Images de page
PDF
ePub

DESCRIPTIONS.

Soyez riche et pompeux dans vos descriptions. BOILEAU. Art poét., chant 111.

DESCRIPTION ORATOIRE ET HISTORIQUE.

PRÉCEPTES DU GENRE.

En poésie et en éloquence la description ne se borne pas à caractériser son objet; elle en présente le tableau dans ses détails les plus intéressants et avec les couleurs les plus vives. Si la description ne met pas son objet comme sous les yeux, elle n'est ni oratoire ni poétique : les bons historiens eux-mêmes, comme Tite-Live et Tacite, en ont fait des tableaux vivants; et, soit qu'on parle du combat des Horaces, ou du convoi de Germanicus, on díra qu'il est peint, comme on dira qu'il est décrit.

Autant le poëte est prodigue de descriptions, autant l'orateur doit en être sobre. Sa règle à lui est que non-seulement la description soit un moyen de sa cause, mais que chaque trait qu'il emploie serve à fortifier ce moyen. Tout ce qui, dans la description oratoire, n'intéresse que l'imagination, est superflu et vicieux. Un modèle de ce genre est la description du supplice de Gavius dans la cinquième des Verrines 1.

MARMONTEL. Éléments de littérature.

THÉORIE DE L'AURORE.

Les rayons qui se plient pour s'approcher de nous passent au-dessus de nos têtes avant de nous atteindre; ils se réfléchissent sur les particules grossières de l'air pour former d'abord une faible lueur, incessamment augmentée, qui annonce et devient bientôt le jour. Cette lueur est l'aurore. La lumière décomposée peint les nuages, et forme ces couleurs brillantes qui précèdent le lever du soleil : c'est dans ce phénomène coloré de la réfraction que les poëtes ont vu la déesse du matin; elle ouvre les portes du jour avec ses

doigts de rose, et la fille de l'air et du soleil a son trône dans l'atmosphère. Si cette atmosphère n'existait pas, si les rayons nous parvenaient en ligne droite, l'apparition et la disparition du soleil seraient instantanées; le grand éclat du jour succéderait à la profonde nuit, et des ténèbres épaisses prendraient tout à coup la place du plus beau jour. La réfraction est donc utile à la terre, non-seulement parce qu'elle nous fait jouir quelques moments de plus de la présence du soleil, mais parce qu'en nous donnant les crépuscules, elle prolonge la durée de la lumière; et la nature a établi des gradations pour préparer nos plaisirs, pour diminuer nos regrets. Nous voyons poindre le jour comme une faible espérance; il s'échappe sans qu'on y songe, et la lumière se perd comme nos forces, comme la santé, les plaisirs, la vie même, sans que nous nous en apercevions 2.

BAILLY. Astronomie moderne.

LEVER DU SOLEIL.

On le voit s'annoncer de loin par les traits de feu qu'il lance au-devant de lui. L'incendie augmente, l'orient paraît tout en flamme : à leur éclat on attend l'astre longtemps avant qu'il se montre ; à chaque instant on croit le voir paraître: on le voit enfin. Un point brillant part comme un éclair, et remplit aussitôt tout l'espace; le voile des ténèbres s'efface et tombe; l'homme reconnaît son séjour, et le trouve embelli. La verdure a pris, durant la nuit, une vigueur nouvelle; le jour naissant qui l'éclaire, les premiers rayons qui la dorent, la montrent couverte d'un brillant réseau de rosée, qui réfléchit à l'œil la lumière et les couleurs. Les oiseaux en chœur se réunissent et saluent de concert le père de la vie : en ce moment, pas un seul ne se tait. Leur gazouillement, faible encore, est plus lent et plus doux que dans le reste de la journée : il se sent de la langueur d'un paisible réveil. Le concours de tous ces objets porte aux sens une impression de fraîcheur qui semble pénétrer jusqu'à l'âme. Il y a là une demi-heure d'enchantement auquel nul homme ne résiste: un spectacle si grand, si beau, si délicieux, n'en laisse aucun de sang-froid.

1 Voyca, 2e partie, Description poétique.

2 Voyez Descrivlions en v

J.-J. ROUSSEAU. Émile, liv. 11.

L'AURORE ET LE LEVER DU SOLEIL,

Quel spectacle pour un amant de la simple nature! Assis sur la pointe des rochers, je vois sous mes pieds une infinité de petites səsi qui se forment au gré du caprice des ruisseaux; je vois tomber avec bruit leurs ondes du haut de la montagne; et, se brisant dans leur chute, ils vont promener sur la plaine leurs erreurs et leur inconstance. Je crois être le dieu de la source qui bouillonne à mes côtés : ce siége, revêtu de mousse, semble être le trône où la nature m'a permis de monter: elle veut sans doute que je règne sur ces lieux où elle triomphe elle-même. Quelle fraîcheur dans l'air! quelle odeur charmante dans les herbes qui s'élèvent autour de moi, et qui semblent percer le sein aride des rochers, pour les couronner ensuite de leurs feuilles ! Le jour commence à se mêler avec les ombres de la nuit; mais l'ombre s'élève insensiblement : on dirait que le voile qui couvrait la nature commence à se replier. Déjà toute une partie du ciel s'éclaire: les astres qui y sont attachés pâlissent et semblent se reculer à l'approche du jour, tandis que, du côté du couchant, la nuit étend encore sous les voûtes des cieux un voile semé de saphirs; les étoiles brillantes qui l'éclairent semblent ranimer tout leur feu pour s'opposer au lever de l'aurore; mais leurs efforts sont vains: tout l'orient se pare des plus riches couleurs: la nature annonce son réveil à la terre par la voix de tous les animaux: un vent paisible frémit doucement entre les feuilles des arbres; et déjà, des cabanes voisines, je vois sortir des torrents de fumée, qui annoncent la fuite du repos et le règne du travail. L'étoile de Vénus dispute seule encore à l'aurore l'empire du matin; mais, contente d'avoir combattu un moment, elle prévient sa défaite par une fuite lente, qui laisse la victoire indécise. Le triomphe de l'aurore est rapide. Image naturelle du plaisir, rien n'est si brillant que son approche, rien n'est si court que sa dure! Un feu plus vif efface les couleurs tendres dont elle s'était parée: le roi des astres semble |

s'élever en ligne droite du sein de la terre, et ses premiers rayons montent en colonnes vers le ciel: la tête des montagnes les plus reculées laisse déjà voir la moitié de son globe, qui paraît être composé d'une lumière tremblante et bleuâtre dans sa circonférence, mais d'un rouge påle dans son centre. L'astre monte et commence à former dans sa marche une ligne courbe: son globe se rétrécit, sa lumière s'épure, et ses rayons, plus prompts et plus ardents, vont bientôt sécher, par une chaleur modérée, et l'humidité de la terre et les présents de l'aurore : les vapeurs douces qu'ils enlèvent forment en l'air les nuages légers qui, portés sur l'aile de l'inconstance et des zéphyrs, ne laissent pas de former des contrastes réguliers dans le vaste tableau des cieux. Quels objets! Est-il possible que je sois peut-être le seul en ce moment qui s'en occupe! Que faut-il donc pour piquer la curiosité des hommes 1?

BERNIS

LE PRINTEMPS DU CLIMAT DE LA GRÈCE.

Dans l'heureux climat que j'habite, le printemps est comme l'aurore d'un beau jour: on y jouit des biens qu'il amène, et de ceux qu'il promet. Les feux du soleil ne sont plus obscurcis par des vapeurs grossières : ils ne sont pas encore irrités par l'aspect ardent de la canicule : c'est une lumière pure, inaltérable, qui se repose doucement sur tous les objets, c'est la lumière dont les dieux sont couronnés dans l'Olympe.

Quand elle se montre à l'horizon, les arbres agitent leurs feuilles naissantes : les bords de l'Ilyssus retentissent du chant des oiseaux, et les échos du mont Hymette, du son des chalumeaux rustiques. Quand elle est près de s'éteindre, le ciel se couvre de voiles étincelants, et les nymphes de l'Attique vont d'un pas timide essayer sur le gazon des danses légères mais bientôt elle se hâte d'éclore, et alors on ne regrette ni la fraîcheur de la nuit qu'on vient de perdre, ni la splendeur du jour qui l'avait précédée; il semble qu'un nouveau soleil se lèvę sur un nouvel univers, et qu'il apporte de l'orient des couleurs inconnues aux mortels. Chaque instant ajoute un nouveau trait aux beautés de la nature; à chaque instant, le grand ouvrage du développement des êtres avance vers sa perfection.

O jours brillants! ô nuits délicieuses! quelle émotion excitait dans mon âme cette suite de tableaux que vous offriez à tous mes sens! O dieu des plaisirs! ô printemps! je vous ai vu cette

Voyez Tableaux en vers.

LA MER.

année dans toute votre gloire; vous parcouriez en vainqueur les campagnes de la Grèce, et vous détachiez de votre tête les fleurs qui devaient les embellir vous paraissiez dans les vallées, elles se changeaient en prairies riantes; vous paraissiez sur les montagnes, le serpolet et le thym exha-❘ laient mille parfums; vous vous éleviez dans les airs, et vous y répandiez la sérénité de vos regards. Les Amours empressés accouraient à votre voix, ils lançaient de toutes parts des traits enflammés, la terre en était embrasée. Tout renaissait pour s'embellir: tout s'embellissait pour plaire. Tel parut le monde au sortir du chaos, dans ces moments fortunés où l'homme, ébloui | qu'à la plus grande profondeur. Nous savons que

du séjour qu'il habitait, surpris et satisfait de son existence, semblait n'avoir un esprit que pour connaître le bonheur, un cœur que pour le désirer, une âme que pour le sentir 1.

BARTHÉLEMY. Voyage d'Anacharsis.

L'ORAGE.

L'horizon se chargeait au loin de vapeurs ardentes et sombres : le soleil commençait à pâlir: la surface des eaux, unie et sans mouvement, se couvrait de couleurs lugubres, dont les teintes variaient sans cesse. Déjà le ciel, tendu et fermé de toutes parts, n'offrait à nos yeux qu'une voûte ténébreuse que la flamme pénétrait, et qui s'appesantissait sur la terre. Toute la nature était dans le silence, dans l'attente, dans un état d'inquiétude qui se communiquait jusqu'au fond de nos âmes. Nous cherchames un asile dans le vestibule du temple, et bientôt nous

La première chose qui se présente, c'est l'immense quantité d'eau qui couvre la plus grande partie du globe; ces eaux occupent toujours les parties les plus basses, elles sont aussi toujours de niveau, et elles tendent perpétuellement à l'équilibre et au repos; cependant nous les voyons agitées par une forte puissance, qui, s'opposant à la tranquillité de cet élément, lui imprime un mouvement périodique et réglé, soulève et abaisse alternativement les flots, et fait un balancement de la masse totale des mers en les remuant jus

ce mouvement est de tous les temps, et qu'il durera autant que la lune et le soleil, qui en sont les causes.

Considérant ensuite le fond de la mer, nous y remarquons autant d'inégalités que sur la surface de la terre; nous y trouvons des hauteurs, des vallées, des plaines, des profondeurs, des rochers, des terrains de toute espèce; nous voyons que toutes les îles ne sont que les sommets de vastes montagnes, dont le pied et les racines sont couverts de l'élément liquide; nous y trouvons d'autres sommets de montagnes qui sont presque à fleur d'eau: nous y remarquons des courants rapides qui semblent se soustraire au mouvement général; on les voit se porter quelquefois constamment dans la même direction, quelquefois rétrograder, et ne jamais excéder leurs limites, qui paraissent aussi invariables que celles qui bornent les efforts des fleuves de la terre. Là sont ces contrées orageuses, où les vents en fureur précipitent la tempête, où la mer et le ciel également agités se choquent et se confondent: ici sont

vîmes la foudre briser à coups redoublés cette | des mouvements intestins, des bouillonnements,

barrière de ténèbres et de feu suspendue sur nos têtes; des nuages épais rouler par masses dans les airs, et tomber en torrents sur la terre; les vents déchaînés fondre sur la mer, et la bouleverser dans ses abimes. Tout grondait, le tonnerre, les vents, les flots, les antres, les montagnes; et, de tous ces bruits réunis, il se formait un bruit épouvantable qui semblait annoncer la dissolution de l'univers. L'aquilon ayant redoublé ses efforts, l'orage alla porter ses fureurs dans les climats brûlants de l'Afrique. Nous le suivîmes des yeux, nous l'entendimes mugir dans le lointain; le soleil brilla d'une clarté plus pure; et cette mer, dont les vagues écumantes s'étaient élevées jusqu'aux cieux, traînait à peine ses flots iusque sur le rivage 2.

des trombes et des agitations extraordinaires causées par des volcans dont la bouche submergée vomit le feu du sein des ondes, et pousse jusqu'aux nues une épaisse vapeur mêlée d'eau, de soufre et de bitume. Plus loin je vois ces gouffres dont on n'ose approcher, qui semblent attirer les vaisseaux pour les engloutir: au delà, j'aperçois ces vastes plaines toujours calmes et tranquilles, mais tout aussi dangereuses, où les vents n'ont jamais exercé leur empire, où l'art du nautonier devient inutile où il faut rester et périr; enfin portant les yeux jusqu'aux extrémités du globe, je vois ces glaces énormes qui se détachent des continents des pôles, et viennent comme des montagnes flottantes voyager et se fondre jusque dans les régions tempérées.

[ocr errors]

Voilà les principaux objets que nous offre le vaste empire de la mer. Des milliers d'habitants | sommet à la hauteur de nos huniers, c'est-à-dire

LE MÊME. Ibidem.

Tableaux en vers.

2 Voyez Tableaux en vers.

de différentes espèces en peuplent toute l'étendue: les uns, couverts d'écailles légères, en traversent avec rapidité les différents pays; d'autres, chargés d'une épaisse coquille, se traînent pesamment et marquent avec lenteur leur route sur le sable; d'autres, à qui la nature a donné des nageoires en forme d'ailes, s'en servent pour s'élever et se soutenir dans les airs; d'autres enfin, à qui tout mouvement a été refusé, croissent et vivent attachés aux rochers: tous trouvent dans cet élément leur pâture. Le fond de la mer produit abondamment des plantes, des mousses et des végétations encore plus singulières : le terrain de la mer est de sable, de gravier, souvent de vase, quelquefois de terre ferme, de coquillages, de rochers: et partout il ressemble à la terre que nous habitons.

BUFFON.

UNE TEMPÊTE DANS LES MERS DE L'INDE.

à plus de cinquante pieds au-dessus de ma tête Mais la base de cette effroyable digue venant à passer sous notre vaisseau, elle le faisait tellement pencher que ses grandes vergues trempaient à moitié dans la mer qui mouillait le pied de ses mats, de sorte qu'il était au moment de chavirer. Quand il se trouvait sur sa crête, il se redressait et se renversait tout à coup en sens contraire sur sa pente opposée avec non moins de danger, tandis qu'elle s'écoulait de dessous lui avec la rapidité d'une écluse, en large nappe d'écume.

Il était alors impossible de recevoir quelque consolation d'un ami, ou de lui en donner. Le vent était si violent qu'on ne pouvait entendre les paroles mêmes qu'on se disait en criant à l'oreille à tue-tête. L'air emportait la voix, et ne permettait d'ouïr que le sifflement aigu des vergues et des cordages, et les bruits rauques des flots, semblables aux hurlements des bêtes féroces. Nous restâmes ainsi entre la vie et la mort depuis le lever du soleil jusqu'à trois heures après midi.

BERNARDIN DE SAINT-PIERRE. Harmonies de la Nature.

L'OURAGAN DES ANTILLES.

Quand nous eûmes doublé le cap de BonneEspérance, et que nous vimes l'entrée du canal de Mozambique, le 23 de juin, vers le solstice d'été, nous fûmes assaillis par un vent épouvantable du sud. Le ciel était serein, on n'y voyait que quelques petits nuages cuivrés, semblables à des vapeurs rousses, qui le traversaient avec plus de vitesse que celle des oiseaux. Mais la mer était sillonnée par cinq ou six vagues longues ét élevées, semblables à des chaînes de collines, espacées ❘❘tructives que les vents puissent rassembler. Tout

L'ouragan est un vent furieux, le plus souvent accompagné de pluie, d'éclairs, de tonnerre quelquefois de tremblements de terre, et toujours des circonstances les plus terribles, les plus des

entre elles par de larges et profondes vallées. Chacune de ces collines aquatiques était à deux ou trois étages. Le vent détachait de leurs sommets anguleux une espèce de crinière d'écume, où se peignaient çà et là les couleurs de l'arc-en-ciel. 11 | monde sont déracinés, ou leurs débris dispersés,

à coup, au jour vif et brillant de la zone torride, succède une nuit universelle et profonde; à la parure d'un printemps éternel, la nudité des plus tristes hivers. Des arbres aussi anciens que le

[ocr errors]

en emportait aussi des tourbillons d'une poussière blanche qui se répandait au loin dans leurs vallons, comme celle qu'il élève sur les grands chemins en été. Ce qu'il y avait de plus redoutable, c'est que quelques sommets de ces collines, poussés en avant de leurs bases par la poussière du vent se déferlaient en énormes voûtes, qui se roulaient sur elles-mêmes en mugissant et en écumant, et eussent englouti le plus grand vaisseau s'il se fût trouvé sous leurs ruines. L'état de notre vaisseau concourait avec celui de la mer à rendre notre situation affreuse. Notre grand mât avait été brisé la nuit par la foudre, et le mât de misaine, notre unique voile, avait été emporté le matin par le vent. Le vaisseau, incapable de gouverner, voguait en travers, jouet du vent et des lames. J'étais sur le gaillard d'arrière, me tenant accroché aux haubans du mât d'artimon, tâchant de me familiariser avec ce terrible spectacle. Quand une de ces montagnes approchait de nous, j'en voyais le

les plus solides édifices n'offrent en un moment que des décombres. Où l'œil se plaisait à regarder des coteaux riches et verdoyants, on ne voit plus que des plantations bouleversées et des cavernes hideuses. Des malheureux, dépouillés de tout, pleurent sur des cadavres, ou cherchent leurs parents sous des ruines. Le bruit des eaux, des bois, de la foudre et des vents, qui tombent et se brisent contre les rochers ébranlés et fracassés; les cris et les hurlements des hommes et des animaux, pêle-mêle emportes dans un tourbillon de sable, de pierres et de débris, tout semble annoncer les dernières convulsions et l'agonie de la nature.

RAYNAL. Histoire philosophique, liv. u.

LES ALLUVIONS.

Des eaux qui tombent sur les crêtes et les sommets des montagnes, ou les vapeurs qui s'y con

densent, ou les neiges qui s'y liquéfient, descen- | monies de ce globe, j'aperçus sur un fraisier, qui dent par une infinité de filets le long de leurs était venu par hasard sur ma fenêtre, de petites pentes; elles en enlèvent quelques parcelles, et mouches si jolies, que l'envie me prit de les déy marquent leur passage par des sillons légers. ❘ crire. Le lendemain j'y en vis d'une autre sorte,

Bientôt ces filets se réunissent dans les creux plus marqués dont la surface des montagnes est labourée; ils s'écoulent par les vallées profondes qui en entament le pied, et vont former ainsi les rivières et les fleuves, qui reportent à la mer les eaux que la mer avait données à l'atmosphère. A la fonte des neiges, ou lorsqu'il survient un orage, le volume de ces eaux des montagnes, subitement augmenté, se précipite avec une vitesse proportionnée aux pentes; elles vont heurter avec violence le pied de ces croupes de débris qui couvrent les flancs de toutes les hautes vallées: elles entratnent avec elle les fragments déjà arrondis qui les composent; elles les émoussent, les polissent encore par le frottement; mais à mesure qu'elles arrivent à des vallées plus unies, où leur chute diminue, ou dans des bassins plus larges, où il leur est permis de s'épandre, elles jettent sur la plage les plus grosses de ces pierres qu'elles roulaient; les débris plus petits sont déposés plus bas, et il n'arrive guère au grand canal de la rivière que les parcelles les plus menues, ou le limon le plus imperceptible. Souvent même le cours de ces eaux, avant de former le grand fleuve inférieur, est obligé de traverser un lac vaste et profond, où leur limon se dépose, et d'où elles ressortent limpides. Mais les fleuves inférieurs, et tous les ruisseaux qui naissent des montagnes plus basses, ou des collines, produisent aussi, dans les terrains qu'ils parcourent, des effets plus ou moins analogues à ceux des torrents des hautes montagnes. Lorsqu'ils sont gonflés par de grandes pluies, ils attaquent le pied des collines terreuses ou sableuses qu'ils rencontrent dans leurs cours, et en portent les débris sur les terrains bas qu'ils inondent, et que chaque inondation élève d'une quantité quelconque; enfin, lorsque les fleuves arrivent aux grands lacs ou à la mer, et que cette rapidité, qui entraîne les parcelles de limon, vient à cesser tout à fait, ces parcelles se déposent aux côtés de l'embouchure; elles finissent par y former des terrains qui prolongent la côte; et si cette côte est telle que la mer y jette de son côté du sable, et contribue à cet accroissement, il se crée ainsi des provinces, des royaumes entiers, ordinairement les plus fertiles, et bientôt les plus riches du monde, si les gouvernements laissent l'industrie s'y exercer en paix.

CUVIER.

LE FRAISIER OU LE MONDE D'INSECTES SUR UNE PLANTE.

[ocr errors]

que je décrivis encore. J'en observai, pendant trois semaines, trente-sept espèces toutes différentes; mais il y en vint à la fin un si grand nombre, et d'une si grande variété, que je laissai là cette étude, quoique très-amusante, parce que je manquais de loisir, ou, pour dire la vérité, d'expressions.

Les mouches que j'avais observées étaient toutes distinguées les unes des autres par leurs couleurs, leurs formes et leurs allures. Il y en avait de dorées, d'argentées, de bronzées, de tigrées, de rayées, de bleues, de vertes, de rembrunies, de chatoyantes. Les unes avaient la tête arrondie comme un turban; d'autres, allongée en pointe de clou. A quelques-unes elle paraissait obscure comme un point de velours noir; elle étincelait à d'autres comme un rubis. Il n'y avait pas moins de variété dans leurs ailes : quelques-unes en avaient de longues et de brillantes, comme des lames de nacre; d'autres, de courtes et de larges, qui ressemblaient à des réseaux de la plus fine gaze. Chacune avait sa manière de les porter et de s'en servir. Les unes les portaient perpendiculairement, les autres horizontalement, et semblaient prendre plaisir à les étendre. Celles-ci volaient en tourbillonnant à la manière des papillons; celles-là s'élevaient en l'air, en se dirigeant contre le vent, par un mécanisme à peu près semblable à celui des cerfs-volants de papier qui s'élèvent en formant, avec l'axe du vent, un angle, je crois, de vingt-deux degrés et demi. Les unes abordaient sur cette plante pour y déposer leurs œufs, d'autres simplement pour s'y mettre à l'abri du soleil; mais la plupart y venaient pour des raisons qui 'm'étaient tout à fait inconnues: car les unes allaient et venaient dans un mouvement perpétuel, tandis que d'autres ne remuaient que la partie postérieure de leur corps. Il y en avait beaucoup qui étaient immobiles, et qui étaient peut-être occupées, comme moi, à observer. Je dédaignai, comme suffisamment connues, toutes les tribus des autres insectes qui étaient attirées sur mon fraisier, telles que les limaçons qui se nichaient sur ses feuilles, les papillons qui voltigeaient autour, les scarabécs qui en labouraient les racines, les petits vers qui trouvaient les moyens de vivre dans le parenchyme, c'est-à-dire, dans la seule épaisseur d'une feuille; les guèpes et les mouches à miel qui bourdonnaient autour de ses fleurs, les pucerons qui en suçaient les tiges, les fourmis qui léchaient les pucerons; enfin, les araignées qui, pour attraper ces différentes proies, tendaient leurs filets dans le voisi

Un jour d'été, pendant que je travaillais à mettre en ordre quelques observations sur les har- | nage.

« PrécédentContinuer »