aborder le roj, parce qu'il était obligé, par respect, de souffrir patiemment les louanges dont Sa Majesté ne manquait jamais de l'honorer. C'est alors que, dans le doux repos d'une condition privée, ce prince, se dépouillant de toute la gloire qu'il avait acquise pendant la guerre, et se renfermant dans une société peu nombreuse de quelques amis choisis, s'exerçait sans bruit aux vertus civiles: sincère dans ses discours, simple dans ses actions, fidèle dans ses amitiés, exact dans ses devoirs, réglé dans ses désirs, grand ❘ même dans les moindres choses. Il se cache, mais sa réputation le découvre; il marche sans suite et sans équipage, mais chacun, dans son esprit, le met sur un char de triomphe. On compte, en le voyant, les ennemis qu'il a vaincus, non pas les serviteurs qui le suivent: tout seul qu'il est, on se figure autour de lui ses vertus et ses victoires qui l'accompagnent. Il y a je ne sais quoi de noble dans cette honnête simplicité; et, moins il est superbe, plus il devient vénérable. FLÉCHIER. Oraison funebre de Turenne. MÊME SUJET. Il revenait de ses campagnes triomphantes avec la même froideur et la même tranquillité que s'il fût revenu d'une promenade, plus vide de sa propre gloire que le public n'en était occupé. En vain, dans les assemblées, ceux qui avaient l'honneur de le connaître le montraient des yeux, du geste et de la voix, à ceux qui ne le connaissaient pas; en vain sa seule présence, sans train et sans suite, faisait sur les âmes une impression presque divine qui attire tant de respect, et qui est le fruit le plus doux et le plus innocent de la vertu héroïque: toutes ces choses, si propres à faire rentrer un homme en lui-même par une vanité raffinée, ou à le faire répandre au dehors par l'agitation d'une vanité moins réglée, n'altéraient en aucune manière la situation tranquille de son âme, et il ne tenait pas à lui qu'on n'oubliật ses victoires et ses triomphes. MASCARON. Oraison funèbre de Turenne. RÈGNE DE LOUIS XIV. en Allemagne et dans l'ile de Crète : il est protecteur, avant d'être conquérant; et, lorsque l'ambition l'entraine à la guerre, ses armes heureuses et rapides paraissent justes à la France éblouie. La pompe des fêtes se mêle aux travaux de la guerre; les jeux du carrousel, aux assauts de Valenciennes et de Lille. Cette altière noblesse, qui fournissait des chefs aux factions, et que Richelieu ne savait dompter que par les échafauds, est séduite par les paroles de Louis, et récompensée par les périls qu'il lui accorde à ses côtés. La Flandre est conquise; l'Océan et la Méditerranée sont réunis; de vastes ports sont creusés; une enceinte de forteresses environne la France; les colonnades du Louvre s'élèvent; les jardins de Versailles se dessinent; l'industrie des Pays-Bas et de la Hollande se yoit surpassée par les ateliers nouveaux de la France; une émulation de travail, d'éclat, de grandeur, est partout répandue; un langage sublime et nouveau célèbre toutes ces merveilles et les agrandit pour l'avenir. Les épîtres de Boileau sont datées des conquêtes de Louis XIV; Racine porte sur la scène les faiblesses et l'élégance de la cour; Molière doit à la puissance du trône la liberté de son génie; La Fontaine luimême s'aperçoit des grandes actions du jeune roi, et devient flatteur. Voilà le brillant tableau qu'offrent les vingt premières années de ce règne mémorable. VILLEMAIN. Discours d'ouverture, nov. 1824. MORT DU MARECHAL DE SAXE. Ce grand homme, cher à la nation, craint de nos ennemis et respecté des siens (car plus il fut grand, plus il dut en avoir), espérait jouir de sa gloire dans le sein du repos, et la France l'espérait avec lui. On n'approchait de sa retraite de Chambord qu'avec ce respect qu'inspire le séjour des héros. Son palais était regardé comme le temple de la valeur et le sanctuaire des vertus guerrières. Mais, o faiblesse! ô néant! il semble que Maurice ne devait exister que pour faire de grandes choses. Dès qu'il a cessé de vaincre, il disparaît. Il meurt; et celui qui avait été élu souverain par un peuple libre, qui avait été comblé de tant d'honneurs, qui avait gagné tant de batailles, qui avait pris ou défendu tant de villes, qui avait vengé ou vaincu les rois, qui était l'amour d'une nation et la terreur de toutes les autres, compare en mourant sa vie à un songe. Un roi plein d'ardeur et d'espérance saisit luimême ce sceptre qui, depuis Henri le Grand, n'avait été soutenu que par des favoris et des ministres. Son âme, que l'on croyait subjuguée par ra mollesse et les plaisirs, se déploie, s'affermit et s'éclaire, à mesure qu'il a besoin de régner. Il se montre vaillant, laborieux, ami de la justice et de la gloire. Quelque chose de généreux se mêle aux premiers calculs de sa politique. Il envoie des Français défendre la chrétienté contre les Turcs, ❘ plus vertucuse de l'Etat, pleura l'appui et le dé Sa mort fut une calamité pour la France, un événement pour l'Europe. Louis s'honora luimême, en l'honorant de ses regrets. Les courtisans, qui sont si peu sensibles, furent attendris. Le peuple, qui est la partie la plus méprisée et la fenseur de la patrie. Mais vous, guerriers, qu'il | à ses yeux qu'une faiblesse, c'est dans son âme conduisait dans les batailles, vous que tant de fois il a menés à la victoire, quels furent alors vos sentiments? Pour les peindre, je n'aurai pas recours aux vains artifices de l'éloquence, il suffit de rappeler un fait que la postérité doit apprendre, et dont il est utile de conserver le souvenir. Après que le corps de Maurice eut été transporté dans la capitale de l'Alsace, pour y recevoir les honneurs funèbres, deux soldats qui avaient servi sous lui, entrent dans le temple où était déposée sa cendre. Ils approchent en silence, le visage triste, l'œil en pleurs. Ils s'arrêtent au pied du tombeau, le regardent, l'arrosent de leurs larmes. Alors l'un d'eux tire son épée, l'applique au marbre de la tombe. Saisi du même sentiment, son compagnon imite son exemplé. Tous deux ensuite sortent en pleurant, sans se règarder, sans proférer un seul mot. Ils pensaient sans doute, ces guerriers, que le marbre qui touchait aux cendres de Maurice, avait le pouvoir de communiquer la valeur, et de faire des héros. Vous ne vous trompez pas, dignes soldats de Maurice! Tandis que son ombre, du milieu de l'Alsace qu'elle habite, sèmera encore la terreur chez nos ennemis, et gardera les bords du Rhin, la vue du marbre qui renferme sa cendre élèvera l'âme de tous les Français, leur inspirera le courage, la magnanimité, l'amour généreux de la gloire, le zèle pour le roi et pour la patrie. THOMAS. Eloge du maréchal de Saxe. L'INFORTUNE, LA VERTU, ET L'HÉROÏSME. Une enfant, dont la raison et la sensibilité avaient été avancées par le malheur, tombe du trône dans une prison. Son père dont elle ne pouvait ignorer les vertus, périt sur l'échafaud sans qu'on ose le lui cacher, dans la crainte de lui dérober une bénédiction que le ciel doit ratifier; sa mère, dont le courage lui servait d'exemple, et l'amour de consolation, est enlevée à ses yeux pour subir le même supplice; une seconde mère, son dernier soutien, modèle de piété et d'héroïsme, périt sur le même échafaud. Seule, ou plutôt, à son tour, chef de famille dans une prison qui renfermait encore un frère plus jeune qu'elle, elle s'en voit privée, et ne peut ignorer la cause de sa mort. N'ayant connu de la vie que ce qu'elle a de plus amer, résignée à la rendre sans regret au Dieu qui la lui avait donnée, ne pouvant entendre autour d'elle le moindre bruit qu'elle ne prît pour l'annonce de sa dernière heure, elle apprend qu'on l'exile. Selon les lois éternelles de la Providence, quelles modifications un tel assemblage de malheurs aura-t-il produites sur le caractère de cette infortunée? Au-dessus de la vanité, elle en a connu le néant; au-dessus de l'orgueil, qui ne peut être qu'elle cherchera un refuge, et la fierté de cette âme deviendra plus puissante que l'injustice des hommes. Douce, parce que la nature l'a faite ainsi, simple dans ses goûts, soumise à tous ses devoirs, et sans efforts, compatissante au malheur, confiante, quand la franchise des sentiments qu'on lui montrera l'éloignera des souvenirs du passé, timide devant la malveillance; qu'une grande circonstance se présente, et cette femme étonnera le monde par son courage, sans qu'il soit en elle de croire qu'elle ait rien fait d'extraordinaire! Ce qui nous surprend, ce qui excite notre admiration, n'est-il pas le résultat de l'éducation qu'elle a reçue du malheur dans son enfance ? Peut-elle craindre la mort quand son âme est émue? N'est-ce pas de la mort qu'elle a reçu toutes les émotions qui ont fait battre son cœur, et lui ont appris à connaître le néant de la vie? Peutelle craindre le jugement des hommes, et y attacherle moindre prix? Cette âme fière n'a-t-elle pas été conduite à ne reconnaître que Dieu pour juge? LES PRISONS. FIÉVÉE. Jetez les yeux sur ces tristes murailles où la liberté humaine est renfermée et chargée de fers, où quelquefois l'innocence est confondue avec le crime, et où l'on fait l'essai de tous les supplices avant le dernier: approchez; et si le bruit horrible des fers, si des ténèbres effrayantes, des gémissements sourds et lointains, en vous glaçant le cœur, ne vous font reculer d'effroi, entrez dans le séjour de la douleur, osez descendre un moment dans ces noirs cachots où la lumière du jour ne pénètre jamais; et sous des traits défigurés contemplez vos semblables, meurtris de leurs fers, à demi couverts de quelques lambeaux, infectés d'un air qui ne se renouvelle jamais, et semble s'imbiber du venin du crime; rongés vivants des mêmes insectes qui dévorent les cadavres dans leurs tombeaux, nourris à peine de quelques substances grossières distribuées avec épargne; sans cesse consternés des maux de leurs malheureux compagnons, et des menaces d'un impitoyable gardien; moins effrayés du supplice que tourmentés de son attente; dans ce long martyre de tous leurs sens, ils appellent à leur ecours une mort plus douce que leur vie infortunée. Si ces hommes sont coupables, ils sont encore dignes de pitié, et le magistrat qui diffère leur jugement est manifestement injuste à leur égard. La loi a prononcé un châtiment public qui doit suffire à la réparation de leur crime, et à la satisfaction de la société; ce long tourment d'une prison cruelle est une peine nouvelle dont il surchar le coupable, et c'est violer la loi que d'en excéder la mesure; excès d'autant plus funeste, qu'il nuit à la fois au coupable et au public, et que tous les moments consumés dans une prison sont perdus pour l'exemple des mœurs. Mais si ces hommes sont innocents, ô douleur! ô pitié! à cette idée, l'humanité pousse du fond du cœur un cri terrible et tendre. Quoi! cet homme né libre gémit sous le poids des fers! Cet homme, à qui la lumière et l'air du ciel étaient destinés, respire à peine dans un cachot; ce père de famille est arraché avec violence des bras de son épouse et de ses enfants! Le deuil, le désespoir et la faim se sont emparés de sa tu qu de habitation; ces bras qui tenaient embrassées une épouse tendre, une progéniture naissante; ces bras qui leur donnaient la subsistance, qui semaient, qui recueillaient; ces bras si nécessaires à l'État, sont indignement liés; un cœur pur et sans reproche est dans des lieux souillés de remords; l'innocence, en un mot, est dans le séjour du crime: c'est là qu'on ne peut s'empêcher de gémir profondément sur les malheurs de l'humaine condition; c'est là qu'en jetant les yeux vers la Providence, on dit avec autant d'amertume que d'étonnement: O homme! quelle est ta destinée! souffrir et mourir, voilà donc les deux grands termes de ta carrière! SERVAN. Discours sur l'administration de la justice criminelle. VIE PRIVÉE DE FÉNÉLON. Son humeur était égale, sa politesse affectueuse et simple, sa conversation féconde et animée. Une gaieté douce tempérait en lui la dignité de son ministère, et le zèle de la religion n'eut jamais chez lui ni sécheresse, ni amertume. Sa table était ouverte, pendant la guerre, à tous les officiers ennemis ou nationaux que sa réputation attirait en foule à Cambray. Il trouvait encore des moments à leur donner, au milieu des devoirs et des fatigues de l'épiscopat. Son sommeil était court, ses repas d'une extrême frugalité, ses mœurs d'une pureté irréprochable. Il ne connaissait ni le jeu ni l'ennui : son seul délassement était la promenade; encore trouvait-il le secret de la faire rentrer dans ses exercices de bienfaisance. S'il rencontrait des paysans, il se plaisait à les entretenir. On le voyait assis sur l'herbe au milieu d'eux, comme autrefois saint Louis sous le chêne de Vincennes. Il entrait même dans leurs cabanes, et recevait avec plaisir tout ce que lui offrait leur simplicité hospitalière. Sans doute ceux qu'il honora de semblables visites racontèrent plus d'une fois à la génération qu'ils virent naitre, que leur toit rus, que avait reçu Fénélon. LAL XPE. Éloge de Fénélon. LE CLERGÉ DE FRANCE. La plupart de nous ont vu encore debout ce, magnifique édifice, cet ouvrage du ciel, du temps, de nos rois, et de nos pères, cette belle portion de la grandeur nationale que la France était fière de montrer à l'Europe, ce monument tout ensemble de richesse, de puissance, d'autorité, de vertu, de gloire et de génie, qui s'était surtout si majestueusement élevé dans le grand siècle, et à côté du grand roi; providence visible qui balançait à elle seule, par la toute-puissance de ses dons, les calamités publiques, rivalisant avec les peuples de fidélité envers le trône, et avec le trône de bienfaisance et de bonté pour les peuples; corps illustre autant qu'utile, qui, ne retenant de la haute naissance de quelques-uns de ses chefs, que l'honneur sans orgueil, paraissait être l'abrégé de la société entière, dont il était l'âme et le lien moral, puisqu'il appelait à ses dignités et à ses récompenses, à côté du fils des princes, le fils de l'artisan recommandé par la vertu et le talent; semblable en tout à cette heureuse et puissante monarchie dont il était le plus ferme appui, on eût dit que, conformément à l'inévitable loi des élévations et des décadences humaines, il était averti de son danger par sa grandeur, et menacé de sa ruine par l'excès même de sa bienfaisante prospérité. Ses débris ont encore conquis au nom français et à la cause de la légitimité l'estime et l'admiration de l'Europe hospitalière: le clergé de France, comme s'il eût voulu surpasser, en finissant, l'éclat de sa longue vie, offrit de remplir seul ce déficit dans leque on l'a précipité lui-même, non pas pour le combler, mais pour le creuser davantage. Ainsi, il apparaîtra à jamais en avant des malheurs et des crimes de la révolution, dont la rage allait bientôt mêler le sang des martyrs sacrés au sang du martyr royal; il sera béni par les regrets de l'histoire, plus que jamais vivante et fidèle image du Dieu qui semblait, par la voix de ses ministres, redevenus des prophètes, vouloir encore une fois avertir les Français de conjurer l'orage, avant de lui permettre de dévorer la terre. ROUX DE LABORIE. LA NATURE BRUTE ET LA NATURE CULTIVÉE. La nature est le trône extérieur de la magnificence divine. L'homme qui la contemple, qui l'étudie, s'élève par degrés au trône intérieur de la toute-puissance. Fait pour adorer le Créateur, il commande à toutes les créatures; vassał du ciel, roi de la terre, il l'ennoblit, la peuple et l'enrichit; il établit entre les êtres vivants l'ordre, la subordination, l'harmonie; il embellit la nature même; illa cultive, l'étend et la polit, en élague le chardon et la ronce, y multiplie le raisin et la rose. Voyez ces plages désertes, ces tristes contrées où l'homme n'a jamais résidé, couvertes ou plutôt hérissées de bois épais et noirs, dans toutes les parties élevées; des arbres sans écorce et sans cime, courbés, rompus, tombants de vétusté; d'autres, en plus grand nombre, gisants au pied des premiers, pour pourrir sur des monceaux déjà pourris, étouffent, ensevelissent les germes prêts à éclore. La nature, qui partout ailleurs brille par sa jeunesse, paraît ici dans la décrépitude; la terre, surchargée par le poids, surmontée par les débris de ses productions, n'offre, au lieu d'une verdure florissante, qu'un espace encombré, traversé de vieux arbres chargés de plantes parasites, de lichens, d'agarics, fruits impurs de la corruption. Dans toutes les parties basses, des caux mortes, croupissantes, faute d'être conduites et dirigées; des terrains fangeux, qui, n'étant ni solides, ni liquides, sont inabordables, et demeurent également inutiles aux habitants de la terre et des eaux: des marécagés qui, couverts de plantes aquatiques et fétides, ne nourrissent que des insectes venimeux, et servent de repaire aux animaux immondes.. Entre ces marais infects qui occupent les lieux bas, et les forêts décrépites qui couvrent les terres élevées, s'étendent des espèces de landes, des savanes, qui n'ont rien de commun avec nos prairies; les mauvaises herbes y surmontent, y étouffent les bonnes : ce n'est point ce gazon fin qui semble faire le duvet de la terre; ce n'est point cette pelouse émaillée qui annonce sa brillante fécondité; ce sont des végétaux agrestes, des herbes dures, épineuses, entrelacées les unes dans les autres, qui semblent moins tenir à la terre qu'elles ne tiennent entre elles, et qui, se desséchant et repoussant successivement les unes sur les autres, forment une bourre grossière, épaisse de plusieurs pieds. Nulleroute, nulle communication, nul vestige d'intelligence dans ces lieux sauvages. L'homme, obligé de suivre les sentiers de la bête féroce, s'il veut les parcourir, est contraint de veiller sans cesse pour éviter d'en devenir la proie; effrayé de leurs rugissements, saisi du silence même de ces profondes solitudes, il rebrousse chemin, et dit: La nature brute ⚫est hideusė et mourante: c'est moi seul qui ⚫ peux la rendre agréable et vivante. Desséchons ces marais, animons ces eaux mortes, en les 4 ⚫ avec le fer ce que le feu n'aura pu consumer: < bientôt, au lieu du jone, du nénufar, dont < le crapaud composait son venin, nous verrons paraître la renoncule, le trèfle, les herbes douces et salutaires; des troupeaux d'animaux <bondissants fouleront cette terre jadis impra<ticable; ils y trouveront une subsistance abon◄ dante, une pâture toujours renaissante; ils se < multiplieront pour se multiplier encore. Ser vons-nous de ces nouveaux aides pour achever < notre ouvrage; que le bœuf soumis au joug < emploie ses forces et le poids de sa masse à sil<*lonner la terre; qu'elle rajeunisse par la culture: une nature nouvelle va sortir de nos mains. › Qu'elle est belle cette nature cultivée! Que, par les soins de l'homme, elle est brillante et pompeusement parée ! II en fait lui-même le principal ornement: il en est la production la plus noble: en se multipliant, il en multiplie le germe le plus précieux: elle-même aussi semble se multiplier avec lui; il met au jour par son art tout ce qu'elle recélait dans son sein. Que de trésors ignorés! que de richesses nouvelles! Les fleurs, les fruits, les grains perfectionnés, multipliés à l'infini; les espèces utiles d'animaux transportées, propagées, augmentées sans nombre; les espèces nuisibles réduites, confinées, reléguées : l'or, et le fer plus nécessaire que l'or, tirés des entrailles de la terre; les torrents contenus, les fleuves dirigés, resserrés; la mer soumise, reconnue, traversée d'un hémisphère à l'autre; la terre accessible partout, partout rendue aussi vivante que féconde; dans les vallées, de riantes prairies; dans les plaines, de riches pâturages ou des moissons encore plus riches; les collines chargées de vignes et de fruits, leurs sommets couronnés d'arbres utiles et de jeunes forts; les déserts, devenus des cités habitées par un peuple immense, qui, circulant sans cesse, se répand de ces centres jusqu'aux extrémités; des routes ouvertes ou fréquentées, des communications établies partout, comme autant de témoins de la force et de l'union de la société: mille autres monuments de puissance et de gloire démontrent assez que l'homme, maître du domaine de la terre, en a changé, renouvelé la surface entière, et que de tout temps il partage l'empire avec la nature. Cependant il ne règne que par droit de conquête; il jouit plutôt qu'il ne possède, il ne conserve que par des soins toujours renouvelés. S'ils. cessent, tout languit, tout s'altère, tout change, faisant couler: formons-en des ruisseaux, des tout rentre sous la main de la nature: elle re⚫ canaux: employons cet élément actif et dévoprend ses droits, effacę les ouvrages de l'homme, ⚫rant qu'on nous avait caché, et que nous ne couvre de poussière et de mousse ses plus fas• devons qu'à nous-mêmes; mettons le feu à tueux monuments, les détruit avec le temps, et • cette bourre superflue, à ces vieilles forêts ne lui laisse que le regret d'avoir perdu, par sa ⚫ déjà à demi consumées; achevons de détruire | faute, ce que ses ancêtres avaient conquis par enchanté, tantôt d'agrestes solitudes, tantôt de | pant, ne contrarie, ne blesse pas l'être qui se démagnifiques paysages; ici, de doux et secrets ❘veloppe à côté de lui; c'est que si, dans ce leurs travaux. Ces temps où l'homme perd son domaine, ces siècles de barbarie pendant lesquels tout périt, sont toujours préparés par la guerre, et arrivent avec la disette et la dépopulation. L'homme, qui ne peut que par le nombre, qui n'est fort que parsa réunion, quin'est heureux que par la paix, a la fureur de s'armer pour son malheur, et de combattre pour sa ruine: excité par l'insatiable avidité, aveuglé par l'ambition encore plus insatiable, il renonce aux sentiments d'humanité, tourne toutes ses forces contre luimême, cherche à s'entre-détruire, se détruit en effet; et, après des jours de sang et de carnage, lorsque la fumée de la gloire s'est dissipée, il voit d'un œil triste la terre dévastée, les arts ensevelis, les nations dispersées, les peuples affaiblis, son propre bonheur ruiné, et sa puissance réelle anéantie 1. BUFFON. Histoire naturelle. L'ORDRE ET LE DÉSORDRE DANS LE MONDE PHYSIQUE. Qu'est-ce que l'ordre et le désordre dans le monde physique? Pénétrons ensemble dans cette vallée qui se prolonge devant nous. Des monts sourcilleux en protégent l'enceinte; leurs sommets, couverts d'une neige éternelle, étincellent au loin, resplendissants de tous les feux de l'astre du jour; au-dessous de la région des neiges, et à des hauteurs inégales, une immense forêt de pins se déploie, dont les feuillages sombres rehaussent encore l'éclat de la zone brillante qu'elle termine; plus bas, les teintes deviennent moins sévères. Des collines, plus ou moins élevées, appuient leurs croupes verdoyantes sur les flancs des montagnes, et dans leur développement pittoresque, offrent à l'œil sont des champs cultivés, qui se couvrent, suivant la saison, de légumes savoureux ou de moissons abondantes, tandis qu'au fond de la vallée, de superbes troupeaux errent dans de vastes pâturages, interrompus çà et là par des touffes d'églantiers, des plantations d'aunes toujours frais, ou des saules robustes, dont la cognée destructive a respecté les rameaux. C'est ici le séjour de la paix profonde et de l'innocente joie. Quelle expression de bonheur est répandue sur la physionomie de ces femmes, de ces enfants, de ces vieillards réunis auprès de leurs demeures champêtres, et se livrant, en commun, à des occupations convenables à leur sexe, ou proportionnées à leurs forces! Quel mélange de noblesse et de sérénité, de confiance naïve et de bonté courageuse dans les traits de ces jeunes gens qui, sous les yeux de leurs heureuses familles, se partagent entre eux les travaux de la culture, ou le soin des troupeaux! Entendezvous ces accents prolongés, ces chants mélodieux, ces murmures, ces sons, ces voix ineffables, qui, s'élevant de toutes les profondeurs de cette terre fortunée, célèbrent, comme à l'envi, l'éternel et inépuisable auteur de tant de biens? Qu'il est touchant, qu'il est sublime ce concert solennel d'hommage et de reconnaissance!... Or, maintenant, à l'aspect d'une scène. si imposante et si romantique, d'où naît l'involontaire et douce émotion dont vous êtes agité? D'où vient qu'ici vos organes ont plus de mouvement, plus de liberté, plus de jeu? D'où vient que vos pensées sont plus élevées, plus pures, votre sensibilité plus expansive, plus calme, vos facultés plus agissantes? D'où vient qu'ici vous vivez davantage? c'est qu'ici tout est réalité, tout est vie; c'est qu'ici chaque être, en se dévelop asiles; là, des perspectives lointaines, dont les traits fugitifs viennent se perdre dans l'azur des cieux, ou se refléter mollement dans les ondulations incertaines du lac majestueux qui borne l'horizon. Des eaux, pures comme l'air que vous respirez, s'échappent des réservoirs supérieurs qui les alimentent; et, distribuées en ruisseaux limpides, ou en cascades argentées, elles ajoutent, par leurs effets divers, au charme de la contrée. Voyez comme ces cabanes dispersées se groupent agréablement avec les masses de verdure qui les environnent. Chacune est abritée contre le vent du nord ou la chaleur importune du midi, par des bosquets d'ormes, de hêtres, de chênes verts; chacun a son verger qu'enclôt une double haie vive, entremêlée d'arbustes odorants; au-devant 1 Voyez Tableaux en vers. magnifique tableau, les nuances, les couleurs, les oppositions, les contrastes, les formes, sont infinis, vous n'y découvrez néanmoins rien de discordant, rien de heurté, rien qui arrête péniblement vos regards; en un mot, c'est qu'ici se manifeste dans toute sa majesté, dans toute sa richesse, cet ordre puissant de la nature, dont le propre, comme vous le voyez, est de donner à chaque chose son harmonie, c'est-à-dire, la plénitude de son être et de ses rapports, et, avec toutes les harmonies particulières qu'il produit, de composer sans cesse de harmonies nouvelles, progressivement plus variées et plus étendues. Mais un bruit imprévu se fait entendre. Du sommet des montagnes se précipite avec fracas une avalanche redoutable. Sa masse énorme brise, froisse, bouleverse toutes les couches d'air qu'elle parcourt dans sa chute: les vents naissent de ce |