chers élevés, et des tourbillons de vapeurs réfléchissent au loin les rayons éblouissants du soleil; ici, l'émail des fleurs se mêle au brillant de la verdure, et est effacé par l'éclat plus brillant encore du plumage varié des oiseaux; là, des couleurs plus vives, parce qu'elles sont renvoyées par des zorps plus polis, forment la parure de ces grands quadrupèdes ovipares, de ces gros lézards que l'on est tout étonné de voir décorer le sommet des arbres et partager la demeure des habitants ailés. LACÉPÈDE. Histoire naturelle des ovipares. ROME ANTIQUE. sur des roches de marbre au Capitole, afin que son image même ne pût s'effacer 1! CHATEAUBRIAND. Les Martyrs, liv. VI. CAMPAGNE ET ASPECT DE ROME MODERNE. Figurez-vous quelque chose de la désolation de Tyr et de Babylone, dont parle l'Écriture; un silence et une solitude aussi vaste que le bruit et le tumulte des hommes qui se pressaient jadis sur ce sol. On croit y entendre retentir cette malédiction du prophète: Venient tibi duo hæc subito in die uná, sterilitas et viduitas. Vous apercevez çà et là quelques bouts de voies romaines, dans les lieux où il ne passe plus personne, quelques traces desséchées des torrents de l'hiver, qui, vues de loin, ont elles-mêmes l'air de grands che J'errais sans cesse du Forum au Capitole, du quartier des Carènes au Champ-de-Mars; je courais au théâtre de Germanicus, au môle d'Adrien, ❘ mins battus et fréquentés, et qui ne sont que le au cirque de Néron, au Panthéon d'Agrippa; je ne pouvais me lasser de voir le mouvement d'un peuple composé de tous les peuples de la terre, et la marche des ces troupes romaines, gauloises, germaniques, grecques, africaines, chacune différemment armée et vêtue. Un vieux Sabin passait avec ses sandales d'écorce de bouleau auprès d'un sénateur couvert de pourpre; la litière d'un consulaire était arrêtée par le char d'une courtisane; les grands bœufs du Clitumne traînaient au Forum l'antique chariot du Volsque; l'équipage de chasse d'un chevalier romain embarrassait la voie Sacrée; des prêtres couraient encenser leurs dieux, et des rhéteurs ouvrir leurs écoles. lit désert d'une onde orageuse qui s'est écoulée comme le peuple romain. A peine découvrez-vous quelques arbres; mais vous voyez partout des ruines d'aqueducs et de tombeaux, qui semblent être les forêts et les plantes indigènes d'une terre composée dela poussière des morts et des débris des empires. Souvent, dans une grande plaine, j'ai cru voir de riches moissons; je m'en approchais, et ce n'étaient que des herbes flétries qui avaient trompé mon œil; quelquefois, sous ces moissons stériles, vous distinguez les traces d'une ancienne culture. Point d'oiseaux, point de laboureurs, point de mouvements champêtres, point, de mugissements de troupeaux, point de villages. Un petit nombre de fermes délabrées se montrent sur la nudité des champs : les fenêtres et les portes en sont fermées; il n'en sort ni fumée, ni Que de fois j'ai visité ces thermes ornés de bibliothèques, ces palais, les uns déjà croulants, les autres à moitié démolis pour servir à construire d'autres édifices! La grandeur de l'horizon | bruit, ni habitants; une espèce de sauvage romain se mariant aux grandes lignes de l'architecture romaine : ces aqueducs qui, comme des rayons aboutissant à un même centre, amènent les eaux au peuple-roi sur des arcs de triomphe: le bruit sans fin des fontaines: ces innombrables statues qui ressemblent à un peuple immobile au milieu d'un peuple agité: ces monuments de tous les âges et de tous les pays: ces travaux des rois, des consuls, des césars: ces obélisques ravis à l'Égypte, ces tombeaux enlevés à la Grèce: je ne sais quelle beauté dans la lumière, les vapeurs et le dessin des montagnes : la rudesse même du cours du Tibre: les troupeaux de cavales demi-sauvages qui viennent s'abreuver dans ses eaux : cette campagne que le citoyen de Rome dédaigne maintenant de cultiver, se réservant à déclarer chaque année aux nations esclaves quelle partie de la terre aura l'honneur de le nourrir: que vous dirai-je enfin? tout porte, à Rome, l'empreinte de la domination et de la durée: j'ai vu la carte de la ville éternelle tracée presque nu, pâle et miné par la fièvre, garde seulement ces tristes chaumières, comme ces spectres qui, dans nos histoires gothiques, défendent l'entrée de châteaux abandonnés. Enfin, l'on dirait qu'aucune nation n'a osé succéder aux maîtres du monde dans leur terre natale, et que vous voyez ces champs, tels que les a laissés le soc de Cincinnatus, ou la dernière charrue romaine. C'est du milieu de ce terrain inculte, que domine et qu'attriste encore un monument appelé, par la voix populaire, le tombeau de Néron, que s'élève la grande ombre de la ville éternelle. Déchue de sa puissance terrestre, elle semble, dans son orgueil, avoir voulu s'isoler; elle s'est séparée des autres cités de la terre, et, comme une reine tombée du trône, elle a noblement caché ses malheurs dans la solitude. Il me serait impossible de vous peindre ce qu'on éprouve, lorsque Rome vous apparaît tout 1 Voyez Descriptions en vers. à coup au milieu de ces royaumes vides, inania regna, et qu'elle a l'air de s'élever pour vous de la tombe où elle était couchée. Tâchez de vous figurer ce trouble et cet étonnement qu'éprouvaient les prophètes, lorsque Dieu leur envoyait la vision de quelque cité à laquelle il avait attaché les destinées de son peuple. La multitude des souvenirs, l'abondance des sentiments vous oppressent, et votre âme est bouleversée à l'aspect de cette Rome qui a recueilli deux fois la suc ¡élevés au-dessus d'eux-mêmes, vont exécuter des prodiges dont peut-être chacun d'eux, abandonné à ses propres forces, n'eût jamais conçu l'idée ! Ah! la multitude est dans la main du grand homme; on n'en fait rien qu'en la transformant, pour ainsi dire, qu'en faisant passer en elle un instinct qui la domine, et qu'elle n'est pas maîtresse de repousser. Alors le péril, la mort, la crainte, les petits intérêts, les passions viles s'éloignent et disparaissent; le cri de l'honneur. cession du monde, comme héritière de Saturne ❘ plus fort, plus imposant, plus retentissant que et de Jacob. LE MÊME. Itinéraire. RÉVEIL D'UN CAMP. le bruit des instruments militaires et que le fracas des foudres, fait naître dans tous les esprits un même enthousiasme; le général le meut, le dirige, l'anime, et ne le ressent pas; seul, il n'en a pas besoin. La pensée du salut de tous le remplit sans l'agiter: elle occupe toutes les forces de sa raison recueillies. Tout ce qui se fait de grand lui appartient, et lui-même est au-dessus de cette grandeur. Son œil, toujours attaché sur la victoire, la suit dans tous les mouvements qui semblent l'éloigner ou la rapprocher; il la fixe, l'enchaîne enfin, et, voyant alors tout le sang qu'elle a coûté, il se détourne du carnage, et se console en regardant la patrie. LA HARPE. Éloge de Catinat. Épuisé par les travaux de la journée, je n'avais, durant la nuit, que quelques heures pour délasser mes membres fatigués. Souvent il m'arrivait, pendant ce court repos, d'oublier ma nouvelle fortune: lorsqu'aux premières blancheurs de l'aubet, les trompettes du camp venaient à sonner l'air de Diane, j'étais étonné d'ouvrir les yeux au milieu des bois. Il y avait pourtant un charme à ce réveil du guerrier échappé aux périls de la nuit. Je n'ai jamais entendu, sans une certaine joie belliqueuse, la fanfare du clairon, répétée par l'écho des rochers, et les premiers hennissements des chevaux qui saluaient l'aurore. J'aimais à voir le camp plongé dans le sommeil, les tentes encore fermées, d'où sortaient quelques soldats à moitié vêtus, le centurion qui se promenait devant les faisceaux d'armes en balançant son cep de vigne, la sentinelle immobile qui, pour résister au sommeil, tenait un doigt levé dans l'attitude du silence, le cavalier qui traversait le fleuve coloré des feux du matin, le victi-même, remplit tout le reste du monde d'amour, MÊME SUJET SOUS UN AUTRE POINT DE VUE. S'il y a une occasion au monde où l'âme pleine d'elle-même soit en danger d'oublier son Dieu, c'est dans ces postes éclatants où un homme, par la sagesse de sa conduite, par la grandeur de son courage, par la force de son bras, et par le nombre de ses soldats, devient comme le Dieu des autres hommes, et, rempli de gloire en lui d'admiration ou de frayeur. Les dehors mêmes de la guerre, le son des instruments, l'éclat des armes, l'ordre des troupes, le silence des soldats, l'ardeur de la mêlée, le commencement, le progrès et la consomination de la victoire, les cris différents des vaincus et des vainqueurs, attaquent l'âme par tant d'endroits, qu'enlevée à tout ce qu'elle a de sagesse et de modération, elle ne connaît ni Dieu, ni elle-même. C'est alors que les impies Salmonées 1, osent imiter le tonnerre de Dieu, et répondre par les foudres de la terre aux foudres du ciel: c'est alors que les sacriléges Antiochus n'adorent que leurs bras et leur cœur, et que les insolents Pharaons, enflés de leur puissance, s'écrient: C'est moi qui me suis fait moi-même! Mais aussi la religion et I globe du soleil, dont nos yeux pouvaient alors soutenir l'éclat, prêt à se plonger dans les vagues étincelantes, apparaissait entre les cordages du vaisseau, et versait encore le jour dans des | le Dieu de l'univers et celui de leur cœur et d. 1 Vidi et crudeles dantem salmonea pœnas, Demens! qui nimbos et non imitabile fulmen, l'humanité ne paraissent-elles jamais plus majestueuses que lorsque dans ce point de gloire et de grandeur, elles retiennent le cœur de l'homme dans la soumission et la dépendance où la créature doit être à l'égard de son Dieu. MASCARON. Oraison funèbre de M. de Turenne. PRIÈRE DU SOIR A BORD D'UN VAISSEAU. LES INVALIDES AU PIED DES AUTELS. Qui de nous n'a pas vu quelquefois ces vieux soldats qui, à toutes les heures du jour, sont prosternés çà et là sur les marbres du temple élevé au milieu de leur auguste retraite? Leurs cheveux., que le temps a blanchis, leur front, que la guerre a cicatrisé, ce tremblement, que l'âge seul a pu leur imprimer, tout en eux inspire d'abord le respect: mais de quel sentiment n'eston pas ému lorsqu'on les voit soulever et joindre avec effort leurs mains défaillantes, pour invoquer espaces sans bornes. On eût dit, par le balancement de la poupe, que l'astre radieux changeait à chaque instant d'horizon. Les mâts, les haubans, les vergues du navire étaient couverts d'une teinte de rose. Quelques nuages erraient sans ordre dans l'orient, où la lune montait avec lenteur. Le reste du ciel était pur; et, à l'horizon du nord, formant un glorieux triangle avec l'astre du jour et celui de la nuit, une trombe chargée des couleurs du prisme s'élevait de la mer comme une colonne de cristal supportant la voûte du ciel. Il eût été bien à plaindre celui qui, dans ce beau spectacle, n'eût pas reconnu la beauté de Dieu! leur pensée; lorsqu'on leur voit oublier, dane cette touchante dévotion, et leurs douleurs pré' sentes et leurs peines passées; lorsqu'on les voit se lever avec un visage serein, et emporter dane leur âme un sentiment de tranquillité et d'espérance! Ah! ne les plaignez point dans cet instant, vous qui ne jugez du bonheur que par les joies du monde! Leurs traits sont abattus, leur corps chancelle, et la mort observe leurs pas; mais cette fin inévitable, dont la seule image vous effraye, ils la voient venir sans alarmes : ils se sont approchés par le sentiment de celui qui est bon, de celui qui peut tout, de celui qu'on n'a jamais aimé sans consolation. Venez contempler ce spec Des larmes coulèrent, malgré moi, de mes pau-tacle, vous qui méprisez les opinions religieuses, approcher pour les secourir 1. pières lorsque tous mes compagnons, ôtant leurs chapeaux goudronnés, vinrent à entonner, d'une voix rauque, leur simple cantique à Notre-Damede-Bon-Secours, patronne des mariniers. Qu'elle était touchante la prière de ces hommes qui, sur une planche fragile, au milieu de l'Océan, contemplaient un soleil couchant sur les flots! Comme elle allait à l'âme cette invocation du pauvre matelot à la mère de douleur! Cette humiliation devant celui qui envoie les orages et le calme; cette conscience de notre petitesse à la vue de l'infini; ces chants s'étendant au loin sur les vagues; les monstres marins, étonnés de ces accents inconnus, se précipitant au fond de leurs gouffres; la nuit s'approchant avec ses embûches; la merveille de notre vaisseau au milieu de tant de merveilles; un équipage religieux, saisi d'admiration et de crainte; un prêtre auguste en prière: Dieu penché sur l'abime, d'une main retenant le soleil aux portes de l'occident, de l'autre élevant la lune à l'horizon opposé, et prêtant, à travers l'immensité, une oreille attentive à la faible voix de sa créature: voilà ce que l'on ne saurait peindre et ce que tout le cœur de Thomme suffit à peine pour sentir 1. CHATEAUBRIAND. Génie du Christianisme. Voyez le même sujet, 2e partie. et qui vous dites supérieurs en lumières; venez, et voyez vous-mêmes ce que peut valoir, pour le bonheur, votre prétendue science. Ah! changez donc le sort des hommes, et donnez-leur à tous, si vous le pouvez, quelque part aux délices de la terre, ou respectez un sentiment qui leur sert à repousser les injures de la fortune; et, puisque la politique des tyrans n'a jamais essayé de le détruire, puisque leur pouvoir ne serait pas assez grand pour réussir dans cette farouche entreprise, vous que la nature a mieux doués, ne soyez ni plus durs, ni plus terribles qu'eux; ou si, par une impitoyable doctrine, vous vouliez enlever aux vieillards, aux malades et aux indigents la seule idée de bonheur à laquelle ils peuvent se prendre, parcourez aussi ces prisons et ces souterrains, où des malheureux se débattent dans leurs fers, et ferm ez de vos propres mains la seule ouverture qui laisse arriver jusqu'à eux quelques rayons de lumière. NRCKER. Importance des opinions religieuses LE VOLCAN DE QUITO Heureux les peuples qui cultivent les vallées et les collines que la mer forma dans son sein, des sables que roulent ses flots, des dé pouilles MARMONTEL. Les Incas. L'ÉRUPTION D'UN VOLCAN, ET SES RAVAGES. de la terre! Le pasteur y conduit ses troupeaux | timides vers ces murs, d'où la pitié même n'ose sans alarmes; le laboureur y sème et y moissonne en paix. Mais malheur aux peuples voisins de ces montagnes sourcilleuses, dont le pied n'a jamais trempé dans l'Océan, et dont la cime s'élève au-dessus des nues! Ce sont des soupiraux que le feu souterrain s'est ouverts, en brisant la voûte des fournaises profondes où sans cesse il bouillonne. Il a formé ces monts des rochers calcinés, des métaux brûlants et liquides, des flots de cendre et de bitume qu'il lançait, et qui, dans leur chute, s'accumulaient au bord de ces gouffres ouverts! Malheur aux peuples que la fertilité de ce terrain perfide attache! Les fleurs, les fruits et les moissons couvrent l'abîme sous leurs pas. Ces germes de fécondité, dont la terre est pénétrée, sont les exhalaisons du feu qui la dévore. Sa richesse, en croissant, présage sa ruine; et c'est au sein de l'abondance qu'on lui voit engloutir ses heureux possesseurs : tel est le climat de Quito. La ville est dominée par un volcan terrible, qui, par de fréquentes secousses, en ébranle les fondements. Un jour que le peuple indien, répandu dans les campagnes, labourait, semait, moissonnait (car ce riche vallon présente tous ces travaux à la fois), et que les filles du Soleil, dans l'intérieur de leur palais, étaient occupées, les unes à filer, les autres à ourdir les précieux tissus de laine dont le pontife et le roi sont vêtus, un bruit sourd se fait d'abord entendre dans les entrailles du volcan. Ce bruit, semblable à celui de la mer lorsqu'elle conçoit les tempêtes, s'accroît et se change bientôt en un mugissement profond. La terre tremble, le ciel gronde, de noires vapeurs l'enveloppent, le temple et les palais chancellent et menacent de s'écrouler; la montagne s'ébranle, et sa cime entr'ouverte vomit, avec les vents enfermés dans son sein, des flots de bitume liquide et des tourbillons de fumée qui rougissent, s'enflamment et lancent dans les airs des éclats de rochers brûlants qu'ils ont détachés de l'abîme: superbe et terrible spectacle, de voir des rivières de feu bondir à flots étincelants à travers des monceaux de neige, et s'y creuser un lit vaste et profond! Dans les murs, hors des murs, la désolation, l'épouvante, le vertige de la terreur se répandent en un instant. Le laboureur regarde et reste immobile. Il n'oserait entamer la terre qu'il sent comme une mer flottante sous ses pas. Parmi les prêtres du Soleil, les uns tremblants s'élancent hors du temple; les autres consternés embrassent l'autel de leur dieu. Les vierges éperdues sortent de leur palais, dont les toits menacent de fondre sur leur tête; et courant dans leur vaste enclos, pâles, échevelées. elles tendent leurs mains Tout à coup, au milieu du silence de la nuit, un bruit affreux retentit à leurs oreille; ils entendent de loin la mer mugir, et router vers le rivage ses ondes amoncelées ; les souterrains protonds sont frappés à coups redoublés, la terre 'tremble sous leurs pas; ils courent pleins d'effroi au milieu des ténèbres épaisses. Une montagne voisine, s'entr'ouvrant avec effort, lance au plus haut des airs une colonne ardente qui répand, au milieu de l'obscurité, une lumière rougeâtre et lugubre; des rochers énormes volent de tous côtés; la foudre éclate et tombe; une mer de feu, s'avançant avec rapidité, inonde les campagnes; à son approche, les forêts s'embrasent, la terre n'offre plus que l'image d'un vaste incendie qu'entretiennent des amas énormes de matières enflammées, et qu'animent des vents impétueux. Où fuyez-vous, mortels infortunés? de quelque côté que vous cherchiez un asile comment éviterez-vous la mort qui vous menace? De nouveaux gouffres s'ouvrent sous vos pas, de nouveaux tourbillons de flammes, de pierres, de cendres et de fumée, volent vers vous du sommet des montagnes, et la mer écumeuse, rougie par l'éclat des foudres, surmonte son rivage, et s'avance pour vous engloutir! Cependant ces phénomènes terribles s'apaisent peu à peu; les feux s'amortissent; la mer, à demi calmée, retire en murmurant ses ondes bouillonnantes; la terre se raffermit, le bruit cesse, et le jour paraît. Quel triste et lugubre tableau présente la campagne ravagée ! Elle n'offre plus que des monceaux de cendres, que des rochers énormes entassés 'sans ordre, que des torrents de lave ardente, que des bois qui brûlent encore, que de tristes restes des infortunés qui ont péri au milieu de ces désastres. Un ciel couvert de nuages n'envoie sur tous ces objets lugubres qu'une clarté pâle et terne; un calme sinistre règne dans l'air; des bruits lointains annoncent de nouveaux malheurs; et la mer répond par de sourds gémissements au bruit lugubre que font entendre les profondes cavernes de la terre. Consternés, saisis d'effroi, pressés dans le seul espace où les flammes ne sont pas parvenues, les mains élevées vers le ciel qui seul peut les secourir, les hommes adressent alors leurs ardentes prières à celui qui commande à la mer et à la foudre. Leur prière est courte mais touchante; 1 Voy. Narrations en vers. ils la recommencent souvent, et chaque fois avec un ton plus pénétré; ils cherchent en quelque sorte à faire parvenir leurs voix jusqu'à l'être dont ils implorent la clémence: tous les signes des passions qui les agitent, de l'effroi, de la vive inquiétude, de la désolation, se mêlent aux sons qu'ils profèrent, et qu'ils soutiennent avec effort 1. LACÉPÈDE. POélique de la musique. PHOSPHORESCENCE DE LA MER. La phosphorescence des eaux de l'Océan, depuis Aristote et Pline, a été, pour les voyageurs et pour les physiciens, un égal objet d'intérêt et de méditation. Combien les phénomènes n'en sont-ils pas effectivement nombreux et variés! Ici, la surface de l'Océan étincelle et brille dans toute son étendue, comme une étoffe d'argent électrisée dans l'ombre: là, se déploient les vagues en nappes immenses de soufre et de bitume embrasés; ailleurs, on dirait une mer de lait dont on n'aperçoit pas les bornes. Bernardin de Saint-Pierre a décrit avec enthousiasme ces étoiles brillantes qui semblent jaillir par milliers du fond des eaux, et dont, ajoute-t-il avec raison, celles de nos feux d'artifice ne sont qu'une bien faible imitation. D'autres ont parlé de ces masses embrasées qui roulent sous les vagues, comme autant d'énormes boulets rouges, et nous en avons vu nous-mêmes qui ne paraissaient pas avoir moins de vingt pieds de diamètre. Plusieurs marins ont observé des parallélogrammes incandescents, des cônes de lumière pirouettant sur eux-mêmes, des guirlandes éclatantes, des serpenteaux lumineux. Dans quelques lieux des mers, on voit souvent s'élancer au-dessus de leur surface des jets de feux étincelants; ailleurs, on a vu comme des nuages de lumière et de phosphore errer sur les flots au milieu des ténèbres. Quelquefois l'Océan semble comme décoré d'une immense écharpe de lumière mobile, onduleuse, dont les extrémités vont se rattacher aux bornes de l'horizon. Tous ces phénomènes, et beaucoup d'autres encore que je m'abstiens d'indiquer ici, quelque merveilleux qu'ils puissent paraître, n'en sont pas moins de la plus incontestable vérité. D'ailleurs, ils ont été plus d'une fois décrits par les voyageurs de la véracité la moins suspecte, et je les ai moi-même presque tous observés en différentes parties des mers. PÉRON. Voyage aux terres Australes, 1. 1. LA CATARACTE DE NIAGARA Nous arrivâmes bientôt au bord de la cataracte, qui s'annonçait par d'affreux mugissements. Elle est formée par la rivière Niagara, qui sort du lac Érié, et se jette dans le lac Ontario; sa hauteur perpendiculaire est de cent quarante-quatre pieds: depuis le lac Érié jusqu'au saut, le fleuve arrive toujours en déclinant par une pente rapide; et, au moment de la chute, c'est moins un fleuve qu'une mer, dont les torrents se pressent à la bouche béante d'un gouffre. La cataracte se divise en deux branches, et se courbe en fer à cheval Entre les deux chutes s'avance une île, creusée en dessous, qui pend, avec tous ses arbres, sur le chaos des ondes. La masse du fleuve, qui se précipite au midi, s'arrondit en un vaste cylindre, puis se déroule en nappe de neige, et brille au soleil de toutes les couleurs: celle qui tombe au levant, descend dans une ombre effrayante; on dirait une colonne d'eau du déluge. Mille arcoen-ciel se courbent et se croisent sur l'abime. L'onde, frappant le roc ébranlé, rejaillit en tourbillons d'écume qui s'élèvent au-dessus des forêts, comme les fumées d'un vaste embrasement. Des pins, des noyers sauvages, des rochers taillés en forme de fantômes décorent la scène. Des aigles, entraînés par le courant d'air, descendent en tournoyant au fond du gouffre, et des carcajoux se suspendent par leurs longues queues au bout d'une branche abaissée, pour saisir dans l'abîme les cadavres brisés des élans et des ours. CHATEAUBRIAND. Génie du Christianisme. LA VALLÉE DE TEMPÉ. Après avoir passé l'embouchure du Titarésius, dont les eaux sont moins pures que celles du Pénée, nous arrivâmes à Gonnus, distante de Larisse d'environ cent soixante stades. C'est là que commence la vallée, et que le fleuve est resserré entre le mont Ossa qui se trouve à sa droite, et le mont Olympe qui est à sa gauche, et dont la hauteur est d'un peu plus de dix stades 4. La vallée s'étend du sud-ouest au nord-ouest; Voyez Narrations ou Descriptions en vers. 2 Dans l'Amérique septentrionale, au Canada. 5 Il y a probablement ici une erreur dans M. de Chateaubriand, qui aura écrit carcajoux pour kinkajoux. Le carcajou, ou blaireau du Labrador, ressemble tout à fait à notre blaireau, et par conséquent ne peut s'attacher par la queue aux branches des arbres, tandis que le kinkajou, qui se rapproche beaucoup du singe, peut le faire très-aisément. L'erreur de M. de Chateaubriand est d'autant plus excusable qu'elle lui est commune avec d'autres écrivains. (N.E.) 4. Le stade, d'après le calcul de l'abbé Barthélemy, vaut 94 toises 1/2. (Ν. Ε.) |