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Funeste aux gens de bien, aux riches, au sénat,
Et, pour tout dire enfin, de leur triumvirat.
Mais je ne trouve point de couleurs assez noires
Pour en représenter les tragiques histoires;
Je les peins dans le meurtre à l'envi triomphants;
Rome entière noyée au sang de ses enfants,
Les uns assassinés dans les places publiques,
Les autres dans le sein de leurs dieux domestiques;
Le méchant par le prix du crime encouragé,
Le mari par sa femme en son lit égorgé,

Le fils tout dégouttant du meurtre de son père,
Et, sa tête à la main, demandant son salaire;
Sans pouvoir exprimer par tant d'horribles traits,
Qu'un crayon imparfait de leur sanglante paix.

Vous dirai-je les noms de ces grands personnages
Dont j'ai dépeint les morts pour aigrir les courages;
De ces fameux proscrits, ces demi-dieux mortels,
Qu'on a sacrifiés jusque sur les autels?
Mais pourrai-je vous dire à quelle impatience,
A quels frémissements, à quelle violence,
Ces indignes trépas, quoique mal figurés,
Ont porté les esprits de tous nos conjurés?
Je n'ai point perdu temps, et voyant leur colère
Au point de ne rien craindre, en état de tout faire,
J'ajoute en peu de mots: Toutes ces cruautés,
La perte de nos biens et de nos libertés,
Le ravage des champs, le pillage des villes,
Et les proscriptions et les guerres civiles,
Sont les degrés sanglants dont Auguste a fait choix
Pour monter sur le trône, et nous donner des lois1.»
CORNEILLE, Cinna, acte jer, scène III.

PASSAGE DU RHIN.

Au pied du mont Adule, entre mille roseaux o, Le Rhin, tranquille et fier du progrès de ses eaux, Appuyé d'une main sur son urne penchante, Dormait au bruit flatteur de son onde naissante, Lorsqu'un cri tout à coup suivi de mille cris Vient d'un calme si doux retirer ses esprits. Il se trouble, il regarde; et partout, sur ses rives, Il voit fuir à grands pas ses naïades craintives, Qui toutes accourant vers leur humide roi, Par un récit affreux redoublent son effroi. It apprend qu'un héros, conduit par la victoire, A de ces bords fameux flétri l'antique gloire; Que Rhinberg et Wesel, terrassés en deux jours, D'un joug dejà prochain menacent tout son cours. • Nous l'avons vu, dit l'une, affronter la tempête De cent foudres d'airain tournés contre sa tête : Il marche vers Tholus, et tes flots en courroux, Au prix de sa fureur, sont tranquilles et doux: Il a de Jupiter la taille et le visage; Et, depuis ce Romain, dont l'insolent passage Sur un pont, en deux jours, trompa tous tes efforts, Jamais rien de si grand n'a paru sur tes bords 4. ›

Le Rhin tremble et frémit à ces tristes nouvelles; Le feu sort à travers ses humides prunelles. « C'est donc trop peu, dit-il, que l'Escaut en deux mois Ait appris à couler sous de nouvelles lois; Et de mille remparts mon onde environnée, De ces fleuves sans nom suivra la destinée!

Voyez Discours.

* Adule est le nom latin du mont Saint-Gothard, où le Ruin prend sa source. (N. Ε.)

3 Tolhius, village sur la rive gauche du Rhin, au-dessus du

Ah! périssent mes eaux! ou, par d'illustres coups
Montrons qui doit céder, des mortels ou de nous. >
A ces mots, essuyant sa barbe limoneuse,
Il prend d'un vieux guerrier la figure poudreuse;
Son front cicatrisé rend son air furieux,
Et l'ardeur du combat étincelle en ses yeux.
En ce moment il part, et, couvert d'une nue,
Du fameux fort de Skink prend la route connue.
Là, contemplant son cours, il voit de toutes parts
Ses pâles défenseurs par la frayeur épars.
Il voit cent bataillons, qui, loin de se défendre,
Attendent sur des murs l'ennemi pour se rendre.
Confus, il les aborde, et renforçant sa voix :

• Grands arbitres, dit-il, des querelles des rois,
Est-ce ainsi que votre âme, aux périls aguerrie,
Soutient sur ces remparts l'honneur et la patrie?
Votre ennemi superbe, en cet instant fameux,
Du Rhin, près de Tholus, fend les flots écumeux.
Du moins, en vous montrant sur la rive opposée,
N'oseriez-vous saisir une victoire aisée?
Allez, vils combattants, inutiles soldats,
Laissez là ces mousquets trop pesants pour vos bras;
Et, la faux à la main, parmi vos marécages,
Allez couper vos joncs et presser vos laitages;
Ou, gardant les seuls bords qui vous peuvent couvrir,
Avcc moi, de ce pas, venez vaincre au mourir.

Ce discours d'un guerrier que la colère enflamme Ressuscite l'honneur déjà mort en leur âme; Et. leur cœur s'allumant d'un reste de chaleur, La honte fait en eux l'effet de la valeur. Ils marchent droit au fleuve où Louis en personne, Déjà prêt à passer, instruit, dispose, ordonne. Par son ordre, Grammout, le premier dans les flots, S'avance soutenu des regards du héros. Son coursier écumant, sous un maître intrépide, Nage tout orgueilleux de la main qui le guide. Revel le suit de près; sous ce chef redouté Marche des cuirassiers l'escadron indompté. Mais déjà devant eux une chaleur guerrière Emporte loin du bord le bouillant Lesdiguière, Vivone, Nantouillet, Coeslin, et Salard : Chacun d'eux au péril veut la première part. Vendôme, que soutient l'orgueil de sa naissance, Au même instant dans l'onde impatient s'élance. La Salle, Beringhen, Nogen, d'Ambre, Cavoix, Fendent les flots tremblants sous un si noble poids. Louis, les animant du feu de son courage, Se plaint de sa grandeur qui l'attache au rivage : Par ses soins cependant, trente légers vaisseaux D'un tranchant aviron déjà coupent les eaux; Cent guerriers s'y jetant signalent leur audace.

Le Rhin les voit d'un œil qui porte la menace. Il s'avance en courroux; le plomb vole à l'instant. Il pleut de toutes parts sur l'escadron flottant. Du salpêtre en fureur l'air s'échauffe et s'allume, Et des coups redoublés tout le rivage fume. Déjà du plomb mortel plus d'un brave est atteint. Sous les fougueux coursiers l'onde écume et se plaint. De tant de coups affreux la tempête orageuse Tient un temps sur les eaux la fortune douteuse; Mais Louis, d'un regard sait bientôt la fixer: Le destin à ses yeux n'oserait balancer. Bientôt avec Grammont coureut Mars et Bellone. Le Rhin, à leur aspect, d'épouvante frissonne,

fort de Skink. C'est à Tolhius que Français passèrent le Rhin à la nage. (N.E)

4 Jules-César. (N. E.)

Quand, pour nouvelle alarme à ses esprits glacés,
Un bruit s'épand qu'Enghien et Condé sont passés;
Condé dont le seul nom fait tomber les murailles,
Force les escadrons et gagne les batailles;
Enghien, de son hymen le seul et digne fruit,
Par lui, dès son enfance, à la victoire instruit.
L'ennemi renversé fuit et gagne la plaine;
Le dien lui-même cède au torrent qui l'entraîne,
Et seul, désespéré, pleurant ses vains efforts,
Abandonne à Louis la victoire et ses bords.

BOILEAU. Épitre iv.

MÊME SUJET.

Le grand nom de Louis et son illustre vie
Aux champs Elysiens font descendre l'envie,
Qui pénètre à tel point les mânes des héros,
Que, pour s'en éclaircir, ils quittent leur repos.
On voit errer partout ces ombres redoutables
Qu'arrêtèrent jadis ces bords impénétrables:
Drusus marche à leur tête, et se poste au fossé
Que, pour joindre l'Yssel au Rhin, il a tracé;
Varus le suit tout pâle, et semble, dans ces plaines,
Chercher le reste affreux des légions romaines;
Son vengeur après lui, le grand Germanicus,
Vient voir comme on vaincra ceux qu'il n'a pas vaincus:
Le fameux Jean d'Autriche, et le cruel Tolède,
Sous quides maux sigrands crûrent par leur remède 1;
L'invincible Farnèse et les vaillants Nassaus,
Fiers d'avoir tant livré, tant soutenu d'assauts,
Reprennent tous leur part au jour qui nous éclaire,
Pour voir faire à mon roi ce qu'eux tous n'ont pu faire,
Eux-mêmes s'en convaincre, et d'un regard jaloux
Admirer un héros qui les efface tous.

Il range cependant ses troupes au rivage,
Mesure de ses yeux Tholus et le passage,
Et voit de ces héros ibères et romains
Voltiger tout autour les simulacres vains :
Cette vue en son sein jette une ardeur nouvelle
D'emporter une gloire et si hante et si belle,
Que, devant ces témoins à le voir empressés,
Elle ait de quoi ternir tous les siècles passés.

CORNFILLE. Les victoires du roi en 1672,
imité du latin du P. La Rue.

LOUIS IX EXPLIQUE A JOINVILLE 2 LES CAUSES ET LES
EFFETS DE SON EXPÉDITION DE TERRE SAINTE.

Qu'entends-je? il est donc vrai, Joinville aussi me
[blâme!
Mais sais-tu quels desseins je renferme en mon âme?
Sais-tu si les combats où je vous ai guidés
Par de grands intérêts n'étaient pas commandés?
Tu ne vois que des maux, ton désespoir m'accuse;
Eh bien! lis dans mon cœur, et connais mon excuse:
Vainement, tu le sais, au sein de nos remparts,
Je voulus appeler le commerce et les arts.
Ces comtes qui du haut de leurs châteaux antiques
Font gémir mes sujets sous leurs lois despotiques,
Tyrans dans mon royaume, et vassaux turbulents,
Sans relâche occupés de leurs débats sanglants,
Détruisaient mes travaux, déchiraient la patrie,

1 Don Juan d'Autriche, et le duc d'Albe: le premier, fameux par le gain de la bataille contre les Turcs en 1571, et le second, par sa conduite comme gouverneur des Pays-Bas à la même époque. (Ν.Ε.)

Dans son premier essor arrêtaient l'industrie.
Divisés d'intérêts, unis contre leur roi,
Je les trouvais sans cesse entre mon peuple et moi.
Signalant tour à tour leurs fureurs inhumaines,
Ils promenaient la mort dans leurs vastes domaines,
Et des soldats français, l'un par l'autre immolés,
Le sang coulait sans gloire en nos champs désolés.
Je voulus, des combats leur ouvrant la carrière,
Offrir un but plus noble à cette ardeur guerrière :
Tu te souviens qu'alors de pieux voyageurs,
Pour nos frères captifs captifs implorant des vengeurs,
D'un zèle saint en nous ranimèrent la flamme.
Aux regards des Français déployant l'oriflamine,
Je leur montre la gloire aux rives du Jourdain;
Ils entendent ma voix, s'arrêtent, et soudain
Oubliant leurs discords, et déposant leurs haines,
Ils marchent réunis vers ces plages lointaines.
Quels plus nobles dangers leur pouvaient être offerts
Délivrer les chrétiens gémissant dans les fers,
Rendre Jérusalem à sa splendeur première,
En chasser l'infidèle, et rompre la barriere
Qui du tombeau sacré nous défendait l'accès,
Tel devait être, ami, le fruit de nos succès.
Là s'arrètaient vos vœux, et non mon espérance.
Jette avec moi, Joinville, un regard sur la France;
Avant de condamner les serments que j'ai faits,
De ces combats lointains contemple les effets :
Libre de ses tyrans, mon peuple enfin respire;
La paix renaît en France, et la discorde expire:
Le commerce, avec nous transporté sur ces bords,
Aux peuples rapprochés prodigue ses trésors;
L'aspect de ces climats, depuis longtemps célèbres,
Déjà de l'ignorance éclaircit les ténèbres,
Et sur nos pas les arts, allumant leur flambeau,
Vont remplir l'Occident de leur éclat nouveau.
Déjà des grands vassaux l'autorité chancelle:
Je sais ce qu'entreprend leur audace rebelle,
Joinville; et, m'instruisant aux leçons du passé,
Je suivrai le chemin que Philippe a tracé.
Aux tyrans de mon peuple arrachant leur puissance,
Éveillant la justice, enchaînant la licence,
Au secours de mes lois j'appellerai les mœurs,
Je contiendrai les grands, et, malgré leurs clameurs,
Père de mes sujets, détruisant l'anarchie,
Je veux sur ses débris asseoir la monarchie.
Si Dieu, marquant ici le terme de mes jours,
Veut de tous mes travaux interrompre le cours,
Aux rois qui me suivront j'aurai frayé la route:
Vers ce but glorieux ils marcheront sans doute;
Et quelque jour, mon peuple, éclairé sur ses droits,
Chérira ma mémoire, et bénira mes lois.

ANCELOT. Louis IX, act. 1, sc. III.

L'HORREUR DES GUERRES CIVILES.

D'Ailly portait partout la crainte et le trépas,
D'Ailly tout orgueilleux de trente ans de combats,
Et qui, dans les horreurs de la guerre cruelle,
Reprend, malgré son âge, une force nouvelle.
Un seul guerrier s'oppose à ses coups menaçants :
C'est un jeune héros à la fleur de ses ans,
Qui, dans cette journée illustre et meurtrière,
Commençait des combats la fatale carrière;

2 Jean, sire de Joinville, naquit vers 1223. Il s'embarqua pour la terre sainte avec Louis IX, en 1248: il a laissé des mémoires fort curieux sur le règne de ce prince. Il mourut vers 1317. (Ν. Ε.)

D'un tendre hymen à peine il goûtait les appas;
Favori des amours, il sortait de leurs bras.
Honteux de n'être encor fameux que par ses charmes,
Avide de la gloire, il volait aux alarmes.
Ce jour sa jeune épouse, en accusant le ciel,
En détestant la Ligue, et ce combat mortel,
Arma son tendre amant, et d'une main tremblante
Attacha tristement sa cuirasse pesante,
Et couvrit, en pleurant, d'un casque précieux
Ce front si plein de grâce, et si cher à ses yeux.

Il marche vers d'Ailly dans sa fureur guerrière;
Parmi les tourbillons de flamme, de poussière,
A travers les blessés, les morts et les mourants,
De leurs coursiers fougueux tous deux pressent les
Tous deux, sur l'herbe unie et de sang colorée, [flancs,
S'élancent loin des rangs, d'une course assurée:
Sanglants, couverts de fer, et la lance à la main,
D'un choc épouvantable ils se frappent soudain.
La terre en retentit, leurs lances sont rompues:
Comme, en un ciel brûlant, deux effroyables nues
Qui, portant le tonnerre et la mort dans leurs flancs,
Se heurtent dans les airs, et volent sur les vents:
De leur mélange affreux les éclairs rejaillissent:
La foudre en est formée, et les mortels frémissent.

Mais loin de leurs coursiers', par un subit effort, Ces guerriers malheureux cherchent une autre mort. Déjà brille en leurs mains le fatal cimeterre. La Discorde accourut; le démon de la guerre, La Mort påle et sanglante, étaient à ses côtés. Malheureux! suspendez vos coups précipités!... Mais un destin funeste enflamme leur courage; Dans le cœur l'un de l'autre ils cherchent un passage, Dans ce cœur ennemi qu'ils ne connaissent pas. Le fer qui les couvrait brille et vole en éclats; Sous les coups redoublés leur cuirasse étincelle; Leur sang qui rejaillit rougit leur main cruelle; Leur bouclier, leur casque, arrêtant leur effort, Pare encor quelques coups, et repousse la mort. Chacun d'eux, étonné de tant de résistance, Respectait son rival, admirait sa vaillance.

Enfin le vieux d'Ailly, par un coup malheureux,
Fit tomber à ses pieds ce guerrier généreux.
Ses yeux sont pour jamais fermés à la lumière,
Son casque auprès de lui roule sur la poussière.
D'Ailly voit son visage; o désespoir! 0 cris!

Il le voit, il l'embrasse: hélas! c'était son fils.
Le père infortuné, les yeux baignés de larmes,
Tournait contre son sein ses parricides armes.
On l'arrête, on s'oppose à sa juste fureur;

Il s'arrache, en tremblant, de ce lieu plein d'horreur;
Il déteste à jamais sa coupable victoire;
Il renonce à la cour, aux humains, à la gloire,
Et, se fuyant lui-même, au milieu des déserts
Il va cacher sa peine au bout de l'univers.
Là, soit que le soleil rendît le jour au monde,
Soit qu'il finît sa course au vaste sein de l'onde,
Sa voix faisait redire aux échos attendris
Le nom, le triste nom de son malheureux fils.

Du héros expirant la jeune et tendre amante,
Par la terreur conduite, incertaine, tremblante,
Vient d'un pied chancelant sur ces funestes bords.
Elle cherche, elle voit dans la foule des morts,
Elle voit son époux; elle tombe éperdue;
Le voile de la mort se répand sur sa vue.

Est-ce toi, cher amant? Ces mots interrompus, Ces cris demi-formés ne sont point entendus. Elle rouvre les yeux, sa bouche presse encore Par ses derniers baisers la bouche qu'elle adore : Elle tient dans ses bras ce corps pâle et sanglant, Le regarde, soupire, et meurt en l'embrassant. Père, époux malheureux, famille déplorable,

Des fureurs de ce temps exemple lamentable,
Puisse de ce combat le souvenir affreux
Exalter la pitié de nos derniers neveux,
Arracher à leurs yeux des larmes salutaires,
Et qu'ils n'imitent point les crimes de leurs pères!
VOLTAIRE. Henriade, chant VII.

COMBAT DE RODRIGUE CONTRE LES MORES.

Cette obscure clarté qui tombe des étoiles Enfin avec le flux nous fait voir trente voiles. L'onde s'enflait dessous, et, d'un commun effort, Les Mores et la mer entrèrent dans le port. On les laisse passer; tout leur paraît tranquille; Point de soldats au port, point aux murs de la ville. Notre profond silence abusant leurs esprits, Ils n'osent plus douter de nous avoir surpris : Ils abordent sans peur; ils ancrent, ils descendent, Et courent se livrer aux mains qui les attendent. Nous nous levons alors, et tous en même temps Poussons jusques au ciel mille cris éclatants; Les nôtres au signal de nos vaisseaux répondent; Ils paraissent armés; les Mores se confondent; L'épouvante les prend à demi descendus; Avant que de combattre, ils s'estiment perdus. Ils couraient au pillage, et rencontrent la guerre. Nous les pressons sur l'eau, nous les pressons sur terre; Et nous faisons courir des ruisseaux de leur sang, Avant qu'aucun résiste, ou reprenne son rang.

Mais bientôt, malgré nous, leurs princes les rallient; Leur courage renaît et leurs terreurs s'oublient; La honte de mourir sans avoir combattu Arrête leur désordre, et leur rend leur vertu. Contre nous de pied ferme ils tirent leurs épées; Des plus braves soldats les trames sont coupées, Et la terre et le fleuve, et leur flotte et le port, Sont des champs de carnage où triomphe la mort. Oh! combien d'actions, combien d'exploits célèbres Sont demeurés sans gloire au milieu des ténèbres, Où chacun, seul témoin des grands coups qu'il donnait, Ne pouvait discerner où le sort inclinait! J'allais de tous côtés encourager les nôtres, Faire avancer les uns, et soutenir les autres; Ranger ceux qui venaient, les pousser à leur tour, Et n'en pus rien savoir jusques au point du jour. Mais enfin sa clarté montra notre avantage; Le More vit sa perte, et perdit le courage; Et, voyant un renfort qui nous vint secourir,

Changea l'ardeur de vaincre en la peur de mourir.

Ils gagnent leurs vaisseaux, ils en coupent les câbles, Nous laissent pour adieux des cris epouvantables, Font retraite en tumulte, et sans considérer Si leurs rois avec eux ont pu se retirer. Ainsi leur devoir cède à la frayeur plus forte; Le flux les apporta, le reflux les remporte. Cependant que leurs rois engagés parmi nous, Et quelque peu des leurs tous percés de nos coups, Disputent vaillamment, et vendent bien leur vie, A se rendre moi-même en vain je les convie; Le cimeterre au poing, ils ne m'écoutent pas; Mais, voyant à leurs pieds tomber tous leurs soldats, Et que seuls désormais en vain ils se défendent, Ils demandent le chef: je me nomme; ils se rendent. Je vous les envoyai tous deux en même temps, Et le combat cessa faute de combattants 1.

CORNEILLE. Le Cid, act. iv, scène III.

1 Voyez les Récits ou Descriptions de combats, prose c vers,

DERNIER COMBAT DE MITHRIDATE CONTRE LES ROMAINS.

Il vit 1, chargé de gloire, accablé de douleurs;
De sa mort en ces lieux la nouvelle semée
Ne vous a pas vous seule et sans cause alarmée.
Les Romains, qui partout l'appuyaient par des cris,
Ont par ce bruit fatal glacé tous les esprits.

Le roi, trompé lui-même, en a versé des larmes :
Et, désormais certain du malheur de ses armes,
Par un rebelle fils de toutes parts pressé,
Sans espoir de secours, tout près d'être forcé,
En voyant, pour surcroît de douleur et de haine,
Parmi ses étendards porter l'aigle romaine,
Il n'a plus aspiré qu'à s'ouvrir des chemins
Pour éviter l'affront de tomber dans leurs mains.

D'abord il a tenté les atteintes mortelles
Des poisons que lui-même a crus les plus fidèles :
Il les a trouvés tous sans force et sans vertu.
Vain secours, a-t-il dit, que j'ai trop combattu!
Contre tous les poisons soigneux de me défendre,
J'ai perdu tout le fruit que j'en pouvais attendre :
Essayons maintenant des secours plus certains,
Et cherchons un trépas plus funeste aux Romains.
Il parle: et, défiant leurs nombreuses cohortes,
Du palais, à ces mots, il fait ouvrir les portes.
A l'aspect de ce front, dont la noble fureur
Tant de fois dans leurs rangs répandit la terreur,
Vous les enssiez vus tous, retournant en arrière,
Laisser entre eux et nous une large carrière,
Et déjà quelques-uns couraient épouvantés
Jusque dans les vaisseaux qui les ont apportés.
Mais le dirai-je, ô ciel! rassurés par Pharnace,
Et la honte en leurs cœurs réveillant leur audace,
Ils reprennent courage, ils attaquent le roi,
Qu'un reste de soldats défendait avec moi.

Qui pourrait exprimer par quels faits incroyables,
Quels coups accompagnés de regards effroyables,
Son bras, se signalant pour la dernière fois,
A de ce grand héros terminé les exploits?
Enfin, las et couvert de sang et de poussière,
Il s'était fait de morts une noble barrière.
Un autre bataillon s'est avancé vers nous.
Les Romains pour le joindre ont suspendu leurs coups;
Ils voulaient tous ensemble accabler Mithridate :
Mais lui: C'en est assez, m'a-t-il dit, cher Arbate,
Le sang et ma fureur m'emportent trop avant;
Ne livrons pas surtout Mithridate vivant.
Aussitôt dans son sein il plonge son épée :
Mais la mort fuit encor sa grande âme trompée.
Ce héros dans mes bras est tombé tout sanglant,
Faible, et qui s'irritait contre un trépas si lent:
Et, se plaignant à moi de ce reste de vie,
Il soulevait encor sa main appesantie,

Et, marquant à mon bras la place de son cœur,
Semblait d'un coup plus sûr implorer la faveur.
Tandis que, possédé de ma douleur extrême,
Je songe bien plutôt à me percer moi-même,
De grands cris ont soudain attiré mes regards.
J'ai vu, qui l'aurait cru? j'ai vu de toutes parts
Vaincus et renversés les Romains et Pharnace,
Fuyant vers leurs vaisseaux abandonner la place;
Et le vainqueur, vers nous s'avancant de plus près,
A mes yeux éperdus a montré Xipharès.

RACINE. Mithridate, acte v, scène Iv.

COMBAT DE TURENNE ET D'AUMALE. Paris, le roi, l'armée et l'enfer et les cieux, Sur ce combat illustre avaient fixé les yeux.

Xipharès, Gls de Mithridate.

Bientôt les deux guerriers entrent dans la carrière.
Henri du champ d'honneur leur ouvre la barrière.
Leur bras n'est point chargé du poids d'un bouclier;
Ils ne se cachent point sous ce buste d'acier,
Des anciens chevaliers ornement honorable,
Éclatant à la vue, aux coups impénétrable;
Ils négligent tous deux cet appareil qui rend
Et le combat plus long et le danger moins grand.
Leur arme est une épée; et, sans autre défense,
Exposé tout entier, l'un et l'autre s'avance.

O Dieu! cria Turenne, arbitre de mon roi,
Descends, juge sa cause, et combats avec moi:
Le courage n'est rien sans ta main protectrice;
J'attends peu de moi-même, et tout de ta justice. »
D'Aumale répondit : « J'attends tout de mon bras:
C'est de nous que dépend le destin des combats;
En vain l'homme timide implore un Dieu suprême;
Tranquille, au haut du ciel, il nous laisse à nous-
Le parti le plus juste est celui du vainqueur, [même:
Et le dieu de la guerre est la seule valeur. »
Il dit, et, d'un regard enflammé d'arrogance,
Il voit de son rival la modeste assurance.

Mais la trompette sonne. Ils s'élancent tous deux; Ils commencent enfin ce combat dangereux. Tout ce qu'ont pu jamais la valeur et l'adresse, L'ardeur, la fermeté, la force, la souplesse, Parut des deux côtés en ce choc éclatant. Cent coups étaient portés et parés à l'instant. Tantôt avec fureur l'un d'eux se précipite; L'autre, d'un pas léger, se détourne et l'évite: Tantôt, plus rapprochés, ils semblent se saisir; Leur péril renaissant donne un affreux plaisir; On se plaît plaît à les voir s'observer et se craindre; Avancer, s'arrêter, se mesurer, s'atteindre: Le fer étincelant, avec art détourné, Par de feints mouvements trompe l'œil étonné. Telle on voit du soleil la lumière éclatante Briser ses traits de feu dans l'onde transparente, Et, se rompant encor par des chemins divers, De ce cristal mouvant repasser dans les airs.

Le spectateur, surpris, et ne pouvant le croire, Voyait à tout moment leur chute et leur victoire. D'Aumale est plus ardent, plus fort, plus furieux; Turenne est plus adroit, et moins impétueux; Maître de tous ses sens, animé sans colère, Il fatigue à loisir son terrible adversaire. D'Aumale en vains efforts épuise sa vigueur: Bientôt son bras lassé ne sert plus sa valeur. Turenne, qui l'observe, aperçoit sa faiblesse; Il se ranime alors, il le pousse, il le presse: Enfin d'un coup mortel il lui perce le flanc; D'Aumale est renversé dans les flots de son sang. Il tombe, et de l'enfer tous les monstres frémirent; Ces lugubres accents dans les airs s'entendirent:

De la Ligue à jamais le trône est renversé; « Tu l'emportes, Bourbon! notre règne est passé. » Tout le peuple y répond par un cri lamentable. D'Aumale, sans vigueur, étendu sur le sable, Menace encor Turenne, et le menace en vain; Sa redoutable épée échappe de sa main. Il veut parler; sa voix expire dans sa bouche: L'horreur d'être vaincu rend son air plus farouche. Il se lève, il retombe, il ouvre un œil mourant; Il regarde Paris, et meurt en soupirant. Tu le vis expirer, infortuné Mayenne! Tu le vis, tu frémis, et ta chute prochaine Dans ce moment affreux s'offrit à tes esprits.

VOLTAIRE. Henriade, chant X.

2 Monime, femme de Mithridate.

Oh! que d'écrits obscurs, de livres ignorés, Furent en ce grand jour de la poudre tirés! Vous en fûtes tirés, Almérinde et Simandre 5; Et toi, rebut du peuple, inconnu Caloandre, Dans ton repos, dit-on, saisi par Gaillerbois, Tu vis le jour alors pour la première fois. Chaque coup sur la chair laisse une meurtrissure. Déjà plus d'un guerrier se plaint d'une blessure. D'un Le Vayer 6 épais Giraud est renversé; Marineau, d'un Brébeuf, à l'épaule blessé, En sent par tout le bras une douleur amère, Et maudit la Pharsale aux provinces si chère. D'un Pinchêne in-quarto Dodillon étourdi A longtemps le teint pâle et le cœur afladi. Au plus fort du combat, le chapelain Garagne, Vers le sommet du front atteint d'un Charlemagne Des vers de ce poëme effet prodigieux! Tout prêt à s'endormir baille et ferme les yeux 8. A plus d'un combattant la Clélie est fatale; Giroux dix fois par elle éclate et se signale.

Mais tout cède aux efforts du chanoine Fabri. Ce guerrier, dans l'église aux querelles nourri, Est robuste de corps, terrible de visage, Et de l'eau dans son vin n'a jamais su l'usage. Il terrasse lui seul et Guibert et Grasset, Et Gorillon la basse, et Grandin le fausset; Et Gerbais l'agréable, et Guérin l'insipide. Des chantres désormais la brigade timide S'écarte, et du palais regagne les chemins. Telle, à l'aspect d'un loup, terreur des champs voisins, Fuit d'agneaux effrayés une troupe bêlante; Ou tels, devant Achille, aux campagnes du Xanthe. Les Troyens se sauvaient à l'abri de leurs tours, Quand Brontin à Boisrude adresse ce discours:

« Illustre porte-croix, par qui notre bannière «N'a jamais, en marchant, fait un pas en arrière, «Un chanoine, lui seul triomphant du prélat, « Du rochet à nos yeux ternira-t-il l'éclat? « Non, non; pour te couvrir de sa main redoutable, « Accepte de mon corps l'épaisseur favorable; « Viens; et, sous ce rempart, à ce guerrier hautain

Fais voler ce Quinault qui me reste à la main. » A ces mots, il lui tend le doux et tendre cuvrage; Le sacristain, bouillant de zèle et de courage, Le prend, se cache, approche, et droit entre les yeux. Frappe du noble écrit l'athlète audacieux. Mais c'est pour l'ébranler une faible tempête; Le livre, sans vigueur, mollit contre sa tête. Le chanoine le voit, de colère embrasé : << Attendez, leur dit-il, couple lâche et rusé, « Et jugez, si ma main, aux grands exploits novice, « Lance à mes ennemis un livre qui mollisse.

A ces mots, il saisit un vieux Infortiat, Grossi des visions d'Accurse et d'Alciat 9; Inutile ramas de gothique écriture, Dont quatre ais mal unis formaient la couverture, Entourée à demi d'un vieux parchemin noir, Où pendait à trois clous un reste de fermoir. Sur l'ais qui le soutient auprès d'un Avicenne 10, Deux des plus forts mortels l'ébranleraient à peine;

COMBAT DU LUTRIN.

Loin du bruit cependant, les chanoines à table
Immolent trente mets à leur faim indomptable.
Leur appétit fongueux, par l'objet excité,
Parcourt tous les recoins d'un monstrueux pâté.
Par le sel irritant la soif est allumée;

Lorsque, d'un pied léger, la prompte Renommée,
Semant partout l'effroi, vient au chantre éperda
Conter l'affreux détail de l'oracle rendu.
Il se lève, enflammé de muscat et de bile,
Et prétend à son tour consulter la Sibylic .
Evrard a beau gémir du repas déserté,
Lui-même est au barreau par le nombre emporté.

Par les détours étroits d'une barriè c oblique,
Ils gagnent les degrés et le perron antique,
Où, sans cesse étalant bons et méchants écrits,
Barbin vend aux passants des auteurs à tous prix.
Là, le chantre à grand bruit arrive et se fait place,
Dans le fatal instant que, d'une égale audace,
Le prélat et sa troupe, à pas tumultueux,
Descendaient du palais l'escalier tortueux.
L'un et l'autre rival, s'arrêtant au passage,
Se mesure des yeux, s'observe, s'envisage.
Une égale fureur anime leurs esprits :
Tels deux fougueux taureaux, de jalousie épris
Auprès d'une génisse au front large et superbe,
Oubliant tous les jours le pâturage et l'herbe,
A l'aspect l'un de l'autre embrasés, furieux,
Déjà, le front baissé, se menacent des yeux.
Mais Evrard en passant, coudoyé par Boisrude,
Ne sait point contenir son aigre inquiétude.
Il entre chez Barbin, et, d'un bras irrité,
Saisissant du Cyrus un volume écarté,
Il lance au sacristain le tome épouvantable.
Boisrude fuit le coup: le volume effroyable
Lui rase le visage, et, droit dans l'estomac,
Va frapper en sifflant l'infortuné Sidrac
Le vieillard, accablé de l'horrible Artamone,
Tombe aux pieds du prélat, sans pouls et sans haleine.
Sa troupe le croit mort, et chacun, empressé,
Se croit frappé du coup dont il le voit blessé.

Aussitôt contre Evrard vingt champions s'élancent;
Pour soutenir leur choc les chanoines s'avancent:
La Discorde triomphe, et du combat fatal,
Par un cri, donne en l'air l'effroyable signal.
Chez le libraire absent, tout entre, tout se mêle;
Les livres sur Évrard fondent comme la grêle
Qui, dans un grand jardin, à coups impétueux,
Abat l'honneur naissant des rameaux fructueux.
Chacun s'arme au hasard du livre qu'il rencontre:
L'un tient l'Edit d'Amour, l'autre en saisit la Montre;
L'un prend le seul Jonas qu'on ait vu relié,
L'autre un Tasse français, en naissant oublié.
L'élève de Barbin, commis à la boutique,
Veut en vain s'opposer à leur fureur gothique:
Les volumes, sans choix à la tête jetés,
Sur le perron poudreux volent de tous côtés.
Là, près d'un Guarini, Térence tombe à terre :
Là, Xénophon dans l'air heurte contre un La Serre 4.

1 La déesse de la chicane que le prélat, ennemi du chantre, venait de consulter. (N. E.)

Artamène ou le grand Cyrus, roman de Mlle de Scudéri.

(Ν. Ε.)

3 Ouvrage de Régnier-Desmarets. La Montre d'Amour est un ouvrage de Bonnecorse. Le Jonas, un mauvais poëme du sieur Coras.

4 Misérable écrivain.

5 Caloandre, petit roman italien. traduit par Scudéri.

6 Lamothe Le Vayer, dont les ouvrages composaient deus vol. in-folio.

7 Étienne-Martin, sire de Pinchêne, neveu de Voiture, (Ν.Ε.)

8 Poëme héroique de Louis Le Laboureur. (N. E.)

9 Commentateurs de l'Infortiat, livre de droit d'une gros seur énorme. (N. E.)

10 Autcur arabe, qui a écrit sur la médecine. (N. R.)

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