Funeste aux gens de bien, aux riches, au sénat, Le fils tout dégouttant du meurtre de son père, Vous dirai-je les noms de ces grands personnages PASSAGE DU RHIN. Au pied du mont Adule, entre mille roseaux o, Le Rhin, tranquille et fier du progrès de ses eaux, Appuyé d'une main sur son urne penchante, Dormait au bruit flatteur de son onde naissante, Lorsqu'un cri tout à coup suivi de mille cris Vient d'un calme si doux retirer ses esprits. Il se trouble, il regarde; et partout, sur ses rives, Il voit fuir à grands pas ses naïades craintives, Qui toutes accourant vers leur humide roi, Par un récit affreux redoublent son effroi. It apprend qu'un héros, conduit par la victoire, A de ces bords fameux flétri l'antique gloire; Que Rhinberg et Wesel, terrassés en deux jours, D'un joug dejà prochain menacent tout son cours. • Nous l'avons vu, dit l'une, affronter la tempête De cent foudres d'airain tournés contre sa tête : Il marche vers Tholus, et tes flots en courroux, Au prix de sa fureur, sont tranquilles et doux: Il a de Jupiter la taille et le visage; Et, depuis ce Romain, dont l'insolent passage Sur un pont, en deux jours, trompa tous tes efforts, Jamais rien de si grand n'a paru sur tes bords 4. › Le Rhin tremble et frémit à ces tristes nouvelles; Le feu sort à travers ses humides prunelles. « C'est donc trop peu, dit-il, que l'Escaut en deux mois Ait appris à couler sous de nouvelles lois; Et de mille remparts mon onde environnée, De ces fleuves sans nom suivra la destinée! Voyez Discours. * Adule est le nom latin du mont Saint-Gothard, où le Ruin prend sa source. (N. Ε.) 3 Tolhius, village sur la rive gauche du Rhin, au-dessus du Ah! périssent mes eaux! ou, par d'illustres coups • Grands arbitres, dit-il, des querelles des rois, Ce discours d'un guerrier que la colère enflamme Ressuscite l'honneur déjà mort en leur âme; Et. leur cœur s'allumant d'un reste de chaleur, La honte fait en eux l'effet de la valeur. Ils marchent droit au fleuve où Louis en personne, Déjà prêt à passer, instruit, dispose, ordonne. Par son ordre, Grammout, le premier dans les flots, S'avance soutenu des regards du héros. Son coursier écumant, sous un maître intrépide, Nage tout orgueilleux de la main qui le guide. Revel le suit de près; sous ce chef redouté Marche des cuirassiers l'escadron indompté. Mais déjà devant eux une chaleur guerrière Emporte loin du bord le bouillant Lesdiguière, Vivone, Nantouillet, Coeslin, et Salard : Chacun d'eux au péril veut la première part. Vendôme, que soutient l'orgueil de sa naissance, Au même instant dans l'onde impatient s'élance. La Salle, Beringhen, Nogen, d'Ambre, Cavoix, Fendent les flots tremblants sous un si noble poids. Louis, les animant du feu de son courage, Se plaint de sa grandeur qui l'attache au rivage : Par ses soins cependant, trente légers vaisseaux D'un tranchant aviron déjà coupent les eaux; Cent guerriers s'y jetant signalent leur audace. Le Rhin les voit d'un œil qui porte la menace. Il s'avance en courroux; le plomb vole à l'instant. Il pleut de toutes parts sur l'escadron flottant. Du salpêtre en fureur l'air s'échauffe et s'allume, Et des coups redoublés tout le rivage fume. Déjà du plomb mortel plus d'un brave est atteint. Sous les fougueux coursiers l'onde écume et se plaint. De tant de coups affreux la tempête orageuse Tient un temps sur les eaux la fortune douteuse; Mais Louis, d'un regard sait bientôt la fixer: Le destin à ses yeux n'oserait balancer. Bientôt avec Grammont coureut Mars et Bellone. Le Rhin, à leur aspect, d'épouvante frissonne, fort de Skink. C'est à Tolhius que Français passèrent le Rhin à la nage. (N.E) 4 Jules-César. (N. E.) Quand, pour nouvelle alarme à ses esprits glacés, BOILEAU. Épitre iv. MÊME SUJET. Le grand nom de Louis et son illustre vie Il range cependant ses troupes au rivage, CORNFILLE. Les victoires du roi en 1672, LOUIS IX EXPLIQUE A JOINVILLE 2 LES CAUSES ET LES Qu'entends-je? il est donc vrai, Joinville aussi me 1 Don Juan d'Autriche, et le duc d'Albe: le premier, fameux par le gain de la bataille contre les Turcs en 1571, et le second, par sa conduite comme gouverneur des Pays-Bas à la même époque. (Ν.Ε.) Dans son premier essor arrêtaient l'industrie. ANCELOT. Louis IX, act. 1, sc. III. L'HORREUR DES GUERRES CIVILES. D'Ailly portait partout la crainte et le trépas, 2 Jean, sire de Joinville, naquit vers 1223. Il s'embarqua pour la terre sainte avec Louis IX, en 1248: il a laissé des mémoires fort curieux sur le règne de ce prince. Il mourut vers 1317. (Ν. Ε.) D'un tendre hymen à peine il goûtait les appas; Il marche vers d'Ailly dans sa fureur guerrière; Mais loin de leurs coursiers', par un subit effort, Ces guerriers malheureux cherchent une autre mort. Déjà brille en leurs mains le fatal cimeterre. La Discorde accourut; le démon de la guerre, La Mort påle et sanglante, étaient à ses côtés. Malheureux! suspendez vos coups précipités!... Mais un destin funeste enflamme leur courage; Dans le cœur l'un de l'autre ils cherchent un passage, Dans ce cœur ennemi qu'ils ne connaissent pas. Le fer qui les couvrait brille et vole en éclats; Sous les coups redoublés leur cuirasse étincelle; Leur sang qui rejaillit rougit leur main cruelle; Leur bouclier, leur casque, arrêtant leur effort, Pare encor quelques coups, et repousse la mort. Chacun d'eux, étonné de tant de résistance, Respectait son rival, admirait sa vaillance. Enfin le vieux d'Ailly, par un coup malheureux, Il le voit, il l'embrasse: hélas! c'était son fils. Il s'arrache, en tremblant, de ce lieu plein d'horreur; Du héros expirant la jeune et tendre amante, Est-ce toi, cher amant? Ces mots interrompus, Ces cris demi-formés ne sont point entendus. Elle rouvre les yeux, sa bouche presse encore Par ses derniers baisers la bouche qu'elle adore : Elle tient dans ses bras ce corps pâle et sanglant, Le regarde, soupire, et meurt en l'embrassant. Père, époux malheureux, famille déplorable, Des fureurs de ce temps exemple lamentable, COMBAT DE RODRIGUE CONTRE LES MORES. Cette obscure clarté qui tombe des étoiles Enfin avec le flux nous fait voir trente voiles. L'onde s'enflait dessous, et, d'un commun effort, Les Mores et la mer entrèrent dans le port. On les laisse passer; tout leur paraît tranquille; Point de soldats au port, point aux murs de la ville. Notre profond silence abusant leurs esprits, Ils n'osent plus douter de nous avoir surpris : Ils abordent sans peur; ils ancrent, ils descendent, Et courent se livrer aux mains qui les attendent. Nous nous levons alors, et tous en même temps Poussons jusques au ciel mille cris éclatants; Les nôtres au signal de nos vaisseaux répondent; Ils paraissent armés; les Mores se confondent; L'épouvante les prend à demi descendus; Avant que de combattre, ils s'estiment perdus. Ils couraient au pillage, et rencontrent la guerre. Nous les pressons sur l'eau, nous les pressons sur terre; Et nous faisons courir des ruisseaux de leur sang, Avant qu'aucun résiste, ou reprenne son rang. Mais bientôt, malgré nous, leurs princes les rallient; Leur courage renaît et leurs terreurs s'oublient; La honte de mourir sans avoir combattu Arrête leur désordre, et leur rend leur vertu. Contre nous de pied ferme ils tirent leurs épées; Des plus braves soldats les trames sont coupées, Et la terre et le fleuve, et leur flotte et le port, Sont des champs de carnage où triomphe la mort. Oh! combien d'actions, combien d'exploits célèbres Sont demeurés sans gloire au milieu des ténèbres, Où chacun, seul témoin des grands coups qu'il donnait, Ne pouvait discerner où le sort inclinait! J'allais de tous côtés encourager les nôtres, Faire avancer les uns, et soutenir les autres; Ranger ceux qui venaient, les pousser à leur tour, Et n'en pus rien savoir jusques au point du jour. Mais enfin sa clarté montra notre avantage; Le More vit sa perte, et perdit le courage; Et, voyant un renfort qui nous vint secourir, Changea l'ardeur de vaincre en la peur de mourir. Ils gagnent leurs vaisseaux, ils en coupent les câbles, Nous laissent pour adieux des cris epouvantables, Font retraite en tumulte, et sans considérer Si leurs rois avec eux ont pu se retirer. Ainsi leur devoir cède à la frayeur plus forte; Le flux les apporta, le reflux les remporte. Cependant que leurs rois engagés parmi nous, Et quelque peu des leurs tous percés de nos coups, Disputent vaillamment, et vendent bien leur vie, A se rendre moi-même en vain je les convie; Le cimeterre au poing, ils ne m'écoutent pas; Mais, voyant à leurs pieds tomber tous leurs soldats, Et que seuls désormais en vain ils se défendent, Ils demandent le chef: je me nomme; ils se rendent. Je vous les envoyai tous deux en même temps, Et le combat cessa faute de combattants 1. CORNEILLE. Le Cid, act. iv, scène III. 1 Voyez les Récits ou Descriptions de combats, prose c vers, DERNIER COMBAT DE MITHRIDATE CONTRE LES ROMAINS. Il vit 1, chargé de gloire, accablé de douleurs; Le roi, trompé lui-même, en a versé des larmes : D'abord il a tenté les atteintes mortelles Qui pourrait exprimer par quels faits incroyables, Et, marquant à mon bras la place de son cœur, RACINE. Mithridate, acte v, scène Iv. COMBAT DE TURENNE ET D'AUMALE. Paris, le roi, l'armée et l'enfer et les cieux, Sur ce combat illustre avaient fixé les yeux. Xipharès, Gls de Mithridate. Bientôt les deux guerriers entrent dans la carrière. O Dieu! cria Turenne, arbitre de mon roi, Mais la trompette sonne. Ils s'élancent tous deux; Ils commencent enfin ce combat dangereux. Tout ce qu'ont pu jamais la valeur et l'adresse, L'ardeur, la fermeté, la force, la souplesse, Parut des deux côtés en ce choc éclatant. Cent coups étaient portés et parés à l'instant. Tantôt avec fureur l'un d'eux se précipite; L'autre, d'un pas léger, se détourne et l'évite: Tantôt, plus rapprochés, ils semblent se saisir; Leur péril renaissant donne un affreux plaisir; On se plaît plaît à les voir s'observer et se craindre; Avancer, s'arrêter, se mesurer, s'atteindre: Le fer étincelant, avec art détourné, Par de feints mouvements trompe l'œil étonné. Telle on voit du soleil la lumière éclatante Briser ses traits de feu dans l'onde transparente, Et, se rompant encor par des chemins divers, De ce cristal mouvant repasser dans les airs. Le spectateur, surpris, et ne pouvant le croire, Voyait à tout moment leur chute et leur victoire. D'Aumale est plus ardent, plus fort, plus furieux; Turenne est plus adroit, et moins impétueux; Maître de tous ses sens, animé sans colère, Il fatigue à loisir son terrible adversaire. D'Aumale en vains efforts épuise sa vigueur: Bientôt son bras lassé ne sert plus sa valeur. Turenne, qui l'observe, aperçoit sa faiblesse; Il se ranime alors, il le pousse, il le presse: Enfin d'un coup mortel il lui perce le flanc; D'Aumale est renversé dans les flots de son sang. Il tombe, et de l'enfer tous les monstres frémirent; Ces lugubres accents dans les airs s'entendirent: De la Ligue à jamais le trône est renversé; « Tu l'emportes, Bourbon! notre règne est passé. » Tout le peuple y répond par un cri lamentable. D'Aumale, sans vigueur, étendu sur le sable, Menace encor Turenne, et le menace en vain; Sa redoutable épée échappe de sa main. Il veut parler; sa voix expire dans sa bouche: L'horreur d'être vaincu rend son air plus farouche. Il se lève, il retombe, il ouvre un œil mourant; Il regarde Paris, et meurt en soupirant. Tu le vis expirer, infortuné Mayenne! Tu le vis, tu frémis, et ta chute prochaine Dans ce moment affreux s'offrit à tes esprits. VOLTAIRE. Henriade, chant X. 2 Monime, femme de Mithridate. Oh! que d'écrits obscurs, de livres ignorés, Furent en ce grand jour de la poudre tirés! Vous en fûtes tirés, Almérinde et Simandre 5; Et toi, rebut du peuple, inconnu Caloandre, Dans ton repos, dit-on, saisi par Gaillerbois, Tu vis le jour alors pour la première fois. Chaque coup sur la chair laisse une meurtrissure. Déjà plus d'un guerrier se plaint d'une blessure. D'un Le Vayer 6 épais Giraud est renversé; Marineau, d'un Brébeuf, à l'épaule blessé, En sent par tout le bras une douleur amère, Et maudit la Pharsale aux provinces si chère. D'un Pinchêne in-quarto Dodillon étourdi A longtemps le teint pâle et le cœur afladi. Au plus fort du combat, le chapelain Garagne, Vers le sommet du front atteint d'un Charlemagne Des vers de ce poëme effet prodigieux! Tout prêt à s'endormir baille et ferme les yeux 8. A plus d'un combattant la Clélie est fatale; Giroux dix fois par elle éclate et se signale. Mais tout cède aux efforts du chanoine Fabri. Ce guerrier, dans l'église aux querelles nourri, Est robuste de corps, terrible de visage, Et de l'eau dans son vin n'a jamais su l'usage. Il terrasse lui seul et Guibert et Grasset, Et Gorillon la basse, et Grandin le fausset; Et Gerbais l'agréable, et Guérin l'insipide. Des chantres désormais la brigade timide S'écarte, et du palais regagne les chemins. Telle, à l'aspect d'un loup, terreur des champs voisins, Fuit d'agneaux effrayés une troupe bêlante; Ou tels, devant Achille, aux campagnes du Xanthe. Les Troyens se sauvaient à l'abri de leurs tours, Quand Brontin à Boisrude adresse ce discours: « Illustre porte-croix, par qui notre bannière «N'a jamais, en marchant, fait un pas en arrière, «Un chanoine, lui seul triomphant du prélat, « Du rochet à nos yeux ternira-t-il l'éclat? « Non, non; pour te couvrir de sa main redoutable, « Accepte de mon corps l'épaisseur favorable; « Viens; et, sous ce rempart, à ce guerrier hautain Fais voler ce Quinault qui me reste à la main. » A ces mots, il lui tend le doux et tendre cuvrage; Le sacristain, bouillant de zèle et de courage, Le prend, se cache, approche, et droit entre les yeux. Frappe du noble écrit l'athlète audacieux. Mais c'est pour l'ébranler une faible tempête; Le livre, sans vigueur, mollit contre sa tête. Le chanoine le voit, de colère embrasé : << Attendez, leur dit-il, couple lâche et rusé, « Et jugez, si ma main, aux grands exploits novice, « Lance à mes ennemis un livre qui mollisse. A ces mots, il saisit un vieux Infortiat, Grossi des visions d'Accurse et d'Alciat 9; Inutile ramas de gothique écriture, Dont quatre ais mal unis formaient la couverture, Entourée à demi d'un vieux parchemin noir, Où pendait à trois clous un reste de fermoir. Sur l'ais qui le soutient auprès d'un Avicenne 10, Deux des plus forts mortels l'ébranleraient à peine; COMBAT DU LUTRIN. Loin du bruit cependant, les chanoines à table Lorsque, d'un pied léger, la prompte Renommée, Par les détours étroits d'une barriè c oblique, Aussitôt contre Evrard vingt champions s'élancent; 1 La déesse de la chicane que le prélat, ennemi du chantre, venait de consulter. (N. E.) • Artamène ou le grand Cyrus, roman de Mlle de Scudéri. (Ν. Ε.) 3 Ouvrage de Régnier-Desmarets. La Montre d'Amour est un ouvrage de Bonnecorse. Le Jonas, un mauvais poëme du sieur Coras. 4 Misérable écrivain. 5 Caloandre, petit roman italien. traduit par Scudéri. 6 Lamothe Le Vayer, dont les ouvrages composaient deus vol. in-folio. 7 Étienne-Martin, sire de Pinchêne, neveu de Voiture, (Ν.Ε.) 8 Poëme héroique de Louis Le Laboureur. (N. E.) 9 Commentateurs de l'Infortiat, livre de droit d'une gros seur énorme. (N. E.) 10 Autcur arabe, qui a écrit sur la médecine. (N. R.) |