sur toute la nature. Le désir, la volupté, la vie, ❘ hymne sacré. Le påtre amoureux accompagnait Cités superbes, ce ne sera pas non plus dans | cependant son pouls bat avec violence: il ne res circulaient dans l'air. L'oiseau soucieux voltigeait, en battant des ailes, autour du nid tissu par sa merveilleuse industrie, et qui bientôt devait recéler ses petits, près de briser leur enveloppe fragile. Cependant le chêne altier n'offrait point encore une barrière impénétrable aux brûlantes ardeurs du midi. Toutes les fleurs de la saison n'étaient point écloses; celles qui appartiennent aux derniers jours du printemps avaient seules reçu, par leurs stigmates 1, cette poussière mystérieuse, qui, s'élançant des anthères du fleuron mâle, et portée sur l'aile du Zéphire, va féconder l'amoureux pistil de la fleur; on voyait même l'abeille dorée et le brillant papillon, chargés du précieux pollen, seconder, en suçant le nectar des fleurs, les essais incertains de l'amant léger de Flore. Enfin la nature n'avait pas encore achevé de développer ses richesses, mais elle se montrait dans toute sa grâce et sa fraîcheur première. Telle on voit une jeune fille à peine adolescente, dont la taille svelte et légère promet à l'hymen mille trésors et les voluptés du ciel, tandis que son joli visage offre encore quelques-uns des traits à demi ébauchés de l'enfance. L'AUTOMNE. Une teinte pourprée s'étendait sur l'horizon. Des nuages de couleur d'ambre flottaient avec grâce et paraissaient disposés à se grouper vers un centre commun. Soudain ces nuages s'écartent, et le soleil couchant se montre dans toute sa splendeur. Telun monarque, assis sur un trône éclatant de rubis et d'opale, annonce, par un coup d'œil, qu'il daigne se manifester aux regards de ses peuples; la foule des courtisans se précipite, et tous se prosternent à ses pieds. De loin on entendait le mugissement du taureau précurseur, et celui des vaches paisibles qui, dans leur marche lentement tumultueuse, se pressaient vers leur étable; ensuite le bêlement des agneaux, et la clochette du mouton favori, dont le son argentin se perdait insensiblement dans les airs. A ces bruits confus, mais non discordants, se mêlait le chant virginal des jeunes filles de Tibur, dont les accents mesurés célébra'ent le déclin du jour; un chœur d'oiseaux d'espèces variées répondait par intervalles à cet la voix de sa maîtresse, soit de son apre pipeau, soit avec le mandolin suspendu à sa poitrine, et dont les sons scintillants et détachés égayaient les lointains de ce modeste paysage. L'HIVER. Non, ce n'est point sous les climats tempérés de la belle et riante Ausonie que le poëte doit chercher ses modèles, lorsqu'il veut peindre et les sombres hivers, et ces glaces suspendues en longs cristaux, semblables aux stalactites de la grotte d'Antiparos 2, ces cônes et ces pointes inégales qui surchargent les branches dépourvues de leur verte chevelure. Quel brillant spectacle s'offre à nos regards, lorsque le soleil, écartant avec majesté la foule des nuages montueux qui s'opposent à ses triomphes, inonde de sa bienfaisante lumière nos forêts silencieuses et nos campagnes desséchées par le souffle glacé des fougueux enfants d'Éole! J'irai donc chercher sur la cime des montagnes qui couronnent la belle et libre Helvétie, ces glaciers immenses, ces neiges éternelles dont la solidité, la teinte bleuâtre offrent au physicien philosophe une si ample matière à de nouveaux systèmes sur les époques antédiluviennes, et sur l'origine des choses. O mystères inconcevables du maître de la nature! les flancs de ces rochers sourcilleux recèlent peut-être des torrents de feux clandestins. L'Etna, couvert de neige, n'élancet-il pas vers le ciel ses laves brûlantes, et de son sein déchiré ne voit-on pas jaillir des fleuves embrasés dont les ondes solides et les filons dévastateurs fuient avec rapidité dans les campagnes, brisent et entraînent tout ce qui s'oppose à leur furie? Tel un vieillard, dont la tête est ombragée de cheveux blancs, cache dans son sein un cœur agité de passions tumultueuses. Si, pour le malheur du monde, une destinée vengeresse arme ses faibles mains du pouvoir suprême, sou| dain l'orage éclate, des torrents d'hommes, altérés de carnage et de sang, couvrent les riches domaines de Palès, et les empires sont détruits. Mais détournons et nos cœurs et nos yeux de ces images de désolation et de mort. D'une main légère, je vais esquisser quelques-unes des grandes scènes si variées que nous offre la saison des glaces et des noirs aquilons. 1 C'est dans les fleurs que se trouvent les organes destinés à la reproduction des plantes. L'organe mâle se nomme étamine, et l'organe femelle se nomme pistil. L'étamine se compose ordinairement de deux parties, le filet et l'anthere. Le filet sert de support à l'anthère; celle-ci consiste en une ou deux petites loges qui renferment une poussière ou pollen, destinée à féconder les graines. On distingue dans le pistil 1o lovaire, qui en est la base et qui contient les graines: 20 le strie. filet tubuleux qui surmonte l'ovaire; 30 le stigmate, orifice extérieur de l'ovaire situé à l'extrémité du style. Le stigmate est ordinairement enduit d'une matière visqueuse destinée probablement à arrêter et à fixer la poussière fécondante qui s'échappe des anthères. (Ν. Ε.) 2 Stalactites, substances pierreuses, ordinairement de nature calcaire, et de forme cylindrique ou conique, qu'on voit pendre à la voûte des grottes. Les plus belles se trouvent dans la grotte d'Antiparos, une des îles de l'archipel grec. N. E. votre sein, au milieu de vos plaisirs factices et corrupteurs, que j'irai composer le tableau des jouissances et des beautés de l'hiver. Rustique et sauvage habitant des forêts et des vallons, je ne quitterai point mon humble demeure. Et vous, somptueux habitants des villes, qui vantez, par désœuvrement, les douceurs de la vie champêtre, vous souriez de pitié à la seule idée de prolonger votre séjour aux champs durant ces longues et austères intempéries qui affligent votre mollesse. Ah! combien il est facile de démasquer ces poétiques et mensongères amours de nos femmes et de nos gens du monde pour la vie champêtre ! Répondez, êtres frivoles : lui trouvez-vous encore des charmes durant la saison des frimas et des neiges? O nature, nature! n'aurais-tu donc, sous les lambris dorés, que des amants vulgaires? Maintenant, quittons ces imposants glaciers de la Suisse, ces brillants effets de lumière qui scintillent sur leurs pointes aiguës, ces gouffres, ces précipices recouverts d'une surface trompeuse de neige fragile sous laquelle sont cachés le désespoir et la mort, ces torrents suspendus, ces grottes sinueuses: transportons-nous dans une de ces vastes forêts non moins antiques, non moins vénérables que ces pics audacieux, voisins du ciel, et où nul être vivant ne peut respirer 1. Là se développe et fuit sous les regards un sol immense également recouvert d'une neige éclatante, dont l'œil ne peut mesurer l'étendue, ni supporter longtemps la monotone et fatigante blancheur. Des groupes imposants d'arbres au tronc noirâtre se détachent en masses colossales sur cet océan immobile qui réfléchit des myriades de faisceaux lumineux. Le regard attristé glisse ensuite et s'égare péniblement à travers ces longues branches, sur les quelles des flocons de neige condensée remplacent les feuilles tremblantes, dont le mugissement était naguère semblable à celui des vagues de la mer; seules elles se rallient au sol parleur blancheur intermittente. Des cèdres altiers, des épines, des pins de diverses espèces, interrompent ces grands contrastes. Leurs feuilles survivancières 2 rappellent à la fois et le souvenir et l'espoir du printemps: malgré leur teinte obscure et sévère, l'œil aime à s'y reposer. pire plus qu'avec d'insupportables déchirements. Ses forces défaillantes sont près de l'abandonner; un sommeil de mort envahit par degrés tous ses sens; s'il y succombe, il est perdu. Enfin, un silence affreux règne autour de lui. Les oiseaux ne sillonnent plus l'air par leurs chants, et les insectes invisibles, voisins du néant, dont les essaims répandus dans l'espace animaient l'atmosphère de leur bourdonnement presque insensible, et le peuplaient, à la fois, d'amour, de mouvement et de vie, ont disparu de la création. Avee quelle angoisse l'âme de cet infortuné ne s'élancet-elle pas alors vers les lointains objets de ses douloureuses affections, sa femme, ses enfants, son vieux père ! Hélas! toutes ces images chéries vont s'engloutir dans ce désordre où règne un calme lugubre, qui n'est interrompu que par le craquement subit de quelques arbres dont le tronc, cédant aux rigueurs d'un froid excessif, s'écarte et se fend en éclats. Rien ne signale plus la nature vivante, si ce n'est les hurlements sinistres des bêtes sauvages et des loups dévorants. Mais la crainte de la mort soutient et conserve sa vie. II a invoqué le créateur du monde, l'enfer se referme derrière lui. Ivre d'espérance et de joie, il presse de ses lèvres reconnaissantes la terre sacrée qui borne cette prison immense. La scène change. A droite une opulente cité s'offre à ses regards; en face de lui est un lac d'une vaste étendue, dont la surface, quoique diaphane, ne réfléchit plus l'azur transparent des cieux. Ses eaux fortement gelées, recouvertes d'une neige légère, résistent au plus pesant fardeau. De gais patineurs, le visage caché sous un masque, les mains enveloppées dans un épais manchon, tracent sur l'onde solide cent figures variées. On croirait être dans la place publique d'une des premières capitales de l'Europe. Les uns se heurtent en passant, ils chancellent: les spectateurs prévoient en riant une chute prochaine; mais l'adroit patineur, s'appuyant sur un de ses talons, reste un instant immobile, glisse, et reprend avec grâce son équilibre. Plus loin, sous un ciel non moins nébuleux, on voit de jeunes et fraîches laitières, les che veux emprisonnés dans une toque brune, le front couvert d'un léger bavolet, et vêtues d'une jupe Oh! quelle foule de sensations amères et d'ef-bleuâtre, rouge ou cendrée : un corset plus blanc frayantes pensées assiége l'âme et comprime le cœur de l'infortuné qui s'est égaré au milieu de ces vastes solitudes! La nuit s'approche, le froid augmente, ses membres s'engourdissent, et 1 Dans les forêts de la Russie. (N. E.) • Qui survivent à l'automne, perpétuelles; expression peu usitée. (N. E.) que la neige marque leur taille leste et déliée. Leur bras gauche est appuyé sur la hanche tandis que le droit soutient, en s'arrondissant, un brillant pot au lait posé sur leur tête, et qu'un rayon du soleil fait paraître aussi éclatant que l'or le plus pur. A l'aide du rapide patin, elles glissent sur la glace endurcie, et franchissent, en moins d'une heure, l'espace de plusieurs milles. Mais, ciel! j'aperçois sur les ondes glacées du Wolga un élégant traîneau attelé d'un renne dont les pieds légers et fugitifs ne le céderaient pas même au plus jeune cerf de nos forêts: il vole, avec la rapidité d'une flèche, sur la surface perfide du fleuve. Une mère, sa fille, beauté qui comptait à peine dix-sept printemps, son jeune époux, occupent cette terrestre nacelle. O désespoir! o mort! la glace amincie crie, se brise, s'écarte, et le fleuve funeste engloutit dans son sein avare les plus doux trésors de la nature et de l'amour. Un seul instant, un éclair a suffi; l'âme de ces trois infortunés a suivi vers les régions célestes le cri d'horreur et simultané qui signale cette triple mort! Hélas! du moins ils périssent ensemble. CHARLES POUGENS. Les Quatre Saisons. LES QUATRE AGES. L'ENFANCE. L'enfant peut être rempli d'agréments, de grâces et de charmes, si une éducation mal entendue n'a pas contraint ses mouvements, si la simple nature a développé librement ses membres, s'il a pu en faire usage par tous les exercices qui conviennent à cet age tendre, mais ami de l'agitation et du changement dans tous les genres. Les proportions les plus agréables, c'està-dire les proportions les plus naturelles, règnent dans ses membres; il n'a pas encore appris à les tenir repliés par contenance, à les roidir par bon air, à leur donner des attitudes bizarres par convention; les travaux forcés ne les ont pas encore viciés, déformés, altérés. Sa main n'a pas encore manié des instruments pesants, son dos n'a pas été courbé sur une charrue ou sur un établi; ses cheveux flottent au gré des vents et de la belle nature, sans avoir été décolorés bizarrement, brûlés avec art, et souvent ridiculement contraints; sa peau n'a pas été ternie par un soleil ardent, ou gercée par le froid; la tempête n'a pas encore fondu sur sa tête; il ne voit la vie qui se présente à lui que comme une route semée de fleurs; il ne prévoit aucun des dangers et des malheurs qui l'attendent; le chagrin n'a pas ridé son front et effacé la noblesse de ses traits; l'on y distingue encore la première origine du roi de la nature; la défiance n'a pas rendu sa démarche arrêtée et suspendue, son regard inquiet, son coup d'œil fixe et sinistre; son esprit, dégagé de préjugés et de soucis, ne lie que des idées agréables, n'enfante que des images gracieuses; si quelques peines légères viennent troubler les beaux jours qui sont tissus pour lui, elles sont toutes hors de hi, elles ne laissent aucun souvenir, elles se dis sipent rapidement avec les objets qui les ont fait naître : que lui manque-t-il pour offrir l'image la plus fidèle des grâces, de la gaieté, de l'agrément, des charmes et de la gentillesse? LA JEUNESSE. Maintenant se présente à nous la brillante jeunesse, cet âge où la nature morale et la nature physique développent et étendent leurs forces, où l'esprit se déploie, et où les impressions seraient plus profondes que jamais, si la réflexion les accompagnait, la réflexion, cette faculté qui seule peut arrêter nos idées, fixer nos sentiments, et durcir véritablement leur empreinte. C'est alors que les passions commencent à exercer leur empire orageux, c'est alors que tous les objets règnent si aisément sur l'âme; rien ne la remue faiblement, comme dans l'enfance; tout la secoue violemment: le jeune homme ne vit que d'élans et de transports, heureux quand ces transports ne l'entraînent que dans la route qu'il doit parcourir! heureux lorsque les mains sages qui le dirigent ne s'efforcent point d'éteindre le feu qui le dévore, et qu'elles ne pourraient parvenir à étouffer, mais qu'elles cherchent à contenir ce feu, à le lancer vers les vertus sublimes, vers tout le bien auquel la jeunesse peut atteindre ! Venant d'un âge où personne n'a eu besoin de se défendre contre lui, où personne n'a pu le redouter, où, par conséquent, rien ne lui a résisté; sentant chaque jour de nouvelles forces qui se développent en lui; imaginant qu'elles augmenteront toujours, ne les ayant encore mesurées avec aucun obstacle; pensant que rien ne peut les égaler; croyant que tout doit s'aplanir devant lui, fier, indomptable, et voulant secouer entièrement le joug sous lequel sa faiblesse l'a retenu pendant son enfance, le jeune homme est l'image de la liberté et de l'indépendance. Il fuit tout ce qui peut lui rotracer ce qu'il appelle son esclavage, tout ce qui peut lui peindre son ancienne soumission; il dédaigne des demeures trop resserrées où son corps et son esprit se trouvent à l'étroit; il ne se plaît que dans une vaste campagne, où il peut en liberté exercer ses forces à courir, son courage à dompter des coursiers sauvages, son adresse à les dresser, et son intrépidité à vaincre et à immoler des animaux féroces. Là, il saute de joie sur la terre qu'il peut maintenant parcourir à son gré; il agite ses membres vigoureux; il s'essaye à transporter de lourds fardeaux; il croit avoir beaucoup fait lorsqu'il a renversé avec effort un bloc de rocher, abattu avec vigueur un arbre, ou devancé ses chiens à la course. Ses traits ne sont plus l'image de la grâce et de la gentillesse, comme dans l'enfance, mais celle de la fierté. Son corps, dont les contours sont plus durement exprimés, offre des muscles dessinés avec force, et dont le jeu rapide et puissant annonce sa supériorité; ses cheveux brunis par le soleil, dont il se plaît à affronter les ardeurs, sont plus longs et plus touffus; ses yeux pleins de feu brillent de courage; ses bras portent déjà les dures empreintes, non pas de ses travaux utiles, mais de ses travaux capricieux; sa démarche est ferme, sa tête élevée, son ton de voix imposant : il a l'air du fils d'Hercule, et paraît destiné à remuer sa massue et à dompter les monstres. Impétueux, remué aussi souvent que l'enfance, mais toujours agité violemment, transporté à la présence de chaque objet nouveau, changeant à chaque instant de place, de projets et de désirs, franchissant tous les obstacles, impatient de tout retardement; qui pourrait s'opposer à sa course rapide et vagabonde? La voix seule du sentiment est assez forte pour le retenir. La nature, qui parle dans son cœur plus haut que tous les objets qui l'entourent, lui fait reconnaître, chérir et vénérer la voix de celui qui lui donna le nesse a laissés dans son imagination, jouit de tous ses droits, et soumet tout à sa puissance. Son âme, animant alors un corps parfait, dont tous les organes ont reçu un juste degré de dé❘veloppement, où la force et la souplesse se trouvent réunies, et où tout seconde les divers mouvements qui l'agitent, s'élance vers les spéculations les plus sublimes, découvre les grandes vérités, entreprend, exécute, achève les plus grands travaux: alors l'homme, véritable emblème de la majesté et de la puissance, élevant sa tête droite et auguste sur un corps robuste et endurci, marche, parle, agit en maître de la nature, lui commande, et la fait servir à ses nobles desseins. Mais, si les passions folles de la jeunesse ne déchirent pas son âme, elle est en proie à des passions presque aussi redoutables, moins vives mais bien plus constantes. L'ambition fait briller devant lui des couronnes de toute espèce; elle l'engage dans des routes épineuses pour arriver au but éclatant qu'elle lui offre, but illusoire et fantastique qui fuit presque toujours devant ceux jour, et qui soigna son enfance: c'est un lion | qui cherchent à y parvenir, et qui disparaît enfin que l'on conduit avec une chaîne couverte de aux yeux de ceux qui sont près de l'atteindre. roses, sans qu'il songe à rompre de si doux Il suit la voix de cette ambition cruelle et celle riens. Heureux le jeune homme, lorsque la tende la fausse gloire; il médite des projets sandresse paternelle est le seul frein donné à son guinaires; il forge des chaines pour des voisins courage, lorsque les passions, si dangereuses, s, dont tout le crime est d'être trop près de lui; si vives à cet âge des erreurs, ne s'emparent | il court aux armes; il aiguise le fer meurtrier; il pas de son âme, et ne la livrent pas en proie à toutes les illusions, à toutes les fausses espérances, à tous les tourments; lorsque la plus terrible de ces passions ne vient pas le dominer! Elle commence par le séduire, elle lui peint tous les objets va, la flamme à la main, cueillir, au milieu des horreurs d'une guerre injuste et barbare, dès lauriers teints de sang: assis sur les débris d'une ville fumante, entouré des victimes infortunées de sa passion forcenée, il contemple avec des en beau; elle présente la nature plus riante et plus | yeux féroces et cruels le ravage qui couvre au belle aux yeux fascinés du jeune homme trompé; elle conduit ses pas dans une route en apparence semée de fleurs; par un pouvoir fantastique, elle lui fait voir, au bout de cette fatale carrière, les portes du temple du bonheur ouvertes pour le vecevoir; elle lui montre sa place marquée à côté de l'objet de sa passion funeste : c'est Armide qui conduit Renaud dans une île enchantée, qui le retient éloigné de ses guerriers, de son devoir et de sa gloire, et qui, en l'entourant de guirlandes, l'enlace dans des chaînes dont bientôt il sentira le poids. L'AGE MUR. loin les campagnes, et tous ses gestes sont des signes de mort et de désolation. Ici, avide d'or et de vaines richesses, quels dangers ne bravet-il pas pour assouvir sa brutale avarice? Dans sa rage féroce, il répand le sang de tout un monde nouveau, que le génie n'avait pas découvert pour des forfaits horribles; il le change en un vaste désert, court semer les crimes les plus atroces dans une partie immense de l'ancien monde, en réduit sous le joug les malheureux habitants, et les transporte, chargés de chaînes, sur le nouveau monde qu'il a dévasté, et où il a cru, dans sa fureur insensée, faire venir de l'or en l'abreuvant de sang. D'un autre côté, la gloire et souvent la vertu l'appellent dans de nouvelles routes interrompues par un grand nombre de précipices, mais dont le but, bien loin d'offrir un vain fantôme, présente l'image sacrée de l'utilité publique. Alors, prince juste, bon et généreux, il donne la paix et le bonses bienfaits. Ici, dispensateur des grâces d'une religion consolatrice, ou des lois sacrées de la propriété et de la sûreté publique, il reçoit, dans les acclamations des citoyens qu'il console et qu'il protége, la touchante récompense de ses vertus: là, il appelle l'agriculture, le commerce et les arts utiles, et leur dit de fertiliser, de peupler un pays inculte; par ses bienfaits, ses travaux et son industrie, il unit les États les plus reculés, il les enrichit par ses soins, il les protége par sa puissance guerrière, ses talents militaires, ses vertus héroïques; faisant naître les arts agréables, il répand mille charmes au milieu des tranquilles habitations de ses semblables; il les réunit, radoucit leurs caractères, et en affaiblit la dureté, leur inspire les vertus aimables, calme leurs peines par de vives et d'innocentes jouissances, leur retrace leurs anciens héros, leurs guerriers illustres, leurs grands hommes, fait revivre leurs hauts faits et leurs sublimes pensées. Recueilli enfin dans une paisible retraite, consultant en secret la nature, abandonnant, pour ainsi dire, sa dépouille mortelle, s'élevant sur les ailes de son génie et de la contemplation, il découvre et montre à ses semblables les vérités les plus cachées et les plus utiles. L'homme jouit ici de toutes les forces de son corps et de son esprit : les passions tumultueuses, et que l'ivresse ne cesse d'accompagner, ne règnent plus avec assez de force sur lui pour offusquer sa raison. Le rayon divin qui l'anime brille de tout son éclat; son intelligence, échauffée par les feux que le trouble de la jeu- | heur au monde, et ne compte ses jours que par LA VIEILLESSE. Si l'homme, parvenu à l'âge viril, jouit de tout son être, s'il est alors arrivé au plus haut degré de puissance, il va bientôt en déclinant; chaque jour ses facultés s'affaiblissent, les forces de son corps diminuent, il passe à la vieillesse. Que cet état, digne de tous nos hommages, ne soit introduit sur la scène tragique que pour intéresser, que pour y faire verser des larmes! Que l'on conserve à la vieillesse que l'on pro duira sur la scène toute la raison et toute la lumière de l'expérience; qu'elle présente même encore quelquefois un corps vigoureux, et que, sous ses cheveux blancs, elle offre toujours un front auguste; que le vieillard soit représenté comme un chêne antique qui soutient encore avec force ses rameaux puissants; qu'il soit plein de douceur et d'une tendre compassion; que les maux qu'il a éprouvés, que l'expérience qu'il a de ia faiblesse humaine, et des dangers de toute espèce qui entourent ses semblables, remplissent son cœur d'une charité douce; qu'il plaigne et qu'il pardonne; que la nature ne cesse de se faire entendre à son cœur. Comme on doit voir avec intéret cette image de la faiblesse de la tendre enfance réunie avec toute la majesté, toute la vénusté de l'âge viril, et avec un caractère plus touchant, plus attendrissant, plus sacré encore! Comme tout ce que dira le vieillard sera intéressant, lorsque des paroles de douceur ne cesseront de sortir de sa bouche uniquement ouverte par une tendre pitié! C'est un dieu consolateur laissé au milieu de ses enfants pour y être une image vivante du Dieu qu'ils adorent, pour leur transmettre ses bénédictions, pour les aider par ses conseils, pour les soutenir par le secours de ses encouragements et de sa tendresse touchante, lorsqu'il reçoit de leur amour et de leur reconnaissance tous les secours que ses maux peuvent réclamer. Et quel est le cœur qui ne sera pas déchiré, si le vieillard auguste et respectable est obligé de courber sa tête défaillante sous le poids de la misère ou sous celui de l'infortune1? LACÉPÈDE. Poélique de la musique, tome n. 1 Voyez Definitions en vers, les Différents Ages. |