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contre-coup, la conservation du Montferrat et des fertiles contrées qui nourrissaient l'armée. Sans lui, sans son heureuse audace, il paraissait cer

était-il achevé, qu'on vit arriver le marquis de j éclatante qu'on venait de remporter, et, par Pescaire avec douze cents chevaux et trois mille arquebusiers. S'apercevant que ses gens étaient défaits et que les Français étaient maîtres de la montagne, il se retira sans entreprendre de forcertain que Pescaire serait arrivé avant qu'on eût

les barrières qui lui en défendaient l'approche.

N'ayant plus rien à craindre de la part de l'ennemi, le maréchal ne songea plus qu'à distribuer des récompenses à ceux qui les avaient méritées. Il établit son tribunal dans le lieu même où s'était passée l'action. Douze soldats vinrent successivement déposer à ses pieds les enseignes qu'ils avaient prises sur l'ennemi; il leur passa au cou une chaîne d'or d'où pendait une médaille du même métal frappée à son coin: il loua publi-même pour le salut de la patrie? et la fortune,

livré l'assaut. L'était-il également qu'on eûtrisqué l'attaque quatre heures plus tard, et que les troupes s'y fussent portées avec la même ardeur, en apercevant sur leurs épaules une armée prête à les assaillir? Si une ardeur de jeunesse, un désir immodéré de gloire lui avaient fait franchir les règles d'une austère discipline, cette faute involontaire était-elle impardonnable? Ne l'avait-il pas suffisamment expiée en se dévouant luien l'arrachant à une mort certaine, ne l'avait-elle pas suffisamment absous? >

quement ceux des officiers qui s'étaient particulièrement distingués, et promit de les recommander au roi; enfin il parla avec intérêt du brave guerrier qui avait montré une valeur plus qu'hu- | baient les murmures : « Quelle astuce il avait emmaine, en se précipitant seul au milieu desennemis, et parut regretter que la mort, sans doute, ne lui eût pas permis de se présenter avec les autres pour recevoir le prix dû à son action. Un officier qui se trouvait présent répondit que ce brave n'é

C'était principalement sur le maréchal que tom

ployée pour s'assurer d'un homme simple et sans défiance! S'il se croyait offensé, que ne le témoignait-il? S'il ne cherchait qu'un prétexte pour être dispensé de récompenser une action éclatante, que ne restait-il tranquille? Content de l'hommage vo

tait pas mort, ni même blessé, et que la honte ❘lontaire que lui rendaient ses compagnons, Boisi

seule l'avait empêché de se présenter. « Je veux ‹ le voir, répondit Brissac, je vous charge de me l'amener. Tandis que le capitaine s'acquittait de cette mission, le maréchal manda auprès de lui le prévôt de l'armée. Voyant approcher le coupable, il lui dit d'un ton sévère. Soldat, ⚫ quel est ton nom et ton pays? Le jeune homme répondit avec embarras qu'il était fils naturel du seigneur de Boisi, et qu'il en portait le nom. La chose étant ainsi, je ne serai point ton juge, puisque je ne puis te méconnaître < pour un proche parent du côté de ma mère; « mais, fusses-tu mon fils, je ne t'épargnerais ⚫ pas, après la faute que tu viens de commettre. • Malheureux! quel exemple as-tu donné au reste ⚫ de l'armée! Prévôt, qu'on le charge de fers, ⚫ et qu'on le garde soigneusement : votre tête ⚫ me répondra de la sienne. ›

A cet ordre, qui fut exécuté sans ménagement, la tristesse et le dépit se peignirent sur tous les

ne demandait ni grâce, ni décoration. Convenait-il à un maréchal de France de recourir au mensonge et à la duplicité pour le déterrer et le perdre? Reconnaissait-on à ce trait un général qui voulait qu'on le regardât comme le père de ses soldats et le partisan déclaré de la valeur, quelque part qu'elle se trouvat?... ›

Le maréchal, à qui ces murmures ne déplaisaient pas jusqu'à un certain point, jugeant cependant qu'il devenait dangereux de les laisser fermenter trop longtemps, assembla un conseil de guerre, sur lequel il se déchargea du soin de juger Boisi, qu'il avouait pour son parent, mais que, par cette raison même, il promettait d'abandonner à la sévérité des lois. Les principaux officiers de l'armée, qui composaient ce conseil, quoique mus de pitié et d'une sorte d'admiration pour le coupable, le condamnèrent unanimement à la mort, parce qu'ils étaient tenus de se conformer à la lettre de l'ordonnance; mais ils supplièrent

visages: on détourna la vue, on s'enfuit avec pré- ❘ le maréchal de considérer la nature de la faute,

cipitation, pour n'être pas témoin d'un spectacle si révoltant; mais, si la présence du général et l'habitude de l'obéissance eurent assez de force pour contenir, dans ce premier moment, les mains et la voix des soldats, ils s'en dédommagèrent amplement dans leurs tentes, et dans des conventicules particuliers que toute l'autorité des chefs ne pouvait empêcher. Boisi était devenu le sujet de leurs entretiens, et d'une foule de réflexions chagrines et décourageantes: C'était à lui seul, disait-on, qu'était due la victoire

l'age du coupable, sa conduite précédente, le vif intérêt qu'il avait su inspirer à toute l'armée, et, puisqu'il n'était échappé à la mort que par une sorte de miracle, de ne pas se montrer plus cruel que les ennemis; en un mot, de se contenter de la peine qu'il lui avait déjà infligée en le tenant quinze jours dans une situation pire que la mort.

Le général, sans expliquer encore ses intentions, fit entrer le prisonnier dans la salle du conseil, et lui dit: Malheureux Boisi, connais < toute l'énormité de ta faute, et, sans te faire

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< illusion sur l'événement qui ne dépendait pas de | première, lorsque je rouvris les yeux. Quelle joie

de me retrouver en possession de tant d'objets
brillants! Mon plaisir surpassa tout ce que j'avais
senti la première fois, et suspendit, pour un temps,
le charmant effet des sons.

toi, confesse qu'en méprisant mes ordres, qu'en troublant mes opérations, tu as exposé les armes ‹ du roi à recevoir un affront, et donné à tes pareils un exemple qu'il ne convenait pas de laisser impuni. Aussi les seigneurs que tu vois assemblés t'ont-ils unanimement condamné à mort. « Leur devoir les y forçait, mais ils ont eu pitié < de ta jeunesse, et sont devenus tes interces<seurs. Je t'accorde la vie, mais je t'avertis en ⚫ même temps qu'elle n'est plus à toi, elle m'ap<partient tout entière; et je ne t'en laisse la jouissance qu'en me réservant le droit de te la re⚫ demander toutes les fois que le service du roi Je commençais à voir sans émotion, et à en« l'exigera. Approche, et, délivré des chaînes qui ⚫ ont été le châtiment et l'expiation de ta faute, ❘ tendre sans trouble, lorsqu'un air léger, dont je

◄ viens en recevoir de mes mains une autre, qui < sera le prix de ta valeur et le gage de ton dé<< vouement. En achevant ces mots, il lui attacha autour du cou une chaîne d'or deux fois plus pesante que celles qu'il avait distribuées aux douze braves qui lui avaient apporté les drapeaux pris sur l'ennemi, et lui dit d'aller trouver son écuyer, qui lui délivrerait un cheval d'Espagne, une armure complète, et un équipage pareil à celui de ses autres gardes, au nombre desquels il le retenait. GARNIER. Histoire de France, liv. XXVII.

LE PREMIER HOMME FAIT L'HISTOIRE DE SES PREMIERS
MOUVEMENTS, DE SES PREMIÈRES SENSATIONS, DE
SES PREMIERS JUGEMENTS, APRÈS LA CRÉATION.

Je fixai mes regards sur mille objets divers; je m'aperçus bientôt que je pouvais perdre et retrouver ces objets, et que j'avais la puissance de détruire et de reproduire, à mon gré, cette belle partie de moi-même; et, quoiqu'elle me parût immense en grandeur, et pa la qualité des accidents de lumière, et par la variété des couleurs, je crus reconnaître que tout était contenu dans une portion de mon être.

sentis la fraîcheur, m'apporta des parfums qui me causèrent un épanouissement intime, et me donnèrent un sentiment d'amour pour moi-même.

Agité par toutes ces sensations, pressé par les plaisirs d'une si belle et si grande existence, je me levai tout d'un coup, et je me sentis transporté par une force inconnue. Je ne fis qu'un pas; la nouveauté de ma situation me rendit immobile, ma surprise fut extrême; je crus que mon existence fuyait: le mouvement que j'avais fait avait confondu les objets; je m'imaginais que tout était en désordre.

mon

Je portai la main sur ma tête, je touchai mon front et mes yeux; je parcourus mon corps: ma main me parut être alors le principal organe de existence. Ce que je sentais dans cette partie était si distinct et si complet, la jouissance m'en paraissait si parfaite, en comparaison du plaisir que m'avaient causé la lumière et les sons, que je m'attachai tout entier à cette partie solide de mon être, et je sentis que mes idées prenaient de la

Je me souviens de cet instant plein de joie et de trouble où je sentis, pour la première fois, ma singulière existence; je ne savais ce que j'étais, où j'étais, d'où je venais. J'ouvris les yeux: quel surcroît de sensation! la lumière, la voûte céleste, la verdure de la terre, le cristal des eaux, tout m'occupait, m'animait, et me donnait un sentiment inexprimable de plaisir. Je crus d'abord que tous ces objets étaient en moi, et faisaient ❘ attouchement produisait dans mon âme une double

partie de moi-même. Je m'affermissais dans cette pensée naissante, lorsque je tournai les yeux vers l'astre de la lumière : son éclat me blessa; je fermai involontairement la paupière, et je sentis une légère douleur. Dans ce moment d'obscurité, je crus avoir perdu tout mon être.

Affligé, saisi d'étonnement, je pensais à ce grand changement, quand tout à coup j'entends des sons: le chant des oiseaux, le murmure des airs, formaient un concert dont la douce impression me remuait jusqu'au fond de l'âme; j'écoutai longtemps, et je me persuadai bientôt que cette harmonie était moi.

Attentif, occupé tout entier de ce nouveau genre d'existence, j'oubliais déjà la lumière, cette autre partie de mon être, que j'avais connue la

profondeur et de la réalité.

Tout ce que je touchais sur moi semblait rendre à ma main sentiment pour sentiment, et chaque

idée.

Je ne fus pas longtemps sans m'apercevoir que cette faculté de sentir était répandue dans toutes les parties de mon être; je reconnus bientôt les limites de mon existence, qui m'avait paru d'abord immense en étendue.

J'avais jeté les yeux sur mon corps; je le jugeais d'un volume énorme, et si grand, que tous les objets qui avaient frappé mes yeux ne me paraissaient, en comparaison, que des points lumineux.

Je m'examinai longtemps, je me regardais avec plaisir, je suivais ma main de l'œil, j'observais ses mouvements. J'eus sur tout cela les idées les plus étranges, je croyais que le mouvement de ma main n'était qu'une espèce d'existence fugitive, une succession de choses semblables; je l'approchai de mes yeux; elle me parut alors plus grande que tout mon corps, et elle fit disparaître à ma vue un nombre infini d'objets.

Je commençai à soupçonner qu'il y avait de Fillusion dans cette sensation qui me venait par les yeux. J'avais vu distinctement que ma main n'était qu'une petite partie de mon corps, et je ne pouvais comprendre qu'elle fût augmentée au point de me paraître d'une grandeur démesurée. Je résolus donc de ne me fier qu'au toucher, qui ne m'avait pas encore trompé, et d'être en garde sur toutes les autres façons de sentir et d'être.

Cette précaution me fut utile: je m'étais remis en mouvement, et je marchais la tête haute et levée vers le ciel; je me heurtai légèrement contre un palmier; saisi d'effroi, je portai ma main sur ce corps étranger: je le jugeai tel, parce qu'il ne me rendit pas sentiment pour sentiment. Je me détournai avec une espèce d'horreur, et je connus, pour la première fois, qu'il y avait quelque chose hors de moi.

Plus agité par cette nouvelle découverte que je ne l'avais été par toutes les autres, j'eus peine à me rassurer; et, après avoir médité sur cet événement, je conclus que je devais juger des objets extérieurs comme j'avais jugé des parties de mon corps, et qu'il n'y avait que le toucher qui pût m'assurer de leur existence.

Je cherchais dore à toucher tout ce que je voyais: je voulais toucher le soleil; j'étendais les bras pour embrasser l'horizon, et je ne trouvais que le vide des airs.

J'avais saisi un de ces fruits; je m'imaginai avoir fait une conquête, et je me glorifiai de la faculté que je sentais de pouvoir contenir dans ma main un autre être tout entier. Sa pesanteur, quoique peu sensible, me parut une résistance animée, que je me faisais un plaisir de vaincre. J'avais approché ce fruit de mes yeux; j'en considérais la forme et les couleurs. Une odeur délicieuse me le fit approcher davantage; il se trouva près de mes lèvres; je tirais à longues aspirations le parfum, et je goûtais à longs traits les plaisirs de l'odorat. J'étais intérieurement rempli de cet air embaumé. Ma bouche s'ouvrit pour l'exhaler; elle se rouvrit pour en reprendre : je sentis que je possédais un odorat intérieur plus fin, plus délicat encore que le premier; enfin, je goûtai.

Quelle saveur! quelle nouveauté de sensation! Jusque-là je n'avais eu quedes plaisirs; le goût me donna le sentiment de la volupté. L'intimité de la jouissance fit naître l'idée de la possession. Je crus que la substance de ce fruit était devenuelamienne, et que j'étais le maître de transformer les êtres.

Flatté de cette idée de puissance, incité par le plaisir que j'avais senti, je cueillis un second et un troisième fruit, et je ne me lassai pas d'exercer ma main pour satisfaire mon goût; mais une langueur agréable, s'emparant peu à peu de tous mes sens, appesantit mes membres, et suspendit l'activité de mon âme. Je jugeai de mon inaction par la mollesse de mes pensées; mes sensations émoussées arrondissaient tous les objets, et ne me présentaient que des images faibles et mal terminées. Dans cet instant, mes yeux, devenus inutiles, se fermèrent, et ma tête, n'étant plus soutenue parla force des muscles, pencha pour trouver un appui sur le gazon. Tout fut effacé, tout disparut. La trace de mes pensées fut interrompue, je perdis le sentiment de mon existence. Ce sommeil fut profond, mais je ne sais s'il fut de longue durée, n'ayant point encore l'idée du temps, et ne pouvant le mesurer. Mon réveil ne fut qu'une seconde naissance, et je sentis seulement que j'avais cessé d'être. Cet anéantissement que je venais d'éprouver me donna quelque idée de crainte, et me fit sentir que je ne devais pas exister toujours. J'eus une autre inquiétude: je ne savais si je n'avais pas laissé dans le sommeil quelque partie

A chaque expérience que je tentais, je tombais de surprise en surprise; car tous les objets paraissaient être également près de moi; et ce ne fut qu'après une infinité d'épreuves que j'appris à me servir de mes yeux pour guider ma main, et, comme elle me donnait des idées toutes différentes des impressions que je recevais par le sens de la vue, mes sensations n'étant pas d'accord entré elles, mes jugements n'en étaient que plus imparfaits, et le total de mon être n'était encore pour moi-même qu'une existence en confusion. Profondément occupé de moi, de ce que j'étais, de ce que je pouvais être, les contrariétés que je venais d'éprouver m'humilièrent. Plus je réfléchissais, plus il se présentait de doutes. Lassé de tant d'incertitudes, fatigué des mouvements de ❘ de mon être. J'essayai mes sens; je cherchai à

mon âme, mes genoux fléchirent, et je me trouvai dans une situation de repos. Cet état de tranquillité donna de nouvelles forces à mes sens.

J'étais assis à l'ombre d'un bel arbre; des fruits d'une couleur vermeille descendaient, en forme de grappe, à la portée de la main. Je les touchai légèrement : aussitôt ils se séparèrent de Ja branche, comme la figue s'en sépare dans le temps de sa maturité.

me reconnaître.

Dans cet instant, l'astre du jour, sur la fin de sa course, éteignit son flambeau. Je m'aperçus à peine que je perdais le sens de la vue; j'existais trop pour craindre de cesser d'être; et ce fut vainement que l'obscurité où je me trouvai me rappela l'idée de mon premier sommeil 1.

BUFFON, Histoire naturelle de l'homme.

1 Voyez Narrations en vers, même sujet.

TABLEAUX.

L'HOMME.

La matière a cessé d'être muette ou passive; une créature distincte entre toutes celles qui respirent est appelée; elle s'avance d'un pas mesuré, et le chef du roi de la nature s'élève avec noblesse sous des cheveux ondoyants. Ses yeux ont le droit d'interroger autour de lui; la pensée y passe; de là elle semble s'étendre au loin, et percer dans les profondeurs de l'avenir. L'intelligence, ce magnifique présent d'un Dieu qui n'avait peut-être rien de mieux à donner, réside sur son front découvert, et annonce de hautes destinées. Le sentiment est dans sa voix; son âme se fait entendre; toutes les parties de son corps se rapprochent sans gène, et s'agencent avec harmonie. Ses bras l'accompagnent, et ne le portent pas : la moindre portion de lui-même est en contact avec la terre; il ne communique avec elle que par des points, comme s'il ne devait la fouler qu'en passant. Il marche, et l'on sent qu'il va donner des ordres; il s'arrête, et le sol dont sa noble figure se détache, à bien dire, ne lui sert que de piédestal, sur les côtés duquel les divers animaux se groupent en manière de bas-relief. Une ligne moelleuse et flexible semble descendre de sa tête à la plante de ses pieds :

Soyez simple avec art

Sublime sans orgueil, agréable sans fard.
BOILEAU. Art poet., chant 1.

il se soutient droit et élevé; son attitude est celle du commandement; sa tête regarde le ciel, et présente une face auguste sur laquelle est imprimé le caractère de sa dignité; l'image de l'âme y est peinte par la physionomie; l'excellence de sa nature perce à travers les organes matériels, et anime d'un feu divin les traits de son visage; son port majestueux, sa démarche ferme et hardie, annoncent sa noblesse et son rang; il ne touche à la terre que par ses extrémités les plus éloignées, il ne la voit que de loin, et semble la dédaigner; les bras ne lui sont pas donnés pour servir de piliers, d'appui à la masse du corps; sa main ne doit pas fouler la terre, et perdre, par des frottements réitérés, la finesse du toucher dont elle est le principal organe; le bras et la main sont faits pour servir à des usages plus nobles, pour exécuter les ordres de la volonté, pour saisir les choses éloignées, pour écarter les obstacles, pour prévenir les rencontres et le choc de ce qui pourrait nuire, pour embrasser et retenir ce qui peut plaire, pour le mettre à portée des autres sens.

Lorsque l'âme est tranquille, toutes les parties du visage sont dans un état de repos: leur proportion, leur union, leur ensemble, marquent encore assez la douce harmonie des pensées, et

l'esprit de vie la parcourt tout entière, circule | répondent au calme de l'intérieur; mais, lorsque

l'âme est agitée, la face humaine devient un tableau vivant, où les passions sont rendues avec autant de délicatesse que d'énergie, où chaque mouvement de l'âme est exprimé par un trait.

autour des formes, les anime, et fait briller sa einte carminée à travers une peau diaphane. Ici, la vigueur ne dérobe rien à la grâce; à l'instar des membres, sans efforts elles naissent l'une de V'autre. Dans cette création merveilleuse, on dirait | chaque action par un caractère dont l'impression

qu'il n'a été employé d'éléments matériels que ce
qu'il en fallait pour rendre l'intelligence sensible,
et lui soumettre la matière elle-même. C'est la ❘ les images de nos secrètes agitations.
solution d'un beau problème des forces motrices.
KÉRATRY. De l'existance de Dieu, 1815.

vive et prompte devance la volonté, nous décèle,
et rend au dehors, par des signes pathétiques,

DIGNITÉ DE L'HOMME; EXCELLENCE DE SA NATURE. L'homme a la force et la majesté; les graces et la beauté sont l'apanage de l'autre sexe.

Tout annonce dans tous deux les maîtres de la terre; tout marque dans l'homme, même à l'extérieur, sa supériorité sur tous les êtres vivants;

C'est surtout dans les yeux qu'elles se peignent, et qu'on peut les reconnaître; l'œil appartient à l'âme plus qu'aucun autre organe; il semble y toucher, et participer à tous ses mouvements; il en exprime les passions les plus vives et les émo❘tions les plus tumultueuses, comme les mouvements les plus doux et les sentiments les plus délicats; il les rend dans toute leur force, dans toute leur pureté, tels qu'ils viennent de naître; il les transmet par des traits rapides qui portent

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ORIGINE ET MOBILES DE L'INDUSTRIE HUMAINE.

Toute activité, soit de corps, soit d'esprit, prend sa source dans les besoins; c'est en raison de leur étendue, de leurs développements, qu'ellemême s'étend et se développe; l'on en suit la gradation depuis les éléments les plus simples, jusqu'à l'état le plus composé. C'est la faim, c'est la soif, qui, dans l'homme encore sauvage, éveillent les premiers mouvements de l'âme et du corps; ce sont ces besoins qui le font courir, chercher, épier, user d'astuce ou de violence; toute son activité se mesure sur les moyens de pourvoir à sa subsistance. Sont-ils faciles, a-t-il sous sa main les fruits, le gibier, le poisson, il est moins actif, parce qu'en étendant le bras, il se rassasie, et que, rassasié, rien ne l'invite à se mouvoir, jusqu'à ce que l'expérience de diverses jouissances ait éveillé en lui des désirs qui deviennent des besoins nouveaux, de nouveaux mobiles d'activité. Les moyens sont-ils difficiles, le gibier est-il rare et agile, le poisson rusé, les fruits passagers, alors l'homme est forcé d'être plus actif; il faut que son corps et son esprit s'exercent à vaincre les difficultés qu'il rencontre à vivre; il faut qu'il devienne agile comme le gibier, rusé comme le poisson, et prévoyant pour conserver les fruits. Alors, pour étendre ses facultés naturelles, il s'agite, il pense, il médite; alors il imagine de courber un rameau d'arbre pour en faire un arc, d'aiguiser un roseau pour en faire une flèche, d'emmancher un bâton à une pierre tranchante pour en faire une hache; alors il travaille à faire des filets, à abattre des arbres, à en creuser le tronc pour en faire des pirogues. Déjà il a franchi les bornes des besoins; déjà l'expérience d'une foule de sensations lui a fait connaître des jouissances et des peines; et il prend un surcroît d'activité pour écarter les unes et multiplier les autres. Il a goûté le plaisir d'un ombrage contre les feux du soleil; il se fait une cabane. Il a éprouvé qu'une peau le, garantit du froid; il se fait un vêtement. Il a bu l'eau-de-vie et fumé le tabac; il les a aimés. Il veut en avoir encore: il ne le peut qu'avec des peaux de castor, des dents d'éléphant, de la poudre d'or, etc.; il redouble d'activité, et il parvient, à force d'industrie, jusqu'à vendre son semblable 1.

VOLNEY. Voyage en Syrie.

1 Voyez Tableaux en vers: Le besoin, père des arts.

SULLY DANS LA RETRAITE.

L'histoire a peint des sages dans la retraite des héros dans l'oppression; mais elle n'offre rien de plus grand que la dignité de Sully dans le malheur. C'était la dignité de la vertu même, sur laquelle et les hommes, et les cours, et les rois, ne peuvent rien. La grandeur qui était dans son âme se répandait dans toute sa maison. Un nombre prodigieux de domestiques, une foule de gardes, d'écuyers, de gentilshommes; un luxe, non de frivolité, mais de magnificence; un appareil imposant, le respect de mille vassaux, la subordination d'une famille illustre; des appartements immenses, et où les belles actions de Henri IV étaient représentées avec celles de son ministre; des parcs où régnaient la simplicité et la grandeur: au milieu de tous ces objets, Sully en cheveux blancs, conservant les modes antiques, portant sur sa poitrine l'image de Henri IV, la sainte gravité de ses discours, la majesté de ses regards, le siége plus élevé qui le distinguait au milieu de ses enfants, l'accueil honorable que recevaient dans sa maison tous les vieillards, le silence mêlé de crainte et de respect des jeunes gens que leurs pères conduisaient par la main pour voir ce grand homme, tout cela réuni semblait offrir quelque chose de plus qu'humain, et portait dans les cœurs je ne sais quelle émotion qui élevait l'âme en l'étonnant. O mœurs trop différentes des nôtres! C'est ainsi qu'il passa trente ans dans la retraite, sans se plaindre des hommes, ni de leur injustice, pleurant son ancien roi, fidèle au nouveau, estimé et haï de Richelieu, ayant survécu à tout, excepté à la vertu. Elle descendit avec lui dans sa tombe. La mort termina une carrière de quatre-vingt-deux ans, dont cinquante furent employés pour le bonheur de l'État, et le reste aurait pu l'être.

THOMAS Éloge de Sully.

MODESTIE DE TURENNE.

Qui fit jamais de si grandes choses, qui les dit avec plus de retenue? Remportait-il quelque avantage, à l'entendre, ce n'était pas qu'il fût habile, mais l'ennemi s'était trompé. Rendait-il compte d'une bataille, il n'oubliait rien, sinon que c'était lui qui l'avait gagnée. Racontait-il quelques-unes de ces actions qui l'avaient rendu si célèbre, on eût dit qu'il n'en avait été que le spectateur, et l'on doutait si c'était lui qui se trompait, ou la renommée. Revenait-il de ces glorieuses campagnes qui rendront son nom immortel, il fuyait les acclamations populaires, il rougissait de ses victoires, il venait recevoir des éloges, comme on vient faire des apologies, et n'osait presque

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