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l'éloquence et la poésie, et traite les habiles écri-
vains de gens inutiles dans les États, nous ne
craindrons point de dire, à l'avantage des lettres,
que du moment que des esprits sublimes, pås-
sant de bien loin les bornes communes, se distin-
guent, s'immortalisent par des chefs-d'œuvre,
quelque étrange inégalité que, durant leur vie,
la fortune mette entre eux et les plus grands
héros, après leur mort cette différence cesse.
La postérité qui se plaît, qui s'instruit dans les
ouvrages qu'ils lui ont laissés, ne fait point de
difficulté de les égaler à tout ce qu'il y a de plus
considérable parmi les hommes, fait marcher de
pair l'excellent poëte et le grand capitaine. Le
même siècle qui se glorifie aujourd'hui d'avoir
produit Auguste, ne se glorifie guère moins d'a-
voir produit Horace et Virgile. Ainsi, lorsque
dans les âges suivants on parlera avec étonne-
ment des victoires prodigieuses et de toutes les
grandes choses qui rendront notre siècle l'admi-
ration de tous les siècles à venir, Corneille, n'en
doutons point, Corneille tiendra sa place parmi
toutes ces merveilles. La France se souviendra
avec plaisir que, sous le règne du plus grand de
ses rois, a fleuri le plus grand de ses poëtes.

Discours à l'Académie française, le jour
de la réception de Thomas Corneule,
choisi pour remplacer son frère.

BOSSUET ET CORNEILLE,

L'élévation est sans doute le caractère de l'un et de l'autre; mais l'élévation de Corneille tient à la fierté républicaine, celle de Bossuet à l'enthousiasme religieux. Corneille brave la grandeur et la puissance, Bossuet la foule aux pieds, pour s'élancer jusqu'à la Divinité même. Le premier, en nous montrant l'homme dans toute sa dignité, nous agrandit à nos propres yeux; le second, en nous le faisant voir dans tout son néant, semble planer au-dessus de l'espèce humaine. Le sublime du poëte a plus de profondeur, plus de traits et de pensées; celui de l'orateur, plus de majesté, plus de véhémence et plus d'images : les négligences de Corneille viennent de lassitude et d'épuisement; celles de Bossuet, d'un excès de chaleur et d'abondance: dans Corneille, enfin, quand l'expression est familière, elle est presque toujours sans noblesse; dans Bossuet, quand l'idée est grande, la familiarité même de l'expression sèmble l'agrandir encore.

D'ALEMBERT. Éloge de Flechier,

et inimitable, mais il est inégal. Ses premières comédies sont sèches, languissantes, et ne laissaient pas espérer qu'il dût ensuite aller si loin, comme ses dernières font qu'on s'étonne qu'il ait pu tomber de si haut. Dans quelques-unes de ses meilleures pièces, il y a des fautes inexcusables contre les mœurs, un style de déclamateur qui arrête l'action et la fait languir, des négligences dans les vers et dans l'expression, qu'on ne peut comprendre dans un si grand homme. Ce qu'il y a eu en lui de plus éminent, c'est l'esprit, qu'il avait sublime, auquel il a été redevable de certains vers les plus heureux qu'on ait jamais lus ailleurs, de la conduite de son théâtre, qu'il a quelquefois hasardée contre les règles des anciens, et enfin de ses dénoûments; car il ne s'est pas toujours assujetti au goût des Grecs et à leur grande simplicité; il a aimé, au contraire, à charger la scène d'événements dont il est presque toujours sorti avec succès; admirable surtout par l'extrême variété et le peu de rapport qui se trouve, pour le dessein, entre un si grand nombre de poëmes qu'il a composés.

Il semble qu'il y ait plus de ressemblance dans ceux de Racine, et qu'ils tendent un peu plus à une même chose: mais il est égal, soutenu, toujours le même partout, soit pour le dessein et la conduite de ses pièces, qui sont justes, régulières, prises dans le bon sens et dans la nature, soit pour la versification, qui est correcte, riche dans les rimes, élégante, nombreuse, harmonieuse; exact imitateur des anciens, dont il a suivi scrupuleusement la netteté et la simplicité de l'action, à qui le grand et le merveilleux n'ont pas même manqué, ainsi qu'à Corneille, ni le touchant, ni le pathétique. Quelle plus grande tendresse que celle qui est répandue dans tout le Cid, dans Polyeucte et les Horaces! Quelle grandeur ne se remarque point en Mithridate, en Porus et en Burrhus ! Ces passions encore favorites des anciens, que les tragiques aimaient à exciter sur les théâtres, et qu'on nomme la terreur et la pitié, ont été connues de ces deux poëtes: Oreste, dans l'Andromaque de Racine, et Phèdre du même auteur, comme l'OEdipe et les Horaces de Corneille, en sont la preuve.

Si cependant il est permis de faire entre eux quelque comparaison, et de les marquer l'un et l'autre par ce qu'ils ont de plus propre, et par ce qui éclate le plus ordinairement dans leurs ouvrages, peut-être qu'on pourrait parler ainsi : Corneille nous assujettit à ses caractères et à ses idées; Racine se conforme aux nôtres. Celui-là peint les hommes tels qu'ils doivent être; celui-ci les peint tels qu'ils sont. Il y a plus dans le preCorneille ne peut être égalé dans les endroits mier de ce que l'on admire, et de ce que l'on où il excelle; il a pour lors un caractère original | doit même imiter; il y a plus dans le second de

CORNEILLE ET RACINE,

ce que l'on reconnaît dans les autres, ou de ce que l'on éprouve dans soi-même. L'un élève, étonne, maîtrise, instruit; l'autre plaît, remue, touche, pénètre: ce qu'il y a de plus beau, de plus noble et de plus impérieux dans la raison, est manié par le premier; et par l'autre, ce qu'il y a de plus flatteur et de plus délicat dans la passion. Ce sont, dans celui-là, des maximes, des règles et des préceptes; et dans celui-ci, du goût et des sentiments. L'on est plus occupé aux pièces de Corneille; l'on est plus ébranlé et plus attendri à celles de Racine. Corneille est plus moral, Racine plus naturel.

Il semble que l'un imite Sophocle, et que l'autre doit plus à Euripide.

MÊME SUJET.

LA BRUYÈRE.

Corneille n'a eu devant les yeux aucun auteur qui ait pu le guider; Racine a eu Corneille.

Corneille a trouvé le théâtre français très-grossier, et l'a porté à un haut point de perfection; Racine ne l'a pas soutenu dans la perfection où il l'a trouvé.

Les caractères de Corneille sont vrais, quoiqu'ils ne soient pas communs; les caractères de Racine ne sont vrais que parce qu'ils sont com

muns.

Quelquefois les caractères de Corneille ont quelque chose de faux, à force d'être nobles et singuliers; souvent ceux de Racine ont quelque chose de bas, à force d'être naturels.

Quand on a le cœur noble, on voudrait ressembler aux héros de Corneille; et, quand on a le cœur petit, on est bien aise que les héros de Racine nous ressemblent.

On rapporte, des pièces de l'un, le désir d'être vertueux; et des pièces de l'autre, le plaisir d'avoir des semblables dans ses faiblesses.

Le tendre et le gracieux de Racine se trouvent quelquefois dans Corneille; le grand de Corneille ne se trouve jamais dans Racine.

Racine n'a presque jamais peint que des Français, et que le siècle présent, même quand il a voulu peindre un autre siècle et d'autres nations; on voit, dans Corneille, toutes les nations et tous les siècles qu'il a voulu peindre. Le nombre des pièces de Corneille est beaucoup plus

de beauté, et celle de Racine se soutient toujours dans le sien.

Des auteurs inférieurs à Racine ont réussi après lui dans son genre: aucun auteur, même Racine, n'a osé toucher, après Corneille, au genre qu lui était particulier.

FONTENELLE, neveu de Corneille,

MÊME SUJET.

Corneille dut avoir pour lui la voix de son siècle dont il était le créateur; Racine doit avoir celle de la postérité dont il est à jamais le modèle. Les ouvrages de l'un ont dû perdre beaucoup avec le temps, sans que sa gloire personnelle doive en souffrir; le mérite des ouvrages du second doit croître et s'agrandir dans les siècles avec sa renommée et nos lumières.

Peut-être les uns et les autres ne doivent point être mis dans la balance; un mélange de beautés et de défauts ne peut entrer en comparaison avec des productions achevées qui réunissent tous les genres de beautés dans le plus éminent degré, sans autres défauts que ces taches légères qui avertissent que l'auteur était homme.

Quant au mérite personnel, la différence des époques peut le rapprocher malgré la différence des ouvrages; et, si l'imagination veut s'amuser à chercher des titres de préférence pour l'un ou pour l'autre, que l'on examine lequel vaut le mieux d'avoir été le premier génie qui ait brillé après la longue nuit des siècles barbares, ou d'avoir été le plus beau génie du siècle le plus éclairé de tous les siècles.

Le dirai-je? Corneille me paraît ressembler à ces Titans audacieux qui tombent sous les montagnes qu'ils ont entassées: Racine me paraît le véritable Prométhée qui a ravi le feu des cieux. LA HARPE. Éloge de Racine.

QUINAULT.

On ne peut trop aimer la douceur, la mollesse, la facilité et l'harmonie tendre et touchante de la poésie de Quinault. On peut même estimer beaucoup l'art de quelques-uns de ses opéras, intéressants par le spectacle dont ils sont remplis, par l'invention ou la disposition des faits qui les

grand que celui des pièces de Racine, et cepen-composent, par le merveilleux qui y règne, et

dant Corneille s'est beaucoup moins répété luimême que Racine n'a fait.

Dans les endroits où la versification de Corneille est belle, elle est plus hardie, plus noble, plus forte, et en même temps aussi nette que celle de Racine; mais elle ne se soutient pas dans ce degré

enfin par le pathétique des situations, qui donne lieu à celui de la musique, et qui l'augmente nécessairement. Ni la grâce, ni la noblesse, n'ont manqué à l'auteur de ces poëmes singuliers. Il y a presque toujours de la naïveté dans le dialogue, et quelquefois du sentiment. Ses vers sont şemés

d'images charmantes et de pensées ingénieuses. On admirerait trop les fleurs dont il se pare, s'il eût évité les défauts qui font languir quelquefois ses plus beaux ouvrages. Je n'aime pas les familiarités qu'il a introduites dans ses tragédies: je suis fàché qu'on trouve beaucoup de scènes qui sont faites pour inspirer la terreur et la pitié, des personnages qui, par le contraste de leurs discours avec les intérêts des malheureux, rendent ces mêmes scènes ridicules, et en détruisent tout le pathétique. Je ne puis m'empêcher encore de trouver ses meilleurs opéras trop vides de choses, trop négligés dans les détails, trop fades même dans bien des endroits. Enfin je pense qu'on a dit de lui, avec vérité, qu'il n'avait fait qu'effleurer d'ordinaire les passions... Les beautés que Quinault a imaginées demandent grâce pour ses défauts; mais j'avoue que je voudrais bien qu'on se dispensât de copier jusqu'à ses défauts. Je suis fâché qu'on désespère de mettre plus de passion, plus de conduite, plus de raison et plus de force dans nos opéras, que leur inventeur n'y

en a mis. J'aimerais qu'on en retranchât le nombre excessif de refrains qui s'y rencontrent, qu'on ne refroidît pas les tragédies par des puérilités, et qu'on ne fit pas des paroles pour le musicien, entièrement vides de sens. Les divers morceaux qu'on admire dans Quinault, prouvent qu'il y a peu de beautés incompatibles avec la musique, et que c'est la faiblesse des poëtes, non celle du genre, qui fait languir tant d'opéras faits à la hate, et aussi mal écrits qu'ils sont frivoles.

LA FONTAINE,

VAUVENARGUES.

Il est donc aussi des honneurs publics pour 'homme simple et le talent aimable! Ainsi done la postérité, plus promptement frappée en tout genre de ce qui se présente à ses yeux avec un éclat imposant, occupée d'abord de célébrer ceux qui ont produit ces révolutions mémorables dans l'esprit humain, ou qui ont régné sur les peuples par les puissantes illusions du théâtre, la postérité a tourné ses regards sur un homme qui, sans avoir à lui offrir des titres aussi magnifiques, ai d'aussi grands monuments, ne méritait pas moins ses attentions et ses hommages; sur un écrivain original et enchanteur, le premier de tous dans un genre d'ouvrage plus fait pour être goûté avec délices, que pour être admiré avec transport; à qui nul n'a ressemblé dans le talent de raconter; que nul n'égala jamais dans l'art de donner des grâces à la raison et de la gaieté au bon sens, sublime dans sa naïveté et charmant dans sa négligence sur un homme modeste qui a

vécu sans éclat en produisant des chefs-d'œuvre, comme il vivait avec sagesse en se livrant dans ses écrits à toute la liberté de l'enjouement; qui n'a jamais rien prétendu, rien envié, rien affecté; qui devait être plus relu que célébré, et qui obtint plus de renommée que de récompenses; homme d'une simplicité rare, qui sans doute ne pouvait pas ignorer son génie, mais ne l'appréciait pas; et qui même, s'il pouvait être témoin des honneurs qu'on lui rend aujourd'hui, serait étonné de sa gloire, et aurait besoin qu'on lui révélât le secret de son mérite 1.

LA HARPE. Éloge de La Fontaine.

MOLIÈRE ET LA FONTAINE.

Molière, dans chacune de ses pièces, ramenant la peinture des mœurs à un objet philosophique,. donne à la comédie la moralité de l'apologue. La Fontaine, transportant dans ses fables la peinture des mœurs, donne à l'apologue une des grandes beautés de la comédie, les caractères. Doués tous les deux au plus haut degré du génie d'observation, génie dirigé dans l'un par une raison supérieure, guidé dans l'autre par un instinct non moins précieux, ils descendent dans le plus profond de nos travers et de nos faiblesses, mais chacun, selon la double différence de son genre et de son caractère, les exprime différem

ment.

Le pinceau de Molière doit être plus energiquc et plus ferme, celui de La Fontaine plus délicat et plus fin. L'un rend les grands traits avec une force qui le montre comme supérieur aux nuances; l'autre saisit les nuances avec une sagacité qui suppose la science des grands traits. Le poëte comique semble s'être plus attaché aux ridicules, et a peint quelquefois les formes passagères de la société. Le fabuliste semble s'adresser davantage aux vices, et a peint une nature encore plus générale. Le premier me fait plus rire de mon voisin; le second me ramène plus à moi-même. Celui-ci me venge davantage des sottises d'autrui; celui-là me fait mieux songer aux miennes. L'un semble avoir vu les ridicules comme un défaut de bienséance choquant pour la société ; l'autre, avoir vu les vices comme un défaut de raison fâcheux pour nous-mêmes. Après la lecture du premier, je crains l'opinion publique; après la lecture du second, je crains ma conscience.

Enfin, l'homme corrigé par Molière, cessant d'être ridicule, pourrait devenir vicieux; corrigé par La Fontaine, il ne serait plus ni vicieux, ni

ridicule. il serait raisonnable et bon, et nous

1 Voyez, en vers, 2e partie.

nous trouverions vertueux, comme La Fontaine, tant de fois en combattant pour elle contre les était philosophe sans s'en douter 1.

CHAMPFORT. Éloge de La Fontaine.

L'AUTEUR DU TĚLÉMAQUE,

On croirait que Fénélon a produit le Télémaque d'un seul jet; l'homme de lettres le plus exercé dans l'art d'écrire ne pourrait distinguer les moments où Fénélon a quitté et repris la plume, tant ses transitions sont naturelles, soit qu'il entraîne doucement par la pente de ses idées, soit qu'il fasse franchir avec lui l'espace que l'imagination agrandit et resserre à son gré. Jamais on n'aperçoit aucun effort; maître de sa pensée, il la voit sans nuages, il ne l'exprime pas, il la peint; il sent, il pense, et le mot suit avec les graces, la noblesse et l'onction qui lui convient. Toujours coulant, toujours lié, toujours nombreux, toujours périodique, il connaît l'utilité de ces liaisons grammaticales, que nous laissons perdre, qui enrichissaient l'idiome du grec, et sans lesquelles il n'y aura jamais de style. On ne le voit pas recommencer à penser de ligne en ligne; traîner péniblement des phrases, tantôt précises, tantôt diffuses, où l'esprit trahit son embarras à chaque instant, et ne se relève que pour retomber. Son élocution pleine et harmonieuse, enrichie des métaphores les mieux suivies, des allégories les plus sublimes, des images les plus pittoresques, ne présente au lecteur que clarté, facilité, élégance et rapidité. Grand, parce qu'il est régulier, il ne se sert de la parole que pour exprimer ses idées, et n'étale jamais ce luxe d'esprit, qui, dans les lettres comme dans les États, n'annonce que l'indigence. Modèle accompli de la poésie descriptive, il multiplie ces comparaisons vastes qui supposent un génie observateur; et il flatte sans cesse l'oreille par les charmes de l'harmonie imitative. En un mot, Fénélon donne à la prose la couleur, la mélodie, l'accent, l'âme de la poésie; et son style, vrai, enchanteur, inimitable, trop abondant peut-être, ressemble à sa vertu.

Le cardinal MAURY.

BOSSUET ET FÉNÉLON.

On vit alors entrer en lice deux adversaires illustres, plutôt égaux que semblables: l'un, consommé depuis longtemps dans la science de l'Église, couvert des lauriers qu'il avait remportés

1 Voyez la seconde partie.

hérétiques; athlète infatigable que son âge et ses victoires auraient pu dispenser de s'engager dans un nouveau combat, mais dont l'esprit encore vigoureux et supérieur au poids des années, conservait dans sa vieillesse une partie de ce feu qu'il avait eu dans sa jeunesse : l'autre, plus jeune et dans la force de l'âge, moins connu par ses écrits, non moins célèbre par la réputation de son élo❘quence, et la hauteur de son génie, nourri et exercé depuis longtemps dans la matière qui faisait le sujet du combat, possédait parfaitement la langue des mystiques; capable de tout entendre, de tout expliquer, et de rendre plausible tout ce qu'il expliquait: tous deux longtemps amis, avant que d'être devenus rivaux: tous deux également recommandables par l'innocence de leurs mœurs, également aimables par la douceur de leur commerce, ornements de l'Église, de la cour, de l'humanité même: mais l'un, respecté comme le soleil couchant dont les rayons allaient s'éteindre avec majesté; l'autre, regardé comme un soleil levant qui remplirait un jour la terre de ses lumières, s'il pouvait sortir de l'espèce d'éclipse dans laquelle il s'était engagé.

MÊME SUJET.

D'AGUESSEAU.

Bossúet, après sa victoire, passa pour le plus savant et le plus orthodoxe des évêques; Fénélon, après sa défaite, pour le plus modeste et le plus

aimable des hommes. Bossuet continua de se faire admirer à la cour; Fénélon se fit adorer à Cambray et dans l'Europe.

Peut-être serait-ce ici le lieu de comparer les talents et la réputation de ces deux hommes également célèbres, également immortels. On pourrait dire que tous deux eurent un génie supérieur, mais que l'un avait plus de cette grandeur qui nous élève, de cette force qui nous terrasse; l'autre, plus de cette douceur qui nous pénètre et de ce charme qui nous attache. L'un fut l'oracle du dogme, l'autre celui de la morale; mais il paraît que Bossuet, en faisant des conquêtes pour la foi, en foudroyant l'hérésie, n'était pas moins occupé de ses propres triomphes que de ceux du christianisme; il semble au contraire que Fénélon parlait de la vertu comme on parle de ce qu'on aime, en l'embellissant sans le vouloir, et s'oubliant toujours, sans croire même faire un sacrifice.

Leurs travaux furent aussi différents que leurs caractères. Bossuet, né pour les luttes de l'esprit et les victoires du raisonnement, garda même dans les écrits étrangers à ce genre cette tourmure mâle et nerveuse, cette vigueur de raison, cette rapidité d'idées, ces figures hardies et pressantes qui sont les armes de la parole. Fénélon, fait pour aimer la paix et pour l'inspirer, conserva sa douceur, même dans la dispute, mit de l'onction jusque dans la controverse, et parut avoir rassemblé dans son style tous les secrets de la persuasion.

Les titres de Bossuet dans la postérité sont surtout ses Oraisons funèbres et son Discours sur l'histoire. Mais Bossuet, historien et orateur, peut rencontrer des rivaux; le Télémaque est un ouvrage unique, dont nous ne pouvons rien rapprocher. Au livre des Variations, aux combats contre les hérétiques, on peut opposer le livre de l'Existence de Dieu, et les combats contre

si nécessaire entre le rhythme et la pensée, semble regarder le reste comme un mérite subordonné, qu'il rencontre plutôt qu'il ne le cherche. L'un s'attache plus à finir le tissu dans son style, l'autre à en relever les couleurs. Dans l'un, le dialogue est plus lié; dans l'autre, il est plus rapide.

Dans Racine, il y a plus de justesse; dans Voltaire, plus de mouvement. Le premier l'emporte pour la profondeur et la vérité; le second, pour la véhémence et l'énergie. Ici, les beautés sont plus sévères, plus irréprochables; là, elles sont plus variées, plus séduisantes. On admire dans Racine cette perfection toujours plus étonnante à mesure qu'elle est plus examinée; on adore dans Voltaire cette magie qui donne de l'attrait même à ses défauts. L'un vous paraît toujours plus grand

l'athéisme, doctrine funeste et destructive, qui ❘ par la réflexion, l'autre ne laisse pas maître de

dessèche l'âme et l'endurcit, qui tarit une des sources de la sensibilité, et brise le plus grand appui de la morale, arrache au malheur sa consolation, à la vertu son immortalité, glace le cœur du juste, en lui ôtant un témoin et un ami, et ne rend justice qu'au méchant qu'elle anéantit 1.

LA HARPE. Éloge de Fénélon.

réfléchir. Il semble que l'un ait mis son amourpropre à défier la critique, et l'autre à la désarmer.

Enfin, si l'on ose hasarder un résultat sur des objets livrés à jamais à la diversité des opinions, Racine, lu par les connaisseurs, sera regardé comme le poëte le plus parfait qui ait écrit: Voltaire, aux yeux des hommes rassemblés au théâtre, sera le génie le plus tragique qui ait régné sur la scène 2.

LE MÊME.

RACINE ET VOLTAIRE.

Tous deux ont possédé le mérite si rare de l'élégance continue et de l'harmonie, sans lequel, dans une langue formée, il n'y a point d'écrivain; mais l'élégance de Racine est plus égale, celle de Voltaire est plus brillante. L'une plait davantage au goût, l'autre à l'imagination.

Dans l'un, le travail, sans se faire sentir, a effacé jusqu'aux imperfections les plus légères; dans l'autre, la facilité se fait apercevoir à la fois, et dans les beautés, et dans les fautes. Le premier a corrigé son style, sans en refroidir l'intérêt; l'autre y a laissé des taches, sans en obscurcir l'éclat. Ici, les effets tiennent plus souvent à la phrase poétique; là, ils appartiennent plus à un trait isolé, à un vers saillant.

L'art de Racine consiste plus dans le rapprochement nouveau des expressions; celui de Voltaire, dans de nouveaux rapports d'idées. L'un ne se permet rien de ce qui peut nuire à la perfection, l'autre ne se refuse rien de ce qui peut ajouter à l'ornement. Racine, à l'exemple de Despréaux, a étudié tous les effets de l'harmonie, toutes les formes du vers, toutes les manières de le varier. Voltaire, sensible surtout à cet accord

DUCIS.

Après ce que nous avons vu du caractère indépendant de l'auteur d'Hamlet, qui, malgré son peu de fortune, refuse de Napoléon le riche manteau de sénateur, et s'enveloppe dans sa précieuse médiocrité, ne nous étonnons pas que la solitude féconde où s'étendait son âme, que son profond dédain du monde, quoique tempéré par ses sentiments religieux, donnât à ses dehors, naturellement imposants, à ses écrits surtout, quelque aspérité : un esprit si plein de séve et de vigueur devait avoir l'écorce du chêne. Si la qualification de poëte de la nature, et de Bridaine de la tragédie qu'il reçut de Thomas, est méritée, j'ai dû, préoccupé des grandes pensées, des figures énergiques et de l'onction persuasive du poëte-missionnaire, faire moins d'attention à sa parure quelque peu négligée, je veux dire au style qui, chez lui, n'est guère que l'habit et que l'ornement de la pensée. Comme ce style, d'ailleurs, a du moins l'avantage de la gravité, de la force, n'en estimons pas moins l'homme, pour quelques fautes d'élégance ou de goût. Il hait

Voyez, en vers, même portrait.
Voyez ci-dessus, Corneille et Racine.

* On peut voir précédemment, Discours et Morceaux ora

toires, quel était le caractère de l'éloquence du père Gridaine.

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