de terre. Cependant les survivants, persuadés que les divertissements, les jeux, les chants, la gaieté, pouvaient seuls les préserver de l'épidémie, ne songeaient plus qu'à chercher des jouissances, non-seulement chez eux, mais dans les maisons étrangères, toutes les fois qu'ils croyaient y trouver quelque chose à leur gré. Tout était à leur discrétion; car chacun, comme ne devant plus vivre, avait abandonné le soin de sa personne et de ses biens. La plupart des maisons étaient devenues communes, et l'étranger qui y entrait, y prenait tous les droits du proprié maines; leurs ministres, et ceux qui devaient veiller à leur exécution, étaient ou morts, ou fraprés, ou tellement dépourvus de gardes et de subalternes, qu'ils ne pouvaient imprimer aucune crainte: aussi chacun se regardait-il comme libre d'agir à sa fantaisie. chaient à s'étourdir sur le lugubre appareil des funérailles, par le rire, le jeu et les plaisanteries. Bien peu de corps étaient portés à la sépulture par plus de dix ou douze voisins, encore les porteurs n'étaient-ils plus des citoyens considérés et de même rang que le défunt, mais des fossoyeurs de la dernière classe, qui se faisaient nommer becchim. Pour un gros salaire, ils transportaient la bière précipitamment, non point à l'église dé- | petitesse, étaient une image de la capitale. Les recueillis. Le bétail, chassé des maisons, errait | pas entraîne une chute, et d'où l'on voit souvent signée par le mort, mais à la plus prochaine, quelquefois précédés de quatre ou six prêtres avec un petit nombre de cierges, quelquefois aussi sans aucun appareil religieux, et jetaient le cadavre dans la première fosse qu'ils trouvaient ouverte. Le sort des pauvres et même des gens d'un état médiocre était bien plus déplorable : retenus par l'indigence dans des maisons malsaines, et rapprochés les uns des autres, ils tombaient maJades par milliers; et, comme ils n'étaient ni soignés ni servis, ils mouraient presque tous. Les Les campagnes n'étaient pas plus épargnées que les villes; les châteaux et les villages, dans leur malheureux laboureurs qui habitaient les maisons éparses dans la campagne, qui n'avaient à espérer ni conseils de médecins, ni soins de domestiques, mouraient sur les chemins, dans leurs champs, ou dans leurs habitations, non commedeshommes, mais comme des bêtes. Aussi, devenus négligents de toutes les choses de ce monde, comme si le jour était venu où ils ne pouvaient plus échapper à la mort, ils ne s'occupaient plus à demander à la terre ses fruits ou le prix de leurs fatigues, mais se hâtaient de consommer ceux qu'ils avaient déjà dans les champs déserts, au milieu des récoltes SISMONDI. Histoire des républiques italiennes PASSAGE DES ALPES PAR FRANÇOIS 1г. rouler au fond des abîmes et les hommes et les bêtes avec toute leur charge. Le bruit des tor❘rents, les cris des mourants, les hennissements des chevaux fatigués et effrayés, étaient horriblement répétés par tous les échos des bois et des montagnes, et venaient redoubler la terreur et le tumulte. On arriva enfin à une dernière montagne où l'on vit avec douleur tant de travaux et tant d'efforts prêts à échouer. La sape et la mine avaient renversé tous les rochers qu'on avait pu aborder et entamer; mais que pouvaient-elles contre une seule roche vive, escarpée de tous côtés, impénétrable aufer, presque inaccessible aux hommes? Navarre, qui l'avait plusieurs fois sondée, commençait à désespérer du succès, lorsque des recherches plus heureuses lui découvrirent une veine plus tendre qu'il suivit avec la dernière précision; le rocher fut entamé par le milieu, et l'armée, introduite au bout de huit jours dans le marquisat de Saluces, admira ce que peuvent l'industrie, l'audace et la persévérance 1. GAILLARD. Histoire de François ler. LES RELIGIEUX DU MONT SAINT-BERNARD. A la fin d'avril 1755, j'allais au Piémont par la route du grand Saint-Bernard. Vers les quatre heures de l'après-midi, la petite caravane, avec laquelle j'avais gravi ce dangereux passage, parvint au sommet de la montagne; et, après avoir réparé ses forces dans l'hospice élevé au milieu de ce désert, elle se remit en marche, pour coucher le même soir à la vallée d'Aost. Déjà le soleil avait perdu sa chaleur, et le ciel même sa sérénité: des nuages commençaient à se traîner le long des cimes des rochers, et s'amoncelaient dans les gorges étroites de cette solitude. Au sommet des Alpes, une soirée nébuleuse amollit le courage; je me décidai à passer la nuit avec les religieux hospitaliers qui partageaient mes pressentiments. Ils ne nous trompèrent point. A six heures, ce plateau glacé fut presque enseveli dans les ténébres; les nuées, poussées par un vent de nordouest avec la rapidité d'une flèche, tourbillon On part; un détachement reste et se fait voir sur le mont Cenis et sur le mont Genèvre, pour inquiéter les Suisses, et leur faire craindre une attaque. Le reste de l'armée passe à gué la Durance, et s'engage dans les montagnes, du côté de Guillestre; trois mille pionniers la précèdent. Le fer et le feu lui ouvrent une route difficile et périlleuse à travers des rochers: on remplit des vides immenses avec des fascines et de gros arbres; on bâtit des ponts de communication; on traine, à force d'épaules et de bras, l'artillerie dans quelques endroits inaccessibles aux bêtes de somme: es soldats aident les pionniers, les officiers aident les soldats; tous indistinctement manient la pioche | naient autour de l'enceinte des rochers; déjà et la cognée, poussent aux roues, tirent les cordages; on gravit sur les montagnes; on fait des efforts plus qu'humains; on brave la mort qui semble ouvrir mille tombeaux dans ces vallées profondes que l'Argentière arrose, et où des torrents de glaces et de neiges fondues par le soleil se précipitent avec un fracas épouvantable. On ose à peine les regarder de la cime des rochers sur lesquels on marche en tremblant par des sentiers étroits, glissants et raboteux, où chaque faux retentissait le bruit lointain des avalanches; et des atomes de neige serrée, divisée comme la poussière, soit en se détachant des montagnes, soit en tombant du ciel, en interceptaient la faible lumière, et voilaient tous les objets d'alentour. Tandis qu'auprès d'un bon feu je questionnais le supérieur du couvent sur les suites de l'onragan, les religieux hospitaliers étaient allé 1 Voyez les Leçons lalines anciennes, tom. I. Tableaux. remplir leurs devoirs de circonstance, ou plutôt | l'avantage qu'il avait remporté sur les Français, exercer leurs vertus de tous les jours: chacun | dans un genre de combats où ils ne voulaient avait pris son poste de dévouement dans ces Thermopyles glaciales, non pour y repousser des ennemis, mais pour y tendre une main secourable aux voyageurs perdus, de tout rang, de toute nation, de tout culte, et même aux point reconnaître d'égaux1, songeait à se rendre recommandable par quelque autre service plus important. Son immense fortune lui avait permis de lever, à ses frais, douze cents gentilshommes, ou vieux soldats, qu'il avait couverts d'armurce Voulant les mettre à portée de se distinguer autrement que par la richesse de leurs armes il alla les établir, avec le consentement du duc d'Albe, dans le bourg de Vigual, sur le sommet , animaux chargés de leur bagage. Quelques-uns | dorées, et qu'on nommait les braves de Naples. de ces sublimes solitaires gravissaient les pyramides de granit qui bordent leur chemin, pour y découvrir un convoi dans la détresse, et pour répondre aux cris de secours; d'autres frayaient le sentier enseveli sous la neige fraîchement | d'une montagne escarpée qui dominait dans une partie du Montferrat : les ayant encouragés à fortifier promptement ce poste et à s'y bien dé tombée, au risque de se perdre eux-mêmes dans les précipices, tous bravant le froid, les avalanches, le danger de s'égarer, presque aveuglés par les ❘ fendre, il courut leur préparer des secours au cas qu'ils fussent attaqués, comme on devait s'y attendre. En effet, le maréchal de Brissac, commandant l'armée française, comprit si bien la nécessité de les déloger de ce lieu, que, bien qu'il ne fût pas encore parfaitement guéri, il ne voulut se reposer de ce soin sur personne. Rassemblant en corps d'armée toutes les troupes dont il tourbillons de neige, et prêtant une oreille attentive au moindre bruit qui leur rappelait la voix humaine humaine. Leur intrépidité égale leur vigilance; aucun malheureux ne les appelle en vain ; ils le retirent étouffé sous les débris des avalanches; ils le raniment agonisant de froid et de terreur; ils le transportent sur les bras, tandis que leurs pieds glissent sur la glace, ou plongent dans les nei- | pouvait disposer, sans trop dégarnir la frontière, ges: la nuit, le jour, voilà leur ministère. Leur pieuse sollicitude veille sur l'humanité, dans ces lieux maudits de la nature, où ils présentent le spectacle habituel d'un héroïsme qui ne sera jamais célébré par nos flatteurs. Depuis une heure entière, cinq religieux et il investit la montagne, dressa des batteries, et sépara en trois divisions les corps de troupes qui, partant par des routes différentes lorsqu'il donnerait le signal, devaient arriver en même temps au sommet; mais, comme il avait à craindre que Pescaire ne survînt au moment de leurs domestiques étaient sur les traces des voya- | l'attaque, et ne le mît entre deux feux, il coupa par des tranchées, et fit garder par des corps de troupes, les seuls chemins par où l'ennemi pouvait aborder. geurs, lorsque l'aboiement des chiens nous annonça leur retour. Compagnons intelligents des courses de leurs maîtres, ces dogues bienfaisants vont à la piste des malheureux; ils devancent les guides, et le sont eux-mêmes : à la voix de ces fidèles auxiliaires, le voyageur transi reprend l'es- | cris redoublés, qui partaient d'une division de pérance, il suit leurs vestiges toujours sûrs. Lorsque les éboulements de neige, aussi prompts que l'éclair, engloutissent un passager, les dogues du Saint-Bernard le découvrent sous l'abîme, et y conduisent les religieux, qui retirent le cadavre, et souvent le rendent à la vie. Lorsqu'il achevait ses dispositions, et avant qu'il donnât le signal de l'attaque, il entendit des son armée; il lève les yeux et aperçoit un soldat, d'une taille avantageuse, qui, sorti des rangs, court à l'ennemi, décharge à bout portant son arquebuse, la jette par terre, et, l'épée à la main, s'élance dans les retranchements : s08 compagnons, après l'avoir inutilement rappelé par leurs cris, transportés de la même ardeur, courent pêle-mêle après lui pour le soutenir ou pour le dégager. Le maréchal, outré de dépit, Bientôt l'hospice s'ouvrit à dix personnes épuisées de froid, de lassitude et de frayeur. Leurs conducteurs oublièrent leurs propres fatigues; et, depuis le linge le plus blanc jusqu'aux | mais cachant ce qui se passait au fond de son liqueurs les plus restaurantes, tout ce que l'hos⚫pitalité la plus attentive peut offrir de secours, tout ce qu'on ne rassemblerait qu'à force d'argent dans les auberges de nos villes, fut prêt dans l'instant, distribué sans distinction, employé avec autant d'adresse que de sensibilité. MALLET DU PAN. LA TÉMÉRITÉ PUNIE ET LA VALEUR RÉCOMPENSÉE. Le marquis de Pescaire, déjà bien glorieux de cœur, donna aux deux autres divisions le signal de l'attaque: elle se fit avec plus de régularité que ce début ne semblait l'annoncer. Les braves de Naples se battirent en désespérés; enveloppés de tous côtés, accablés par le nombre, et ne pouvant s'ouvrir un chemin l'épée à la main, ils se firent tuer jusqu'au dernier. A peine le combat 1 Dans un combat particulier en champ clos de quatr contre quatre, en 1555, |