ciel. par l'un et conduits par l'autre, et cela seul dé- | Cicéron, dans cet éloge, élevait Caton jusqu'au ciderait de la préférence: car on n'a jamais fait un peuple de sages, mais il n'est pas impossible de rendre un peuple heureux. J.-J. ROUSSEAU. Discours sur l'économie politique. CICÉRON. Né dans un rang obscur, on sait qu'il devint, par son génie, l'égal de Pompée, de César, de Caton. Il gouverna et sauva Rome, fut vertueux dans un siècle de crimes, défenseur des lois dans l'anarchie, républicain parmi des grands qui se disputaient le droit d'être oppresseurs. Il eut cette gloire que tous les ennemis de l'État furent les siens. Il vécut dans les orages, les travaux, le succès et le malheur. Enfin, après avoir soixante ans défendu les particuliers et l'État, lutté contre les tyrans, cultivé au milieu des affaires la philosophie, l'éloquence et les lettres, il périt. Un homme 1 à qui il avait servi de protecteur et de On sait qu'il aimait la gloire, et qu'il ne l'attendait pas toujours. Il se précipitait vers elle, comme s'il eût été moins sûr de l'obtenir. Pardonnons-lui pourtant, et surtout après son exil. Songeons qu'il eut sans cesse à combattre lt jalousie et la haine. Un grand homme persécuté a des droits que n'a pas le reste des hommes. Il était beau à Cicéron, au retour de son bannissement, d'invoquer ces dieux du Capitole qu'il avait préservés des flammes étant consul, ce sénat qu'il avait sauvé du carnage, ce peuple romain qu'il avait dérobé au joug et à la servitude, et de montrer d'un autre côté son nom effacé, ses monuments détruits, ses maisons démolies et réduites en cendres pour prix de ses bienfaits. Il était beau d'attester, sur les ruines mêmes de ses palais, l'heure et le jour où le sénat et le peuple l'avaient proclamé le Père de la patrie. Eh! qui pouvait lui faire un crime de parler de ses grandes actions, dans ces moments où l'âme, réclamant contre l'injustice des hommes, père vendit son sang; un homme 2 à qui il avait ❘ semble élevée au-dessus d'elle-même par le senque d'être soldat, et sa vie n'avait été qu'une | jusqu'à la profusion. La nature, qui semblait sauvé la vie fut son assassin. Trois siècles après, un empereur plaça son image dans un temple domestique, et l'honora à côté des dieux. Il y a des caractères indécis qui sont un mélange de grandeur et de faiblesse, et quelques personnes mettent Cicéron de ce nombre. Vertueux, diton, mais circonspect; tour à tour brave et timide; aimant la patrie, mais craignant les dangers; ayant plus d'élévation que de force; sa fermeté, quand il en eut, tenait plus à son imagination qu'à son âme. On ajoute que, faible par caractère, il n'était grand que par réflexion. Il comparait la gloire avec la vie, et le devoir au danger. Alors il se faisait un système de courage; sa probité devenait de la vigueur, et son esprit donnait du ressort à son âme. Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons douter que Cicéron, sous César même, n'ait paru toujours attaché à la patrie et à l'ancien gouvernement. Ses amis cherchèrent à le détourner de faire l'éloge de Caton, ou voulurent du moins l'engager à l'adoucir; il n'en fit rien. On voit cependant, par une de ses lettres, qu'ilsentait toute la difficulté de l'entreprise. L'éloge de Caton à faire sous la dictature de César, disait il, est un problème d'Archimède à résoudre. › Nous ne pouvons juger comment le problème fut résolu; nous savons seulement que l'ouvrage eut le plus grand succès. Tacite nous apprend que 4 Octave Auguste. (N. E.) Cicéron avait autrefois défendu la vie d'un vénérable, nommé Popilius Lenas. (N. Ε.) Alexandre Sévère. timent et le caractère auguste du malheur ? Il est vrai qu'il se loua lui-même dans des moments plus froids. On l'a blâmé, on le blåmera encore. Je ne l'accuse, ni ne le justifie: je remarquerai seulement que plus un peuple a de vanité au lieu d'orgueil, plus il met de prix à l'art important de flatter et d'être flatté, plus il cherche à se faire valoir par de petites choses au défaut des grandes, plus il est blessé de cette franchise altière ou de la naïve simplicité d'une âme qui s'estime de bonne foi, et ne craint pas de le dire. J'ai vu des hommes s'indigner de ce que Montesquieu avait osé dire : Et moi aussi je suis peintre. Le plus juste aujourd'hui, même en accordant son estime, veut conserver le droit de la refuser. Chez les anciens, la liberté républicaine permettait plus d'énergie aux sentiments, et de franchise au langage. Cet affaiblissement de caractère, qu'on nomme politesse et qui craint tant d'offenser l'amour-propre, c'est-à-dire la faiblesse inquiète et vaine, était alors plus inconnu; on aspirait moins à être modeste, et plus à être grand. Ah! que la faiblesse permette quelquefois à la force de se sentir elle-même; et, s'il nous est possible, consentons à avoir de grands hommes, même à ce prix ! THOMAS. Essai sur les éloges. POMPÉE, Pompée attirait sur lui, pour ainsi dire, les yeux de toute la terre. Il avait été général avant suite continuelle de victoires; il avait fait la guerre dans les trois parties du monde, et il en était toujours revenu victorieux. Il vainquit dans l'Italie Carinas et Carbon, du parti de Marius ; Domitius dans l'Afrique; Sertorius, ou, pour mieux dire, Perpenna dans l'Espagne; les pirates de Cilicie sur la Méditerranée; et, depuis la défaite de Catilina, il était revenu à Rome, vainqueur de Mithridate et de Tigrane. l'avoir fait naître pour commander au reste des hommes, lui avait donné un air d'empire et de dignité dans ses manières; mais cet air de grandeur était tempéré par la douceur et la facilité de ses mœurs. Son éloquence insinuante et invincible était encore plus attachée aux charmes de sa personne qu'à la force de ses raisons. Ceux qui étaient assez durs pour résister à l'impression que faisaient tant d'aimables qualités, n'échappaient point à ses bienfaits, et il commença par solide de la domination à laquelle il aspirait. Par tant de victoires et de conquêtes, il était devenu plus grand que les Romains ne le souhai-assujettir les cœurs, comme le fondement le plus Né simple citoyen d'une république, il forma, dans une condition privée, le projet d'assujettir sa patrie. La grandeur et les périls d'une pareille entreprise ne l'épouvantèrent point. Il ne trouva rien au-dessus de son ambition, que l'étendue immense de ses vues. Les exemples récents de Marius et de Sylla lui firent comprendre qu'il n'était pas impossible de s'élever à la souveraine puissance; mais, sage jusque dans ses désirs immodérés, il distribua en différents temps l'exécution de ses desseins. Son esprit, toujours juste, malgré son étendue, n'alla que par degrés au projet de la domination; et, quelque éclatantes qu'aient été depuis ses victoires, elles ne doivent passer pour de grandes actions que parce qu'elles furent toujours la suite et l'effet de grands desseins. taient, et qu'il n'avait osé lui-même l'espérer. Dans ce haut degré de gloire où la fortune l'avait conduit comme par la main, il crut qu'il était de sa dignité de se familiariser moins avec ses concitoyens. Il paraissait rarement en public; et, s'il sortait de sa maison, on le voyait toujours accompagné d'une foule de ses créatures, dont le cortége nombreux représentait mieux la cour d'un grand prince que la suite d'un citoyen de la république. Ce n'est pas qu'il abusat de son pouvoir; mais, dans une ville libre, on ne pouvait souffrir qu'il affectat des manières de souverain. Accoutumé dès sa jeunesse au commandement des armées, il ne pouvait se réduire à la simplicité d'une vie privée. Ses mœurs, à la vérité, étaient pures et sans tache; on le louait même, avec justice, de sa tempérance; personne ne le soupçonna jamais d'avarice, et il recherchait moins, dans les dignités qu'il briguait, la puissance qui en est inséparable, que les honneurs et l'éclat dont elles étaient environnées. Mais, plus sensible à la vanité qu'à l'ambition, il aspirait à des honneurs qui le distinguassent de tous les capitaines de son temps. Modéré en tout le reste, il ne pouvait souffrir sur la gloire aucune comparaison. Toute égalité le blessait, et il eût voulu, ce semble, être le seul général de la république, quand il devait se contenter d'être le premier. Cette jalousie du commandement lui attira un grand nombre d'ennemis, dont César, dans la suite, fut le plus dangereux et le plus redoutable. ❘ de l'empire à leur courage et à leurs travaux : L'un ne voulait pas d'égal, et l'autre ne pouvait souffrir de supérieur. VERTOT. Révolutions romaines. CÉSAR. LE MÊME. Ibid. CÉSAR ET HENRI IV. Si nous avons, parmi les modernes, un homme qu'on puisse comparer à César, c'est peut-être Henri IV. On remarque entre eux beaucoup de traits de ressemblance et d'objets de comparaison. Tous deux avaient reçu de la nature une âme élevée et sensible, un génie également souple et profond dans les affaires politiques, de grands talents pour la guerre : tous deux furent redevables tous deux pardonnèrent à leurs ennemis, et finirent par en être les victimes : tous deux connaissaient le grand art de s'attacher les hommes, et de les employer; art le plus nécessaire de touz à quiconque commande ou veut commander : tous deux étaient adorés de leurs soldats et , Caïus Julius César était né de l'illustre famille | mêlaient les plaisirs aux fatigues militaires et aux des Jules, qui, comme toutes les grandes maisons, avait sa chimère, en se vantant de tirer son origine d'Anchise et de Vénus. C'était l'homme de son temps le mieux fait, adroit à toutes sortes d'exercices, infatigable au travail, plein de -aleur, le courage élevé, vaste dans ses desseins, magnifique dans sa dépense, et libéral intrigues de l'ambition. Farnèse, à qui notre Henri IV eut affaire, valait bien Pompée le rival de César; et la France fut pour tous deux un champ de victoire. César combattait des armées plus nombreuses: Henri eut à vaincre des obstacles de tous les genres avec moins de moyens. Tous deux avaient une activité prodigieuse, et suivaient ce grand principe, qu'il ne faut laisser faire à d'autres que ce qu'on ne peut pas faire soi-même. Tous deux ont su régner, et ont régné trop peu. Si l'un eût vécu vingt ans de plus, le système de l'Europe était changé. Si l'autre n'eût pas été enlevé par un assassinat, il eût accoutumé les Romains à sa domination, aussi bien qu'Auguste, et aurait fait de plus grandes choses que lui. César prodigua l'argent dans une république qu'il voulait corrompre; Henri le ménagea dans une monarchie qu'il fallait rétablir. Il faut se garder de ces deux excès. Il fit des fautes, sans être méprisable; il fut un grand prince, sans être un prince vertueux, ou plutôt il y eut deux hommes dans Constantin. Les vingt premières années de son règne, il égala les plus illustres empereurs; les dix dernières, il fut à peine comparable aux médiocres : il se livra aux favoris, aux courtisans, mais ce n'est pas dans la décrépitude qu'on doit le juger. Son art était de bien connaître les mœurs et l'état des peuples de l'empire romain; son avantage était de rester muler et attendre. Tous deux furent arrachés, par une mort pré- | maître de lui-même et sans passion. Il sut dissimaturée, aux grands projets qu'ils méditaient, et l'on peut croire que Henri eût été aussi heureux contre les Espagnols, que César pouvait P'être contre les Parthes. Arques, Fontaine-Française, Coutras, Ivry, ne sont pas d'aussi grands noms dans la mémoire des hommes, et n'entraînaient pas d'aussi grandes destinées que la journée de Pharsale; mais il y avait autant de talents à déployer, avec moins de renommée à obtenir. César joignit la gloire des lettres à celle des armes, et cet avantage manquait à Henri IV; mais c'était la faute de son éducation et du temps, bien plus que de son génie; il avait l'esprit juste, l'élocution facile et souvent noble : et la harangue de Rouen 1 prouve qu'il eut l'éloquence des grandes âmes. Sa cause était en tout légitime et glorieuse : celle de César, qu'il est impossible de justifier en bonne morale, peut s'excuser en politique, si l'on considère qu'il avait nécessairement la conscience de ce qu'il pouvait faire et de ce qu'il devait craindre, et que, parmi plusieurs concurrents qui aspiraient à être aussi criminels qu'il le devint, il fut ou assez heureux ou assez malheureux pour être dans le cas de se déclarer le premier. CONSTANTIN. LA HARPE. Deux partis, opposés par une animosité de rengion, ont laissé des monuments sur la vie de Constantin: il a été mal connu; la passion aveuglait également les panégyristes et les détracteurs. Les uns le représentent comme un homme inspiré; les autres, comme un impie. Les premiers lui donnent la gloire d'avoir recréé l'empire; les seconds lui imputent la dissolution du corps politique. Ceux-ci lui reprochent les vices les plus honteux; ceux-là le vantent comme le modèle de toutes les vertus. On le voit tantôt clément, bienfaisant, magnanime; tantôt injuste, prodigue, lache. Voyez, plus haut, Discours L'impassibilité qui, dans un esprit ordinaire, n'est que de l'inertie, dans un caractère d'une trempe forte, est sûreté. L'objet auquel tendit sans cesse Constantin, était de devenir maître unique et absolu de l'empire romain; mais l'ambition, chez lui, ne fut point une passion, ce fut une volonté; et la force de cette volonté, s'appliquant à toutes ses actions et à toutes ses démarches, lui donnait toute l'énergie d'une passion, sans en avoir l'emportement. On trouve dans sa vie des choses qui semblent disparates, et qui cependant partaient du même principe, et concouraient à la même fin. Il se contint huit ans tranquille dans des limites étroites; une fois qu'il les eut franchies, il ne cessa pas de négocier et de combattre qu'il n'eût conquis le monde. Pendant vingt ans il vainquit tous les ennemis qu'il eut à combattre, et il combattit sans cesse, ou avec les barbares, ou avec ses compétiteurs; et, dans les dix dernières années de sa vie, il ne mania plus les armes, et ne s'occupa de l'état militaire que pour l'abaisser. Il pardonna quelquefois à plusieurs particuliers des injures qu'un tyran aurait punies comme des crimes de lèse-majesté, mais qui ne pouvaient que l'offenser sans l'inquiéter; et il fit périr sans pitié sa femme et son fils qui lui faisaient ombrage. Constantin sut vouloir toujours ce qu'il croyait utile à sa grandeur. Il fit deux choses très-belles: venant après Galère, Maximien, Maxence, Licinius, à peine au sortir de l'embrasement des guerres civiles, il reprit et continua la constitution de Dioclétien. C'était le conseil d'un esprit juste et sage, mais ce n'était point une création. Il sentit que la constitution politique ne suffisait pas pour rattacher à lui tant de peuples divers, il voulut alors se faire un parti qui pût s'étendre dans toutes les provinces, dans toutes les villes, dans tous les hameaux, dans l'intérieur même des familles, enfin qui pût tenir tout l'empire. Le christianisme devint la religion de l'État, et Constantin eut le titre de fondateur. Il avait vu avec quel ascendant les évêques et les prêtres dirigeaient les opinions, les sentiments, les affections des fidèles; il avait vu le nombre des chrétiens et leur accroissement journalier: il plaça les chrétiens dans l'administration des provinces; alors, évêques, prêtres, gouverneurs, particuliers, tous les chrétiens le servaient avec le zèle de l'esprit religieux, et surveillaient tout le reste, qui n'avait ni la même énergie, ni le même accord. Auparavant, un prince élu par une armée déplaisait aux autres: un empereur thrace ou pannonien ne pouvait compter sur l'attachement des Africains ou des Asiatiques; mais un empereur chrétien était sûr que tous les chrétiens en Orient, en Occident, au Midi, au Nord, seraient dévoués d'intérêt et de cœur à son règne. Constantin avait trouvé le seul lien social qui pût suppléer à l'unité de la patrie. Si, dans la suite, l'esprit disputeur des Grecs changea en levain de discorde un principe de régénération, ce n'est pas lui qu'on doit blamer. Il comprit aussi qu'il était nécessaire de donner à l'état civil plus de consistance et de dignité, et d'ôter à l'état militaire la force d'opprimer. Mais il alla trop loin: il fallait affaiblir et abaisser l'orgueil et la violence des armées, et non pas avilir et corrompre l'état militaire. C'est une faute grave dont on doit l'accuser; on doit encore lui reprocher de n'avoir pas tenu assez fermement la main à l'exécution de ses lois sur les finances, et d'avoir souffert des désordres dans les dernières années de sa vie. Mais il mérite d'être loué pour avoir détruit cette férocité du gouvernement militaire, et pour avoir consolidé une monarchie plus tranquille, fondée sur l'hérédité de la couronne, la distribution des pouvoirs, et l'esprit de la religion. NAUDET. Des changements opérés dans toutes JULIEN ET MARC-AURÈLE. On voit par toute la vie de Julien, par quelques-uns de ses ouvrages, que sa grande ambition était de ressembler à Marc-Aurèle. Si on regarde les talents, il eut plus de génie; si on regarde le caractère, il eut plus de fermeté peut-être, et fut plus loin de cette bonté dont on abuse, et qui, voisine de l'excès, peut devenir une vertu plus dangereuse qu'un vice. Mais aussi, à beaucoup d'égards, Marc-Aurèle eut des avantages sur lui. Ils furent tous deux philosophes; mais leur philosophie ne fut pas la même. Celle de Marc-Aurèle avait plus de profondeur; celle de Julien, peut-être plus d'éclat. La philosophie de l'un semblait née avec lui; elle était devenue un sentiment, une passion, mais une passion d'autant plus forte qu'elle était calme, et n'avait pas besoin des secousses de l'enthousiasme. La philosophie de l'autre semblait moins un sentiment qu'un système: elle était plus ardente que soutenue; elle tenait à ses lectures, et avait besoin d'être remontée. Marc-Aurèle agissait et pensait d'après lui; Julien, d'après les anciens philosophes: il imitait. Un autre caractère du grand homme lui manqua: c'est cette vertu qui fait que l'âme, sans s'élever, sans s'abaisser, sans s'apercevoir même de ses mouvements, est ce qu'elle doit être, l'est sans faste comme sans effort. En cela, il fut encore loin de Marc-Aurèle. Son extérieur était simple, son caractère ne l'était pas. Ses discours, ses actions avaient de l'appareil, et semblaient avertir qu'il était grand. Suivez-le: la passion pour la gloire perce partont. Il lui faut un théâtre et des battements de mains: il s'indigne quand on les refuse: il se venge, il est vrai, plus en homme d'esprit qu'en prince irrité qui commandait à cent mille hommes; mais il se venge. Il court à la renommée, il l'appelle; il flatte pour être flatté. Il veut être tout à la fois Platon, Marc-Aurèle et Alexandre. THOMAS. Essai sur les éloges. CHARLEMAGNE. Charlemagne mit un tel tempérament dans les ordres de l'Etat, qu'ils furent contre-balancés et qu'il resta le maître. Tout fut uni par la force de son génie. L'empire se maintint par la grandeur du chef; le prince était grand, l'homme l'était davantage. Il fit d'admirables règlements; il fit plus, il les fit-exécuter. On voit, dans les lois de ce prince, un esprit de prévoyance qui comprend tout, et une certaine force qui entraîne tout; les prétextes pour éluder les devoirs sont ôtés, les négligences corrigées, les abus réformés ou prévenus; il savait punir, il savait encore mieux pardonner. Vaste dans ses desseins, simple dans l'exécution, personne n'eut à un plus haut degré l'art de faire les plus grandes choses avec facilité, et les difficiles avec promptitude. Il parcourait sans cesse son vaste empire, portant la main partout où il allait tomber. Les affaires renaissaient de toutes parts, il les finissait de toutes parts. Il se joua de tous les périls, et particulièrement de ceux qu'éprouvent presque toujours les grands conquérants, c'est-à-dire, des conspirations. Ce prince prodigieux était extrêmement modéré; son caractère était doux, ses manières simples; il aimait à vivre avec les gens de sa cour. II / Kut peut-être trop sensible au plaisir des femmes; Charlemagne avait montré que le génie d'un grand prince a plus de pouvoir pour réformer son siècle, que son siècle n'en a pour arrêter son génie. Son époque est la première et la plus imposante de l'histoire moderne. Seul il paraît avec éclat au milieu des ténèbres universelles qu'il dissipe en un moment; et son nom imprime encore quelque grandeur au berceau des monarchies modernes, qui ne sont que des débris de son empire. Mais l'Europe, quand il disparut, retomba dans ce chaos de barbarie où il avait si rapidement jeté les plus grands traits de lumière. Rome, qu'il avait en quelque sorte fait sortir des ruines accumulées par les Goths, les Vandales et les Lombards; Rome, dont il retrouva les anciennes bornes, et qui reprit avec lui vingt sceptres qu'elle avait perdus; Rome mourut presque tout entière avec ce nouveau César, et ne fut plus qu'un souvenir. Le vaste empire que ce grand homme avait élevé et soutenu près de cinquante ans écrasa sous son poids ses trop faibles successeurs. On ne voit après lui que des scènes d'opprobre et de désolation: des neveux égorgés par leurs oncles; des frères se combattant avec toute la férocité d'une ambition qui n'est jamais justifiée par le talent; un père détrôné par ses propres fils; des évêques complices de ce forfait, condamnant un faible monarque qui, par l'excès de sa bassesse, a mérité qu'on ne plaignît pas l'excès de son malheur. A ces calamités intérieures se mêlent des calamités étrangères. Le Nord vomit encore des essaims de barbares qui fondent sur l'empire de Charlemagne, comme autrefois sur le premier empire romain. Ils en ravagent toutes les parties, et les lâches descendants de Charlemagne, incapables de se défendre, achètent, avec leurs villes et leurs provinces, les services de leurs puissants favoris. Ces favoris eux-mêmes, agrandis aux dépens de leurs maîtres, deviennent aussi redoutables à la France que les usurpateurs étrangers. Tous veulent être souverains, dès qu'un seul n'est plus digne de l'être. DE FONTANES. Fragment d'une histoire inédile de Louis XI. SAINT LOUIS. Enfant de saint Louis, imitez votre père; soyez, comme lui, doux, humain, accessible, affable, compatissant et libéral. Que votre grandeur ne vous empêche jamais de descendre avec bonté jusqu'aux plus petits, pour vous mettre à leur place; et que cette bonté n'affaiblisse jamais ni votre autorité, ni leur respect. Étudiez sans cesse les hommes; apprenez à vous en servir sans être lié à eux. Allez chercher le mérite jusqu'au bout du monde; d'ordinaire, il demeure modeste et reculé. La vertu ne perce point la foule; elle n'a ni avidité, ni empressement; elle se laisse oublier. Ne vous laissez point obséder par des esprits flatteurs et insinuants; faites sentir que vous n'aimez ni les louanges, ni les bassesses. Ne montrez de la confiance qu'à ceux qui ont le courage de contredire avec respect, et qui aiment mieux votre réputation que votre faveur. Il est temps que vous montriez au monde une maturité et une vigueur d'esprit proportionnées au besoin présent. Saint Louis, à votre âge, était déjà les délices des bons, et la terreur des méchants. Laissez donc tous les amusements de l'âge passé: faites voir que vous pensez et que vous sentez ce qu'un prince doit penser et sentir. Il faut que les bons vous aiment, que les méchants vous craignent, et que tous vous estiment. Hatez-vous de vous corriger pour travailler utilement à corriger les autres. La piété n'a rien de faible, ni de triste, ni de gêné; elle élargit le cœur, elle est simple et aimable, elle se fait sentir à tous pour les gagner tous. Le royaume de Dieu ne consiste pas dans une scrupuleuse observation des petites formalités; il consiste pour chacun dans les vertus propres de son état. Un grand prince ne doit point servir Dieu de la même façon qu'un solitaire, ou qu'un simple particulier. Saint Louis s'est sanctifié en grand roi. Il était intrépide à la guerre, décisif dans les conseils, supérieur aux autres par la noblesse de ses sentiments; sans hauteur, sans présomption, sans dureté. Il suivait en tout les véritables intérêts de sa nation, don' il était autant le père que le roi. Il voyait tout de ses propres yeux dans les affaires principales. II était appliqué, modéré, droit et ferme dans les négociations; en sorte que les étrangers ne se fièrent pas moins à lui que ses propres sujets. Jamais prince ne fut plus sage pour policer ses peuples, et pour les rendre tout ensemble bons et heureux. Il aimait avec confiance et tendresse tous ceux qu'il devait aimer; mais il était ferme pour corriger ceux qu'il aimait le plus. Il était noble et magnifique selon les mœurs de son temps, mais sans faste et sans luxe. La dépense, qui était grande, se faisait avec tant d'ordre qu'elle ne |