CARACTÈRES LITTÉRAIRES. HOMERE. Je ne suis qu'un Scythe, et l'harmonie des vers d'Homère, cette harmonie qui transporte les Grecs, échappe souvent à mes organes trop grossiers; mais je ne suis plus maître de mon admiration, quand je vois ce génie altier planer, pour ainsi dire, sur l'univers, lançant de toutes parts ses regards embrasés, recueillant les feux et les couleurs dont les objets étincellent à sa vue; assistant au conseil des dieux; sondant les replis du cœur humain, et bientôt, riche de ses découvertes, ivre des beautés de la nature, et ne pouvant plus supporter l'ardeur qui le dévore, la répandre avec profusion dans ses tableaux et dans ses expressions; mettre aux prises le ciel avec la terre, et les passions avec elles-mêmes; nous éblouir par ces traits de lumière qui n'appartiennent qu'aux talents supérieurs, nous entraîner par ces saillies de sentiment qui sont le vrai sublime, et toujours laisser dans notre âme une impression profonde qui semble l'étendre et l'agrandir. Car ce qui distingue surtout Homère, c'est de tout animer, et de nous pénétrer sans cesse des mouvements qui l'agitent; c'est de tout subordonner à la passion principale, de la suivre dans ses fougues, dans ses écarts, dans ses inconséquences, de la porter jusqu'aux nues, et de la faire tomber, quand il le faut, par la force du sentiment et de la vertu, comme la flamme de l'Etna que le vent repousse au fond de l'abîme; c'est d'avoir saisi de grands caractères, d'avoir différencié la puissance, la bravoure et les autres qualités de ses personnages, non par des descriptions froides et fastidieuses, mais par des coups de pinceau rapides et vigoureux, ou par des fictions neuves et semées presque au hasard dans ses ouvrages. Je monte avec lui dans les cieux : je reconnais Vénus tout entière à cette ceinture d'où s'échappent sans cesse les feux de l'amour, les désirs impatients, les grâces séduisantes et les charmes inexprimables du langage et des yeux : je reconnais Pallas et ses fureurs, a cette égide où sont suspenduesia Terreur, la Discorde, la Violence, et la tête épouvantable de l'horrible Gorgone : Jupiter et Neptune sont les plus puissants des dieux ; mais il faut à Neptune un trident pour secouer la terre; à Jupiter, un clin d'œil pour ébranler l'Olympe. Je descends sur la terre: Achille, Ajax et Diomède sont les plus redoutables des Grecs; mais Diomède se retire à l'aspect de l'armée troyenne; Ajax ne cède qu'après l'avoir repoussée plusieurs fois; Achille se montre, et elle disparaît 1. BARTHÉLEMY. Voyage d'Anacharsis. ÆSCHYLE, Æschyle reçut des mains de Phrynicus, disciple de Thespis, la tragédie dans l'enfance, enveloppée d'un vêtement grossier, le visage couvert de fausses couleurs, ou d'un masque sans caractère, n'ayant ni grâces ni dignité dans ses mouvements, inspirant le désir de l'intérêt qu'elle remuait à peine, éprise encore des farces et des facéties qui avaient amusé ses premières années, s'exprimant quelquefois avec élégance et dignité, souvent dans un style faible, rampant et souillé d'obscénités grossières. Le père de la tragédie, car c'est le nom qu'on peut donner à ce grand homme, avait reçu de la nature une âme forte et ardente. Son silence et sa gravité annonçaient l'austérité de son caractère. Dans les batailles de Marathon, de Salamine et de Platée, où tant d'Athéniens se distinguèrent par leur valeur, il fit femarquer la sienne. Il s'était nourri, dès sa plus grande jeunesse, de ces poëtes qui, voisins des temps héroïques, concevaient d'aussi grandes idées qu'on faisait alors de grandes choses. L'histoire des siècles reculés offrait à son imagination vive des succès et des revers éclatants, des trônes ensanglantés, des passions impétueuses et dévorantes, des vertus sublimes, des crimes et des vengeances, partout l'empreinte de la grandeur, et souvent celle de la férocité. Voyez, 2 partie, Caractères ou Portraits, Dans quelques-unes de ses pièces, l'exposition | mais encore des termes nouveaux dont u affecte du sujet a trop d'étendue; dans d'autres, elle n'a pas assez de clarté: quoiqu'il pèche souvent contre les règles qu'on a depuis établies, il les a presque toutes entrevues. On peut dire d'Æschyle ce qu'il dit lui-même du héros Hippomédon: L'Épouvante marche devant lui, la tête élevée jusqu'aux cieux. Il inspire partout une terreur profonde et salutaire; car il n'accable notre âme par des secousses violentes, que pour la relever aussitôt par l'idée qu'il lui donne de sa force. Ses héros aiment mieux être écrasés par la foudre que de faire une bassesse, et leur courage est plus inflexible que la loi fatale de la nécessité. Cependant il savait mettre des bornes aux émotions qu'il était si ja- | loux d'exciter; il évita toujours d'ensanglanter la scène, parce que ses tableaux devaient être ef- ❘ frayants sans être horribles. Ce n'est que rarement qu'il fait couler des larmes, et qu'il excite la pitié, soit que la nature lui eût refusé cette dóuce sensibilité qui a besoin de se communiquer aux autres, soit plutôt qu'il craignît de les amollir. Jamais il n'eût exposé sur la scène des Phèdre et des Sthénobée; jamais il n'a peint les douceurs et les fureurs de l'amour; il ne voyait dans les différents accès de cette passion que des faiblesses ou des crimes d'un dangereux exemple pour les mœurs, et il voulait qu'on fût forcé d'estimer ceux qu'on est forcé de plaindre. d'enrichir ou de hérisser son style. Æschyle ne voulait pas que ses héros s'exprimassent comme le commun des hommes; leur élocution devait être au-dessus du langage vulgaire; elle est souvent au-dessus du langage connu. Pour fortifier sa diction, des mots volumineux, et durement construits des débris de quelques autres, s'élèvent du milieu de la phrase, comme ces tours superbes qui dominent sur les remparts d'une ville 1. L'éloquence d'Æschyle était trop forte pour l'assujettir aux recherches de l'élégance, de l'harmonie et de la correction; son essor trop audacieux, pour ne pas l'exposer à des écarts et à des chutes. C'est un style en général noble et sublime: en certains endroits, grand avec excès, et pompeux jusqu'à l'enflure; quelquefois méconnaissable et révoltant par des comparaisons ignobles, des jeux de mots puérils, et d'autres vices qui sont communs à cet auteur avec ceux qui ont plus de génie que de goût. Malgré ses défauts, il mérite un rang très-distingué parmi les plus célèbres poëtes de la Grèce. LE MÊME. Ibid, ÆSCHYLE, SOPHOCLE, EURIPIDE. Malgré les préventions et la haine d'Aristophane contre Euripide, sa décision, en assignant le premier rang à Æschyle, le second à Sophocle, et le troisième à Euripide, était alors conforme à l'opinion de la plupart des Athéniens: sans l'approuver, sans la combattre, je vais rapporter les changements que les deux derniers firent à l'ouvrage du premier. Ses plans sont d'une extrême simplicité. Il négligeait ou ne connaissait pas assez l'art de sauver les invraisemblances, de nouer ou de dénouer une action, d'en lier étroitement les différentes parties, de la presser ou de la suspendre par des reconnaissances et par d'autres accidents impréSophocle reprochait trois défauts à Æschyle: vus: il n'intéresse quelquefois que par le récit ❘ la hauteur excessive des idées, l'appareil gigangrandeur, que, dans la crainte de les franchir, ❘ prodiguent point des maximes qui suspendraient des faits et par la vivacité du dialogue; d'autres fois, que par la force du style, ou par la terreur du spectacle. Il paraît qu'il regardait l'unité d'action et de temps comme essentielle, celle de lieu comme moins nécessaire.' Le caractère et les mœurs de ses personnages sont convenables et se démentent rarement. Il choisit pour l'ordinaire ses modèles dans les temps héroïques, et les soutient à l'élévation où Homère avait placé les siens. Il se plaît à peindre des âmes vigoureuses, franches, supérieures à la crainte, dévouées à la patrie, insatiables de gloire et de combats, plus grandes qu'elles ne le sont aujourd'hui, telles qu'il en voulait former pour la défense de la Grèce; car il écrivait dans le temps de la guerre des Perses. Il règne, dans quelques-uns de ses ouvrages, ane obscurité qui provient, non-sculement de son sxtrême précision et de la hardiesse de ses figures, tesque des expressions, la pénible disposition des plans; et ces défauts, il se flattait de les avoir évités. Si les modèles qu'on nous présente au théâtre se trouvaient à une trop grande élévation, leurs malheurs n'auraient pas le droit de nous attendrir, ni leurs exemples celui de nous instruire. Les héros de Sophocle sont à la distance précise où notre admiration et notre intérêt peuvent atteindre: comme ils sont au-dessus de nous, sans être loin de nous, tout ce qui les concerne ne nous est ni trop étranger, ni trop familier; et, comme ils conservent de la faiblesse dans les plus affreux revers, il en résulte un pathétique sublime qui caractérise spécialement ce počte. Il respecte tellement les limites de la véritable il lui arrive quelquefois de n'en pas approcher. Au milieu d'une course rapide, au moment qu'il va tout embraser, on le voit soudain s'arrêter et s'éteindre: on dirait alors qu'il préfère les chutes aux écarts. 1 Comparaison d'Aristophane. Il n'était pas propre à s'appesantir sur les faiblesses du cœur humain, ni sur des crimes ignobles; il lui fallait des âmes fortes, sensibles, et par là même intéressantes: des âmes ébranlées par l'infortune, sans en être accablées ni enorgueillies. En réduisant l'héroïsme à sa juste mesure, Sophocle baissa le ton de la tragédie, et bannit ces expressions qu'une imagination furieuse dictait à Æschyle, et qui jetaient l'épouvante dans l'âme desspectateurs:sonstyle, comme celui d'Homère, est plein de force, de magnificence, de noblesse et de douceur; jusque dans la peinture des passions les plus violentes, il s'assortit heureusement à la dignité des personnages. Æschyle peignit les hommes plus grands qu'ils ne peuvent être; Sophocle, comme ils devraient être; Euripide, tels qu'ils sont. Les deux premiers avaient négligé des passions et des situations que le troisième crut susceptibles de grands effets. Il représenta tantôt des princesses brûlantes d'amour, et ne respirant que l'adultère et les forfaits; tantôt des rois dégradés par l'adversité, au point de se couvrir de haillons, et de tendre la main, à l'exemple des mendiants. Ces tableaux, où l'on ne retrouvait plus l'empreinte de la main d'Æschyle, ni celle de Sophocle, soulevèrent d'abord les esprits: on disait qu'on ne devait, sous aucun prétexte, souiller le caractère ni le rang des héros de la scène; qu'il était honteux de décrire avec art des images honteuses, et dangereux de prêter au vice l'autorité des grands exemples. leur marche; le second surtout a cela de particulier, que tout en courant, et presque sans y penser, d'un seul trait il décide le caractère et dévoile les sentiments secrets de ceux qu'il met en scène. C'est ainsi que, dans son Antigone, un mot échappé comme par hasard à cette príncesse laisse éclater son amour pour le fils de Créon. Euripide multiplia les sentences et les réflexions; il se fit un plaisir ou un devoir d'étaler ses connaissances, et se livra souvent à des formes oratoires : de là les divers jugements qu'on porte de cet auteur, et les divers aspects sous lesquels on peut l'envisager. Comme philosophe, il eut un grand nombre de partisans; les disciples d'Anaxagore et ceux de Socrate, à l'exemple de leurs maîtres, se félicitèrent de voir leur doctrine applaudie sur le théâtre; et, sans pardonner à leur nouvel interprète quelques expressions trop favorables au despotisme, ils se déclarèrent ouvertement pour un écrivain qui inspirait l'amour des devoirs et de la vertu, et qui, portant ses regards plus loin, annonçait hautement qu'on ne doit pas accuser les dieux de tant de passions honteuses, mais les hommes qui les leur attribuent; et, comme il insistait avec force sur les dogmes importants de la morale, il fut mis au nombre des sages, et il sera toujours regardé comme le philosophe de la scène. Son éloquence, qui quelquefois dégénère en une vaine abondance de paroles, ne l'a pas rendu moins célèbre parmi les orateurs en général, et parmi ceux du barreau en particulier; il opère la persuasion par la chaleur de ses sentiments, et la conviction par l'adresse avec laquelle il amène les réponses et les répliques. Les beautés que les philosophes et les orateurs admirent dans ses écrits sont des défauts réels aux yeux de ses censeurs : ils soutiennent que tant de phrases de rhétorique, tant de maximes accumulées, de digressions savantes et de disputes oiseuses, refroidissent l'intérêt, et mettent à cet égard Euripide fort au-dessous de Sophocle, qui ne dit rien d'inutile. Mais ce n'était plus le temps où les lois de la Grèce infligeaient une peine aux artistes qui ne traitaient pas leur sujet avec une certaine décence. Les âmes s'énervaient, et les bornes de la convenance s'éloignaient de jour en jour; la plupart des Athéniens furent moins blessés des atteintes que les pièces d'Euripide portaient aux idées Æschyle avait conservé dans son style les harreçues, qu'entraînés par le sentiment dont il avait | diesses du dithyrambe, et Sophocle la magni su les animer; car ce poëte, habile à manier toutes les affections de l'âme, est admirable lorsqu'il peint les fureurs de l'amour, ou qu'il excite les émotions de la pitié: c'est alors que, se surpassant lui-même, il parvient quelquefois au sublime, pour lequel il semble que la nature ne l'avait pas destiné. Les Athéniens s'attendrirent sur le sort de Phèdre coupable; ils pleurèrent sur celui du malheureux Télèphe, et l'auteur fut justifié. Dans les pièces d'Eschyle et de Sophocle, es passions, empressées d'arriver à leur but, ne ficence de l'épopée : Euripide fixa la langue de la tragédie; il ne retint presque aucune des expressions spécialement consacrées à la poésie : mais il sut tellement choisir et employer celles du langage ordinaire, que, sous leur heureuse combinaison, la faiblesse de la pensée semble disparaître, et le mot le plus commun s'ennoblir. Telle est la magie de ce style enchanteur, qui, dans un Juste tempérament entre la bassesse et l'élévation, es: presque toujours élégant et clair, presque toujours harmonieux, coulant, et si flexible, qu'il pa HIPPOCRATE, OU LE VRAI MÉDECIN. raitse prêter sans effort à tous les besoins de l'âme. C'était néanmoins avec une extrême difficulté qu'il faisait des vers faciles. De même que Platon, Zeuxis, et tous ceux qui aspirent à la perfection, il jugeait ses ouvrages avec la sévérité d'un rival, et les soignait avec la tendresse d'un père. Il disait une fois que trois de ses vers lui avaient coûté trois jours de travail. « J'en aurais fait cent à votre place, lui dit un poëte médiocre. - Je le crois, répondit Euripide, mais ils n'auraient sub- | les éléments des sciences; et convaincu bientôt sisté que trois jours. > Hippocrate naquit dans l'île de Cos, la première année de la quatre-vingtième olympiade. Il était de la famille des Asclepiades, qui, depuis plusieurs siècles, conserve la doctrine d'Esculape, auquel elle rapporte son origine. Elle a formé trois écoles établies, l'une à Rhodes, la seconde à Gnide, et la troisième à Cos. Il reçut de son père Héraclide que, pour connaître l'essence de chaque corps en particulier, il faudrait remonter aux principes constitutifs de l'univers, il s'appliqua tellement à la physique générale, qu'il tient un rang honorable parmi ceux qui s'y sont le plus distingués. Quant à la conduite des pièces, la supériorité de Sophocle est généralement reconnue: on pourrait même démontrer que c'est d'après lui que les lois de la tragédie ont presque toutes été rédigées; mais comme, en fait de goût, l'analyse d'un bon Les intérêts de la médecine se trouvaient alors ouvrage est presque toujours un mauvais ouvrage, entre les mains de deux classes d'hommes qui parce que les beautés sages et régulières y perdent ❘ travaillaient, à l'insu l'une de l'autre, à lui méune partie de leur prix, il suffira de dire en géné-nager un triomphe éclatant: d'un côté, les philo ral que cet auteur s'est garanti des fautes essentielles qu'on reproche à son rival. sophes ne pouvaient s'occuper du système général de la nature, sans laisser tomber quelques regards sur le corps humain, sans assigner à certaines causes les vicissitudes qu'il éprouve souvent; d'un autre côté, les descendants d'Esculape trai Euripide réussit rarement dans la disposition de ses sujets : tantôt il y blesse la vraisemblance; tantôt les incidents y sont amenés par force; d'autres fois, son action cesse de faire un même tout; ❘ taient les maladies suivant des règles confirmées presque toujours les nœuds et les dénoûments laissent quelque chose à désirer, et ses chœurs n'ont souvent qu'un rapport indirectavec l'action. Dans les pièces d'Æschyle et de Sophocle, un heureux artifice éclaircit le sujet dès les premières scènes; Euripide lui-même semble leur avoir dérobé leur secret dans sa Médée et dans son Iphigénie en Aulide. Cependant, quoique en général sa manière soit sans art, elle n'est point condamnée par d'habiles critiques. par de nombreuses guérisons, et leurs trois écoles se félicitaient à l'envi de plusieurs excellentes découvertes. Les philosophes discouraient, les Asclepiades agissaient. Ilippocrate, enrichi des connaissances des uns et des autres, conçut une de ces grandes et importantes idées qui servent d'époques à l'histoire du génie : ce fut d'é- clairer l'expérience par le raisonnement, et de rectifier la théorie par la pratique. Dans cette théorie, néanmoins, il n'admit que les principes relatifs aux divers phénomènes que présente le corps humain, considéré dans les rapports de ma A la faveur de cette méthode, l'art élevé à la dignité de la science marcha d'un pas plus ferme dans la route qu'il venait de s'ouvrir, et Hippocrate acheva paisiblement une révolution qui a changé la face de la médecine. Æschyle, Sophocle et Euripide sont et seront toujours placés à la tête de ceux qui ont illustré la scène. D'où vient donc que, sur le grand nombre | ladie et de santé. des pièces qu'ils présentèrent au concours, le premier ne fut couronné que treize fois, le second que dix-huit fois, le troisième que cinq? C'est que la multitude décida de la victoire, et que le public a depuis fixé les rangs. La multitude avait des protecteurs dont elle épousait les passions; des favoris dont elle soutenait les intérêts: de là tant d'intrigues, de violences et d'injustices qui éclatèrent dans le moment de la décision. D'un autre côté, le public, c'est-à-dire la plus saine partie de la nation, se laissa quelquefois éblouir Il a laissé plusieurs ouvrages. Les uns ne sont par de légères beautés, éparses dans des ouvrages | que les journaux des maladies qu'il avait suivies; médiocres; mais il ne tarda pas à mettre les hommes de génie à leur place, lorsqu'il fut averti de leur supériorité par les vaines tentatives de leurs rivaux et de leurs successcurs 1. Voyez, en vers, même portrait. LE MÊME. Nil'amour du gain, ni le désir de la célébrité, n'animèrent ses travaux. On ne vit jamais dans son âme qu'un sentiment, l'amour du bien; et dans le cours de sa longue vie, qu'un seul fait, le soulagement des malades. les autres contiennent les résultats de son expérience et de celle des siècles antérieurs; d'autres enfin traitent des devoirs du médecin, et de plusieurs parties de la médecine ou de la physique: tous doivent être médités avec attention, parce que l'auteur se contente souvent d'y jeter les semences de sa doctrine, et que son style est TECA STA S. SCOLASTICA T 818 AL IT * toujours concis; mais il dit beaucoup de choses en peu de mots, ne s'écarte jamais de son but; et, pendant qu'il y court, il laisse sur sa route des traces de lumière plus ou moins aperçues, suivant que le lecteur est plus ou moins éclairé. C'était la méthode des anciens philosophes, plus jaloux d'indiquer des idées neuves, que de s'appesantir sur des idées communes. Ce grand homme s'est peint dans ses écrits. Rien de si touchant que cette candeur avec la quelle il rend compte de ses malheurs et de ses fautes. Ici, vous lisez les listes des malades qu'il avait traités pendant une épidémie, et dont la plupart étaient morts entre ses bras. Là, vous le verrez auprès d'un Thessalien blessé d'un coup de pierre à la tête. Il ne s'aperçut pas d'abord qu'il fallait recourir à la voie du trépan. Des signes funestes l'avertirent enfin de sa méprise: l'opération fut faite le quinzième jour, et le malade mourut le lendemain. C'est de lui-même que l'on tient ces aveux; c'est lui qui, supérieur à toute espèce d'amour-propre, voulut que ses erreurs mêmes fussent des leçons. Peu content d'avoir consacré ses jours au soulagement des malheureux, et déposé dans ses écrits les principes d'une science dont il fut le créateur, il laissa, pour l'instruction du médecin, des règles importantes et précieuses. < Voulez-vous, dit-il, former un élève, assurez-vous lentement de sa vocation. A-t-il reçu de la nature un discernement exquis, un jugement sain, un caractère mêlé de douceur et de fermeté, le goût du travail, et du penchant pour les choses honnêtes, concevez des espérances. Souffre-t-il des souffrances des autres; son âme compatissante aime-t-elle à s'attendrir sur les maux de l'humanité, concluez-en qu'il se passionnera pour un art qui apprend à secourir l'humanité. • Quand vous l'adoptâtes pour disciple, ajoutet-il, il jura de conserver dans ses mœurs et dans ses fonctions une pureté inaltérable. Qu'il ne se contente pas d'en avoir fait le serment. Sans les vertus de son état, il n'en remplira jamais les devoirs. Quelles sont ces vertus? Je n'en excepte presque aucune, puisque son ministère a cela d'honorable, qu'il exige presque toutes les qualités de l'esprit et du cœur; et, en effet, si l'on n'était assuré de sa discrétion et de sa sagesse, quel chef de famille ne craindrait pas, en l'appelant, d'introduire un espion ou un intrigant dans sa maison, un corrupteur auprès de sa femme et de ses filles? Comment compter sur son humanité, s'il n'aborde ses malades qu'avec une gaieté révoltante, ou qu'avec une humeur brusque ou chagrine; sur sa fermeté, si, par une servile adulation, il ménage leur dégoût, et cède à leurs caprices; sur sa prudence, si, toujours occupé de sa parure, toujours couvert d'essences et d'habits magnifiques, on le voit errer de ville en ville pour y prononcer en faveur de son art des discours étayés du témoignage des poëtes; sur ses lumières, si, outre cette justice générale que l'honnête homme observe à l'égard de tout le monde, il ne possède pas celle que le sage exerce sur lui-même, et qui lui apprend qu'au milieu du plus grand savoir se trouve encore plus de disette que d'abondance; sur ses intentions, s'il est dominé par un fol orgueil et par cette basse envie qui ne fut jamais le partage de l'homme supérieur; si, sacrifiant toutes les considérations à sa fortune, il ne se dévoue qu'au service des gens riches; si, autorisé par l'usage à régler ses honoraires dès le commencement de la maladie, il s'obstine à terminer le marché, quoique le malade empire d'un moment à l'autre? Ces vices et ces défauts caractérisent surtout ces hommes ignorants et présomptueux qui dégradent le plus noble des arts, en trafiquant de la vie et de la mort des hommes; imposteurs d'autant plus dangereux que les lois ne sauraient les atteindre, et que l'ignominie ne peut les humilier. • Quel est donc le médecin qui honore sa profession? Celui qui a mérité l'estime publique par un savoir profond, une longue expérience, une exacte probité et une vie sans reproche; celui aux yeux duquel tous les malheureux sont égaux, comme tous les hommes le sont aux yeux de la Divinité; qui accourt avec empressement à leur voix sans acception de personnes, leur parle avec douceur, les écoute avec attention, supporte leurs impatiences, et leur inspire cette confiance qui suffit quelquefois pour les rendre à la vie; qui, pénétré de leurs maux, en étudie avec opiniâtreté la cause et les progrès, n'est jamais troublé par des accidents imprévus, se fait un devoir d'appeler au besoin quelques-uns de ses confrères pour s'éclairer de leurs conseils; celui enfin qui, après avoir lutté de toutes ses forces contre la maladie, est heureux et modeste dans le succès, et peut au moins se féliciter dans les revers d'avoir suspendu des douleurs et donné des consolations. > Tel est le médecin philosophe qu'Hippocrate comparait à un Dieu, sans s'apercevoir qu'il le retraçait en lui-même. Les médecins le regarderont toujours comme le premier et le plus habile de leurs législateurs; et sa doctrine, adoptée de toutes les nations, opérera encore des milliers de guérisons après des milliers d'années. Les plus vastes empires ne pourront pas disputer àla petite ile de Cos la gloire d'avoir produit l'homme le plus utile à l'humanité; et, aux yeux des sages, les noms des plus grands conquérants s'abaisseront devant celui d'Hippocrate. LE MÊME. |