sa longueur est de quarante stades, sa plus grande | elles agissent toutes de concert et sans bruit. largeur d'environ deux stades et demi; mais cette largeur diminue quelquefois au point qu'elle ne paraît être que de cent pieds. L'ombre étrangère du vice les fait seule éclater par son opposition. Amyntor me répondit: Je vais vous montrer l'image de l'ambition, et les Les montagnes sont couvertes de peupliers, ❘ funestes effets qu'elle produit. de platanes, de frênes d'une beauté surprenante. De leur pied jaillissent des sources d'une eau pure comme le cristal; et, des intervalles qui séparent leurs sommets, s'échappe un air frais que l'on respire avec une volupté secrète. Le fleuve présente presque partout un canal tranquille; et, dans certains endroits, il embrasse de petites îles, dont il éternise la verdure. Des grottes percées dans les flancs des montagnes, des pièces de gazon placées aux deux côtés du fleuve, semblent être l'asile du repos et du plaisir. Ce qui nous étonnait le plus, était une certaine intelligence dans la distribution des ornements qui parent ces retraites. Ailleurs, c'est l'art qui's efforce d'imiter la nature; ici on dirait que la nature veut imiter l'art. Les lauriers, et différentes sortes d'arbrisseaux, forment d'euxmêmes des berceaux et des bosquets, et font un beau contraste avec des bouquets de bois placés au pied de l'Olympe. Les rochers sont tapissés d'une espèce de lierre, et les arbres, ornés de plantes qui serpentent autour de leur tronc, s'entrelacent dans leurs branches, et tombent en festons et en guirlandes. Enfin, tout présente en ces beaux lieux la décoration la plus riante. De tous côtés l'œil semble respirer la fraîcheur, et l'âme recevoir un nouvel esprit de vie. Alors, il me conduisit dans une des gorges du mont Ossa, où l'on prétend que se donna le combat des Titans contre les dieux. C'est là qu'un torrent impétueux se précipite sur un lit de rochers qu'il ébranle par la violence de ses chutes. Nous parvinmes en un endroit où ses vagues, fortement comprimées, cherchaient à forcer un passage: elles se heurtaient, se soulevaient, et tombaient en mugissant dans un gouffre d'où elles s'élançaient avec une nouvelle fureur pour se briser les unes contre les autres dans les airs. Les Grecs ont des sensations si vives, ils habitent un climat si chaud, qu'on ne doit pas être surpris des émotions qu'ils éprouvent à l'aspect, et même au souvenir de cette charmante vallée. Au tableau que je viens d'en ébaucher, il faut ajouter que dans le printemps elle est tout émaillée de fleurs, et qu'un nombre infini d'oiseaux y font entendre des chants que la solitude et la saison semblent rendre plus mélodieux et plus tendres. Cependant nous suivions lentement le cours du Pénée, et mes regards, quoique distraits par une foule d'objets délicieux, revenaient toujours sur ce fleuve. Tantôt je voyais ses flots étinceler à travers le feuillage dont ses bords sont ombragés; tantôt, m'approchant du rivage, je contemplais le cours paisible de ses ondes qui semblaient se soutenir mutuellement, et remplissaient leur carrière sans tumulte et sans effort. Je disais à Amyntor : Telle est l'image d'une âme pure et tranquille; ses vertus naissentles unes des autres, 1 ce récit est mis dans la bouche du jeune Anacharsis Amyntor est un Thessalien qui lui evait donné Thospitalité et qui l'accompagnait dans son voyage. (N.E.) Mon âme était occupée de ce spectacle, lorsque je levai les yeux autour de moi; je me trouvai resserré entre deux montagnes noires, arides, et sillonnées dans toute leur hauteur par des abîmes profonds. Près de leurs sommets, des nuages erraient pesamment parmi les arbres funèbres, ou restaient suspendus sur leurs branches stériles. Au-dessus je vis la nature en ruine; les montagnes écroulées étaient couvertes de leurs débris, et n'offraient que des roches menaçantes et confusément entassées. Quelle puissance a donc brisé les liens de ces masses énormes? Est-ce la fu reur des aquilons? est-ce un bouleversement du globe? est-ce, en effet, la vengeance terrible des dieux contre les Titans? je l'ignore: mais, enfin, c'est dans cette affreuse vallée que les conquérants devraient venir comtempler le tableau des ravages dont ils affligent la terre. BARTHÉLEMY. Voyage d'Anarcharsis. LA VALLÉE DE CAMPAN. Deux vallons, dont le premier descend du Tourmale, et l'autre des montagnes de la vallée d'Aure, se perdent au bourg de Sainte-Marie, dans la vallée de Campan. Chacun de ces vallons y apporte le tribut de son torrent; et l'Adour, formé de leurs eaux confondues, après avoir baigné les riches prairies de cette vallée, rencontrant à Bagnère les plaines du Bigorres, comme charmé des contrées qu'il abandonne et de celles qu'il va parcourir, semble lutter, par ses longs circuits, contre la commune destinée des fleuves, lorsque, rencontrant le Gave à Bayonne, né à côté de lui, il s'engloutit avec lui dans les gouffres de l'Océan. Je ne peindrai point cette belle vallée qui le voit naître, cette vallée si connue, si célébrée, si digne de l'être; ces maisons si jolies et si propres, chacune entourée de sa prairie, accompagnée de son jardin, ombragée de sa touffe d'arbres; les méandres de l'Adour plus vif qu'impétueux, impatient de ses rives, mais en respectant la verdure; les molles inflexions du sol ondé, comme des vagues qui se balancent sous un vent doux et léger; la gaieté des troupeaux et la richesse du berger; ces bourgs opulents, formés comme fortuitement, là où les habitations répandues dans la vallée ont redoublé de proximité; Bagnères, ce lieu charmant, où le plaisir a ses autels à côté de ceux d'Esculape, et veut être de moitié dans ses miracles; séjour délicieux, placé entre les champs du Bigorre et les prairies de Campan, comme entre la richesse et le bonheur; ce cadre, enfin, digne de la magnificence du tableau; cette fière enceinte, où la nature oppose le sauvage au champêtre : ces cavernes, ces cascades, visitées par tout ce que la France a de plus aimable et de plus illustre; ces roches, trop verticales peutêtre, dont l'aridité contraste avec la parure de ces heureuses vallées, ce pic du Midi, suspendu sur leurs tranquilles retraites, comme l'épée du tyran sur la tête de Damoclès... Menaçants boulevards, qui me font trembler pour l'Élysée qu'ils renferment. RAMOND. RUINES DES MONUMENTS GRECS. L'insouciance des Turcs a fait plus de tort aux arts que la limedu temps. Ils ne se donnent pas la peine de tailler des pierres, ils démolissent de superbes édifices antiques, et se servent des matériaux pour construire des baraques. J'ai vu les ruines d'un temple de la plus riche architecture, des blocs de granit, des marbres précieux, des bas-reliefs et des ornements du plus beau fini, servir à construire une digue grossière, qui détournait les eaux d'un ruisseau pour faire tourner les roues d'un misérable moulin en bois. Ailleurs, ce sont des colonnes de tous ordres, arrachées à divers monuments pour servir de soutien au comble d'une écurie. Ici, c'est un autel qu'on a creusé en forme de mortier, qui sert à dépouiller le grain de son enveloppe; un tombeau antique, dont on a brisé le fond, formera la margelle d'un ❘ puits, et un autre servira d'auge où les troupeaux viendront s'abreuver; une statue, qui par sa masse ne peut être déplacée, sera défigurée par les coups de la lance des fanatiques sectateurs du Coran, qui proscrit toute représentation huunaine. L'on trouvera enfin dans un atelier desculpteur, ou plutôt d'un barbare fabricant de tombeaux, des marbres dont il s'efforce d'effacer les inscriptions précieuses pour l'histoire de l'antiquité, et cela pour y substituer l'épitaphe d'un obscur descendant de Mahomet. On ne peut faire un pas sans gémir de voir dénaturer ces restes vénérables, et disparaître en un instant le témoignage de tant de siècles de gloire. CASTELLAN. Lettres sur la Morée. LES MINES ET LEURS TRAVAUX. Le règne minéral n'a rien en soi d'aimable et d'attrayant; ses richesses, renfermées dans le sein de la terre, semblent avoir été éloignées des regards de Thomme, pour ne pas tenter sa cupdité: elles sont là comme en réserve pour servir un jour de supplément aux véritables richesses, qui sont plus à sa portée, et dont il perd le goût à mesure qu'il se corrompt. Alors il faut qu'il appelle l'industrie, la peine et le travail, au secours de ses misères; il fouille les entrailles de la terre, il va chercher dans son centre, aux risques de sa vie et aux dépens de sa santé, des biens imaginaires à la place des biens réels qu'elle lui offrait d'elle-même quand il savait en jouir. II fuit le soleil et le jour, qu'il n'est plus digne de voir; il s'enterre tout vivant, et fait bien, ne méritant plus de vivre à la lumière du jour. Là, des carrières, des gouffres, des forges, des fourneaux, un appareil d'enclumes, de marteaux, de fumée et de feu, succèdent aux douces images des travaux champêtres. Les visages haves des malheureux qui languissent dans les infectes vapeurs des mines, de noirs forgerons, de hideux cyclopes, sont le spectacle que l'appareil des mines substitue, au sein de la terre, à celui de la verdure et des fleurs, du ciel azuré, des bergers amoureux, et des laboureurs robustes, sur sa surface. J.-J. ROUSSEAU. OEuvres posthumes. LES TOMBEAUX AÉRIENS. La jeune mère se leva, et chercha des yeux, dans le désert embelli par l'aurore, quelque arbre sur les branches duquel elle pût exposer son fils. Elle choisit un érable à fleurs rouges, tout festonné de guirlandes d'apios, et qui exhalait les parfums les plus suaves. D'une main elle en abaissa les rameaux inférieurs; de l'autre elle y plaça le corps de son enfant : laissant alors échapper la branche, la branche retourna à sa position naturelle, en emportant la dépouille de l'innocence, cachée dans un feuillage odorant. Oh! que cette coutume indienne est touchante! Dans leurs tombeaux aériens, ces corps, pénétrés de la substance éthérée, enfoncés dans des touffes de verdure et de fleurs, rafraîchis par la rosée, embaumés par les brises, balancés par elle sur la même branche où le rossignol a bâti son nid et fait entendre sa plaintive mélodie, ces corps ainsi exposés ont perdu toute la laideur du sépulcre. Mais, si c'est amant a suspendue à l'arbre de la mort; si ce sont les restes d'un enfant chéri qu'une mère a placés. dans la demeure des petits oiseaux, le charme redouble encore. Arbre américain, qui, portant des corps dans tes rameaux, les éloigne du séjour des hommes, en les rapprochant de celui de Dieu, je me suis arrêté en extase sous ton ombre! dans ta sublime allégorie, tu me montrais l'arbre de la vertu : ses racines croissent dans la poussière de ce monde; sa cime se perd dans les étoiles du firmament, et ses rameaux sont les seuls échelons par où l'homme, voyageur sur ce globe, puisse monter de la terre au ciel 4. la dépouille d'une jeune fille que la main d'un | d'une autre mère, qui tenait le corps de son en CHATEAUBRIAND. Genie du Christianisme. L'AMOUR MATERNEL. Tout Paris se souvient de cette nuit désastreuse qui fut si funeste à l'amour maternel. Un ambassadeur d'Allemagne 2 faisait célébrer le mariage d'un illustre conquérant; mille flambeaux éclairaient un palais magique élevé avec autant de célérité que d'imprévoyance. Tous les arts avaient uni leurs merveilles pour enchanter ce beau lieu; les colonnes étaient couvertes de festons, de guirlandes, de chiffres enlacés, et autres ornements symboliques, auxquels un vernis combustible avait imprimé les plus fraîches couleurs. Qui eût cru que les larmes étaient si près de la joie? Un torrent de feu naquit d'une simple étincelle, et enveloppa en un instant cette belle enceinte où tant de familles réunies se livraient à l'innocent plaisir de la danse. Des cris sinistres, les gémissements prolongés de la douleur succédèrent tout à coup au son des instruments qui avaient donné le signal de la fête; les voûtes de l'édifice tremblaient, et déjà plusieurs victimes étaient écrasées. Le peu d'eau que l'on jetait à la hâte ne faisait que nourrir ce vaste embrasement; tout s'engloutissait dans ce gouffre dévorateur. On s'embarrassait dans la fuite; mais ce qu'il y avait de plus touchant au milieu de ces scènes d'horreur et de désespoir, c'est le courage sublime d'une multitude de femmes, pâles, échevelées, s'élançant au milieu des flammes et disputant leurs filles à l'horrible incendie. Toutes les craintes personnelles s'évanouissaient devant les intérêts sacrés de la maternité malheureuse. En quelques minutes, ce théâtre d'allégresse fut converti en un monceau de cendres. Une princesse adorée y perdit la vie; et le lendemain, quand on fouilla les décombres, on trouva le cadavre fant étroitement embrassé; non loin d'elle on apercevait les fragments d'un collier, des bracelets, des pierreries, quelques diamants épargnés par le feu, et autres ornements, tristes restes de la vanité humaine, dont la vue affligeait les regards, en rappelant à l'ame contristée la futilité de nos biens et la fragilité de notre nature. ALIBERT. Physiologie des passions, t. 11 LES FEUILLES. La racine étant presque toujours dérobée aux regards, on peut dire que le feuillage donne seul un caractère à la plante. Il croît avec elle; il la dirige dans les airs où il protége de son abri les tendres rameaux. Chargé de fonctions absorbantes et sécrétoires, il est à la fois le pourvoyeur et l'ornement de la tige à laquelle il communique son balancement onduleux. Aussi quelle prévoyance dans le bouton qui le contient! Celui-ci, formé dans l'aisselle d'une feuille qui le nourrit et l'enveloppe de son pétiole, ne présente d'abord qu'un point presque imperceptible. Il croît graduellement et se montre d'une manière plus distincte aux approches de l'hiver, époque à laquelle les frimas lui enlèvent sa protectrice. Mais, si ce secours lui manque, c'est qu'il est déjà pourvu des pellicules et des gommes sous lesquelles il peut braver impunément la rude saison. C'est donc dans cet espace étroit que, pliés selon leurs formes, les divers feuillages attendent le printemps. A peine le soleil de mars a réchauffé la terre, qu'on les voit, de toutes parts, abandonner, déchirer, ou chasser les tuniques qui leur ont servi de berceau. Les arbres se coiftent de vertes chevelures, sous lesquelles leurs fronts cannelés se rajeunissent. Variées dans leur port comme dans leurs teintes, elles se groupent, se divisent, s'étalent ou flottent avec grâce. Tantôt agréables pendentifs, elles s'arquent et retombent en guirlandes; tantôt moins modestes, elles s'élèvent à la manière de faisceaux, de gerbes ou d'obélisques. Ici c'est une flèche que l'on décoche; là c'est une touffe azurée qui se marie élégamment à l'horizon. Des feuilles innombrables se sont tout à coup étendues dans les airs, pareilles à l'épée qui sort du fourreau, à l'éventail que l'on déplisse, ou à la pièce d'étoffe que l'on déroule. Peu de jours viennent de s'écouler, et les bosquets se sont si bien enlacés, l'ombre s'est tellement épaissie, que l'on serait tenté de demander où donc avaient été mises en réserve ces riches et fraîches tentures, dont s'est paré dans un instant le séjour de la race humaine. 1 Voyez Tableaux en vers, même sujet. • Le ler juillet 1810, le prince de Schwartzenberg, ambassadeur d'Autriche, donna cette fête à l'occasion de mariage de l'empereur Napoléon et de l'impératrice Marie-Louise. Les deux princesses qui y périrent sont la princesse da Schwartzenberg et la princesse de Leyen. (N. E.) KÉRATRY, Inductions morales et physiologiques, liv. 111, ch. VIII. LE LYS ET LA ROSE. Pour me montrer le caractère d'une fleur, les botanistes me la font voir sèche, décolorée et étendue dans un herbier. Est-ce dans cet état que je reconnaîtrai un lis? N'est-ce pas sur le bord d'un ruisseau, élevant au milieu des herbes sa tige auguste, et réfléchissant dans les eaux ses beaux calices plus blancs que l'ivoire, que j'admirerai le roi des vallées ? Sa blancheur incomparable n'est-elle pas encore plus éclatante quand elle est mouchetée, comme des gouttes de corail, par de petits scarabées, écarlates, hémisphériques, piquetés de noir, qui y cherchent presque toujours un asile? Qui est-ce qui peut reconnaître dans une rose sèche la reine des fleurs? Pour qu'elle soit à la fois un objet de l'amour et de la philosophie, il faut la voir, lorsque, sortant des fentes d'un rocher humide, elle brille sur sa propre verdure, que le zéphyr la balance sur sa tige hérissée d'épines, que l'aurore l'a couverte de pleurs, et qu'elle appelle par son éclat et par ses parfums la main des amants. Quelquefois une cantharide, nichée dans sa corolle, en relève le carmin par son vert d'émeraude: c'est alors que cette fleur semble nous dire que, symbole du plaisir par ses charmes et par sa rapidité, elle porte comme lui le danger autour d'elle, et le repentir dans son sein. BERNARDIN DE SAINT-PIERRE. Études de la nature. LA ROSE ET LE PAPILLON. La puissance animale est d'un ordre bien. supérieur à la végétale. Le papillon est plus beau et mieux organisé que la rose. Voyez la reine des fleurs, formée de portions sphériques teintes de la plus riche des couleurs, contrastée par unfeuillage du plus beau vert et balancée par le zéphyr; le papillon la surpasse en harmonie de couleurs, de formes et de mouvements. Considérez avec quel art sont composées les quatre ailes dont il vole, la régularité des écailles qui le recouvrent comme des plumes, la variété de leurs teintes brillantes, les six pattes armées de griffes avec lesquelles il résiste aux vents dans son repos, la trompe roulée dont il pompe sa nourriture au sein des fleurs, les antennes, organes exquis du toucher, qui couronnent sa tête, et le réseau admirable d'yeux dont elle est entourée, au nombre de plus de douze mille. Mais, ce qui le rend bien supérieur à la rose, il a, outre la beauté des formes, les facultés de voir, d'ouïr, d'odorer, de savourer, de sentir, de se mouvoir, de vouloir, enfin une âme douée de passions et d'intelligence. C'est pour le nourrir que la rose entr'ouvre les glandes nectarées de son sein; c'est pour en protéger les œufs collés comme un bracelet autour de ses branches, qu'elle est entourée d'épines. La rose ne voit ni n'entend l'enfant qui accourt pour la cueillir; mais le papillon, posé sur elle, échappe à la main prête à le saisir, s'élève dans les airs, s'abaisse, s'éloigne, se rapproche; et, après s'être joué du chasseur, il prend sa volée, et va chercher sur d'autres fleurs une retraite plus tranquille 1. LE MÊME. Harmonies de la nature LES OISEAUX ET LES POISSONS. Jusque dans les derniers détails, l'économie tout entière des poissons contraste avec celle des oiseaux. L'être aérien découvre nettement un horizon immense; son ouïe subtile apprécie tous les sons, toutes les intonations; sa voix les reproduit: si son bec est dur, si son corps a dû être enveloppé d'un duvet qui le préservât du froid des hautes régions qu'il visite, il retrouve dans ' ses pattes toute la perfection du toucher le plus délicat. Il jouit de toutes les douceurs de l'amour conjugal et paternel; il en remplit les devoirs avec courage: les époux se défendent, défendent leur progéniture. Un art surprenant préside à la construction de leur demeure; quand le temps est venu, ils y travaillent ensemble et sans relâche: pendant que la mère couve ses œufs avec une constance si admirable, le père, d'amant passionné devenu tendre époux, charme par ses chants les ennuis de sa compagne. Dans l'esclavage même, l'oiseau s'attache à son maître; il se soumet à lui et exécute, sous ses ordres, les actes les plus adroits, les plus délicats: il chasse pour lui comme un chien, il revient à sa voix du plus haut des airs; il imite jusqu'à son langage, et ce n'est qu'avec peine que l'on se décide à lui refuser une espèce de raison. L'habitant des eaux, au contraire, ne s'attache point, n'a point de langage, point d'affection; il ne sait ce que c'est que d'être époux et père, ni que de se préparer un abri: dans le danger, il se cache sous les rochers de la mer, ou se précipite dans la profondeur des eaux; sa vie est silencieuse et monotone; sa voracité seule l'occupe, et ce n'est que par elle qu'on peut lui enseigner à diriger ses mouvements par des signes venus du dehors. Et cependant ces êtres, à qui il a été ménagé si peu de jouissances, ont été ornés par 1 Voyez, 2 part., le Papillon. la nature de tous les genres de beauté: variété | combles, enfoncent leurs longs pivots dans ces , en dans les formes, élégance dans les proportions, diversité et vivacité de couleurs, rien ne leur manque pour attirer l'attention de l'homme, et il semble que ce soit cette attention qu'en effet la nature ait eu le dessein d'exciter: l'éclat de tous les métaux, de toutes les pierres précieuses dont ils resplendissent, les couleurs de l'iris qui se brisent, se reflètent en bandes, en taches lignes onduleuses, anguleuses, et toujours régulières, symétriques, toujours de nuances admirablement assorties ou contrastées, pour qui auraient-ils reçu tous ces dons, eux qui ne peuvent au plus que s'entrevoir dans ces profondeurs où la lumière a peine à pénétrer; et, quand ils se verraient, quel genre de plaisir pourraient réveiller en eux de pareils rapports? CUVIER. Histoire des poissons, liv. 11, ch, ler. FAIBLESSE DU POUVOIR DE L'HOMME CONTRE CELUI DE LA NATURE. Nous ne voyons l'ordre que là où nous voyons notre blé. L'habitude où nous sommes de resserrer dans des digues le canal de nos rivières, de sabler nos grands chemins, d'aligner les allées de nos jardins, de tracer leurs bassins au cordeau, d'équarrir nos parterres et même nos arbres, nous accoutume à considérer tout ce qui s'écarte de notre équerre, comme livré à la confusion. Mais c'est dans les lieux où nous avons mis la main que l'on voit souvent un véritable désordre. Nous faisons jaillir des jets d'eau sur des montagnes; nous plantons des peupliers et des tilleuls sur des rochers; nous mettons des vignobles dans des vallées, et des prairies sur des collines. Pour peu que ces travaux soient négligés, tous ces petits nivellements sont bientôt confondus sous le niveau général des continents, et toutes ces cultures humaines disparaissent sous celles de la nature. Les pièces d'eau se changent en marais, les murs de charmille se hérissent, tous les berceaux s'obstruent, toutes les avenues se ferment, les végétaux naturels à chaque sol déclarent la guerre aux végétaux étrangers, les chardons étoilés et les vigoureux verbascums étouffent sous leurs larges feuilles les gazons anglais; des foules épaisses de graminées et de trèfles se réunissent autour des arbres de Judée ; les ronces du chien y grimpent avec leurs crochets, comme si elles y montaient à l'assaut; des touffes d'orties s'emparent de l'urne des naïades, et des forêts de roseaux des forges de Vulcain; des plaques verdâtres de minium rongent les visages de Vénus, sans respecter leur beauté. Les arbres mêmes assiégent le château; les cerisiers sauvages, les ornes, les érables montent sur ces frontons élevés, et dominent enin sur ces coupoles orgueilleuses. Les ruines d'un parc ne sont pas moins dignes des réflexions du sage que celles des empires: elles montrent également combien le pouvoir de l'homme est faible quand il lutte contre celui de la nature. BERNARDIN DE SAINT-PIERRE. Études de la nature. LES QUATRE SAISONS. LE PRINTEMPS. Le soleil entrait à peine dans le signe du Tau reau. A l'éclat monotone des neiges de l'Apennin avait succédé la fleur de la blanche épine. Déja même commençait l'agréable lutte des zéphyrs et du lilas flexible, dont la tendre couleur annonçait le premier sourire de la nature. La rose n'avait pas encore exhalé ses voluptueux parfums; mais l'humble violette embaumait les forêts, et des milliers de feuilles d'un vert tendre s'échappaient du sein des bourgeons vivifiés par une rosée bienfaisante. Chaque feuille recélait une perle liquide; et, lorsqu'un vent frais et doux agitait la cime des arbres, des gouttes pures et limpides humectaient la terre, l'insecte réjoui s'agitait sous l'herbe, et l'oiseau, en battant des ailes, s'abreuvait de la liqueur divine. O Tivoli! fille de Tibur, et vous aussi, antiques monuments des arts, de votre enceinte sacrée l'œil peut voir à la fois les noirs frimas fuir au loin vers les régions hyperborées, et la féconde nature vous couvrir de guirlandes nouvelles, semblables à ces vieillards de la paisible Arcadie, assis à l'ombre d'un chêne, et couronnés de fleurs par des enfants. Dans cette saison fortunée, ô Tivoli ! je foulai. pour la première fois, ton sol antique. Mes regards se portèrent avidement sur ta grande cascade. Jamais ce sublime caprice de la nature n'avait paru plus imposant aux yeux du voyageur étonné. Les flots de l'Aniéno, transformés en une nappe immense, se précipitaient, avec un bruit pareil à celui du tonnerre, dans le vaste bassin que lui avait creuséla nature. Le Vésuve en furie mugit avec moins de majesté. O miracle de l'harmonie! à travers le bruissement de l'onde écumante, on distinguait par intervalles le chant mélodieux de Philomèle 1. L'ÉTÉ. La nuit ne luttait plus qu'avec des forces iné gales contre les feux dont le soleil, vers le milieu، du printemps, embrase la belle Ausonie. Une atmosphère de jeunesse et d'amour était répandue 1 Voyez Définitions, les Quatre Saisons de Girodet. |